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Décor et architecture (XVIe–XVIIIe siècle)

Entre union et séparation des arts

de Matthieu Lett (Éditeur de volume) Carl Magnusson (Éditeur de volume) Léonie Marquaille (Éditeur de volume)
©2020 Collections 204 Pages

Résumé

Dans les arts visuels de la période moderne, décor et architecture ne sont pas appréhendés séparément mais se complètent, voire se recoupent. L’ambition de ce recueil consiste, par des études inédites, à interroger les liens qu’entretiennent ces deux champs dans l’Europe des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. La perspective adoptée est large : les contributions abordent tant les productions princières que privées ou ecclésiastiques, dans de nombreuses zones géographiques. La variété des approches méthodologiques et l’abondance des sources historiques permettent de mieux cerner les rapports entre théories et pratiques, hors de tout système prédéfini, et d’explorer les prérogatives des nombreux acteurs impliqués dans l’élaboration et la conduite d’un chantier.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Avant-propos (Matthieu Lett, Carl Magnusson et Léonie Marquaille)
  • Vicissitudes des rapports entre décor et architecture : théorie, épistémologie, historiographie (Carl Magnusson)
  • 1. Embellissements
  • L’architecture comme décor : à propos de l’intervention présumée de Giacomo della Porta à San Bernardo alle Terme à Rome (Federica Vermot)
  • De la sculpture à la vêture : pour une compréhension élargie de l’ornement de l’architecture au cours de la première modernité (Pays-Bas, xviie siècle) (Caroline Heering)
  • Les embellissements du chœur de Saint-Germain l’Auxerrois (1755–1767) et leurs prémices : entre architecture et sculpture (Alexandra Michaud et Léonore Losserand)
  • 2. De l’architecte aux hommes de métier
  • « The ordenanse therof came from us » : la part d’un sculpteur français dans le dessin des façades de Longleat House (Étienne Faisant)
  • Entre rivalités et émulation : architectes et peintres sur le chantier de la Huis ten Bosch à La Haye (Léonie Marquaille)
  • Les monuments de cœur de l’église Saint-Louis-des-Jésuites à Paris et les compétences concurrentes des architectes et des sculpteurs dans le décor d’église au xviie siècle (Anne le Pas de Sécheval)
  • Talents et rapports d’autorité : la question de la répartition de l’invention et des compétences sur le chantier du nouveau palais royal de Madrid (1737–ca. 1765) (Matthieu Lett)
  • The role of the joiner in eighteenth-century Paris: changing prerogatives (Herman den Otter)
  • « Tout est de son ressort » : Charles De Wailly et la décoration intérieure (Alexia Lebeurre)
  • « A norma del disegno stato rimesso » : Leonardo Marini, Giuseppe Battista Piacenza et Carlo Randoni, maîtres du décor intérieur néo-classique à la cour de Turin (1775–1821) (Paolo Cornaglia)
  • 3. Économie et politique du décor
  • Architecture, décor et politique : le cabinet des bains d’Anne d’Autriche au Louvre à la lumière de documents inédits (Marianne Cojannot-Le Blanc)
  • Invention, fonction(s) et exécution du décor architectural : Paul-Ambroise Slodtz et l’embellissement du chœur de l’église Saint-Merry à Paris (Sébastien Bontemps)
  • The rise and fall of the décor economy in ecclesiastical interiors in Murcia, Aragón and Catalonia (Tomas Macsotay)
  • Index des noms de personnes
  • Index des noms de lieux

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Matthieu Lett, Carl Magnusson et Léonie Marquaille

Avant-propos

L’architecture est un art qui ne peut paroître avec l’éclat et avec la dignité qui lui convient si elle n’est accompagnée de la plupart des autres arts ; des uns pour en prendre conseil, et des autres pour les conduire. […] Elle prescrit à la sculpture les endroits de l’édifice où elle doit placer ses statues et ses bas-reliefs. Elle assigne de même à la peinture les lieux qu’elle doit orner de ses tableaux et leur donne à toutes deux le module et la grandeur de ce qu’elles ont à représenter. Elle se sert encore de leurs règles pour ses desseins, et ses modelles. Ainsi, l’architecture n’est pas tant un seul art qu’une espèce d’encyclopédie de la plupart des arts.

