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Écrire les blessures de l’enfance

Inscription du trauma dans la littérature contemporaine au féminin

de Valérie Dusaillant-Fernandes (Auteur)
©2020 Monographies XIV, 286 Pages

Résumé

À la croisée de la littérature, de l’analyse du discours, de la psychanalyse, de la psychologie et des théories sur le trauma, Écrire les Blessures de l’enfance. Inscription du trauma dans la littérature contemporaine au féminin explore en détail l’inscription textuelle des traumas de l’enfance à travers l’étude d’œuvres autobiographiques et autofictionnelles d’auteures reconnues telles que Chantal Chawaf, Chloé Delaume, Marguerite Duras, Marie Nimier aux côtés de nouvelles voix comme Béatrice de Jurquet et Colette Mainguy. Vers quelles stratégies textuelles et quels procédés littéraires se tourner pour témoigner de la nature obsessionnelle du trauma? Le passage à l’écriture et à la remémoration des souvenirs permet-il à l’écrivaine de sortir de l’impasse mentale causée par l’événement traumatique? Cet ouvrage examine différentes représentations du trauma et propose de nouvelles perspectives ainsi que des réponses et des réflexions sur cet aspect de l’écriture des femmes qui s'avère être un espace propice pour révéler des histoires de honte, de culpabilité et de violence.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Abréviations
  • Introduction: Trauma, écriture et récit d’enfance
  • Le trauma: historique et regards sur les études contemporaines
  • Écrire l’indicible
  • Écrire l’enfance: du XVIIIe siècle à l’ère des récits sur le trauma
  • Du récit autobiographique à l’enfance malheureuse de l’ère industrielle
  • XXe et XXIe siècles: écriture de soi et réception de la psychanalyse
  • Influence des mouvements sociopolitiques et littéraires féministes en France
  • « Quand débute et s’achève l’enfance? »
  • Examiner les procédés d’écriture de la reconstruction
  • PREMIÈRE PARTIE: CARENCE AFFECTIVE, COUPS, VIOLENCE MEUTRIÈRE
  • Préliminaires
  • Les types de maltraitance et leurs effets chroniques
  • La maltraitance infantile dans la littérature française depuis le XIXe siècle
  • Des autobiographies en série: les « cas limites » de Duras et Delaume
  • CHAPITRE 1. Le cas durassien
  • L’enfance et ses drames dans l’œuvre
  • L’effet de répétition26
  • La scène du repas: effets des styles direct, indirect et narrativisé
  • CHAPITRE 2. L’« Écorchée vive »1: Chloé Delaume
  • La reconstruction identitaire au cœur de l’autofiction
  • Les noms propres et les noms sales
  • Le dialogue entre deux « personnages » de fiction
  • La pluralité des voix: le « je » éclaté
  • Le travail figuratif
  • Entre le rouge et le noir: le sang et la mort
  • DEUXIÈME PARTIE: LES MARQUES DE L’INCESTE
  • Préliminaires
  • Ferenczi: la confusion des langues
  • CHAPITRE 3. La traversée de l’inceste de Béatrice de Jurquet
  • Une énonciation plurielle
  • La multiplicité des anthroponymes et des toponymes
  • Le chassé-croisé avec la poésie
  • Les commentaires métatextuels
  • CHAPITRE 4. Les troubles identitaires de Colette Mainguy
  • Au cœur de la cure analytique
  • Judaïté fantasmatique et « névrose de destin »
  • Manipulation et appropriation nouvelle du discours maternel
  • Dire et redire l’indicible: l’utilisation de la répétition
  • TROISIÈME PARTIE: LA PERTE D’UN OU DES PARENTS
  • Préliminaires
  • L’approche psychanalytique du trauma de la perte: le deuil de l’enfant
  • CHAPITRE 5. Être née seule au monde: écrire pour exister selon Chantal Chawaf
  • Portrait d’une enfant de l’entre-deux
  • Parents biologiques: être ou ne pas être, telle est la question
  • De l’utérus maternel à la classe sociale
  • L’apparition du fantastique: un « cryptophore » et des spectres blancs
  • Du Manteau noir à Je suis née: écrits d’enfance
  • CHAPITRE 6. Marie Nimier ou la fille d’un écrivain mort trop tôt
  • L’usage du pronom « tu »: l’écho du « je »
  • La représentation de la parole d’autrui
  • Une temporalité perturbée
  • Le règne ou la reine du silence?
  • Conclusion

