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Passé(s) recomposé(s)

les commissions d’historiens dans les processus de rapprochement (Pologne-Allemagne, Pologne-Russie)

de Emmanuelle Hébert (Auteur)
©2020 Monographies 550 Pages

Résumé

Cet ouvrage analyse le travail des commissions d’historiens dans les processus de rapprochement en Pologne. Deux d’entre elles sont privilégiées : la commission polono-allemande portant sur les manuels scolaires et le groupe polono-russe sur les questions difficiles. Cette étude se fonde sur deux sources principales : une série d’entretiens et des recherches dans les archives, auxquelles s’ajoutent des ressources complémentaires : observations participantes et analyse de discours politiques, de sondages et de la presse. Le dialogue sur l’histoire auquel d’aucuns font appel correspond tout à fait à ce qui est demandé aux commissions d’historiens. Dès lors, pourquoi ces commissions ont-elles été créées ? Comment fonctionnent-elles et pourquoi continuent-elles de fonctionner ? Nous formons les hypothèses que, premièrement, ces commissions ont été créées dans un objectif de rapprochement, voire de réconciliation. Deuxièmement, leur fonctionnement — et sa prolongation — dépend de trois variables : le contexte, les mandats, les acteurs.
Cet ouvrage s’articule en cinq axes. Les trois premières parties portent sur chacune des trois variables évoquées : contexte, mandats, acteurs. La quatrième partie concerne les sphères d’influence de ces commissions et les débats qu’elles engendrent : politique et religion, débats publics, débats scientifiques. La dernière partie se concentre sur les projets de ces commissions : l’ouvrage commun ou les centres de dialogue du côté polono-russe, le manuel commun d’histoire du côté polono-allemand. Au travers de toutes ces pratiques, les commissions d’historiens cherchent, dans le cadre de la transformation des conflits, à réconcilier par l’histoire, c’est du moins l’un des arguments défendus dans cet ouvrage.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • REMERCIEMENTS
  • ABRÉVIATIONS
  • PRÉFACE
  • TABLE DES MATIÈRES
  • PARTIE I. Les Circonstances
  • Chapitre 1. Le contexte de création des commissions
  • I. L’apaisement Est-Ouest pendant la guerre froide
  • A. Khrouchtchev et la déstalinisation : un premier dégel
  • B. Le dialogue Est-Ouest de 1962 à 1979 : la Détente
  • C. Willy Brandt et l’Ostpolitik
  • D. La Lettre des Évêques polonais
  • II. La chute du bloc communiste et ses conséquences en Europe
  • A. Le tournant de 1989–1991
  • B. L’intégration européenne, un cadre favorable à la réconciliation
  • C. Un nouveau paradigme dans la politique étrangère polonaise
  • III. Un environnement international favorable au rapprochement
  • A. Multiplication des expériences dites de réconciliation
  • B. Des échanges de « bonnes pratiques »
  • C. Une véritable « grammaire » de réconciliation
  • IV. Le développement des dialogues d’historiens en Europe
  • A. Les précurseurs
  • 1. Les dialogues d’historiens dans les pays nordiques 1919–1932
  • 2. Le dialogue d’historiens franco-allemands dans l’entre-deux-guerres
  • 3. Le dialogue d’historiens polono-allemands dans l’entre-deux-guerres
  • B. Les dialogues d’historiens après la Seconde Guerre mondiale
  • 1. Au sein du bloc communiste
  • 2. A l’Ouest
  • 3. Entre les deux blocs
  • C. Les commissions établies après 1989
  • Chapitre 2. L’impact du contexte sur les travaux des commissions
  • I. L’opinion publique et la réconciliation avec les voisins
  • A. Les sondages en Pologne comme indicateurs de la réconciliation
  • B. La méfiance vis-à-vis des pays voisins
  • C. La réconciliation dans les sondages
  • 1. La réconciliation avec l’Allemagne
  • 2. La réconciliation avec l’Ukraine
  • 3. La réconciliation avec la Russie
  • II. Le dialogue empêché par le contexte
  • A. L’impact du contexte interne sur les travaux des commissions
  • 1. L’impact du contexte interne polonais
  • 2. L’impact du contexte interne russe
  • 3. L’impact du contexte interne sur les fonctions des membres de la commission
  • B. L’impact du contexte externe sur les travaux des commissions
  • III. La poursuite de la coopération malgré un contexte tendu
  • A. Les difficultés des années 1980
  • B. La chute du régime de type soviétique
  • C. L’accident de Smolensk en 2010
  • D. Le gouvernement PiS élu en 2015
  • PARTIE II. Les Variables Institutionnelles
  • Chapitre 1. Motivations initiales
  • I. Objectifs de départ
  • A. Deux types de commissions
  • B. Genèse
  • 1. L’éthique reconstructive
  • 2. La commission polono-allemande
  • 3. Le groupe polono-russe
  • C. Des objectifs particuliers ?
  • II. La réconciliation
  • A. Au départ, un but annoncé
  • B. Le kitsch de la notion
  • 1. Surutilisation du concept
  • 2. Désaccords sur le sens de la réconciliation
  • C. De la normalisation au dialogue
  • 1. Rejet du terme de réconciliation
  • 2. D’autres termes préférés à la « réconciliation »
  • III. Les principes de fonctionnement
  • A. L’expertise
  • B. La bonne volonté
  • C. La confiance mutuelle
  • D. L’autorité des co-présidents
  • Chapitre 2. Procédures
  • I. Parcimonie des règles écrites
  • A. Un document de référence
  • B. Une flexibilité assumée
  • II. Un fonctionnement régi par des coutumes
  • A. L’appartenance à la commission
  • 1. Nomination des co-présidents
  • 2. La présidence de la commission polono-allemande
  • 3. Les membres du groupe polono-russe
  • B. Régularité et alternance
  • C. La question des langues
  • D. Autres traditions au sein des commissions
  • III. Les financements
  • IV. Les institutions
  • A. Cadre institutionnel polono-allemand
  • B. Cadre institutionnel polono-russe
  • PARTIE III. Les Variables Individuelles
  • Chapitre 1. Expertise et spécialisation scientifique
  • I. L’expertise des acteurs
  • A. Définitions de l’expertise
  • B. L’expertise historique
  • C. L’expertise au sein des commissions d’historiens
  • II. Lieux privilégiés de l’expertise
  • A. L’Institut Georg Eckert
  • B. Académies des sciences
  • C. Institut de l’Ouest
  • D. MGIMO
  • E. Archives
  • III. Spécialisation disciplinaire
  • A. Histoire
  • 1. L’histoire nationale et régionale
  • 2. L’histoire du pays voisin
  • 3. L’histoire des relations bilatérales
  • B. Géographie
  • C. Les tournants didactique et européen
  • Chapitre 2. Trajectoires personnelles
  • I. Un intérêt certain pour le pays voisin
  • A. Le « hasard scientifique »
  • B. Les justifications familiales
  • C. L’intérêt régional
  • II. Les générations d’acteurs
  • A. L’expérience de la guerre
  • B. L’après-guerre
  • C. Troisième génération d’acteurs
  • III. L’autorité des fondateurs
  • A. Georg Eckert : de l’étudiant engagé à gauche au créateur du GEI
  • B. Władysław Markiewicz : de Mauthausen à l’organisation de la coopération polono-allemande
  • C. Adam Daniel Rotfeld : des confins juifs des Kresy à la capitale
  • D. Gotthold Rhode : du conservatisme à la coopération avec des socialistes
  • PARTIE IV. Sphères D’action
  • Chapitre 1. Politique et religion dans les commissions
  • I. Les piliers politiques
  • A. Les partis politiques avant 1989 : POUP et SPD
  • 1. Le Parti ouvrier unifié polonais (POUP)2
  • 2. Le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD)20
  • 3. Les partis politiques et la commission polono-allemande depuis 1989
  • B. Le groupe polono-russe et la politique : questions difficiles
  • II. Polémiques internes et secrets (plus ou moins) bien gardés
  • A. Espionnage
  • B. Tensions internes
  • III. La religion s’immisce
  • A. Les groupes religieux comme prémisses de la commission polono-allemande
  • B. L’invitation de représentants religieux dans le groupe polono-russe
  • Chapitre 2. Débat public
  • I. Les médias à propos des commissions
  • A. Les médias et le groupe polono-russe
  • B. Les médias et la commission polono-allemande
  • II. Les recommandations, enjeu du débat
  • A. La rédaction des recommandations
  • B. La diffusion des recommandations
  • C. La mise en œuvre
  • 1. La conférence permanente des ministres de l’Éducation des Länder
  • 2. Les positions des Länder
  • 3. Les débats politiques et médiatiques
  • 4. Les « recommandations alternatives »
  • 5. La contribution des milieux scolaires
  • D. Tensions autour de la commission polono-allemande
  • Chapitre 3. Débats scientifiques
  • I. Les conférences organisées dans le cadre des commissions
  • A. L’histoire conflictuelle polono-allemande
  • B. Le tournant des années 1990 dans la commission polono-allemande
  • C. La convivialité, condition indispensable de la confiance
  • D. Le groupe polono-russe : rares conférences, mais écho important
  • II. Désaccords majeurs
  • A. Différends polono-allemands
  • 1. L’Ordre des Chevaliers teutoniques
  • 2. Les Expulsés
  • 3. La Silésie
  • B. Divergences polono-russes
  • 1. Katyń
  • 2. Augustów
  • 3. Guerre soviéto-polonaise de 1919–21
  • PARTIE V. Productions et Perspectives
  • Chapitre 1. Les productions polono-russes
  • I. L’ouvrage commun Białe plamy…
  • A. Seize sujets initiaux de discussion
  • B. La rédaction de l’ouvrage
  • C. Le résultat : publication de l’ouvrage en Pologne et en Russie
  • D. L’état de guerre en PRL : point de divergence
  • II. Les Centres de Dialogue et de Compréhension mutuelle
  • A. La genèse des Centres de Dialogue
  • B. Les objectifs des Centres de Dialogue
  • C. Le Centre polono-russe de Dialogue et de Compréhension mutuelle à Varsovie
  • D. Le Centre russo-polonais de Dialogue et de Compréhension mutuelle à Moscou
  • E. Absence totale de coopération entre ces centres
  • Chapitre 2. Le manuel commun d’histoire
  • I. Une expérience précédente : le manuel franco-allemand
  • A. Contexte franco-allemand et genèse du projet de manuel commun
  • 1. Contexte de long terme
  • 2. Genèse du projet
  • B. Procédure de production du manuel franco-allemand
  • C. Difficultés (in)attendues
  • 1. Difficultés rencontrées
  • 2. Solutions trouvées
  • D. Leçons tirées de cette première expérience pour le processus polono-allemand
  • 1. Rencontres des acteurs et analyse du manuel et de ses principales critiques
  • 2. Améliorations mises en œuvre dans le manuel polono-allemand
  • II. Le cadre décisionnel
  • A. Genèse du projet
  • B. Instances de décision
  • III. La rédaction : une procédure ambitieuse256
  • A. Les recommandations, version XXIe siècle
  • B. La conception générale du manuel
  • C. L’écriture
  • D. Les diverses corrections
  • E. Vers la version définitive du manuel
  • IV. La négociation d’une histoire commune
  • A. Apprentissages réciproques
  • B. Présentation d’une histoire transnationale
  • 1. La domination d’un point de vue
  • 2. Le compromis
  • 3. L’évitement
  • 4. La superposition
  • 5. Le recadrage de la négociation
  • C. Innovations pédagogiques
  • V. Le destin chancelant du manuel commun
  • A. Crises internes
  • B. Obstacles financiers et politiques
  • C. Les particularités du monde de l’édition
  • CONCLUSION
  • BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
  • Titres de la collection

