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Octavio Paz

Vers la transparence

de Paul-Henri Giraud (Auteur)
©2019 Monographies 480 Pages

Résumé

Couronnée par le prix Nobel de Littérature en 1990, l’œuvre du poète et essayiste mexicain Octavio Paz (1914-1998) illustre ce qui est peut-être la plus haute ambition de la poésie et de l’art modernes : celle de créer, en marge de toute foi religieuse, un nouveau sacré. Critique du langage, aimantation des mots, le poème, selon Paz, est un exercice à la fois charnel et spirituel, un pont jeté vers l’absolu. Le silence auquel il conduit nous fait entrevoir, par-delà les images et l’Éros, une essentielle transparence.
Cet ouvrage s’intéresse d’abord aux premières années puis à la période centrale de l’œuvre, où Paz définit, dans El arco y la lira (1956), une véritable poétique du sacré, et revisite dans ses poèmes les mythes mexicains (Libertad bajo palabra, 1949) et différentes facettes de la pensée orientale (Ladera este, 1969).
La nouvelle édition de ce livre – les textes étant désormais cités en langue originale – comporte deux chapitres inédits en français. L’un traite de la production poétique des années 1970, qui correspond au retour de l’auteur au Mexique, avec Renga (1971), Pasado en claro (1975) et Vuelta (1976). L’autre est consacré à la dernière étape d’écriture, avec Árbol adentro (1986), Figuras y figuraciones (1999), et enfin les ultimes poèmes.
Au total, c’est l’ensemble de l’entreprise poétique pazienne qui est ici considéré sous un seul regard, dans sa quête de « l’autre temps, le véritable, celui que nous cherchions sans le savoir : le présent, la présence ».

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Avertissement
  • Introduction
  • La religion d’un poète moderne
  • L’amour comme révélation
  • Destin d’un mot – « vivacité »
  • Prose, poésie et mythe personnel
  • Chapitre 1. Jalons pour une poétique du sacré
  • I – Mystique et poésie. Pour un nouveau romantisme
  • Mage, mystique, poète
  • « La nostalgie de notre origine »
  • Hétérodoxie du poète
  • Situation de la poésie
  • II - De l’autre à l’un : la fête
  • Solitude et communion : les deux pôles dialectiques de l’être
  • La fête, retour au présent éternel du mythe
  • III – « Une étoile à trois pointes. Le surréalisme »
  • Le surréalisme selon Octavio Paz, en 1954
  • « Un certain “sacré” extra-religieux »
  • Invitation à l’aventure intérieure
  • Chapitre 2. L’expérience de « l’autre rive »
  • I – Un manifeste poétique : El arco y la lira (1956)
  • Rhétorique de l’essai littéraire
  • La double image du titre
  • « Transcender raison et religion »
  • II – Le sacré, expérience de « lo otro »
  • Une « expérience du divin »
  • Un saut vers « l’autre rive »
  • Le divin chez Paz : « ce qui est Autre »
  • De la parole comme théophanie
  • III – Le poème comme rite
  • Rythme
  • Image
  • Création et recréation
  • Chapitre 3. Mythe et lyrisme
  • I – À la recherche d’un mythe pour le Mexique
  • Fiction et lyrisme
  • Pour une véritable mexicanité
  • Mythe, roman, héros
  • II – Entre mythes et masques. El laberinto de la soledad (1950)
  • III – De la « figure du poète » au mythe personnel
  • « Persona », le masque du poète
  • La notion de mythe personnel
  • L’imaginaire, « trésor » et jaillissement
  • Chapitre 4. Mort et résurrection de la figure du poète
  • I – De Libertad bajo palabra (1949) à ¿Águila o sol? (1951)
  • La découverte du simultaneïsme : Puerta condenada [1938-1946]
  • La « liberté » conquise par la prose
  • Orphée, Protée, Quetzalcóatl
  • II – « La conciencia sitiada » : Trabajos del poeta [1949]
  • III – L’enlisement du locuteur. Arenas movedizas [1949]
  • Perversion du sacré : « El ramo azul »
  • Disparition de l’autre : « Visión del escribiente » et autres poèmes
  • IV – « Voy a mi nacimiento ». ¿Águila o sol? [1949-1950]
  • Visions de Mixcoac
  • Le « saut mortel » du mythe
  • Co-naissance du poète et du chant
  • Chapitre 5. Les paradoxes de l’instant
  • I – Retrouver l’âge d’or. Semillas para un himno [1950-1954]
  • La « Geste de la Parole »
  • Rire et larmes d’éros
  • L’enfance du langage
  • II – Face à l’instant. Piedras sueltas [1955]
  • « Entre un músico Tang y un jarro de Oaxaca »
  • L’instant, grâce ou combat
  • Danse et sacrifice
  • « Biografía »
  • Chapitre 6. Le temps transfiguré
  • I – Les intermittences du présent. « Himno entre ruinas » [1948]
  • « Todo es dios »
  • « La terre vaine »
  • Midi vainqueur
  • II – Le recul du divin. La estación violenta [1948-1957]
  • Le présent, la présence
  • L’être contre l’étant
  • L’origine, la vivacité
  • III – La transfiguration du temps. « Piedra de sol » [1957]
  • « El único instante »
  • Le poème comme quête
  • « Todo se transfigura y es sagrado »
  • Contre le Temps, « l’unique instant »
  • Chapitre 7. Crise de vers et alchimie du verbe
  • I – Parole et silence. Días hábiles [1958-1961]
  • « De una palabra a la otra »
  • Vers la « transparence »
  • II – Sens par les sens. Homenaje y profanaciones [1960]
  • « Vivacidad sin tiempo »
  • « Pentecostés palabra sin palabras »
  • « Solombra cegadora »
  • « Dios instantáneo »
  • III – Alchimie du verbe. Salamandra [1958-1961]
  • Les mots en mouvement
  • Vers le non-savoir
  • Chapitre 8. Parole, Éros, Orient
  • I – « Voir entendre dire ». Ladera este [1962-1968]
  • « Voir »
  • « Entendre »
  • « Dire »
  • II – Aimer. Hacia el comienzo [1964-1968]
  • « Une fille réelle », un je réel
  • Le tantrisme, conjonction du « corps » et du « non-corps »
  • Maithuna
  • « Matière maternelle »
  • III – « Habiter ton nom ». Blanco [1966]
  • « Avec ce seul objet dont le Néant s’honore »
  • Le poème comme rouleau de méditation
  • Le poème comme mandala
  • Passion, passage : « la résolution du langage »
  • Chapitre 9. « Analogie : transparence universelle »
  • I – De Blanco [1966] et Topoemas [1968] à El mono gramático [1970]
  • Idéogrammes de la vacuité
  • « Idéogramme » du poète et « monogramme » du langage
  • II – Instant, poésie et amour : les trois pointes de l’étoile « Splendeur »
  • « La quête du présent »
  • La poésie, « critique du langage »
  • Éros libérateur et réconciliateur
  • « Théâtre de signes »
  • Chapitre 10. Dispersion des signes et déchiffrement du passé
  • I – « Dejar de ser yo » : Renga [1969]
  • « Centro móvil »
  • « Omega azul »
  • II – « El acto de las palabras » : Vuelta [1969-1975]
  • Mutilations
  • Nocturne
  • Épiphanies
  • III – Anamnèse et introspection : Pasado en claro [1974]
  • « Blanco advenimiento »
  • « Hay un tercer estado »
  • Chapitre 11. Lucidité et réconciliation. Árbol adentro [1976-1988] et autres poèmes
  • I – « Un sol más vivo »
  • II – « Sílabas semillas »
  • Spermatikos logos
  • « Visto y dicho »
  • III – « Tu mirada es sembradora »
  • IV – « Entraremos en lo desconocido »
  • Figuras y figuraciones (1999)
  • Poemas [1989-1996]
  • Épilogue. « Un perpétuel vers »
  • « Un perpétuel vers »
  • Otredad et analogie, par delà l’ironie
  • Un rituel de la vivacité
  • Bibliographie
  • Index

