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Éthique chrétienne et bien commun

Vers une justice globale et un futur équitable face à l'impact du changement climatique

de Alain Boubag (Auteur)
©2019 Thèses 476 Pages

Résumé

Il n’est pas toujours aisé d’établir une relation entre la théologie et les phénomènes scientifiques complexes comme le changement climatique. La complexité du changement climatique requiert de ne pas s’arrêter uniquement sur le concept de climat, mais d’ouvrir des brèches sur les sciences de l’écologie et de l’environnement. L’auteur tente de répondre à la question suivante : comment l’éthique chrétienne, basée sur les notions de bien commun et de tempérance, peut-elle contribuer à relever le défi du changement climatique en ce 21ème siècle ? Ce travail fait recours à la méthode historico-analytique dont l’auteur se sert particulièrement dans les deux premiers chapitres où il analyse le caractère scientifique qui entoure le changement climatique. La méthode historique regardera de manière détaillée et scrupuleuse les faits et données scientifiques sur lesquels les hommes de science s’appuient pour démontrer l’existence scientifique du changement climatique. La méthode analytique aidera à examiner la nature et la place du bien commun dans le contexte actuel de la crise climatique.

Table des matières

  • Cover
  • Titel
  • Copyright
  • Autorenangaben
  • Über das Buch
  • Zitierfähigkeit des eBooks
  • REMERCIEMENTS
  • PRÉFACE
  • TABLE DES MATIÈRES
  • SIGLES ET ABRÉVIATIONS
  • INTRODUCTION GÉNÉRALE
  • 1 CHANGEMENT CLIMATIQUE : ORIGINES ANTHROPIQUES OU NATURELLES ?
  • Introduction
  • 1.1 Données scientifiques liées au changement climatique
  • 1.2 Le GIEC et les récentes avancées relatives aux données sur le changement climatique
  • 1.2.1 Les prévisions globales du 5ème rapport d’évaluation de 2014
  • 1.2.2 Les projections sur le changement climatique et les éventuels effets qui pourraient en découler
  • 1.2.2.1 Glaciers et Océans : élévation du niveau des mers
  • 1.2.2.2 Déplacement des populations dû au changement climatique (les réfugiés climatiques) 
  • 1.2.2.3 Prévisions de hausse des températures
  • 1.3 Les observations liées au changement climatique
  • 1.3.1 Le changement climatique dans les faits
  • 1.3.2 L’effet de serre et le réchauffement global
  • 1.3.3 Concentration et contribution relatives des gaz à effet de serre
  • 1.4 La responsabilité humaine dans la crise climatique
  • 1.4.1 L’homme face au climat
  • 1.5 La variabilité du climat
  • 1.5.1 Réduction des émissions de gaz à effet de serre – variabilité naturelle du climat
  • 1.5.2 L’influence réelle du CO2
  • 1.5.3 Rôle et place du soleil/Insolation dans le climat
  • 1.5.3.1 L’Albédo
  • 1.5.3.2 Les éruptions volcaniques/les cyclones et le climat
  • 1.6 Changement climatique : portée humaine et portée naturelle variable
  • 1.6.1 L’‘anthropocité’ du changement climatique en question
  • Conclusion
  • 2 BIEN COMMUN ET BIENS PUBLICS GLOBAUX DANS LE CONTEXTE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
  • Introduction
  • 2.1 Bien commun : une tentative de compréhension
  • 2.1.1 Perception du bien commun dans la tradition grecque et chrétienne
  • 2.1.1.1 Le bien commun et la Polis
  • 2.1.1.2 Une vision aristotélicienne du bien commun
  • 2.1.1.3 Le bien suprême synonyme de bonheur
  • 2.1.1.4 Bien commun : bien suprême et ultime
  • 2.1.1.5 Bien commun : bien de la communauté politique
  • 2.1.1.6 Bien commun et bonne vie
  • 2.1.2 L’approche thomiste du concept de bien commun