←22 | 23→

INTRODUCTION

Passé singulier, passés pluriels. Passés posés, passés apposés. Passés reposés, passés composés. Passés recomposés2. Les relations qu’entretient la Pologne avec ses voisins sont pétries par l’histoire, empreinte de perceptions multiples, comme autant de récits formant une mosaïque de passés posés les uns contre les autres. Ils sont parfois re-posés, encore emplis du sommeil dans lequel ils étaient plongés. D’autres sont davantage ex-posés pour soi ou la partie adverse. Plus rares encore sont ceux qui sont com-posés, posés avec le pays partenaire, avant d’être in fine re-composés. Ce mouvement de décomposition et de réarticulation manifeste une nouvelle manière de rendre compte de l’histoire. Tel est l’un des défis de l’Europe qui demeure, à maints égards, un continent de « passés douloureux »3. Des conflits d’une extrême violence ont ravagé ses paysages et défiguré ses visages. Nombre d’entre eux déchirèrent la Pologne, qui demeure jusqu’aujourd’hui marquée par une succession de passés difficiles avec ses voisins. En témoignent notamment les événements de Katyń en 1940 ou la destruction du Ghetto de Varsovie en 1943.

Les tensions avec les pays voisins sont profondes et anciennes. Dès le XVIIe siècle, une délégation de Polonais – en réalité composée également d’Ukrainiens, de Ruthènes, venus de la République des Deux Nations, regroupant le Royaume de Pologne et le Duché de Lituanie – envahit Moscou, alors que la Russie est affaiblie. Deux ans plus tard, en 1612, les Russes libèrent Moscou et le Kremlin. Cette libération fait l’objet d’une commémoration et devient en 2007 une fête nationale, fériée, célébrant « l’unité nationale ». Elle est fixée au 4 novembre. Notons qu’elle remplace la fête du 7 novembre, date de l’anniversaire de la Révolution d’octobre, devenue ensuite « journée de la réconciliation nationale ». Au XVIIIe siècle, la Pologne perd la bataille. Le pays est partagé, à trois reprises, en ←23 | 24→1772, 1792 et 1795, par ses trois grands voisins : la Prusse à l’ouest, la Russie à l’est et l’Autriche au sud – qui s’abstient de participer à la seconde Partition en 1792. La Pologne disparaît alors purement et simplement de la carte européenne, phagocytée par ses voisins expansionnistes, jusqu’en 1918. Pour ses habitants, le contraste est saisissant : comment disparaître alors qu’un siècle auparavant leur pays constitue le plus grand pays européen ? Qualifiée de « Christ des Nations »4, la Pologne est présentée comme devant souffrir le martyre et suivre son chemin de croix avant de ressusciter et racheter les péchés du monde. Ce thème romantique est repris dans toute la littérature polonaise, insistant sur la martyrologie nationale. L’histoire polonaise est tout autant imprégnée par cette martyrologie, liée aux conflits avec ses voisins, notamment l’Allemagne et la Russie. Les mouvements de frontières incessants tout au long des siècles continuent de résonner en Pologne et, de manière plus générale, dans toute l’Europe centrale et orientale.