Avertissement

Octavio Paz : vers la transparence fut publié pour la première fois en 2002 dans la collection « Partage du savoir » des Presses Universitaires de France. Il s’agissait de la version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue en Sorbonne deux ans plus tôt, sous la direction de Claude Esteban, thèse à laquelle avait été décerné le Prix « Le Monde » de la recherche universitaire.

En 2014, pour les cent ans de la naissance du poète, une version espagnole du même ouvrage fut publiée au Mexique par El Colegio de México, dans une traduction de David Medina Portillo et par l’entremise d’Adolfo Castañón. Octavio Paz : Hacia la transparencia offrait une mise à jour du livre, désormais augmenté de deux nouveaux chapitres. Ces chapitres 10 et 11 permettaient de donner un aperçu de l’ensemble de l’œuvre poétique pazienne, jusqu’aux derniers poèmes.

C’est ce même livre qui, aujourd’hui, en 2018, est présenté en français chez Peter Lang, grâce à l’éditrice Laurence Pagacz, à l’occasion du vingtième anniversaire de la disparition d’Octavio Paz. Outre la présence des chapitres 10 et 11, il faut signaler une différence notable avec l’édition des PUF : la plupart des citations sont désormais données en langue originale.

Toute sa vie, Octavio Paz a corrigé ses œuvres, ses poèmes surtout, mais aussi ses essais. Fallait-il reproduire, ici, le texte original, ou le texte définitif ? En règle générale, c’est la deuxième solution qui a été adoptée. Chaque fois que cela a été possible, le texte des Œuvres complètes a été comparé à l’édition originale et, lorsqu’une variante importante apparaissait, elle a été signalée et commentée en note. Dans le présent ouvrage, pour les textes de Paz, les dates entre crochets signalent l’époque d’écriture des textes telle qu’elle est précisée par l’auteur dans ses Œuvres complètes1, tandis que les dates entre parenthèses se réfèrent à l’année de parution.