  • 2.1.2.1 Bien commun et ordre social
  • 2.1.2.2 Bien commun et justice sociale
  • 2.1.2.3 Bien commun, bien d’ensemble
  • 2.1.2.4 Bien commun et vie en communauté
  • 2.1.3 Le bien commun au service de la communauté
  • 2.1.3.1 Bien commun et Dieu
  • 2.1.3.2 Bien commun et aspirations ontologiques de l’homme
  • 2.2 Une brève approche chrétienne du concept de bien commun dans la doctrine sociale de l’Église
  • 2.2.1 Bien commun et vie communautaire de l’homme
  • 2.2.2 L’homme et sa dignité au centre du bien commun
  • 2.2.3 Bien commun et bien moral
  • 2.2.4 Bien commun et caractère relationnel de l’homme
  • 2.2.5 Bien commun et ‘solidarité sociale’93
  • 2.2.5.1 Bien commun et subsidiarité
  • 2.2.6 La destination universelle des biens
  • 2.2.6.1 La destination universelle des biens : principe de co-création avec Dieu
  • 2.2.6.2 La destination universelle des biens face à la propriété privée
  • 2.2.6.3 Le caractère social de la propriété privée
  • 2.2.6.4 La destination universelle des biens : sa réelle portée
  • 2.2.6.5 Bref aperçu de l’orientation des biens vers le spirituel et l’environnement
  • 2.3 Du bien commun aux biens publics globaux
  • 2.3.1 Les biens publics globaux : leur nature
  • 2.3.1.1 Au fondement de la question des biens publics globaux : les biens publics
  • 2.3.1.1.1 L’amorce lancée par Olson
  • 2.3.1.1.2 Aux origines de la discussion entre Samuelson et Musgrave
  • 2.3.1.1.3 Samuelson et la ‘communauté de consommation’
  • 2.3.1.1.4 Musgrave et ‘l’inapplicabilité du principe d’exclusion’
  • 2.3.2 Des biens publics aux biens publics globaux
  • 2.3.2.1 Les biens publics globaux : biens matériels ou immatériels
  • 2.3.3 Biens publics globaux : bien-être individuel et bien-être communautaire
  • 2.3.4 Une éthique des biens publics globaux
  • 2.4 Le bien commun et la liberté de l’homme : la tragédie des biens communs
  • 2.4.1 La problématique des ‘communaux’
  • 2.4.2 La tragédie des communaux
  • 2.4.3 Une approche critique de la ‘tragédie des communaux’
  • 2.5 Les biens publics globaux : leur portée au niveau du changement climatique
  • 2.5.1 Le bien commun sur la ligne du changement climatique
  • Conclusion
  • 3 JUSTICE GLOBALE ET FUTUR ÉQUITABLE. OBLIGATIONS MORALES DES GÉNÉRATIONS PRÉSENTES Á L’ÉGARD DES GÉNÉRATIONS FUTURES
  • Introduction
  • 3.1 La justice globale climatique et son impact éthique
  • 3.1.1 La justice climatique : sa nature
  • 3.1.1.1 Le principe de causalité dans la justice climatique
  • 3.1.1.2 Le principe de la responsabilité historique
  • 3.1.1.3 La responsabilité historique revêt-elle un caractère national, collectif ou mondial ?
  • 3.1.1.4 L’aspect éthique de la responsabilité historique : comment assumer cette historicité ?
  • 3.1.1.5 Le principe du pollueur-payeur
  • 3.2 Les implications des aspects de la justice corrective dans la justice climatique
  • 3.2.1 La justice corrective
  • 3.2.2 Equité dans la prise en charge de la justice climatique : adaptation et réduction des effets du changement climatique. Vers une justice compensatrice
  • 3.3 La question des futures générations dans l’éthique de la crise climatique
  • 3.4 Le statut moral des personnes futures
  • 3.4.1 La question de la solidarité entre Générations Présentes (GP) et Générations Futures (GF)
  • 3.4.2 Obligations morales des Générations Présentes
  • 3.4.3 Anticipation des droits des générations futures, fonctions de droits et fonctions d’obligations.
  • 3.5 Les générations futures et présentes face au principe de précaution