Au XXe siècle, la Pologne, comme les autres pays de l’Europe médiane, appartient à la région que Timothy Snyder qualifie de « bloodlands », « terres de sangs » :

In the middle of Europe in the middle of the twentieth century, the Nazi and Soviet regimes murdered some fourteen million people. The place where all of the victims died, the bloodlands, extends from central Poland to western Russia, through Ukraine, Belarus, and the Baltic States. During the consolidation of National Socialism and Stalinism (1933–1938), the joint German-Soviet occupation of Poland (1939–1941), and then the German-Soviet war (1941–1945), mass violence of a sort never before seen in history was visited upon this region. The victims were chiefly Jews, Belarusians, Ukrainians, Poles, Russians, and Balts, the peoples native to these lands. The fourteen million were murdered over the course of only twelve years, between 1933 and 1945, while both Hitler and Stalin were in power. Though their homelands became battlefields midway through this period, these people were all victims of murderous policy rather than casualties of war. The Second World War was the most lethal conflict in history, and about half of the soldiers who perished on all of its battlefields all the world over died here, in this same region, in the bloodlands. Yet not a single one of the fourteen million murdered was a soldier on active duty. ←24 | 25→Most were women, children, and the aged; none were bearing weapons; many had been stripped of their possessions, including their clothes5.

La Seconde Guerre mondiale a recouvert la région de rouge – rouge sang, nuances d’un rouge communiste concurrencé par le brun national-socialiste. Ces couleurs envahissent l’Europe centrale et orientale à partir de 1933–1939. C’est ensuite le communisme qui marque la région au fer toujours aussi rouge, sous la domination de l’Union soviétique jusqu’en 1989–1991, malgré certaines nuances plus pâles, notamment après 1956. Les réalités politiques et les crimes ne sont certes pas identiques, mais il est évident que la région a souffert des deux totalitarismes6.

Très vite, les représentations de ces événements font l’objet de tensions, d’oppositions profondes, voire d’interdictions. Les massacres de Katyń, datant d’avril 1940, sont tabous durant la période communiste en Pologne. Toute discussion de ces crimes est bannie par les autorités, sous peine de graves sanctions. Ces « tâches blanches », « białe plamy »7 dans l’histoire polonaise représentent autant d’« omissions » de l’histoire officielle, durant des décennies. Elles demeurent la source de plaies rarement cicatrisées.

L’histoire nationale qui se développe progressivement face à une telle vision du martyre polonais accepte peu de contestations ou de visions alternatives. Lorsque le livre Les Voisins de Jan Gross est publié en 20018, il provoque une onde de choc en Pologne. L’historien américain prouve en effet la participation de Polonais, « voisins », aux pogroms de Jedwabne ←25 | 26→et aux pogroms alentours en juillet 1941. Le déferlement qui s’en suit dans les médias n’est pas sans rappeler la polémique suscitée en France lors de la sortie de l’ouvrage La France de Vichy 1940–1944 de Robert Paxton en français en 19739, mettant au jour le rôle du régime de Vichy dans les déportations. La politique historique mise en place en Pologne par le gouvernement Droit et Justice (PiS – Prawo i Sprawiedliwość) entre 2005 et 2007, et depuis 2015, favorise quant à elle une vision héroïque et nationaliste de l’histoire polonaise. Elle rejette toute vision alternative. En témoigne à l’envi le récent vote d’une législation par la Diète polonaise interdisant toute expression d’une implication – quelle qu’elle soit – de Polonais dans l’Holocauste au nom de l’interdiction de diffamation. Le projet visait au départ la condamnation à trois ans de prison pour toute personne mettant en avant un quelconque degré de responsabilité de la Pologne dans la mise en place des camps nazis10, mais la loi est générale. Le risque qui pèse sur la recherche est clair11. La loi provoque par ailleurs l’ire d’Israël. Le rapport à l’histoire est donc la source de tensions manifestes sur le plan non pas seulement national, mais aussi international. Comme cet exemple le rappelle, la connexion entre gestion du passé et manœuvre politique est directe. Loin d’être déconnectés du contexte actuel, les débats entre historiens sont à la fois l’objet d’attentes, parfois contradictoires, mais aussi la source d’embrasements ou à l’inverse d’apaisement selon les cadres et les moments. À l’heure des « fake news » ou « alternative news », la réécriture de l’histoire est bien réelle. Une « fake history » ou « alternative history » serait-elle en train de se consolider ?

C’est pourtant pour favoriser le rapprochement entre anciens ennemis que certains pays, dont la Pologne, décident de mettre en place des commissions bilatérales d’historiens. Celles-ci sont chargées de démobiliser les esprits en désamorçant les nœuds historiques. L’objectif de cet ouvrage est précisément d’analyser le fonctionnement de ces ←26 | 27→commissions d’historiens dans les processus de rapprochement mis en place en Pologne.

État de l’art

La mémoire, « présent du passé »12, est sélective. Elle est fonction du contexte présent et des conditions sociales. La littérature s’est fortement développée sur les enjeux de mémoire depuis les travaux de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective13. Elle resurgit dans les années 1970 dans les milieux scientifiques, qui discutent du travail de l’historien. Les débats sur le « passé qui ne passe pas »14 se multiplient dans les années 1980 et 1990. Le poids de ce passé est lourd, ses traces et évocations omniprésentes. Ce passé est aussi « choisi », sélectionné, en fonction des besoins d’un groupe ou d’un acteur étatique15. Il est mis en avant par des acteurs16, militants17 ou entrepreneurs de mémoire18, pour mener leur action. Les usages de la mémoire sont nombreux, tant au niveau national qu’international19. De véritables « politiques publiques » de la mémoire sont mises en place20, comme en atteste la multiplication ←27 | 28→des commémorations et des lois mémorielles. Au-delà de ces usages, « abus »21 et « mésusages »22 de la mémoire semblent se propager. Les « actions historicisantes »23 et les « politiques historiques »24 se multiplient, en particulier en Europe centrale et orientale. Les Instituts de la mémoire nationale, créés en Pologne ou en Ukraine, sont fortement dépendants des acteurs politiques. Ils s’occupent notamment de traquer le passé communiste et ses responsables. Ils sont chargés de mener des recherches historiques, mais aussi de défendre la mémoire nationale. L’Institut créé à Varsovie25 comprend par exemple une commission de recherche sur les crimes commis contre la nation polonaise. Les usages du passé sont donc nombreux26. D’où cette question : à quoi sert le passé en Pologne ? Pour certains, il s’agit avant tout de réconcilier les acteurs séparés par les drames historiques27.

