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L’écriture du témoignage

Récits, postures, engagements

de Isabelle Meuret (Éditeur de volume) Hubert Roland (Éditeur de volume) Grazia Berger (Éditeur de volume) Chiara Nannicini (Éditeur de volume)
©2022 Collections 232 Pages

Résumé

Issu des travaux d’un séminaire de recherche organisé sous les auspices du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS belge, ce volume étudie les modalités de la mise en forme et de la mise en récit du témoignage. Se fondant sur un bilan historiographique inédit des recherches sur le sujet, présenté en début d’ouvrage, il construit et met à jour une large réflexion de nature épistémologique et théorique sur l’écriture du témoignage.
Plusieurs chapitres élargissent la tradition des recherches sur la Shoah au témoignage de femmes (la féminité comme moyen de survie dans les camps, la difficile réintégration sociale des anciennes déportées). D’autres études de cas approfondissent le genre du journal intime en temps de guerre (ceux des historiens belges Paul Fredericq et Henri Pirenne en 1914-1918, le journal de Victor Klemperer) mais aussi l’idée de témoignage « indirect » de nature foncièrement fictionnelle et littéraire (la poésie de Gertrud Kolmar, la mise en fiction de la Résistance dans l’œuvre de Beppe Fenoglio, la première littérature de l’immigration en Italie). Les chapitres consacrés à James Baldwin et à David Van Reybrouck explorent les voies du témoignage dans le journalisme littéraire et le genre de la non-fiction, sa basant notamment sur la posture engagée de ces auteurs.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • L’écriture du témoignage et la question de sa mise en forme (Grazia Berger, Isabelle Meuret, Chiara Nannicini Streitberger et Hubert Roland)
  • Être juive à Berlin entre 1933 et 1943 : L’œuvre de Gertrud Kolmar entre autocensure, dissimulation et témoignage (Grazia Berger)
  • Les historiens face à la Grande Guerre : Paul Fredericq et Henri Pirenne comme diaristes (Geneviève warland)
  • Pour une phénoménologie de l’expérience quotidienne sous le « Troisième Reich » : Le témoignage de la persécution dans les journaux intimes de Victor Klemperer (Arvi Sepp)
  • To be (there) or not to be (there)? Notes pour un témoignage poétique chez Beppe Fenoglio (Alessandro Martini)
  • Entre histoire et mémoire : La féminité pour survivre dans les camps nazis (Bieke Van Camp)
  • La libération… et après ? Témoignage et réintégration sociale des anciennes déportées (Chiara Nannicini Streitberger)
  • L’écriture-vérité ou l’œuvre-témoignage de James Baldwin (Isabelle Meuret)
  • Témoins/conteurs/écrivains : les premiers textes des immigrés en Italie (1990–1994) (Daniele Comberiati)
  • Statut du témoignage et « non-fiction littéraire » dans Congo. Une histoire de David Van Reybrouck (Hubert Roland)
  • Notices biographiques
  • Titres de la collection

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L’écriture du témoignage et la question de sa mise en forme

Grazia Berger, Isabelle Meuret, Chiara Nannicini Streitberger et Hubert Roland

La présente publication constitue le bilan intermédiaire d’un séminaire interuniversitaire de l’École Doctorale Langues, Lettres et Traductologie organisé sous l’égide du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS belge (2014–2019). Celui-ci s’est tenu à un rythme régulier depuis cinq bonnes années et il s’est développé au fil des différentes journées d’étude comme un lieu de réflexion sur les enjeux du témoignage à travers les modalités particulièrement complexes de sa mise en forme dans l’écriture, que celle-ci soit d’inspiration spécifiquement littéraire ou non. Si l’appartenance disciplinaire principale des organisatrices et organisateur de ce séminaire (Grazia Berger, Cristal Huerdo Moreno, Isabelle Meuret, Chiara Nannicini Streitberger et Hubert Roland) relevait au départ des études littéraires, la structure de l’objet de recherche du témoignage nécessitait une ouverture à d’autres disciplines, du fait même de sa nature. Les études historiques et philosophiques bien entendu, ouvrent sur les enjeux fondamentaux de la mémoire. Mais il faut également tenir compte aujourd’hui de la multiplication des récits médiatiques à l’œuvre autour du témoignage, des rapports texte-image et de l’intermédialité, de même que des questions de réception à travers le filtre des études comparées et de la traduction. Deux traits constitutifs fondamentaux du témoignage n’ont jamais cessé d’orienter notre démarche : celui de sa dimension éthique, constitutive de son intention, et celui d’une authenticité indissociable du genre testimonial lui-même.

Cette publication ne pouvait avoir pour objectif de reprendre l’ensemble des contributions, d’une très grande richesse, qui nous ont été données à entendre dans le cadre du séminaire doctoral. Plusieurs d’entre elles, comme celles présentées par Annette Wieviorka (« De quoi témoin est-il le nom ? ») et Stef Craps, spécialiste des études sur témoignage et traumatisme dans un contexte postcolonial (Craps, 2013) lors des journées d’étude des 27 et 28 avril 2017, étaient conçues sous la forme d’une expertise à l’attention des jeunes chercheuses et chercheurs et ont ←9 | 10→entre-temps trouvé une forme aboutie dans les publications de leurs autrices et auteurs. Elles nous ont toutefois procuré un ancrage théorique et méthodologique dont a bénéficié toute la dynamique du séminaire et de cet ouvrage.