  • 3.5.1 Une graduelle reconnaissance
  • 3.5.2 Le concept de principe de précaution : une esquisse de définition
  • 3.5.2.1 Les limites relatives au principe de précaution
  • Conclusion
  • 4 LA QUESTION DE LA DETTE ÉCOLOGIQUE
  • Introduction
  • 4.1 Historicité de la question de la dette écologique
  • 4.1.1 Nature de la dette écologique
  • 4.1.1.1 Esquisse de définition du concept de ‘dette écologique’
  • 4.1.2 Historicité du concept de dette écologique
  • 4.1.3 La dette écologique écocentrée ou biocentrée
  • 4.1.4 La dette écologique anthropocentrée
  • 4.2 Responsabilités morales et environnementales des pollueurs
  • 4.2.1 Vers une ‘quantification’ de la dette écologique
  • 4.2.1.1 Accumulation de la dette écologique
  • 4.2.1.2 La dette du carbone
  • 4.2.1.3 La biopiraterie
  • 4.2.1.4 Les passifs environnementaux
  • 4.2.1.5 Une tentative de quantification de la dette écologique
  • 4.2.1.6 Une tentative de monétarisation de la dette écologique
  • 4.2.2 L’empreinte écologique
  • 4.2.2.1 La comptabilité de l’empreinte écologique
  • 4.2.2.2 Les limites de l’empreinte écologique
  • 4.3 Une éthique de la dette écologique
  • 4.3.1 Accès équitable aux ressources naturelles
  • 4.3.1.1 Croissantes exploitations des ressources naturelles de la terre
  • 4.3.1.2 Égalité dans l’accès aux ressources naturelles
  • 4.3.1.3 Ethique de la dette écologique et gouvernance climatique
  • 4.3.1.4 La compensation écologique
  • Conclusion
  • 5 VALEUR INTRINSÈQUE DE LA NATURE ET VERTU DE LA TEMPÉRANCE
  • Introduction
  • 5.1 Une éthique de l’environnement
  • 5.1.1 L’éthique de l’environnement : sa nature
  • 5.1.2 Valeur intrinsèque de la nature
  • 5.1.3 Valeur intrinsèque et raison d’être
  • 5.1.4 Valeur intrinsèque – valeur instrumentale
  • 5.1.5 Le caractère non-anthropocentrique de la valeur intrinsèque
  • 5.2 Tempérance et crise environnementale
  • 5.2.1 Tempérance et crise environnementale actuelle
  • 5.2.1.1 La tempérance, une vertu
  • 5.2.1.2 La tempérance chez les Grecs
  • 5.2.1.3 Chez Thomas d’Aquin
  • 5.3 La tempérance, une éthique de l’autolimitation
  • 5.3.1 Tempérance et modération : simplicité dans la fermeté
  • 5.3.2 Une éthique de la tempérance dans la convivialité
  • 5.3.3 La tempérance face à la crise environnementale et le confort matériel
  • 5.3.4 La tempérance face à une crise d’une ampleur mondiale
  • 5.4 La tempérance comme mesure
  • 5.4.1 Tempérance et style de vie
  • 5.5 Tempérance et Intégrité de la création
  • 5.5.1 Sens de l’intégrité de la création
  • 5.5.1.1 Dimensions de l’intégrité de la création : respect et appréciation
  • 5.5.1.2 Intégrité et gérance de la création
  • 5.5.2 Une théologie de l’ordre de la création : Dieu - l’Homme - l’Univers
  • 5.5.2.1 Une réfutation de la thèse de L.White
  • 5.5.2.2 Une brève re-lecture des récits de la création
  • 5.5.3 Pour une écologie chrétienne
  • 5.5.3.1 Vers une écologie sociale et intégrale
  • 5.5.3.2 Vers une écologie de la splendeur de la création
  • 5.5.4 La théologie de l’environnement comme théologie de la communion
  • 5.5.4.1 Esquisse d’une théologie africaine sur la crise écologique
  • 5.5.4.2 Une christologie de la vie dans un environnement vital
  • 5.5.4.3 Une christologie de la vie basée sur la vie communautaire
  • 5.5.4.4 Une christologie de la vie qui s’oppose à la mort et au malheur
  • 5.6 Vers une théologie de la communion avec la création
  • Conclusion
  • CONCLUSION GÉNÉRALE
  • BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