Le terme « réconciliation » est difficile à définir tant il est employé dans de multiples sens. Basons-nous ici sur la réflexion de Corine Defrance à propos de son étymologie dans différentes langues :

Dans les langues romanes et en anglais, ré / re-conciliation signifie le retour à la concorde et à l’union. Il fait référence au rapprochement après une dispute ou un conflit. En polonais, pojednanie indique le rétablissement de l’unité. En grec, symphiliono signifie « rassembler en amis », tant dans la relation privée que sociale. En tchèque, smíření désigne la « remise en paix des relations entre deux parties ». L’idée sous-jacente est donc similaire : il s’agit toujours de rapprochement, décliné sous les formes de l’union, de l’unité, de l’amitié ou de la paix et cela suggère un processus réciproque. En allemand, les deux termes exprimant la réconciliation – Aussöhnung et Versöhnung – sont bâtis ←28 | 29→sur la racine Sühne qui signifie l’expiation. En hébreu, Kapar renvoie aussi à l’expiation et au pardon. Le concept est marqué par la dimension religieuse. Entre celui qui expie et celui qui éventuellement pardonne, la relation est profondément asymétrique, même s’il s’agit toujours de rétablir le vivre-ensemble et la paix28.

Notons que le terme allemand « Aussöhnung » est plutôt utilisé dans un sens pragmatique, institutionnel, à la différence du terme « Versöhnung », plus spirituel. Malgré l’étymologie polonaise relativement neutre, la connotation du mot en polonais est clairement religieuse29. Valérie Rosoux et Lily Gardner Feldman créent une catégorisation des conceptions du terme. En fonction des disciplines, les objectifs sont différents, les outils et mécanismes divergent et les résultats ne sont pas de la même nature. V. Rosoux distingue ainsi trois approches de la réconciliation. Le point de vue structurel « [met] l’accent sur la sécurité, l’interdépendance économique et la coopération politique entre les parties ». Il s’attache aux institutions mises en place30. Les visions socio-psychologiques « éclairent les aspects cognitifs et émotionnels du processus de rapprochement entre anciens adversaires »31. Les approches spirituelles enfin « plaident en faveur d’un processus de guérison collective basé sur la notion de pardon, ainsi que sur la réhabilitation des victimes et des bourreaux »32. V. Rosoux précise qu’entre ces différentes visions existe un certain continuum partant d’un point de vue minimaliste, selon lequel la « réconciliation » signifie une certaine forme de coexistence, vers un point de vue maximaliste, qui considère la réconciliation comme une forme d’harmonie retrouvée dans la société, en passant par divers points de vue intermédiaires de réconciliation comme « respect mutuel »33. L. Gardner Feldman relève quant à elle cinq points de vue disciplinaires : religieux, philosophique, psycho-social, légal ou de science politique. Elle ajoute ←29 | 30→qu’il faut différencier les visions de la réconciliation comme un processus ou une fin en soi34. Les initiatives de réconciliation sont nombreuses. Les pratiques se diffusent d’une activité à l’autre35.

Le terme « réconciliation » est omniprésent dans la politique étrangère allemande36, en particulier dans sa forme que l’on pourrait qualifier de plus pragmatique, plus structurelle : « Aussöhnung ». Les relations polono-allemandes sont empreintes de réconciliation, surtout de « Versöhnung ». Tant pour les citoyens engagés dans la réconciliation dans les années 1970 et 1980 que pour les hommes d’État prônant le rapprochement, la connotation spirituelle est très claire. Willy Brandt s’agenouille à Varsovie en 1970. Tadeusz Mazowiecki et Helmut Kohl échangent un « signe de paix » lors de la messe de réconciliation organisée à Krzyżowa/Kreisau en 1989. La « réconciliation » est tout aussi présente sur la scène politique polonaise.

Le président Aleksander Kwaśniewski se fait le chantre de la réconciliation dans les années 1995–2005. Prenons-en pour preuves sa visite à Jedwabne en juillet 2001 comme acte de repentance et le nombre de visites organisées avec ses homologues de l’Est, en particulier l’Ukraine37. Les présidents polonais et ukrainien signent une déclaration commune dès 1996 lors du déplacement de Leonid Koutchma à Varsovie puis une seconde, sur la Coopération et la Réconciliation, en 199738. En 2003, lors de la commémoration des massacres de Volhynie, les deux présidents appellent à la réconciliation. A. Kwaśniewski s’exclame : « Nous cherchons des routes qui, à partir de cette tragédie terrible, à partir du sang versé, nous mènent à la réconciliation et nous ←30 | 31→permettent de soigner les blessures du passé »39. Il ajoute, à plusieurs reprises : « Nous voulons aujourd’hui rendre hommage aux victimes, à la vérité, faire un pas vers la réconciliation »40. Il appelle encore au « pardon réciproque ». À cette occasion, les deux présidents inaugurent un monument de la réconciliation polono-ukrainienne intitulé « Mémoire – Deuil – Unité »41. A. Kwaśniewski relance aussi la coopération avec son homologue russe, auquel il rend visite en juillet 2000. Dès les premiers mois de 2001, Vladimir Poutine effectue une visite officielle à Varsovie en retour et cite même la Pologne comme exemple des bonnes relations bilatérales42. Les relations polono-russes sont donc aussi empreintes de réconciliation, au-delà de la banalisation du terme observée dans les années 1990 et 200043. Ces pays mettent en place des institutions chargées de travailler au rapprochement. Dès lors, quelles sont les conceptions de la réconciliation véhiculées au sein des commissions d’historiens ? Telle est l’une des questions transversales de cette étude.

C’est en interrogeant cet objectif de réconciliation, qui peut apparaître comme un arrière-fond ou un horizon d’attente selon les locuteurs44, qu’il s’agit d’observer les commissions bilatérales mises en place en Pologne. Face aux événements difficiles qui se sont succédé sur son territoire, les historiens sont considérés comme experts45. Leur mission est d’établir les faits historiques et d’ouvrir un dialogue. Dans la lignée d’une « éthique reconstructive »46, il s’agit de favoriser une « lecture plurielle » du passé, de le « raconter autrement », c’est-à-dire comme le souligne Paul ←31 | 32→Ricœur de le raconter aussi du point de vue l’autre47. Pour d’aucuns, les commissions forment « the best potential for reconciliation », parce qu’elles impliquent des adversaires directement48. Elles ne réussissent, selon Alexander Karn, que lorsque les « groupes divisés par le passé sont convaincus par la négociation »49. Elles s’appuient de plus sur la supposée « fraternité des historiens »50, unis dans leur mission de dialogue.