L’orthographe des termes d’origine non européenne (Mexique, Orient) correspond à celle proposée par les ouvrages suivants : Hanns J. Prem et Ursula Dyckerhoff, Le Mexique ancien, Paris, Bordas, 1987 ; Dictionnaire←15 | 16→ de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989. Enfin, on a utilisé, suivies du numéro de la page citée, les quelques abréviations suivantes :

AL1 : El arco y la lira, 1re éd., 1956.

AL2 : El arco y la lira, 2e éd., 19672.

LBP : Libertad bajo palabra3.

LBP1 : Libertad bajo palabra, 1re éd., 1949.

LBP2 : Libertad bajo palabra, 2e éd., 1960.

LBP3 : Libertad bajo palabra, 3e éd., 1968.

LBP5 : Libertad bajo palabra, 5e éd., 1988.

LS : El laberinto de la soledad, édition critique, Madrid, Cátedra, 1993.

OC : Obras completas.

OP : Obra poética (1935-1988), 19904.←16 | 17→


1 Œuvres complètes publiées sous la direction de l’auteur lui-même. Publication réalisée simultanément, et avec la même pagination, par deux maisons d’édition : le Círculo de Lectores (Barcelone) et le Fondo de Cultura Económica (Mexico).

2 AL1 et AL2 : abréviations empruntées à Anthony Stanton, « Una lectura de El arco y la lira », Reflexiones Lingüísticas y Literarias, 2 (1992), 317, n. 35.

3 Libertad bajo palabra est le titre de plusieurs versions fort différentes du même livre. D’une édition à l’autre (1949, 1960, 1968, 1979, 1988), Paz ajoute ou retranche des poèmes, modifie le texte et même – pour la deuxième édition – réorganise l’architecture générale du recueil. – Sur ces changements, voir la note préliminaire à l’édition définitive de son Œuvre poétique (« Preliminar », OC11 17-19). Sur les différentes éditions de Libertad bajo palabra (pour lesquelles Enrico Mario Santí propose l’abréviation LBP suivie du numéro de l’édition en italique), voir sa préface à Libertad bajo palabra, Madrid, Cátedra, 1988, p. 11-21.

4 On trouvera, dans la Bibliographie, la référence complète de ces ouvrages.

Introduction

La poesía es la religión secreta
de la edad moderna.
1

L’œuvre du poète et essayiste mexicain Octavio Paz (1914-1998) illustre la richesse et l’ambiguïté des relations qui unissent la poésie moderne et le sacré. Cette poésie, qui se situe le plus souvent en marge de toute confession religieuse, en dehors des Églises, et parfois même contre Dieu, n’en manifeste pas moins une certaine forme de religiosité : un lien avec les autres, certes, mais aussi, plus fondamentalement, un lien avec ce qui est Autre. Si toute poésie est un pont jeté entre le poète et le lecteur, si ce pont implique un certain rapport au monde – à la nature, aux hommes, et souvent à un être aimé –, ce pont se profile toujours, de façon plus ou moins nette, sur un horizon inconnu, essentiel – sur la question de l’absolu, sur celle de la Réalité. Qu’est-ce que le sacré, en effet, si ce n’est ce rapport, cette médiation, cette arche qui, par delà toute image, tout rite, tout langage, capte et attire notre regard vers quelque au-delà lumineux, mystérieux, divin ? Si la poésie fait usage des mots – des mots profanes –, si elle les manipule et quelquefois les brise, si elle les transforme, c’est pour susciter par delà les mots un silence habité – une « transparence ».

La poésie moderne obéit, selon Paz, à un double mouvement critique. Face au sacré institutionnel, d’une part, elle fait entendre une voix différente, dissidente, irréductible, une voix qui ne craint pas de se joindre – par l’ironie, notamment – à la critique que le rationalisme fait de la religion. Mais c’est pour se retourner aussitôt contre le rationalisme lui-même et contre « l’athéisme positiviste », accusés de « mutiler »2 l’homme en l’amputant de « sa portion divine » (AL1 255). Quête inlassable de « la moitié perdue de l’homme », la poésie et l’art de l’époque moderne n’auraient d’autre but que de « rétablir le dialogue avec cette moitié » (AL1 241 ; OC1 238) – de « transcender raison et religion et fonder ainsi un nouveau sacré » (AL1 243 ; OC1 239).←17 | 18→

Comment la poésie s’y prend-elle pour rétablir ce « dialogue » interrompu ? Comment l’œuvre d’Octavio Paz contribue-t-elle à fonder « un nouveau sacré » ? La réponse à ces questions est à la fois liée aux concepts proposés par Paz pour définir la notion de sacré, à la pensée des différents auteurs qui alimentent sa réflexion, et à la « figure du poète » qui peu à peu se dégage de son œuvre, au mythe personnel que cette œuvre construit. Quel est ce mythe ? Celui, peut-être, de la recherche, dans l’existence quotidienne, et en particulier dans l’expérience de l’amour, d’une éternelle « vivacité » qui est le cœur vibrant de la réalité, l’originaire palpitation du monde : « Busco en la realidad ese punto de inserción de la poesía que es también un punto de intersección, centro fijo y vibrante donde se anulan y renacen sin tregua las contradicciones. Corazón-manantial ».3

La religion d’un poète moderne

En cherchant, dans sa jeunesse, à être le poète moderne4 qu’il est pleinement devenu, Octavio Paz se devait de jeter sur le monde un regard critique, appliqué à l’histoire, à la politique, aux idées, à l’art – un regard de libération –, et en même temps un regard vierge, intuitif, « magique » ou « mystique » – un regard de communion et de réconciliation. Cette double attitude explique la permanente ambivalence de ses sentiments à l’égard de la religion.