La crise écologique, dans laquelle se trouve plongée l’humanité, ne laisse personne indifférent. Elle semble même être l’une des majeures préoccupations de toutes les disciplines scientifiques, morales et humaines en ce début de siècle quand bien même leurs vues et leurs approches diffèrent.1 Il n’est pas honnête d’ignorer un courant, encore minime, qui reste dubitatif quant aux incertitudes scientifiques et économiques liées au réchauffement climatique anthropocentrique.2 Il faut toutefois reconnaitre qu’« il n’y a plus véritablement de climato-sceptiques, quand 80 % de la population mondiale s’inquiète du changement climatique. »3

Choix du thème

Mon expérience pastorale dans un petit village au Sud-Ouest de la Zambie (Munyumbwe District) pendant 7 années m’a conduit à m’intéresser d’un point de vue éthique et théologique à la question climatique. Cette région est essentiellement agro-pastorale et vit essentiellement, aujourd’hui encore, en fonction des rythmes des saisons dont celle des pluies est plus salvatrice pour ces peuples Tongas. Une bonne saison de pluies était l’expression d’une année agricole réussie et prospère. Par contre une saison de pluies ponctuée de moments de sécheresse, n’est pas favorable à une récolte conséquente et donc plonge le village dans l’incertitude et le doute. Ces changements intermittents et récurrents ont affecté la manière de vivre et de penser de ces peuples. Ils n’ont cessé de s’interroger sur la valeur de de la vie devant l’indifférence de la terre et de son climat.4

Justification et intérêt du sujet

Ces questions à la fois existentielles et anthropologiques nous ont conduits à regarder la question de la crise climatique de manière plus profonde. Notre dissertation n’a pas pour but de répondre directement aux questions qui hantent les peuples Tongas, mais elle se veut une discussion éthique et théologique sur ce sujet majeur. ←21 | 22→Une discussion qui pourrait aider les Tongas à porter un regard différent sur l’impact du climat dans leur vie agro-pastorale.

Notre dissertation aura un regard interdisciplinaire sur cette question préoccupante et absorbante du changement climatique. Au-delà d’une éthique du changement climatique, c’est vers une orientation décisionnelle avec des actes écologiques concrets que nous souhaitons tourner notre travail pour qu’il y ait une véritable réponse à cette crise qui secoue l’humanité au 21ème siècle.

Les sciences économiques et physiques ont toutes développé des arguments fort convaincants sur l’existence du changement climatique et sur son impact dans le développement durable du monde actuel. La plupart des acteurs scientifiques ont reconnu et approuvé l’impact humain sur le changement du climat. Nous voulons nous proposer de donner une teneur à la fois éthique et théologique de ce phénomène.

Méthodologie de la recherche et limites

Ce travail exigera de nous de faire recours à la méthode historico-analytique dont nous nous servirons particulièrement dans les deux premiers chapitres où nous analyserons le caractère scientifique qui entoure le changement climatique. La méthode historique regardera de manière détaillée et scrupuleuse les faits et données scientifiques sur lesquels les hommes de science s’appuient pour démontrer l’existence scientifique du changement climatique. La méthode analytique nous aidera à examiner la nature et la place du bien commun dans le contexte actuel de la crise climatique.

Nous ferons également usage de la méthode critique dans l’élaboration d’une éthique relative à la justice climatique et à la dette écologique. C’est cette méthode que nous utiliserons pour établir une théologie du changement climatique axée sur une éthique et une théologie de la tempérance adaptée à la crise climatique. La méthode narrative sera mise à contribution lorsqu’il s’agira de développer une théologie de la tempérance et de la création en lien étroit avec le changement climatique.

Il n’est toujours aisé d’établir une relation entre la théologie et des phénomènes scientifiques complexes comme le changement climatique. La complexité du changement climatique nous conduira à ne pas nous arrêter uniquement sur le climat, mais des ramifications seront faites vers la science de l’écologie et celle de l’environnement. D’ailleurs notre dissertation va tenter de répondre à la question suivante : comment l’éthique chrétienne, basée sur les notions de bien commun et de tempérance, peut-elle contribuer à relever le défi du changement climatique en ce 21ème siècle ?

Originalité, structure et contenu

Notre dissertation comportera cinq chapitres qui chacun, à leur tour, tenteront de saisir un compartiment de la crise environnementale.