De telles coopérations débutent dès l’entre-deux guerres, avec le soutien de la Société des Nations. Elles se multiplient après la Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion notamment de l’UNESCO51. Elles sont perçues comme un « instrument important pour surmonter une vision exclusivement nationale des problèmes historiographiques, particulièrement dans le champ de l’histoire politique »52. La commission polono-allemande portant sur les manuels scolaires, établie en 1972, fait l’objet de multiples études et publications. Elle-même et ses membres rédigent régulièrement des ouvrages53 et font part de l’état des lieux des travaux d’avancement du dialogue. Les membres, en particulier les ←32 | 33→co-présidents, publient fréquemment des réflexions sur leur vision de la commission tant en allemand54 et polonais55 qu’en anglais56, tandis que les secrétaires57 et certains membres spécialistes58 analysent l’histoire de ←33 | 34→celle-ci. Son écho est international, des chercheurs d’autres continents s’intéressant également à la question59. Plus récent, le groupe polono-russe, créé en 2002 et réactivé en 2008, est beaucoup moins discuté60. La plupart des débats qui le concernent se fondent sur l’ouvrage publié par le groupe en 2010, Białe plamy…61. Les réflexions suscitées par cette publication commune apparaissent surtout sous la forme de recensions62.

C’est en gardant en tête trois questions qu’il s’agit d’analyser ces deux commissions. Comment ces commissions sont-elles mises en place ? Comment fonctionnent-elles ? Comment gèrent-elles le passé ?

Problématique

Les commissions bilatérales d’historiens peuvent être appréhendées comme une et même scène de théâtre63, traversée par une diversité d’acteurs, de décors, de coulisses64. Elles répondent toutes deux à un protocole fait de règles, de procédures, voire de rituels. Comme dans tout théâtre, les espaces sont séparés. Scène, coulisses, public communiquent sans toutefois se mélanger. Le « quatrième mur » entre la scène et le ←34 | 35→public crée l’illusion. En coulisses, les acteurs préparent les spectacles, les débats. Les ministères interviennent, les sphères politiques et religieuses s’impliquent. Le contrôle de l’information est ici fondamental, car tout « ce qui se produit [sur scène] n’est jamais gratuit ni insignifiant »65. Les coulisses contrôlent les informations transmises autant qu’elles dissimulent ce qui n’est pas dit66. Lors de nos entretiens, nous sommes ainsi renvoyée à plusieurs reprises vers un acteur en particulier, gardien du temple et filtre des informations diffusées. Le langage utilisé est celui de la diplomatie. Les messages sont préparés en amont. Comme le théâtre classique ne montre pas de meurtre sur scène, les désaccords les plus profonds sont discutés en amont, souvent tus, pas toujours résolus67.

Les commissions d’historiens supposent elles aussi des producteurs et un metteur en scène. Les producteurs, qu’ils surgissent des ministères ou plus largement du monde politique, financent, orientent, conseillent, brident parfois les ambitions théâtrales. Les metteurs en scène sont nommés co-présidents. C’est souvent en lien avec les producteurs qu’ils discutent de la programmation et de l’agenda des réunions. Préparer la scène, assigner un rôle à chacun des acteurs, orienter leur jeu, leurs fonctions sont multiples. Les lignes essentielles d’un scénario souvent préétabli servent de cap68. Ce cadrage n’empêche toutefois pas une part d’improvisation. Initiatives et dialogues imprévus animent souvent le jeu.

Les acteurs, quant à eux, sont des orateurs réputés, plus rarement des comédiens anonymes. Ils jouent la pièce, tout en la réinterprétant. Une certaine solidarité émerge souvent au sein de la troupe, dans l’objectif de susciter une énergie collective, souvent jugée indispensable au bon déroulé du spectacle. Leur comportement répond aux exigences du genre et ne peut susciter la rupture de la représentation69. Certains coups d’éclat ←35 | 36→sont néanmoins repérables. Lorsque, dans le cadre intimiste du groupe polono-russe, l’un des membres polonais décrit les crimes de Katyń comme un génocide, la formulation est aussitôt rejetée par les acteurs russes70. Les sorties d’un acteur clef de la commission polono-allemande dans la presse et sur les réseaux sociaux sont immédiatement dénoncées. Les désaccords profonds entre fortes personnalités empêchent le déroulé des scènes. Les confidences et les élans patriotiques de certains acteurs pimentent assurément l’intrigue.

La magie du spectacle opère notamment par les décors, sublimes palais et châteaux dans lesquels se déroulent les rendez-vous bilatéraux. L’impression est d’autant plus grande que lors de l’une des rencontres du groupe polono-russe, Adam D. Rotfeld emprunte au ministère des Affaires étrangères allemand la carte originale des partages de l’Europe décidée par l’accord entre Hitler et Staline71. Le décor est posé pour les discussions bilatérales.

Le public, enfin, composé d’observateurs, experts invités et autres journalistes. Après les représentations, le jeu est communiqué à une audience plus large par voie de presse, d’articles ou d’ouvrages.

Quelle posture de recherche face à cette scène ? Celle d’une spectatrice attentive, observatrice pour sûr. Celle d’un apprenti-acteur autorisé à rester en coulisses, à plonger dans les archives, à écouter les informations internes ou à assister à certaines représentations de gala. Le souci manifeste des acteurs à l’idée de faire connaître et de diffuser leur art permit de sculpter mois après mois un certain rôle dans cette pièce, visible dans les échanges germano-polonais, plus discret au moment des dialogues polono-russes.

La règle des trois unités, de lieu, de temps et d’action du théâtre classique n’est pas suivie à la lettre. Cette règle est définie par Boileau au XVIIe siècle : « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli/ Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli »72. Les romantiques s’en émancipent, tels Victor Hugo qui estime que ces unités ne sont pas solides73. Les commissions tiennent plus de la tradition romantique sur ce point. Leurs actions se déroulent sur plusieurs années et dans des décors divers, qu’il ←36 | 37→s’agisse de paysages aux couleurs locales, propres à chaque État, ou de lieux plus lointains, souvent symboliques.

La métaphore théâtrale autorise une « micro-analyse sans perdre de vue les effets de contexte et la dimension macro-sociologique »74 de ces coopérations. Elle permet d’ouvrir la « boîte noire » des commissions et de mieux comprendre leur fonctionnement. Elle illumine le rôle des regards laissés en coulisses ou partagés par le public. Toutefois, selon E. Goffman et G. Devin, la scène « ne rend pas compte des conséquences réelles des situations réelles. Elle n’est qu’une méthode, une sorte d’’échafaudage’ servant ‘à construire d’autres choses’ et dressé ‘dans l’intention de [le] démolir’ »75. La représentation théâtrale des commissions serait-elle un échafaudage prêt à la démolition ? En observant les commissions, il semblerait que cet échafaudage soit fait pour durer, à l’image plutôt des échafaudages placés autour du Palais de justice de Bruxelles en 1982 et encore présents aujourd’hui, après rénovation. Même autour de la commission polono-allemande près de cinquante ans après sa création, la dimension théâtrale est encore visible. Ses décors sont certes moins grandioses qu’à l’époque où la commission constituait l’une des seules plateformes de dialogue entre Est et Ouest, mais le jeu demeure.