Formulées par Charles Perrault, ces phrases expriment la richesse des liens tissés entre décor et architecture à l’époque moderne. Le texte figure dans l’explication d’une allégorie peinte entre 1686 et 1690 par Bon Boullogne (1649–1717), au plafond du cabinet des Beaux-Arts de la demeure de l’homme de lettres au faubourg Saint-Jacques, place de l’Estrapade à Paris (fig. 1).1 Le point de vue de Perrault se nourrit de l’idée déjà ancienne de l’unité des arts du dessin et n’est certes pas neutre puisque son frère Claude était réputé dans le domaine de l’architecture. Ce dernier, auteur d’une traduction en français du traité de Vitruve, a joué un rôle fondamental dans la conception de la façade orientale du Louvre, avec sa célèbre colonnade, et dans celle de l’arc de triomphe du faubourg Saint-Antoine, jamais réalisé. Ces architectures sont représentées à l’arrière-plan de la composition de Bon Boullogne dans le compartiment consacré à l’Architecture du même cabinet (fig. 2). Il convient aussi de rappeler que Charles Perrault était membre de la Petite Académie chargée par Colbert d’élaborer, dès le milieu des années 1660, l’iconographie des décors des maisons royales. Ainsi, sa position l’avait-elle amené à s’intéresser autant à l’architecture qu’au décor, non seulement en théorie, mais aussi en pratique.2

Fig. 1: Jean Dolivar, Vue générale du plafond du cabinet des Beaux-Arts dans la maison de Charles Perrault, place de l’Estrapade, publiée dans Charles Perrault, Le Cabinet des Beaux arts, Paris, Edelinck, 1690, collection particulière

Fig. 2: Benoît Audran d’après Bon de Boullogne, L’Architecture, estampe publiée dans Charles Perrault, Le Cabinet des Beaux arts, Paris, 1690, collection particulière

À la lueur du texte de Perrault, il nous paraît opportun, dans ce volume, d’aborder la production artistique de la période moderne en interrogeant les champs du décor et de l’architecture dans leur complémentarité, et non séparément, comme cela se fait souvent. Cette séparation est due en grande partie à l’histoire et à la structure institutionnelle de notre discipline. En effet, l’on distingue à l’université les chaires spécialisées en histoire de l’architecture de celles portant sur l’histoire de l’art au sens large. Or, la notion de décor recouvre un champ particulièrement vaste (Carl Magnusson), susceptible de fédérer les centres d’intérêt tant des historiens de l’architecture que des historiens de l’art, que ces derniers soient spécialistes de l’ornement, de la sculpture, de la peinture ou encore des arts décoratifs. Nous avons ainsi valorisé le point d’ancrage retenu dans ce recueil en intitulant celui-ci Décor et architecture plutôt qu’Architecture et décor.

Notre projet vise à enrichir la compréhension des liens entre décor et architecture par des études inédites. Le champ embrassé est vaste : les textes abordent autant les productions princières que les productions privées ou ecclésiastiques, dans de nombreuses zones géographiques, notamment l’Angleterre (Étienne Faisant), l’Espagne (Matthieu Lett, Tomas Macsotay), la France (Sébastien Bontemps, Marianne Cojannot-Le Blanc, Hermann Den Otter, Alexia Lebeurre, Anne Le Pas de Sécheval, Léonore Losserand et Alexandra Michaud), l’Italie (Paolo Cornaglia, Federica Vermot) et les Provinces-Unies (Caroline Heering, Léonie Marquaille), couvrant ←7 | 8→le xvie, le xviie et le xviiie siècle. L’abondance des sources historiques exploitées, surtout celles du xviiie siècle, a révélé la complexité des rapports unissant le décor et l’architecture. La variété des approches a également permis de repenser, hors de tout système prédéfini, les rapports entre théories et pratiques, à de nombreux niveaux.