En dépit d’une traditionnelle éducation catholique – éducation relayée, probablement, par l’influence de sa mère d’origine andalouse, imprégnation spirituelle, culture profondément ancrée dans l’identité historique du Mexique et dans celle du poète lui-même –, le jeune Octavio Paz adopte très tôt une approche critique et surtout politique du phénomène religieux. Il la doit à son ascendance paternelle, où libéralisme, indigénisme et anti-hispanisme faisaient sans doute bon ménage avec un anti-cléricalisme lui aussi traditionnel5. Il la doit, également, aux circonstances historiques et←18 | 19→ aux engagements de sa jeunesse en faveur de la République espagnole : « En realidad, mi rebelión fue contra la institución. Eran los años en que la Iglesia de España estaba muy cerca de Franco »6. De fait, dans de nombreux essais d’Octavio Paz, l’institution de l’Église Catholique apparaît comme le prototype – encore bien imparfait, il est vrai – de cette « pseudo-religion politique »7 que constituent, selon lui, les totalitarismes modernes, et en particulier « le marxisme-léninisme »8. C’est ce qui ressort, par exemple, d’un livre au titre éloquent : Sor Juana Inés de la Cruz o las trampas de la fe9.

Mais si Paz se montre, sinon toujours hostile, du moins le plus souvent critique envers la dimension collective et publique du fait religieux, si lui-même se définit comme « un païen », comme un « sceptique »10, il peut lui arriver d’être ému par une liturgie qui lui rappelle son enfance11. Quant aux spéculations philosophiques et mystiques des diverses religions et à leurs réalisations artistiques, elles suscitent chez ce non-croyant une attraction profonde, où, comme chez tant de poètes depuis le Romantisme, la curiosité intellectuelle le dispute à l’inquiétude spirituelle : « No soy creyente pero dialogo con esa parte de mí mismo que es más que el hombre que soy porque está abierta al infinito »12. Dialogue avec soi-même, dialogue avec une partie de soi-même en quelque sorte enfouie dans la conscience, ou encore dans la nature, dialogue avec « quelqu’un » qui, s’il est dieu, est un dieu inconnu :

Soy hombre: duro poco

y es enorme la noche.

Pero miro hacia arriba:

las estrellas escriben.←19 | 20→

Sin entender comprendo:

también soy escritura

y en este mismo instante

alguien me deletrea.13

Pour Octavio Paz, ce dialogue avec l’infini et avec l’inconnu a un nom : « l’expérience poétique ». Dès qu’il s’agit d’évoquer cette expérience intime, personnelle et privée – mais susceptible d’être socialisée dans une lecture publique de poèmes, à la manière d’une « cérémonie » –, une analogie implicite s’établit avec la religion. Paz manifeste, en particulier, une véritable prédilection pour certains mots fondamentaux de la théologie chrétienne – « révélation », « incarnation », « communion », « transfiguration » – ou des sagesses orientales – Prajñâpâramitâ, l’expérience de « l’autre rive » –, toute l’ambiguïté de ces emprunts étant, semble-t-il, par avance levée par la non-appartenance de l’auteur à quelque Église que ce soit, si ce n’est à cette permanente hérésie que constitue la poésie moderne : « [una] poesía de sectas » (AL1 40 ; OC1 66), «un culto esotérico oscilante entre las catacumbas y el sótano de los conspiradores »14.

On peut donc affirmer, avec son traducteur Eliot Weinberger, que Paz est « un poeta religioso cuya religión es la poesía »15. Quand le poète Elsa Cross lui demanda s’il avait suivi, en Inde, une discipline spirituelle, ou s’il y avait eu un maître, Octavio Paz répondit « que no había tenido maestros y que su único camino había sido la poesía »16. La poésie : chemin vers ce qui est Autre, chemin lié, toujours, à présence ou à l’absence de l’amour.

L’amour comme révélation

De nature indissociablement charnelle et spirituelle, l’amour constitue pour Octavio Paz la révélation privilégiée d’un suprême indicible, qualifié d’« otredad »17, de « présence » ou de « vivacité ». Empruntés, notamment, à Machado, à Breton et à Nietzsche, assimilés et transformés, ces trois←20 | 21→ concepts deviennent chez Paz les repères essentiels de sa conception du sacré poétique.