Jusque quand ? Les commissions participent au mouvement lent – et jamais terminé – de l’ajustement des souvenirs. Il ne s’agit certes ni d’une intégration, ni d’une homogénéisation des souvenirs, mais d’une « mise en intrigue » progressivement commune76. La dynamique paraît inversée en Pologne aujourd’hui. Ce n’est pas une dilatation ou un élargissement du paysage mémoriel qui sont observés, mais au contraire une contraction, un rétrécissement de celui-ci. Certaines commissions semblent gelées, quand d’autres voient leurs activités poursuivies et renforcées.

Si les commissions sont créées dans un objectif de rapprochement, voire de réconciliation – c’est là notre première hypothèse –, leur fonctionnement – et sa prolongation – dépend, selon notre seconde hypothèse, de trois variables : le contexte, les mandats, les acteurs. Ces trois variables se retrouvent dans les sphères d’influence qui se ←37 | 38→développent autour des commissions : politique, religion, débat public, débats scientifiques. Elles sont tout aussi visibles dans chacun des projets mis en place par les commissions.

Deux types de commissions d’historiens peuvent être distingués. En premier lieu, les commissions portant sur les manuels scolaires discutent, comme leur nom l’indique, des manuels scolaires, parfois des programmes. La plupart se concentrent sur les manuels d’histoire, voire de géographie. Elles rédigent souvent des recommandations et analysent de commun accord les manuels de l’État partenaire. Elles sont appelées « Komisja podręcznikowa » en polonais et « Schulbuchkommission » en allemand. Les coopérations les plus approfondies mènent parfois ces commissions à relever le défi de la rédaction d’un manuel d’histoire en commun. En second lieu, des commissions d’historiens sont créées77. Elles sont désignées en polonais par le terme « Komisja historyków » et en allemand par celui d’« Historikerkommission ». Celles-ci sont mises en place pour discuter de problèmes historiques spécifiques, sans pour autant s’occuper des manuels scolaires.

Dans cet ouvrage, deux cas d’étude sont privilégiés : la commission polono-allemande portant sur les manuels scolaires créée en 1972 et le groupe polono-russe établi trente ans plus tard. Le choix de ces deux cas repose sur deux raisons principales : tout d’abord, ces cas permettent d’analyser les deux types de commissions. De plus, ils représentent des pays inclus dans deux régions différentes, l’un à l’Est, l’autre à l’Ouest de la Pologne, régions relevant souvent de spécialisations exclusives et peu analysées dans une même étude. Ces deux pays sont aussi intéressants par leur positionnement politique et européen. L’un est un régime aux tendances autoritaires, quand l’autre est démocratique et inclus dans les sphères européennes et occidentales.

Le premier cas étudié correspond donc à la première catégorie de commission, celle des commissions portant sur les manuels scolaires. La commission polono-allemande portant sur les manuels scolaires est établie en 1972, lorsque les relations diplomatiques reprennent entre la République populaire de Pologne (Polska Rzeczpospolita Ludowa – PRL) et la République fédérale d’Allemagne (RFA–Bundesrepublik ←38 | 39→Deutschland), en lien notamment avec l’Ostpolitik de Willy Brandt. Consacrée à l’analyse des manuels scolaires, cette commission élargit toutefois son champ de compétence et organise des conférences scientifiques dès 1974. Le second cas d’étude concerne le groupe polono-russe, créé en 2002 et réactivé en 2008, quand les relations entre les deux pays se réchauffent. Ce « groupe » correspond clairement à la seconde catégorie de commissions. Il ne s’occupe absolument pas des manuels scolaires – bien que ses membres proposent de diffuser l’ouvrage rédigé en commun aux écoles des deux pays. Son statut est hybride, alors que le groupe comprend des historiens renommés, mais aussi des diplomates, des journalistes et des politologues.

Méthodologie et corpus

Notre travail repose sur l’analyse de deux sources principales. Premièrement, nous nous fondons sur cinquante-quatre entretiens semi-directifs réalisés pour la plupart entre 2015 et 2017. Ceux-ci se sont déroulés en Pologne, en Allemagne et en Russie. La grande majorité des entretiens s’est tenue en polonais et a été retranscrite. Quelques acteurs se sont exprimés en français, en allemand ou en anglais. Nous avons interrogé les membres des deux commissions, des experts invités, des spécialistes des relations entre les pays, d’anciens collaborateurs politiques (jusqu’au niveau de conseiller spécial pour la politique étrangère auprès du Président Komorowski, 2010–2015) et certains fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères polonais.

Deuxièmement, cette recherche s’appuie sur un travail de longue haleine dans les archives polonaises78 et allemandes79. Les archives du ministère des Affaires étrangères polonais opèrent un délai de carence de trente ans, pour lequel notre demande de dérogation a été rejetée. ←39 | 40→Nous avons toutefois consulté des dossiers entiers consacrés uniquement à la commission polono-allemande, ou, de manière plus générale, à la coopération scientifique avec d’autres pays. Les archives des départements IV (Europe) et de la coopération culturelle et scientifique regorgeaient de documents à propos de cette commission. Les archives de l’Institut de l’Ouest – Instytut Zachodni, IZ – à Poznań, qui a longtemps servi de base à la commission, étaient tout aussi intéressantes, notamment les documents de Zbigniew Kulak, qui n’étaient pas encore définitivement classés lors de notre troisième visite en janvier 2017. En Allemagne, les archives de l’Institut Georg Eckert contenaient des cartons remplis de classeurs à propos de la commission polono-allemande. Ces documents ne constituent pas une archive ouverte, mais les documents laissés par les employés successifs et « archivés » dans la cave du bâtiment. Ils n’étaient pas classés et les cartons comportaient rarement des informations sur leur origine précise, d’où la difficulté de citer exactement ces documents ensuite. Toutefois, ils constituent l’une des sources les plus importantes de notre terrain : nous avons pu consulter tous les documents présents dans la plupart des cartons de l’Institut liés à cette commission. Dans tous ces instituts, nous avons pu photographier, photocopier ou scanner autant que nous le souhaitions. Tous les documents ainsi récoltés se sont avérés essentiels pour comprendre les procédures, les liens politiques et le fonctionnement des commissions.

À ce corpus principal s’ajoutent quatre sources complémentaires. En premier lieu, nous avons réalisé deux observations participantes dans le cadre de la commission polono-allemande. La première s’est déroulée lors de la conférence bisannuelle de la commission à Halle du 19 au 21 mai 2016. La seconde concerne la séance de la présidence de la commission des 8 et 9 juin 2017 à Francfort (Oder) et Słubice. En second lieu, nous avons analysé une série de discours politiques, notamment les discours annuels des ministres des Affaires étrangères polonais devant la Diète. Il s’agissait de faire ressortir les grandes lignes de la politique, à propos notamment des relations avec les pays voisins et les éventuelles évocations des deux commissions. En troisième lieu, nous avons étudié les sondages polonais portant sur le rapport aux pays voisins et les possibilités de réconciliation avec ceux-ci. En quatrième lieu, nous avons étudié une partie de la presse. Celle-ci étant surabondante à propos de la commission polono-allemande dans les années 1970 et 1980, nous n’avons pu traiter ces sources de manière systématique. Une thèse entière aurait pu être consacrée à ce travail titanesque. Nous nous sommes toutefois efforcée ←40 | 41→de relever les éléments les plus significatifs dans le cadre d’une collecte d’articles de journaux couvrant les périodes les plus controversées ou au contraire empreintes d’espérance des commissions.