Même s’il était subordonné à l’architecture, comme l’écrivait Perrault, le décor avait une part centrale dans la transformation d’un bâtiment puisqu’il permettait de lui donner « l’éclat et la dignité qui lui convient ». Cette idée sous-tend la plupart des programmes de décoration qui fleurissent au xvie, xviie et xviiie siècle. Ces « Embellissements » qui fleurissent à l’époque moderne sont l’objet de la première section du recueil. Les églises, à Rome (Federica Vermot), aux Pays-Bas (Caroline Heering) et à Paris (Alexandra Michaud et Léonore Losserand), constituent des cas exemplaires. Nous avons aussi souhaité poser la question des frontières concrètes séparant décor et architecture, donc des compétences des différents individus impliqués dans les chantiers. Les études publiées dans la deuxième section du recueil, intitulée « De l’architecte aux hommes de métier », entendent ainsi mieux définir les rôles des différents protagonistes concernés, celui de l’architecte, dont la figure peut se confondre avec celle du ou des maîtres d’œuvre, mais aussi celui du commanditaire ou maître d’ouvrage. Le dualisme architecte/exécutant s’est rapidement estompé en faveur d’une répartition des compétences beaucoup plus diffuse. En effet, la part réservée aux hommes de métier, par exemple aux sculpteurs (Étienne Faisant) ou aux menuisiers (Herman Den Otter), s’avère souvent essentielle. Certaines figures se spécialisent même exclusivement dans la conception et la mise en œuvre du décor (Paolo Cornaglia). De manière générale, la grande diversité des acteurs engagés révèle les rapports d’autorité et de rivalités qui règnent au sein des chantiers, voire les conflits qui y éclatent (Alexia Lebeurre, Anne Le Pas de Sécheval, Matthieu Lett, Léonie Marquaille). La troisième section, « Économie et politique du décor », réunit plusieurs articles articulant les rapports entre décor et architecture dans leur dimension économique et politique (Tomas Macsotay). La notion de convenance, omniprésente dans la culture de l’époque moderne, apparaît en filigrane dans l’ensemble du recueil, mais forme le noyau de la réflexion développée dans cette partie. La convenance conditionne largement la conception des décors et leurs rapports à l’architecture, notamment dans les réaménagements d’églises au xviiie siècle (Sébastien Bontemps), mais également dans la nécessaire adaptation d’un intérieur à son destinataire et à sa fonction (Marianne Cojannot-Le Blanc).

D’autres points auraient également pu être développés, tels que la question de la déambulation au sein du décor ou encore celle de son appréhension visuelle et intellectuelle par le spectateur. Dans leur ouvrage consacré à Giambattista Tiepolo, Svetlana Alpers et Michael Baxandall montrent le potentiel de telles approches à partir de l’exemple de l’escalier d’honneur de la résidence épiscopale de ←8 | 9→ ←9 | 10→Wurtzbourg.3 Leur stimulante analyse met en rapport les riches liens entre la vaste fresque plafonnante de l’artiste, peinte au début des années 1750, et l’architecture élaborée par Balthasar Neumann une décennie auparavant. La peinture ne se dévoile qu’au fur et à mesure de l’ascension des marches. La composition est organisée selon les différents points de vue qu’offrent les repos et la galerie qui entoure la cage d’escalier. Tiepolo a représenté de manière particulièrement visible le portrait de l’architecte en trompe-l’œil, assis sur la corniche (fig. 3). À sa gauche, une figure vêtue d’un grand manteau le désigne du doigt tout en regardant le spectateur. Il s’agit du portrait présumé du stucateur Antonio Bossi, actif sur le chantier du palais, tandis que celui du peintre, que l’on reconnaît à sa palette, est dans l’écoinçon opposé (fig. 4). Ainsi, le plafond de Wurtzbourg incarne-t-il, par son iconographie et sa composition, les liens complexes qui régissent les rapports entre décor et architecture.

Fig. 3: Giambattista Tiepolo, Portrait de Balthasar Neumann, plafond de la cage d’escalier de la résidence de Wurtzbourg, 1752

Fig. 4: Giambattista Tiepolo, Autoportrait, plafond de la cage d’escalier de la résidence de Wurtzbourg, 1752

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Remerciements

Les résultats présentés dans cet ouvrage sont issus d’une réflexion collective initiée dans le cadre d’un colloque organisé en deux volets à l’Université de Lausanne (Décor et architecture (xviexviiie siècles) : entre union et séparation des arts ; Décor and Architecture in the 16th, 17th and 18th Centuries : Between Adherence and Autonomy, 24–25 novembre 2016, 16–17 novembre 2017). Nous tenons à remercier chaleureusement les membres du comité scientifique pour leurs conseils avisés et leur disponibilité : Marianne Cojannot-Le Blanc, Alexandre Gady, Dave Lüthi, Christian Michel, Werner Oechslin, Antoine Picon, Katie Scott et Marie Theres Stauffer, ainsi que l’ensemble des participants de ces deux événements pour leurs contributions et les échanges stimulants qui ont marqué ces journées. Nous remercions également la Section d’histoire de l’art de l’Université de Lausanne, la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO) et la Fondation pour l’Université de Lausanne de leur large soutien dans l’organisation des colloques. La publication de ce recueil a été possible grâce à la générosité de la Société Académique Vaudoise et de la Fondation pour l’Université de Lausanne.