Situé à la fois sur le plan de l’essence et sur celui de l’existence, le néologisme otredad désigne, chez Antonio Machado, « La esencial heterogeneidad del ser »18 : cette radicale altérité qui se creuse au sein même de l’être et qui fait que celui-ci n’est pas seulement l’Un, le Même, mais aussi l’Autre, à la fois inconnu et passionnément désiré. Si, pour Machado, cette otredad dont « souffre » l’Un est proprement « inguérissable », c’est que, selon Octavio Paz, la souffrance de l’Un est un désir sans fin, une soif jamais assouvie, une « maladie » (« dolencia ») qui a pour nom amour :

El Uno es dos y no puede vivir ni separado de su otredad ni confundido con ella. Por eso dice Machado que lo Uno padece su incurable otredad. Así introduce un elemento afectivo y no racional en la relación entre el Uno y el otro. Podemos suponer que si el Uno padece su incurable otredad, ella también, la otredad, padece su unidad. Pero ¿qué expresa realmente la palabra padecer? ¿Es dolencia o es amor? ¿El ser sufre su otredad como una llaga incurable o está enamorado de ella? Aunque Machado no lo dice con claridad, sus poemas lo expresan de muchas veladas maneras: el Uno está enamorado de su otredad, su padecer es amor.19

Pour Paz comme pour Machado, l’être pourrait donc se définir comme une passion, comme un perpétuel passage de l’Un à l’Autre, de l’Autre à l’Un, comme une dialectique qui trouve son expression plénière dans l’expérience de l’amour.

Plus encore qu’à Machado, c’est à André Breton que Paz est redevable de sa conception de l’amour comme présence superlative et adorable, comme « toute-présence »20 à jamais consolante, à jamais guérisseuse de l’« exquise blessure » dont parlent les mystiques à propos de l’amour. L’influence de Breton sur Paz est profonde, mais contradictoire et toujours dialogique : « [en] muchas ocasiones escribo como si sostuviese un diálogo silencioso con Breton: réplica, respuesta, coincidencia, divergencia, homenaje, todo junto »21. Au sujet de l’amour, cependant, ce dialogue devient communion, l’enthousiasme de Paz ne s’étant jamais démenti depuis la lecture qu’il fit, dans sa jeunesse, d’un célèbre poème de William Blake et de quelques pages de L’Amour fou :←21 | 22→

En mi adolescencia, en un período de aislamiento y exaltación, leí por casualidad unas páginas que, después lo supe, forman el capítulo V de L’Amour fou. En ellas relata [Breton] su ascensión al pico del Teide, en Tenerife. Ese texto, leído casi al mismo tiempo que The Marriage of Heaven and Hell, me abrió las puertas de la poesía moderna. Fue un « arte de amar », no a la manera trivial de Ovidio, sino como una iniciación a algo que después la vida y el Oriente me han corroborado: la analogía o, mejor dicho, la identidad entre la persona amada y la naturaleza.22

Cette « analogie » – cette « identité » – fonde, en fait, le sacré pazien sur une unique manifestation – sur une unique hiérophanie23 : le corps de la femme aimée, lequel – désiré, savouré, « dévasté », contemplé – réunit toutes les « correspondances », résume l’univers, ouvre sur l’inconnu, sur la otredad, sur la « présence ».

Présence d’un être unique, irremplaçable, tant il est vrai que Paz fait sienne la foi d’André Breton en un « amour unique » :

Lo mejor de su obra, la prosa tanto como la poesía, son las páginas inspiradas por la idea de elección y la correlativa de fidelidad a esa elección, sea en el arte o en la política, en la amistad o en el amor. Esta idea fue el eje de su vida y el centro de su concepción del amor único: resplandor de la pasión tallado por la libertad, diamante inalterable. (OC2 222)

Plus encore que dans L’Amour fou, ce « diamant inaltérable » brille de tous ses feux dans Arcane 17, (re-)publié à Paris en 194724, peu de temps avant que Paz, alors en poste diplomatique dans la capitale française, ne devienne l’ami d’André Breton. Nul doute que le poète mexicain aura sinon puisé, du moins reconnu dans ce livre, quelques-unes de ses aspirations les plus profondes :

[…] c’est précisément par l’amour et par lui seul que se réalise au plus haut degré la fusion de l’existence et de l’essence, c’est lui seul qui parvient à concilier←22 | 23→ d’emblée, en pleine harmonie et sans équivoque, ces deux notions, alors qu’elles demeurent hors de lui toujours inquiètes et hostiles. Je parle naturellement de l’amour qui prend tout le pouvoir, qui s’accorde toute la durée de la vie, qui ne consent bien sûr à reconnaître son objet que dans un seul être. […] Un mythe des plus puissants continue ici à me lier, sur lequel nul apparent déni dans le cadre de mon aventure antérieure ne saurait prévaloir. « Trouver le lieu et la formule » se confond avec « posséder la vérité dans une âme et un corps » ; cette aspiration suprême suffit à dérouler devant elle le champ allégorique qui veut que tout mon être humain ait été jeté dans la vie à la recherche d’un être de l’autre sexe et d’un seul qui lui soit sous tous rapports apparié, au point que l’un sans l’autre apparaisse comme le produit de dissociation, de dislocation d’un seul bloc de lumière.25

Ce « mythe des plus puissants » évoqué par Breton, c’est le mythe de l’androgyne, également présent ou sous-jacent dans de nombreux écrits d’Octavio Paz. Quant à la phrase de Rimbaud, « posséder la vérité dans une âme et un corps »26, elle brûle de la vive flamme de la coïncidence des opposés, invitant à puiser la vérité du corps dans le tréfonds de l’âme, l’âme se retrempant dans le creuset du corps.