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Notre premier chapitre va s’atteler à discuter des arguments fournis par le monde scientifique sur les données relatives au changement climatique. Le GIEC sera notre principal interlocuteur et nous permettra de recueillir des informations essentielles sur le caractère anthropocentrique de cette crise. Les développements scientifiques présentés avec des chiffres à l’appui, donneront une idée des dernières évolutions relatives au changement climatique. L’être humain a profondément influencé les variations que connaît le climat ces dernières décennies. Cet accent anthropocentrique sera analysé à la lumière des chiffres révélés par le GIEC. Des émissions des gaz à effet de serre aux futurs scénarios climatiques, en passant par l’élévation des niveaux des mers et des océans, nous essaierons de regarder scientifiquement les différents éléments qui ont contribué au changement du climat. Les graphiques publiés par le GIEC montrent et prouvent à quel point le climat évolue depuis des décennies. Ces différents arguments ne nous feront oublier de prêter une oreille, aussi infime soit elle, aux variations naturelles qui influencent le climat, considéré comme un bien commun.

C’est vers le bien commun que sera tourné le deuxième chapitre qui amorcera les approches interdisciplinaires susceptibles d’apporter des esquisses de solutions à cette crise. Un retour dans l’Antiquité et le Moyen-âge nous permettra de mieux cerner cette notion de bien commun et d’en déduire les conséquences quant à la crise écologique actuelle. La doctrine sociale de l’Eglise apportera une contribution édifiante dans la prise en compte du bien commun sur un plan social dans un premier temps, avant de l’étendre ensuite au domaine écologique. Cette contribution ouvrira des brèches sur les principes de la destinée universelle des biens ainsi que sur la propriété privée. « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous selon la règle de la justice, inséparable de la doctrine. »5 Au cœur de ce concept de bien commun appliqué au climat, va se dégager une éthique de la justice climatique qui se veut attentive à la gestion équitable des biens publics globaux sans oublier de porter une attention particulière aux différentes ressources naturelles nécessaires au développement et au bien-être de toutes les espèces. Au bien commun est associée la vertu de respect qui porte un regard ‘autre’ de l’humain sur son environnement.

Le troisième chapitre sera exclusivement consacré à la justice climatique basée sur le respect du bien commun. Cette section ouvrira véritablement l’approche éthique qui établit une véritable anthropologie de responsabilité à l’égard de la nature et de son environnement. Elle regardera la justice climatique comme une justice transfrontalière en raison du caractère complexe de la crise climatique. Cette justice climatique prend essentiellement appui sur une distribution juste des responsabilités et d’un partage équitable des ressources. C’est le défi que lance le changement climatique à la justice distributive (distribuendum). Il s’agit de créer ←23 | 24→une morale climatique profondément ancrée dans l’action. « Si l’approche morale était et demeure dominante en éthique climatique, depuis quelques années certains auteurs cherchent plutôt à proposer des recommandations institutionnelles s’adressant directement aux preneurs de décision. »6 Une éthique de l’agir, basée sur une éthique éco-politique,7 est indispensable. Cette action est nécessaire pour le sort des générations futures qui sans nul doute, auront besoin et pourquoi pas le droit de bénéficier d’une stabilité climatique. Ce chapitre analysera la question de la répartition équitable et juste des ressources naturelles de l’environnement entre les différentes nations. La répartition équitable des ressources a elle-même débouché sur un questionnement portant sur la dette écologique.

Le chapitre quatre dissèquera les points liés à cette dette écologique. Vu son aura assez récent, nous nous appliquerons dans un premier lieu à définir la nature de cette dette écologique à travers un bref parcours historique relatif à l’émergence même de cette notion. Dans un deuxième temps, nous nous attarderons sur l’inégalité qui a régi la répartition des ressources. Cette inégalité a créé un clivage énorme entre les pays du Sud et ceux du Nord dans les différentes transactions économiques. Les ressources inégalement exploitées et traitées par les nations du Nord ont contribué à créer des déséquilibres dans les relations économiques entre différents pays. Si aujourd’hui la plupart des pays du Sud, considérés comme pauvres, ont contracté des dettes à l’endroit des pays du Nord, il n’en demeure pas moins que l’idée d’une dette écologique a pris une ampleur plus large. Elle consiste particulièrement à combler une compensation due aux dommages écologiques subis par les pays pauvres. Cette compensation écologique, comme nous le verrons, ne sera pas nécessairement financière et économique, mais elle est aussi morale. Elle procède d’une réparation des dégâts causés à l’environnement en redorant le blason de la biodiversité et des écosystèmes des pays exploités. Cette réparation morale est déjà révélatrice d’un changement de regard sur l’approche des humains à l’égard de la nature et de son environnement. C’est un changement de regard qui implique un changement de style de vie en adoptant un comportement tempérant.