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1 Charles Perrault, Le cabinet des beaux-arts, ou Recueil d’estampes gravées d’après les tableaux d’un plafond où les beaux-arts sont représentés, avec l’explication de ces mêmes tableaux, Paris, G. Edelinck, 1690, n. p. Sur ce décor et le recueil, voir Marie-Pauline Martin, « Le Cabinet des Beaux-arts de Charles Perrault : le monument d’un moderne », Revue de l’art, n° 190, 2015, 9–18.

2 Sur cette question, voir Marianne Cojannot-Le Blanc, « Les artistes privés de l’invention ? Réflexions sur les « desseins » de Charles et Claude Perrault pour les Bâtiments du roi dans les années 1660 », Dix-septième siècle, n° 264, 2014–3, 467–479.

3 Svetlana Alpers et Michael Baxandall, Tiepolo et l’intelligence picturale, Paris, 1996 [éd. anglaise Tiepolo and the Pictorial Intelligence, New Haven, Londres, 1994].

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Carl Magnusson

Vicissitudes des rapports entre décor et architecture :
théorie, épistémologie, historiographie

Décor et architecture appartiennent à la catégorie des notions diffuses, incessamment débattues, réévaluées et reformulées. Les rapports que ces champs entretiennent l’un avec l’autre, souvent conflictuels, échappent à toute définition simple. Notre ambition consiste à interroger la manière dont ces relations ont été pensées et éprouvées dans l’Europe des xvie, xviie et xviiie siècles, à une période où les discours et les formes élaborés en Italie au xve siècle sont largement diffusés et s’enrichissent d’interprétations nouvelles. Comment ces rapports contribuent-ils à définir respectivement décor et architecture ? Comment décor et architecture, au travers de ce qui à la fois les relie et les sépare, les unit et les disloque, se renforcent ou se fragilisent-ils mutuellement ? En d’autres termes, pour reprendre un concept de la philosophie derridienne, comment approcher l’espacement qui les travaille ? Afin de bien asseoir notre projet, il convient d’examiner les fondements théoriques de ce système fluctuant et erratique, mais aussi de comprendre comment l’histoire de l’art l’appréhende et l’instrumentalise, ou l’ignore.

Un champ lexical aux contours diffus

Le discours architectural propose, pour désigner ce que nous appelons ici décor, une palette terminologique assez large. Au sein de ce champ lexical, aux contours diffus, chaque terme est doté d’une histoire qui lui est propre et de connotations spécifiques, accusant d’importantes variations.1 Ornement, omniprésent dans les traités, désigne souvent ce que l’on appelle communément les ornements de l’architecture, c’est-à-dire en premier lieu les ordres et leurs parties, principalement certains éléments sculptés canoniques qui les agrémentent, comme les rais-de-cœur, oves et feuilles de tous genres ; ainsi que des éléments moins codifiés comme les trophées, consoles, vases et lucarnes. Le terme peut toutefois aussi englober tous les éléments susceptibles de décorer l’architecture : non seulement ses ornements traditionnels, mais aussi les peintures, sculptures figuristes, tapisseries, meubles, bronzes et porcelaines déployés à l’intérieur ou à l’extérieur des édifices. Un autre terme fréquemment usité pour décrire ce champ, dans les discours français des xvie, xviie et xviiie siècles, est celui de décoration. À l’image d’ornement, son acception s’est largement altérée au cours des xixe et xxe siècles, devenant synonyme d’une forme artistique de rang inférieur. En comparaison, le terme de décor, assez largement employé de nos jours mais pratiquement absent des sources antérieures au xixe siècle, sinon comme synonyme de convenance ou de bienséance, semble un peu moins connoté.

D’autres termes apparaissent régulièrement dans les sources de la période moderne, comme enrichissement ou embellissement, voire même beauté ou grâce. Enrichissement et embellissement, toutefois, n’ont jamais joui d’une faveur aussi marquée qu’ornement et décoration. Beauté et grâce, pour leur part, véhiculent à bien des égards un sens plus abstrait que les autres. Il n’en demeure pas moins que ces termes appartiennent tous, peu ou prou, à une même famille. Leur multiplicité reflète la complexité du champ qui nous intéresse.