L’idéalisme de Breton et de Paz à l’égard de l’amour se trouve donc nuancé, prolongé, et en fin de compte confirmé par un profond sensualisme, par un érotisme de haut vol, par un vol de consécration : « Breton se propuso reintroducir el amor en el erotismo o, más exactamente, consagrar al erotismo por el amor »27. « Consacrer l’érotisme par l’amour », cela veut dire trouver dans l’« extase » érotique un « état de grâce » comparable à celui des mystiques, ainsi que Breton s’en explique dans le deuxième des trois Ajours « entés » sur Arcane 17 et imprimés en italiques, comme pour souligner l’importance de cette mise à jour :

Cet état de grâce, je dis aujourd’hui en toute assurance qu’il résulte de la conciliation en un seul être de tout ce qui peut être attendu du dehors et du dedans, qu’il existe de l’instant unique où dans l’acte de l’amour l’exaltation à son comble des plaisirs des sens ne se distingue plus de la réalisation fulgurante de toutes les aspirations de l’esprit.28←23 | 24→

Influence, coïncidence, convergence ? Cette assimilation du climax de l’Éros avec une sorte de révélation spirituelle inséparable de l’amour fou constitue rien moins que la pierre angulaire du mythe poétique d’Octavio Paz, la plus ancienne et la plus durable de ses intuitions créatrices.

En 1942, déjà, dans une conférence intitulée « Poesía de soledad y poesía de comunión »29 – conférence qui contient en germe toute la poétique future de l’auteur –, Paz exaltait « les sens » comme le vecteur privilégié d’une aventure spirituelle envisagée sur un plan strictement terrestre, comme une communion avec un « absolu » charnel, comme le tremplin magique, situé « dans le temps », d’un saut qui nous mène hors du temps, dans l’« éternité » de l’instant. Invoquant, sur ce point, le témoignage de Nietzsche, Octavio Paz assignait à la poésie la fonction de révéler, non pas une hypothétique vie éternelle, mais l’éternelle vivacité qui est le sens profond, miraculeux, de la vie ordinaire des hommes :

Los poetas han sido los primeros que han revelado que la eternidad y lo absoluto no están más allá de nuestros sentidos sino en ellos mismos. Esta eternidad y esta reconciliación con el mundo se producen en el tiempo, dentro del tiempo, y en nuestra vida mortal, porque el amor y la poesía no nos ofrecen la inmortalidad y la salvación. Ya Nietzsche lo decía: “No la vida eterna, sino la eterna vivacidad: eso es lo que importa”. Mostrar esta condición perecedera quizá pueda ser trágico; lo es, en realidad, pero en ese elemento encuentro el verdadero valor, en el sentido de valioso y de valeroso, de la poesía, porque rescata a lo cotidiano de la vulgaridad y unge con lo irreparable al instante. (OC13 239)

Associé à « l’instant », et donc à la question du temps, ce mot d’irréparable ne peut pas ne pas évoquer la formule virgilienne, « fugit irreparabile tempus »30. Or c’est précisément, pour Paz, en vertu de leur caractère « irréparable » que la « condition périssable » de l’homme, et donc la fuite inéluctable des instants de bonheur, reçoivent de la poésie une sorte d’onction, une consécration particulière, dans la mesure où ils sont évoqués, recréés et transfigurés par elle. À la différence de la religion – laquelle poursuit toujours, par delà la mort, la lumière éternelle de l’immortalité31 –, la poésie moderne ne promet pas l’abolition de la condition mortelle de l’homme. En arrachant cette condition à la « vulgarité » du quotidien, elle l’élève jusqu’au tragique : jusqu’à ce point extrême où, de l’« irréparable », surgit, toujours neuve, « l’éternelle vivacité ».

Mais que recouvre, au juste, cette vivacité ?←24 | 25→

Destin d’un mot – « vivacité »

Emprunté à Nietzsche, mais isolé de son contexte, maintes fois cité et réinterprété, le mot vivacité finit par désigner, chez Paz, l’intensité sacrale de l’instant – instant du temps, instant vécu, instant qui nous arrache, pourtant, à la temporalité, pour nous plonger dans « l’autre temps »32, dans un « présent perpétuel »33 et perpétuellement vivace.