La contribution de Françoise Wuilmart, traductrice française pour Folio/Gallimard de l’ouvrage Une femme à Berlin (Eine Frau in Berlin ; traduction de 2006) – dans lequel l’autrice anonyme raconte les atrocités de la conquête de Berlin par l’Armée Rouge d’avril à juin 1945 sur le mode du journal intime – est encore à épingler, en ceci qu’elle a fortement alimenté notre réflexion par rapport à la question de l’empathie dans le témoignage. Celle-ci n’est pas dissociable du mode de connaissance « inné » avec le style d’un auteur et de son imaginaire, en même temps qu’elle suscite un nombre de questions importantes, qui ont ensuite régulièrement été reprises dans notre séminaire : la question éthique de la production, de la lecture et de l’interprétation des « récits de vie » (ou life writing) ; les questions rhétoriques de persuasion et de manipulation potentielle d’un texte ; les notions d’authenticité, de fiabilité mais aussi les mécanismes de réappropriation, adaptation et popularisation d’un texte. C’est donc bien le fil conducteur de la mise en forme du témoignage qui nous a aidés à structurer le questionnement de cette publication, rejoignant ainsi par exemple la classification des textes de témoignage en différentes catégories (littérature qui sert de témoignage, littérature qui imagine le témoignage, le témoignage réécrit par la littérature ou le témoignage réécrit en témoignage, etc.) telle qu’elle est établie dans un numéro récent de la revue Europe. Témoigner en littérature (Detue et Lacoste, 2016) dont il sera question plus loin. Ce volume participe également, dans une moindre mesure, d’un projet qui consisterait à esquisser les contours d’une « poétique du témoignage », telle que Dominique Viart l’appelle de ses vœux (Viart, 2009, p. 32).

Le statut du témoin dans la société

Le témoignage n’a pas eu d’emblée l’importance qu’on lui octroie aujourd’hui. Bien au contraire, le parcours de la reconnaissance de son statut a été tortueux et difficile, tout au long du xxe siècle (Wieviorka, 1998). Au départ de cette évolution, il faut sans doute situer l’expérience remarquable de Jean Norton Cru, qui a entrepris de recueillir de nombreux témoignages issus du premier conflit mondial, en inaugurant, ←10 | 11→d’une certaine manière, la question du témoignage en 1929 (Cru, 2008 ; Detue et Lacoste, 2016)1.

Au-delà des limites de cette initiative, bien remarquées par la critique, il faut attendre longtemps avant que l’intérêt pour les témoignages ne refasse surface – surtout en ce qui concerne les témoins inconnus dépourvus de l’autorité nécessaire pour rédiger leurs mémoires, contrairement aux généraux, politiciens et autres responsables ayant eu des charges importantes. Même après le deuxième conflit mondial, alors que l’on s’interroge sur le génocide juif, le témoin est bien loin de jouer un rôle crucial, aussi bien du point de vue historique que juridique. Les procès de Nürnberg le montrent bien, ainsi que les travaux de l’historien Raul Hilberg (Hilberg, 1988 ; 1996), essentiellement fondés sur des documents d’archive (Wieviorka, 2006). Les rescapés des camps peinent à se faire entendre, leurs récits à se faire publier, comme l’attestent clairement les parcours biographiques de Primo Levi et d’Imre Kertész – ce dernier en a fait le sujet du roman Le refus (Kertész, 2001). La raison souvent évoquée, à savoir que les peuples européens ressentent l’exigence d’oublier les traumatismes en tournant la page de l’histoire, n’explique que partiellement ce phénomène. En vérité, on constate que la société n’est pas prête, dans les années 1940 et 1950, à octroyer de l’importance au « témoin », quelqu’un qui a vu et vécu les traumatismes collectifs, et qui en parle à la première personne. Son récit ne sera pas pris en considération pour son potentiel historique, au début, mais relégué comme un simple texte d’inspiration autobiographique.

C’est bien après, dans les dernières décennies du xxe siècle, que le témoin change de statut, que sa voix résonne de plus en plus dans la collectivité, que son expérience personnelle devient emblématique pour d’autres également. Après avoir reçu une place prioritaire pendant le procès Eichmann, en 1961 (Arendt, 1997), le témoin peut enfin élever la voix et être écouté et lu, dans un premier temps, puis étudié et enregistré. Les éditeurs, les journalistes, les pédagogues, les cinéastes et le monde de la culture au sens large en reconnaissent petit à petit le rôle clé – pensons au documentaire de Claude Lanzmann en France, sorti en 1985, basé essentiellement sur les témoignages oraux (Lanzmann, 2001). Salué ensuite par des initiatives institutionnelles comme le « métadiscours ←11 | 12→mémoriel » (Bornand, 2004, p. 43), il occupe la fonction principale de ce qu’Annette Wieviorka a défini comme « l’ère du témoin » (Wieviorka, 1998). Après le succès planétaire de La liste de Schindler (1993), adapté par Steven Spielberg2, le témoignage dépasse les limites du domaine historico-littéraire pour devenir apanage commun. Toute cette évolution est bien connue et elle ne concerne pas seulement les témoignages de la Shoah. Si ceux-ci restent exemplaires, ils seront certes bientôt accompagnés par d’autres témoignages sur les traumatismes historiques, récents et anciens, européens ou issus d’autres continents, recueillis par des journalistes ou par des équipes de télévision, par des historiens ou par des sociologues, financés par des institutions et conservés ensuite dans des bases de données multimédia, qui émergent un peu partout de par le monde. Le témoignage n’est pas seulement écouté et commenté, il est également archivé et conservé, constituant une sorte d’héritage culturel pour les générations futures3.