La tempérance sera au centre du cinquième chapitre. Nous développerons les nouveaux comportements et les nouvelles attitudes à adopter devant la tenace crise écologique. L’encyclique du pape François, Laudato Si’, nous permettra de franchir certains paliers dans la mise en place d’une véritable écologie intégrale qui rejoindra nos préoccupations énoncées au chapitre premier à savoir que cette crise est tellement complexe qu’elle englobe l’économique, le social ainsi que le moral et l’humain. Cette notion de tempérance ouvrira des brèches vers une écologie ←24 | 25→intégrale qui tient compte de l’écologie sociale et humaine. « Une écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence ‘ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée’. »8 Avant d’en arriver là, il nous faudra saisir la quintessence de la valeur intrinsèque de la nature et des autres espèces non-humaines. Cette section contribuera à rehausser la valeur non-humaine comprise dans toutes les autres espèces et êtres créés.9 Cette valeur participe de la communion appelée à régner entre l’humain et son environnement, qu’il doit considérer comme faisant partie intégrante de son être. C’est dans cette perspective que se situe la conversion écologique à laquelle appelle François. Cette conversion écologique est à la source de l’incorporation de la vie non-humaine dans le déploiement d’une théologie de la vie. Nous sommes tous concernés par cette crise, et nul ne peut y échapper. « Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous. »10 La conversion écologique élabore un lien fort étroit avec l’écologie chrétienne qui est très attachée aux valeurs de justice et d’équité dans la répartition des richesses en n’oubliant pas les futures générations.

Les différents chapitres de notre travail semblent être indépendants les uns par aux autres. Cette indépendance n’est qu’apparente car si le premier chapitre se base essentiellement sur les données scientifiques liées au changement climatique, les chapitres suivants vont préparer le paysage à une éthique climatique de l’équité ainsi qu’à une théologie de la création basée sur la tempérance, la communion et la vie surtout en référence à la quintessence de la théologie africaine. Ces chapitres sont liés les uns aux autres dans la mesure où ils assurent une unité ontologique de laquelle découlent les différentes orientations que nous nous assignons dans cette dissertation. Du bien commun rejaillit une attention de l’homme à l’égard de son environnement physique et moral. L’idée d’une éthique de l’équité pousse à une réinterprétation de la justice équitable dans la gestion du bien commun alors que la dette écologique analyse le juste accès anthropologique et économique à ce même bien. Cette ligne nous permettra d’aboutir à une éthique de la valeur intrinsèque de la nature ainsi que de la vertu de tempérance, préparant ainsi la place pour une théologie de la communion avec la création particulièrement développée chez le pape François.

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Notre travail nous permettra de développer une éthique du climat que nous voulons adapter à ce 21ème siècle. La crise climatique occupe l’espace politique, social et économique depuis de nombreuses années. Les autres disciplines ne peuvent rester en marge de ce rendez-vous de l’histoire, et particulièrement les sciences humaines et sociales (SHS).11 Elles doivent apporter leur contribution dans la résolution de cette immense crise.


1 Cf. John Broome, Climate Matters: Ethics in a Warming World (New York/London: W. W. Norton & Company, 2012).

2 Voir Pierre-Yves Néron, « Penser la justice climatique, » Ethique publique 14, n°1 (2012), consulté le 14 février 2016, disponible sur http://ethiquepublique.revues.org/937.

3 Thierry Mandon, « Où vont les sciences de l’environnement ?, » Responsabilité & Environnement 83 (2016) : 3.

4 Voir Alain Boubag, « Climate Change: the Theological Approach of the Phenomenon, » » (Unpublished Master’s Thesis, Leuven: K.U.Leuven, 2010).

5 Vatican II, Les seize documents conciliaires. Gaudium et Spes (Paris & Montréal : Fides, 1967), 69, §1.

6 Michel Bourban, « Vers une éthique climatique plus efficace : motivations et incitations, » Les ateliers de l’éthique 92 (2014) : 6.

7 Voir Jacques Haers, « Les défis environnementaux à l’échelle planétaire, » Ethique 168 (2012) : 111–112.

8 François, Lettre encyclique Loué sois-tu ! Laudato Si’ (Namur : Fidélité, 2015), 225.

9 Donato Bergandi & Patrick Blandin, « De la protection de la nature au développement durable : Genèse d’un oxymore éthique et politique, » Revue d’histoire des sciences 65, n°1 (2012) : 103–142.