Dans un aphorisme placé à la fin d’une des sections de son livre Humain, trop humain, Nietzsche évoque – nouvel Ulysse – la « descente à l’Hadès » qui lui a souvent permis de s’entretenir avec ses philosophes de prédilection :

Moi aussi, j’ai été aux enfers, comme Ulysse34, et j’y retournerai souvent ; et je n’ai pas seulement sacrifié des moutons pour pouvoir m’entretenir avec quelques morts, c’est aussi mon propre sang que je n’ai pas ménagé. Il y eut quatre couples à ne pas refuser leur réponse à mon immolation : Épicure et Montaigne, Gœthe et Spinoza, Platon et Rousseau, Pascal et Schopenhauer. C’est avec eux qu’il me faut m’expliquer quand j’ai longtemps marché seul, par eux que j’entends me faire donner tort ou raison, eux que je veux écouter quand ils se donnent alors eux-mêmes tort et raison entre eux. Quoi que je puisse dire, résoudre, imaginer pour moi et les autres, je fixe les yeux sur ces huit-là et vois les leurs fixés sur moi. – Puissent les vivants me pardonner s’ils me font parfois l’effet, eux, d’être des ombres, si pâles et irritées, si inquiètes et, hélas ! si avides de vivre, tandis que ceux-là me paraissent alors aussi pleins de vie que s’ils ne pouvaient plus maintenant, après leur mort, être jamais las de vivre. Or, ce qui compte, c’est bien cette vivace pérennité : qu’importent la « vie éternelle » et en somme la vie ! [Auf die ewige Lebendigkeit aber kommt es an: was ist am « ewigen Leben » und überhaupt am Leben gelegen!]35

On voit que Nietzsche applique l’expression « ewige Lebendigkeit » (« éternelle vivacité » ou « vivace pérennité »36) aux auteurs qui lui sont le←25 | 26→ plus chers ; des auteurs qui nous parlent, et avec qui nous pouvons discuter, dans la mesure où nous faisons preuve d’une réelle vivacité d’esprit – d’une éternelle vivacité, plus importante, aux yeux de Nietzsche, que la « vie éternelle » à laquelle il ne croit pas, et que la vie elle-même, misérablement dévaluée par les pâles « vivants ».

Pour Paz aussi, sans doute, le mot vivacité peut s’appliquer à tel ou tel philosophe, à telle ou telle pensée. Mais à la différence de Nietzsche, Paz applique d’abord le mot vivacité à l’expérience des sens et à celle de la poésie. Ainsi, avec le temps, et à mesure que s’éloigne, chez Paz, le souvenir précis de l’aphorisme de Nietzsche, le terme de vivacité va désigner sous sa plume l’intensité exceptionnelle de cet « instant unique » évoqué par Breton à propos de l’acte d’amour, instant où les contraires se trouvent transcendés dans une paradoxale coincidentia oppositorum, et qui, en réunissant le « dedans » avec le « dehors », l’esprit avec le corps, le masculin avec le féminin, le passé avec l’avenir, la vie avec la mort, unifie notre condition et donne à notre vie une valeur incomparable – ce même instant que la création poétique est capable de susciter ou de ressusciter par la grâce de l’image, c’est-à-dire, sur le plan du langage, par une nouvelle et lumineuse réconciliation des contraires.

Dans L’Arc et la Lyre (1956), par exemple, Paz, citant de mémoire, modifie quelque peu la sentence de Nietzsche, et surtout infléchit son sens en la faisant précéder d’une célèbre phrase d’André Breton :

Ese estado del que habla Breton en el que «la vida y la muerte, lo real y lo imaginario, lo pasado y lo futuro, lo comunicable y lo incomunicable, lo alto y lo bajo cesan de ser percibidos contradictoriamente» no se llama vida eterna, ni está allá, fuera del tiempo. Es tiempo y está aquí. Es el hombre lanzado a ser todos los contrarios que lo constituyen. […] La poesía no nos da la vida eterna, sino que nos hace vislumbrar aquello que llamaba Nietzsche «la vivacidad incomparable de la vida».37

De « l’éternelle vivacité » des auteurs anciens – vivacité bien supérieure, selon Nietzsche à la morne vie des vivants « hélas ! si avides de vivre » –, on passe ici à la vivacité incomparable de la vie elle-même, à une sorte d’« état de grâce », à l’avènement de la otredad, au surgissement inattendu, au sein même de la vie quotidienne, presque vulgaire et trop souvent dévaluée, de cet élément proprement poétique « qui confère à l’instant l’onction de ce qui est irréparable » : « Llamo poéticos a esos instantes aunque son←26 | 27→ experiencias comunes a todos los hombres : la única diferencia es que el poeta los recuerda y trata de reencarnarlos en palabras, sonidos, colores »38. Synthèse toujours miraculeuse entre la vie et la mort, entre l’éternité et la mortalité, l’expérience de la vivacité est peut-être, pour Paz, l’objet ultime – le « but », la « cible »39 – de cette tentative de réincarnation en quoi consiste la poésie.

Au total, le destin singulier du mot vivacité dans l’œuvre d’Octavio Paz constitue une heureuse, féconde et vivace infidélité à Nietzsche : un bel exemple de cette « lecture déformante » [« misreading »], de cette « interprétation fautive » [« misinterpretation »], de cette « correction créative » [« creative correction »] que le critique Harold Bloom considère comme absolument nécessaires à la réception et à l’assimilation d’une « influence poétique »40 – ce type d’influence qui s’avère décisif dans la formation d’un poète et dans la création de son mythe personnel.