Pourtant, il reste bien des nuances à aborder à propos de ce statut de témoin qui semble aujourd’hui définitivement acquis. Des nuances, mais aussi des enjeux que ce volume contribue à explorer. Le témoin a en effet été accepté en tant que conteur d’une expérience à partager, dans certains pays et contextes, mais encore faut-il qu’il corresponde aux attentes de la société, et que son récit soit présenté en tant que témoignage neutre, vraisemblable et digne de foi. Concernant la première question, le témoin sera de préférence adulte, masculin, partageant la langue et la culture de ses lecteurs ou spectateurs, cultivé et capable d’écrire, de parler, de peindre – selon la forme d’expression choisie – de manière habile et efficace. Par conséquent, les plus jeunes, les femmes, les moins lettrés, ou même ceux qui ne se revendiquent pas d’un credo politique ou religieux, demeurent en marge du phénomène du témoignage collectif ou sont considérés comme des témoins incommodes. Des témoins ne maîtrisant pas la langue ou la culture du pays n’ont pas directement accès à la publication et ne l’obtiennent qu’à condition d’être accompagnés par un intermédiaire attitré, le soi-disant « tiers transcrivant » (Spiessens, ←12 | 13→2016, p. 22), d’où le problème fréquent d’un « témoignage volé », ou « amputé », enlevé aux survivants et pris en charge par autrui4.

Dans ce volume, des témoignages de femmes sont traités par Bieke van Camp et par Chiara Nannicini, qui ont étudié le corpus des rescapées de la Shoah en Italie et aux Pays-Bas. Ces travaux enquêtent sur les frustrations, les problèmes de reconnaissance, les aspirations à une égalité de statut : en racontant une expérience traumatique différente, une souffrance qui se distingue d’emblée de celle de leurs camarades masculins (comme c’est le cas pour Liana Millu), la voix du témoin féminin ne répond pas aux attentes de la société, souvent avide de sujets morbides. Par ailleurs, la réinsertion sociale des femmes témoins se heurte à des obstacles concrets dus au sexisme et aux préjugés communs, comme les exemples de Charlotte Delbo, Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens, Edith Bruck et Lidia Beccaria Rolfi nous le rappellent.

De telles entraves à une reconnaissance publique d’un témoin différent qui n’a « pas forcément accès au savoir […] et à la langue » (Spiessens, 2016, p. 22), sont encore discutées dans ce recueil par Daniele Comberiati, à travers un cas emblématique : celui des témoins issus de l’émigration écrivant leur récit autobiographique dans la langue du pays d’accueil (l’Italie) et qui se sont vus attribuer par l’éditeur l’aide forcée d’un professionnel, journaliste ou soi-disant « curatore », qui s’est emparé de leur texte comme second auteur. Cette démarche ôte toute résonance à la voix du témoin et transforme son témoignage authentique en une œuvre standardisée, de production éditoriale sériale, répondant aux attentes des lecteurs. D’une certaine manière, l’usage que David Van Reybrouck fait du témoignage dans son ouvrage Congo. Une histoire, analysé ici par Hubert Roland, présente la même question mais d’un autre point de vue. Suivant son credo de récit d’une history from below, qui fait place aux témoins congolais exclus de la grande Histoire, l’écrivain s’approprie pourtant la voix de ces témoins de manière subtile, pour présenter un récit littéraire de « non-fiction » captivant, dont il est à la fois le principal maître d’œuvre et celui qui rayonnera au premier plan.

Résumé des informations

Pages
232
Année
2022
ISBN (PDF)
9782807619562
ISBN (ePUB)
9782807619579
ISBN (MOBI)
9782807619586
ISBN (Broché)
9782807619555
DOI
10.3726/b18764
Langue
français
Date de parution
2022 (Février)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 250 p., 3 ill. n/b.

Notes biographiques

Isabelle Meuret (Éditeur de volume) Hubert Roland (Éditeur de volume) Grazia Berger (Éditeur de volume) Chiara Nannicini (Éditeur de volume)

Grazia Berger, Isabelle Meuret, Chiara Nannicini-Streitberger et Hubert Roland enseignent à l’Université catholique de Louvain, l’Université libre de Bruxelles et l’Université Saint-Louis Bruxelles.

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Titre: L’écriture du témoignage
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