Tout au long de nos séjours de recherche, nous avons utilisé des carnets de terrain dans lesquels nous avons repris les informations formulées autour de nos entretiens, lors de séminaires, de conférences liées à nos sujets ou bien lors de rencontres plus informelles. Ces carnets se sont révélés fondamentaux lors des observations participantes. Nous y avons aussi indiqué nos impressions, nos premières réflexions face aux informations reçues, aux attitudes et aux réactions de nos interlocuteurs.

L’accès aux terrains est différencié. Le corpus est asymétrique concernant nos deux cas d’étude. Primo, les deux commissions ne couvrent pas une période similaire : la commission polono-allemande existe depuis 1972 quand le groupe polono-russe passe difficilement le cap des dix ans d’activités. Deuxio, la commission polono-allemande nous a ouvert l’accès à toutes les archives et de nombreux documents internes, dont les protocoles des séances de la présidence, qui ont normalement lieu à huis clos. Elle nous a aussi invitée à deux reprises à observer le déroulement des rendez-vous bilatéraux. Nous n’avons eu au contraire accès à aucune archive polono-russe. La coopération est trop récente pour passer le délai de carence de trente ans exigé par le ministère des Affaires étrangères et la plupart des institutions d’archives. Par-dessus tout, les questions évoquées sont encore trop sensibles, éminemment politiques entre les deux pays. Nous n’avons pu assister à l’une des séances plénières du groupe. L’accès nous a été refusé : le huis clos polono-russe n’accepte pas d’exception. Surtout, le groupe ne s’est plus réuni depuis 2013, la réunion à laquelle nous voulions assister en 2015 ayant été annulée. Notons que le Centre polono-russe de Dialogue et de Compréhension mutuelle, créé sous l’impulsion du groupe polono-russe, nous a ouvert ses portes à plusieurs reprises. Ses rapports annuels sont publics et nous avons pu les consulter sans aucune difficulté. Tertio, l’accès aux acteurs polono-allemands s’est révélé plus aisé. La plupart des membres sont avant tout des chercheurs et il est facile de trouver leur contact. L’effet « boule de neige » fonctionne très bien pour obtenir de nouveaux contacts. Du côté polono-russe, le statut plus politique se fait ressentir dans l’accès aux membres : pour beaucoup, il est impossible de les contacter directement. D’autres acceptent que leur contact nous soit transmis, mais ne répondent ensuite jamais. Dans les deux cas, les ←41 | 42→fonctionnaires se sont montrés réticents à l’exercice, en pleine période de changement de gouvernement en Pologne.

Sans aller jusqu’à l’extrapolation des différences dans les taux de réponse positive, il est clair que la commission polono-allemande s’est montrée plus ouverte à nos recherches. Ses co-présidents et d’autres membres nous ont d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises l’importance de nos travaux, alors que peu d’études et de publications sont sorties en langue française à ce sujet. Consciente des « déconvenues » du terrain80 auxquelles tout chercheur doit faire face et notamment de l’impossibilité d’obtenir un taux de réponse de 100 % dans une étude sociologique, il nous semble toutefois intéressant de souligner ces asymétries. Elles sont à coup sûr significatives du degré de transparence des mécanismes mis en place. Elles montrent l’importance de la maîtrise – voire du verrouillage – des informations transmises face à l’ouverture totale des documents. Elles soulignent encore le mode de fonctionnement des commissions, plus collégial ou individuel, plus informel ou plus formel. Notons toutefois que de chaque côté, les acteurs interrogés ont tenté de répondre aussi précisément que possible à nos interrogations et de nous guider vers d’autres collègues, des publications ou institutions qui seraient utiles, voire indispensables, à nos travaux.

Notre position de chercheure française sur des sujets lointains tels que les relations polono-allemandes et polono-russes a souvent fait l’objet d’étonnement. Systématiquement lorsque nous évoquons notre objet, nous sommes interrogée sur d’éventuelles racines polonaises. Si nous avons en effet de forts liens familiaux avec la Pologne, rappelons toutefois que ni la culture ni a fortiori la langue ne nous ont été transmises directement, pour diverses raisons. Notre intérêt s’est toutefois développé en lien avec notre passion pour l’Union européenne (UE), alors que la Pologne constituait le plus grand pays à intégrer celle-ci en 2004. Sa transformation fulgurante après la fin du régime communiste nous paraissait ouvrir de nombreuses pistes de recherche. Les débats incessants sur le passé nous ont fascinée, notamment à propos des massacres de Katyń. La figure romantique de la Pologne martyre, « Christ des Nations », nous a intriguée et convaincue de l’intérêt de travailler sur ce pays et ses relations avec ses voisins. La région, meurtrie par les deux ←42 | 43→guerres et les mouvements de frontières, se révèle un cas d’école quand il s’agit d’observer les usages du passé. La « politique historique » mise en place dès 2005–2007 confirme l’actualité de ces questions. Nos recherches ont été réalisées dans le cadre de douze séjours de terrain, de courte et longue durée, en Pologne, Allemagne et Russie.

Quelques précisions de présentation

Le centre d’intérêt de ce travail est la Pologne. Les relations bilatérales sont donc, sans signification supplémentaire, indiquées comme « polono-allemandes » ou « polono-russes ». Lorsqu’il s’agit de traductions, l’ordre de la version originale est toutefois repris. Nous avons pris le parti de citer les personnes dans leur nom original, respectant les accents et cédilles polonaises. Lech Walesa est par exemple indiqué, dans sa version polonaise, comme étant Lech Wałęsa. Katyn est indiqué comme Katyń. La question de la toponymie est difficile à trancher. Lorsqu’une version française de la ville existe, nous citons le nom en français. Nous écrivons donc Varsovie, Cracovie, Brunswick, Francfort, Moscou et non Warszawa, Kraków, Braunschweig, Frankfurt, Москва. Certaines villes n’ont pas d’équivalent connu en français. Nous écrivons donc, dans la langue originale, Gdańsk, Toruń, Poznań. Ces questions sont délicates, eu égard aux modifications répétitives de frontières. Gdańsk s’appelait en allemand Danzig, Toruń, Thorn, Poznań, Posen. Ces dénominations ont fait l’objet de longs débats au sein de la commission polono-allemande.

Pour faciliter la lecture, la translittération du russe ne reprend pas les règles scientifiques, mais les directives courantes. Les auteurs sont cités dans le corps du texte dans la version francisée de leur nom. Toutefois, lorsque la citation provient d’un ouvrage en polonais, la forme polonaise est gardée pour la référence en note de bas de page. Anatoli V. Torkounov devient donc Anatolij W. Torkunow, Inessa Iajborovskaïa, Iniessa Jażborowskaja, lorsque leurs contributions sont citées en polonais en note. Les acteurs interrogés sont évoqués sans leurs titres académiques. L’objectif est ici de faciliter la lecture. Il ne signifie absolument pas un manque de respect pour ces éminents professeurs et chercheurs, rencontrés ou lus tout au long de nos recherches. De même, nous écrivons « ministre », « ministère », « président » par souci de lisibilité.