Prose, poésie et mythe personnel

L’œuvre poétique d’Octavio Paz peut être considérée comme l’élaboration, à travers la double expérience de l’amour et de la poésie, d’un mythe de la « vivacité ». Un mythe, dans la mesure où, en plusieurs points névralgiques de l’œuvre, le poème laisse entrevoir les bribes d’un récit autobiographique, avec ses étapes essentielles, ses moments d’épreuve et de libération, de mort et de résurrection. Un mythe personnel, car il implique un je, un locuteur, la complexe « figure » d’un poète la fois acteur, créateur et critique.

L’alliance chez un même poète de la critique et de la création, de la « conscience » et du « délire » (AL1 87), constitue, selon Paz, « le trait distinctif de la poésie moderne ». Attitude fréquente chez les poètes de langue allemande, anglaise ou française, mais moins commune dans la tradition hispanique : « La obra de Machado es un ejemplo, raro en español, de esa continua intercomunicación entre prosa y poesía que es←27 | 28→ el rasgo distintivo de la poesía moderna. Conciencia de la poesía tanto como poesía de la conciencia » (AL1 87). Être un poète moderne, ce serait donc maintenir en éveil – dans ses vers, sans doute, mais plus encore par le biais de la prose – la question du sens et de la justification de l’activité poétique dans le monde moderne. Tel est notamment le rôle dévolu par Octavio Paz à un certain nombre de textes d’un genre difficile à déterminer, à mi-chemin entre la prose poétique et le poème en prose. Certains fragments écrits dans les années de jeunesse – « Vigilias : diario de un soñador » –, certaines pages de L’Arc et la lyre vibrent d’une tension rythmique et d’une richesse d’images qui tout d’un coup transmuent la réflexion en un véritable poème. De nombreux poèmes, à l’inverse, nous font pénétrer dans le labyrinthe intérieur de la conscience créatrice ; c’est le cas, notamment de deux livres en prose inclus dans son œuvre poétique : Aigle ou soleil ? [1949-1950] et Le Singe grammairien [1970].

Dans ces deux textes vraiment initiatiques, le poète se cherche, se perd, se retrouve, et, chaque fois, réinvente son mythe. Dans Aigle ou soleil ?, Octavio Paz fait table rase de son écriture poétique antérieure41 – riche et même brillante, mais encore trop marquée, sans doute, par un certain académisme, par une certaine rhétorique de l’engagement42, ou même par un souci encore trop voyant d’adapter à la langue espagnole certains procédés empruntés aux poètes anglo-américains – pour se plonger dans le monde frémissant, neuf et panique d’un imaginaire mexicain revisité par le surréalisme. Le thème du sacrifice, central dans la vision du monde mésoaméricaine, devient alors l’emblème de la mort symbolique par laquelle doit passer le je poématique pour renaître à une diction véritablement neuve, unique, personnelle. Quant au Singe grammairien, récit méditatif légèrement postérieur à un long séjour du poète en Inde, il constitue une vaste et complexe récapitulation des thèmes essentiels de l’œuvre, ainsi que le suggère le critique Jaime Alazraki : « this most←28 | 29→ beautiful book […], like an inverted prism, reintegrates all the hues of his poetic vision scattered throughout his poems and essays »43. D’Aigle ou soleil ? au Singe grammairien, Paz écrit quelque-uns de ses plus beaux poèmes – « Pierres éparses », « Pierre de soleil », « Solo à deux voix », « Maithuna », « Blanc ». Oscillant entre le poème bref, voire très bref, imité des haiku japonais, et le « poème étendu », qui met en jeu une orchestration vaste, intense, variée, passant de la prose au vers, du vers libre au verset, du classique hendécasyllabe au vers échelonné issu de l’avant-garde, Paz, alors, trouve vraiment sa voix – sa langue44 : une voix fervente et lucide à la fois, une langue qui se défait et se refait sans cesse, qui surgit et se cristallise en gerbes de poèmes éclatés sur la page, éclatants de lumière.

Le « retour » du poète au Mexique en 1971 signifie une nouvelle étape dans son œuvre. Entre mélancolie et illumination, anamnèse et attention à l’instant présent, la « transparence » toujours désirée se fait maintenant moins passionnelle que mentale. Face à la mort, l’exercice du poème devient plus ascétique, ce qui n’exclue pas l’émotion, la tendresse ni la fraternité.

Résumé des informations

Pages
480
Année
2019
ISBN (PDF)
9782807607408
ISBN (ePUB)
9782807607415
ISBN (MOBI)
9782807607422
ISBN (Broché)
9782807606999
DOI
10.3726/b14808
Langue
français
Date de parution
2019 (Mai)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2019. 480 p.

Notes biographiques

Paul-Henri Giraud (Auteur)

Professeur à l’Université de Lille et membre du Centre d’études en civilisations, langues et lettres étrangères (CECILLE EA 4074), Paul-Henri Giraud consacre ses recherches à la poésie et aux arts visuels dans le monde hispanique à l’époque contemporaine. Il est Secrétaire général de l’Institut des Amériques et Life Member de Clare Hall, Université de Cambridge.

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Titre: Octavio Paz
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