La place du décor dans le système architectural

Le décor, à la période moderne, occupe une place centrale dans le système architectural. Il est même ←13 | 14→considéré comme l’une de ses parties fondamentales. Les sources témoignent largement de ce statut privilégié, en particulier les nombreux traités rédigés à partir du xve siècle sur le modèle des Dix livres de Vitruve. Grâce au décor, l’architecture se distingue de la simple maçonnerie. Sans lui, l’art de bâtir n’est qu’une routine, fondée sur la répétition de gestes mécaniques. De Leon Battista Alberti (1404–1472) à Jacques-François Blondel (1708/1709–1774), la prééminence du décor est un lieu commun incessamment répété. Le célèbre humaniste italien insiste à plusieurs reprises sur son importance. La traduction française de son De re aedificatoria (ca. 1452), publiée en 1553, en témoigne : « En bonne foy ceste partie que maintenant je traicte, & qui concerne la beaulté avec la decoration, à [sic] […] merité de tenir le premier lieu, consideré qu’elle est conduitte par certaines fortes raisons, teles que qui les vouldroit contredire, en seroit a bonne cause reputé ignorant. »2 À l’autre bout du spectre chronologique, Blondel définit « la décoration » comme la « partie de l’Architecture […] qui fait le plus d’honneur à l’Architecte, & qui contribue le plus à annoncer l’opulence des Cités ».3

Le statut privilégié dont le décor jouit n’empêche cependant pas les commentateurs de s’en méfier : ils craignent en effet sa prolifération incontrôlée. Aussi, les auteurs des traités de la période moderne répètent-ils à l’envi la même formule sentencieuse : le décor, pour être recevable, doit être fondé sur les principes raisonnables de la nature. La finalité première des assemblées de l’Académie royale d’Architecture est même, d’après François Blondel (1618–1686), « de dépoüiller l’Architecture de ses ornemens vicieux, de retrancher les abus que l’ignorance et la presomption des Ouvriers y avoient introduits et de l’enrichir de ces beautez naturelles et de ces graces qui l’ont renduë si recommandable parmy les Anciens ».4 Le décor doit aussi être conçu en respect des lois et coutumes qui régissent la vie en société. Dans une société d’ordres, seule la maison d’un grand pourra ainsi être richement décorée. Il est « convenable et fort bon », affirme Philibert De l’Orme (1514–1570), « de faire très beaux ornements et façades enrichies pour les Rois, Princes, et Seigneurs ».5 La richesse du décor doit illustrer et asseoir la noblesse de son occupant. Si le décor contrevient à ces règles, il est susceptible de corrompre l’architecture et doit être condamné. Selon Marc-Antoine Laugier (1713–1769), les « maisons destinées à loger les pauvres, doivent tenir quelque chose de la pauvreté ». Par conséquent l’Hôpital des Enfants-trouvés, édifié d’après les dessins de Germain Boffrand (1667–1754), affiche « une magnificence très-déplacée », ayant « plus l’air d’un Palais que d’un Hôpital ». La chapelle de l’institution, décorée par Charles-Joseph Natoire (1700–1777) et les Brunetti, est certes « un petit chef-d’œuvre », mais réunit « trop de beautés […] dans une maison qui cesse d’intéresser la charité, dès que la curiosité trouve trop à s’y satisfaire ».6

Résumé des informations

Pages
204
Année
2020
ISBN (PDF)
9783034340694
ISBN (ePUB)
9783034340700
ISBN (MOBI)
9783034340717
ISBN (Relié)
9783034339032
DOI
10.3726/b16952
Langue
français
Date de parution
2020 (Octobre)
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 204 p., 31 ill. en couleurs, 74 ill. n/b.

Notes biographiques

Matthieu Lett (Éditeur de volume) Carl Magnusson (Éditeur de volume) Léonie Marquaille (Éditeur de volume)

Matthieu Lett est maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Bourgogne et membre du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche « Sociétés, Sensibilités, Soin ». Carl Magnusson est docteur en histoire de l’art, spécialisé dans les discours sur la décoration au sein de la littérature artistique française de la période moderne. Docteure en histoire de l’art de la période moderne, Léonie Marquaille est spécialiste de l’art hollandais du XVIIe siècle ainsi que des rapports entre art et confession. Elle s’intéresse également au grand décor et aux relations entre les arts.

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