Nous indiquons le nom des centres polono-russe et russo-polonais par « Centre [polono-russe/ russo-polonais] de Dialogue et de Compréhension ←43 | 44→mutuelle ». Une traduction plus littérale du nom « Centrum polsko-rosyjskiego Dialogu i Porozumienia » serait : « Centre du Dialogue et de la Compréhension polono-russe ». Notons que « réconciliation » se traduit en polonais par « pojednanie »81. Le terme « porozumienie » signifie « accord », « compréhension ». Le sens polonais, tout comme l’anglais « understanding » nous semble évident à saisir, tandis que la seule mention de « compréhension » en français nous paraît confuse. Nous prenons donc le parti de traduire « porozumienie » par « compréhension mutuelle » dans le nom du centre. Toutes les traductions sont de notre fait, sauf indication contraire. Certaines citations se terminent par « […] » en raison des divergences grammaticales d’une langue à l’autre et de l’ordre des mots qui varie en conséquence.

Annonce du plan

Cet ouvrage s’articule en cinq points. Les trois premières parties portent sur chacune des trois variables évoquées. Premièrement, le contexte est primordial. Les commissions sont souvent créées au moment d’une détente entre les deux pays. Le timing est important. Lorsque les relations politiques se tendent, les relations au sein des commissions deviennent difficiles et leurs travaux sont souvent gelés ou arrêtés. Cependant, la commission polono-allemande, du haut de ses quatre décennies de coopération, semble résister aux aléas politiques, quand le groupe polono-russe suspend ses rencontres. Deuxièmement, les mandats sont fondamentaux. Ils définissent à la fois l’autonomie vis-à-vis du politique et les objectifs à atteindre. Ils créent les mécanismes de la coopération, son étendue et ses limites. Troisièmement, l’étude des acteurs est essentielle à la compréhension des processus. Les émotions véhiculées sont en partie liées au passé de ceux-ci. L’expertise et le parcours personnel des acteurs justifient leur degré d’engagement dans ces commissions. La présence d’acteurs engagés dans le rapprochement favorise la recherche de compromis et l’établissement d’une confiance mutuelle, indispensable au dialogue. Elle entraîne même parfois la formation d’amitiés solides par-delà les frontières.

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La quatrième partie porte sur les sphères d’influence de ces commissions. Les coopérations établies ont des liens et des répercussions sur le monde politique et religieux, qui les précède ou les rejoint. Elles engendrent de nombreuses controverses. Les discussions sont vives entre politique et religion. Les débats publics sont ardents autour des projets des commissions. Les débats scientifiques initiés sont nombreux. Discutés, disputés, ils ouvrent de nouvelles réflexions de recherche. La dernière partie se concentre sur les productions et projets de ces commissions. D’un côté, l’ouvrage polono-russe rédigé en commun est salué de toutes parts. Les centres de dialogue mettent en place des coopérations élargies entre les sociétés russe et polonaise. De l’autre côté, le manuel polono-allemand d’histoire constitue, après le manuel franco-allemand, la deuxième expérience de ce type. Impliquant deux pays séparés il y a peu encore par le Rideau de fer, deux pays aux traditions historiques différentes, entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est, ce projet est encore plus ambitieux que son prédécesseur franco-allemand.

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2 Cf. Jérôme K., J. Bloche, Passé recomposé, Paris, Dupuis, 2012 (1986).

3 G. Mink, L. Neumayer (eds.), L’Europe et ses passés douloureux, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2007.

4 Cf. A. Mickiewicz, Dziady, część III, 1832. Disponible en ligne sur le site « Wolne lektury », en lien avec la Fondation Nowoczesna Polska : https://wolnelektury.pl/media/book/pdf/dziady-dziady-poema-dziady-czesc-iii.pdf (consulté le 6 janvier 2018).

5 T. Snyder, « Preface », Bloodlands. Europe between Hitler and Stalin, Londres, Vintage, 2015 (2010), pp. vii-viii.

6 Pour une analyse critique des thèses de T. Snyder, voir : J. Solchany, « Beaucoup de bruit pour rien? Retour sur la lecture faite par Timothy Snyder des violences de masse nazie et stalinienne. À propos de : TIMOTHY SNYDER, Terres de sang. L’Europe entre Hitler et Staline [2010], Paris, Gallimard, 2012, 710 p., ISBN 978-2-07-013198-3. TIMOTHY SNYDER, Terre noire. L’Holocauste, et pourquoi il peut se répéter [2015], Paris, Gallimard, 2016, 589 p., ISBN 978-2-07-014950-6 », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2017/4, n° 64-4, pp. 134–171.

7 Cf. V. Julkowska, « Białe plamy », in : M. Saryusz-Wolska, R. Traba (eds.), Modi memorandi. Leksykon kultury pamięci, Varsovie, Wydawnictwo Naukowe Scholar, 2014, pp. 59–60.

8 J. T. Gross, Neighbors: The Destruction of the Jewish Community in Jedwabne, Poland, Princeton, Princeton University Press, 2001. Publié en français l’année suivante : J. T. Gross, Les voisins. 10 juillet 1941. Un massacre de Juifs en Pologne, Paris, Fayard, 2002.

9 Cf. R. Paxton, La France de Vichy 1940–1944, Paris, Seuil, coll. « Points », 1999 (1973).

10 Nombre de publications, notamment les journaux, utilisent le raccourci « camps polonais » pour évoquer les camps de concentration ou les camps d’extermination nazis installés en Pologne occupée. C’est dans l’objectif de mettre un terme à ces textes erronés que la loi a été proposée.

11 Cf. J.-C. Szurek, « L’amère victoire des historiens polonais », Libération, 20 février 2018 : http://www.liberation.fr/debats/2018/02/20/l-amere-victoire-des-historiens-polonais_1631092 (consulté le 24 février 2018).

12 Saint Augustin, Les confessions, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 269.

13 M. Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994 (1925) ; M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 (1950).

Résumé des informations

Pages
550
Année
2020
ISBN (PDF)
9782807615069
ISBN (ePUB)
9782807615076
ISBN (MOBI)
9782807615083
ISBN (Broché)
9782807615052
DOI
10.3726/b16824
Langue
français
Date de parution
2020 (Août)
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 550 p., 2 ill. n/b.

Notes biographiques

Emmanuelle Hébert (Auteur)

Emmanuelle Hébert, Diplômée du Collège d’Europe (Promotion Maria Skłodowska-Curie) et de l’Institut d’Etudes européennes de l’ULB, Emmanuelle Hébert a soutenu sa thèse de doctorat en science politique en 2018 (cotutelle entre l’Université catholique de Louvain et l’Université Paris Nanterre). Elle est depuis chargée de cours invitée à l’Université de Namur, l’Université catholique de Louvain et Sciences Po.

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