10 François, Lettre encylique Loué sois-tu ! Laudato Si’, 14.

11 Cf. Mandon, « Où vont les sciences de l’environnement ?, » 3–4.

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1 CHANGEMENT CLIMATIQUE : ORIGINES ANTHROPIQUES OU NATURELLES ?

Introduction

Le premier chapitre de ce travail s’attèlera à analyser les différentes causes qui sont à l’origine du changement climatique et du réchauffement global. Pendant plusieurs décennies, l’idée majeure qui s’est développée est celle de la responsabilité de l’homme dans l’émission du gaz carbonique qui a sensiblement modifié et dévié le cours normal et naturel de l’atmosphère. Le GIEC montre très clairement que « les activités humaines ont très probablement contribué à l’élévation du niveau de la mer au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. »1 Ce même groupe d’experts a estimé que l’homme a pris une part active dans la révolution industrielle depuis 1750, faisant de l’atmosphère un véritable réservoir, au sens large du terme, du gaz carbonique. Ce stockage a fortement contribué à l’élévation des températures du globe, températures qui ont, à leur tour, causé des dérèglements dont a été victime le climat.

Cependant, le changement climatique reste une question qui suscite de nombreux débats et discussions. L’authenticité de son existence ne fait pas l’unanimité des hommes de science et des hommes de lettres qui, quelques fois, ont des avis différents et sont partagés sur la question. Le globe est confronté à des catastrophes ‘naturelles’ de tout genre : inondations, sécheresse, cataclysme, débordement des lits des mers et des océans, explosions volcaniques, tremblements de terre, ouragans et autres. Ces catastrophes ont-elles un lien avec le changement climatique et le réchauffement global ? Sont-elles, de loin ou de près, liées au réchauffement de la terre ou sont-elles simplement des conséquences changement climatique ?

Dans le premier chapitre de notre travail, nous évaluerons la responsabilité et la naturalité des variations climatiques auxquelles est soumise la planète terre. Il s’agira de définir la responsabilité de l’homme dans ce phénomène qu’est le changement climatique et en même temps montrer à quel point il joue un rôle et influence les variations naturelles relatives au climat.

Si l’homme est réellement responsable du changement climatique, s’il est responsable à 90%2 des effets néfastes du réchauffement global, comment pourrions-nous exploiter les 10% restants et quelle signification leur accorder ?

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Nous développerons également les notions d’acteurs principaux (moral evil) pour le cas de la responsabilité de l’homme dans cette crise écologique, sans oublier de préciser la notion d’action subie dans le cas des causes variables et naturelles du changement climatique (ontic evil).3

1.1 Données scientifiques liées au changement climatique

Avant de nous pencher sur les prescriptions scientifiques du GIEC concernant l’évolution du climat, essayons d’analyser avec beaucoup de neutralité ce que deux hommes de science au 19ème siècle nous ont proposé quant à certains préalables relatifs au changement climatique.

Svante August Arrhenius (1859–1927) avait tiré la sonnette d’alarme quant à l’utilisation exagérée du charbon. Cette surutilisation, d’après lui, contribue à l’élévation des températures qui est due à une forte concentration du gaz carbonique dans l’atmosphère. A la suite d’Horace Bénédict de Saussure et de Joseph Fourier,4 Svante Arrhenius voyait déjà en la combustion du charbon, des signes précurseurs du réchauffement du globe. Ce réchauffement passe par un effet de serre (dioxyde de carbone) dont la concentration dans l’atmosphère pourrait entraîner un réchauffement global avec élévation de température pouvant aller de 4°C à 6°C.5 ←28 | 29→Svante Arrhenius et ses compagnons6 ont écrit un livre sur les origines de l’effet de serre et du changement climatique pour faire cette démonstration.7 Arrhenius fut le premier qui parla de logarithme de concentration.

Peu avant le milieu du 20ème siècle, Guy Stewart Callendar (1898–1964), un ingénieur anglais, est allé dans le même sens que Arrhenius en affirmant qu’une forte concentration de CO2 dans l’atmosphère favoriserait ni plus ni moins une élévation de la température. Toutefois Callendar insiste plus sur l’influence des gaz à effet de serre que toute autre action. C’est dans un article publié en 1938 « The Artificial Production of Carbon Dioxide and Its Influence on Temperature »8 qu’il démontre que les vapeurs et combustions du dioxyde de carbone accélérées avec la révolution industrielle ont fortement contribué à altérer le climat mondial. Le tableau proposé ici-bas, montre comment les effets de serre ont pu influencer le climat depuis 1860 jusqu’à 1980.

Influence de l’effet de serre sur le climat

Disponible sur http://climats.blogspot.com/2008/08/comment-leffet-de-serre-t-il-t-dcouvert.html, consulté le 28 août 2014.

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C’est avec Callendar que fut rendue abordable et approchable la fameuse ‘théorie actuelle des gaz à effets de serre et notamment du CO2’.9 Callendar est arrivé à un point où, pour rendre ses théories plus scientifiques, il dessina des courbes pour montrer qu’avec la révolution industrielle la concentration des gaz devenait plus pointilleuse et plus tranchante. Ceci avait la particularité d’élever les températures dans l’atmosphère, parvenant ainsi au réchauffement de la planète terre.

Callendar ne disposait, à son époque, que de l’énorme quantité de mesures directes du CO2 effectuées par voie chimique par ses prédécesseurs. Il publia la première courbe qui est la mère des courbes du GIEC actuelles en sélectionnant quelques données parmi le très grand nombre de résultats dont il disposait. Callendar défendait une idée : il fallait que la concentration du CO2 ‘ait l’air’ de monter progressivement avec l’industrialisation et si possible en partant d’une valeur bien constante, tout comme le GIEC de nos jours.10

Pourcentage de concentration du CO2 dans l’atmosphère depuis 1800

Disponible sur http://www.pensee-unique.fr/courbes.html, consulté le 14 janvier 2015.

Dans cette figure, il est prouvé que les mesures encerclées sont celles que Callendar a utilisées pour démontrer l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Ce gaz carbonique a été plus tard attribué à des facteurs humains.

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Ces divers éléments nous montrent de manière assez claire, que même bien avant Arrhenius et Callendar, c’est-à-dire vers la fin du 18ème siècle, un risque de réchauffement de la planète existait déjà. Avec les moyens de bord, les scientifiques de l’époque ont attiré l’attention sur le fait qu’une trop grande concentration et une continuelle combustion des gaz à effet de serre pourrait conduire le globe à subir de très fortes élévations de température.

En dépit des divergences qui ont pu alimenter les discussions scientifiques sur le changement et le réchauffement climatiques, force nous est d’affirmer que le climat depuis ses origines à nos jours, a dû subir de très forts changements. Compte tenu du contexte actuel, l’être humain ne peut rester indifférent à ces changements et ne peut pas non plus se fier à la thèse selon laquelle, ces changements ne sont que naturels et que tôt ou tard, ils repartiront sur leur mesure normale et ordinaire.

Entre-temps, plusieurs études scientifiques ont percé sur la lancée d’Arrhenius et Callendar. En 1988 a été mis sur pied par les Nations Unies un Groupe d’Experts Scientifiques dont la mission principale est d’évaluer de manière claire et nette les éléments techniques et scientifiques relatifs au climat et susceptibles d’interférer avec celui-ci. Il s’agit aussi de déterminer les causes aussi bien scientifiques qu’humaines qui favorisent l’expansion du réchauffement climatique; une fois que les causes seront cernées les possibilités d’adaptation et d’atténuation pourront être envisagées.11

Résumé des informations

Pages
476
Année
2019
ISBN (PDF)
9783631784877
ISBN (ePUB)
9783631784884
ISBN (MOBI)
9783631784891
ISBN (Relié)
9783631784860
DOI
10.3726/b15665
Langue
français
Date de parution
2019 (Juin)
Mots clés
Environnement Création Nature Théologie Co-créateur Ecologie
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2019., 476 p., 8 ill. n/b, 6 tabl., 34 graph.

Notes biographiques

Alain Boubag (Auteur)

Alain Boubag est prêtre. Il est docteur en Théologie de l’Université Catholique de Leuven en Belgique. Spécialisé en Ethique de l’environnement, il est promoteur d’une naissante théologie de l’environnement en quête d’approfondissement.

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Titre: Éthique chrétienne et bien commun
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