Remerciements

Cet ouvrage est le fruit de plusieurs années de réflexions et de recherches commencées lors de mes études doctorales à l’Université de Toronto. À ce propos, je tiens à remercier non seulement le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour leur l’octroi d’une subvention financière (CRSH) pour compléter cette étude à l’époque, mais aussi les membres de mon comité de thèse.

Mes plus sincères remerciements vont à mes collègues du département d’études françaises de l’université de Waterloo pour leur confiance en ce projet.

J’adresse ma plus profonde gratitude à ma famille en France, tout d’abord à mes parents, Danielle et Christian, qui sont pour moi le pilier fondateur de qui je suis et de ce que je fais depuis de nombreuses années, ensuite à mon frère Alain et sa femme, et à mon neveu Nolan. Ensuite, je remercie mes proches au Canada, notamment mes beaux-parents, Leo et Carolann Fernandes, et mes meilleures amies (elles se reconnaîtront) pour leur appui inconditionnel. Elles m’ont permis de clarifier ma pensée et ont souvent partagé leur enthousiasme communicatif à l’égard de mes recherches.

Enfin, que serait ce livre sans Vanita et Guillaume, mes enfants, et Shane, mon époux? Leur amour et leurs encouragements m’ont aidée à le finir. Je les remercie du plus profond de mon cœur pour leur précieux et indéfectible soutien. Cet ouvrage est aussi le vôtre.

Abréviations

JN Chawaf, Chantal. Je suis née, Paris: Des femmes–Antoinette Fouque, 2010.
MN Chawaf, Chantal. 1998. Le Manteau noir, Paris: Flammarion, 1998.
O Delaume, Chloé et Daniel Schneidermann. Où le sang nous appelle, Paris: Seuil, 2013.
D Delaume, Chloé. Dans ma maison sous terre, Paris: Seuil, coll. « Fictions et Cie », 2009.
V Delaume, Chloé. La Vanité des somnambules, Tours: Farrago, 2002.
C Delaume, Chloé. Le Cri du sablier, Paris: Gallimard, coll. « Folio », 2001.
M Delaume, Chloé. Les Mouflettes d’Atropos, Paris: Gallimard, coll. « Folio », 2000.
CG Duras, Marguerite. Les Cahiers de la guerre et autres textes. Paris: P.O.L. / Imec, 2006.
AC Duras, Marguerite. L’Amant de la Chine du Nord, Paris: Gallimard, coll. « Folio », 1991.
VM Duras, Marguerite. La Vie matérielle, Paris: P.O.L., 1987.
A Duras, Marguerite. L’Amant, Paris: Les Éditions de Minuit, 1984.
B Duras, Marguerite. Un barrage contre le Pacifique, Paris: Gallimard, coll. « Folio », 1950.
T Jurquet, Béatrice de. La Traversée des lignes, Belval: Circé, 1997.
J Mainguy, Colette. La Juive, Paris: Stock, 2001.
R Nimier, Marie. La Reine du silence, Paris: Gallimard, 2004.
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Introduction: Trauma, écriture et récit d’enfance

Si, comme j’en ai le sentiment, à divers signes — le besoin de revenir sur les lignes écrites, l’impossibilité d’entreprendre autre chose —, je suis en train de commencer un livre, j’ai pris le risque d’avoir tout révélé d’emblée. Mais rien ne l’est, que le fait brut. Cette scène figée depuis des années, je veux la faire bouger pour lui enlever son caractère sacré d’icône à l’intérieur de moi.

Annie Ernaux1

Si nous avons choisi de placer en épigraphe une citation d’Annie Ernaux extraite de La Honte pour commencer cet ouvrage c’est parce qu’elle illustre bien le travail mené sur soi dans ces écritures contemporaines qui se veulent être l’instrument, sous une forme structurée et créative, de la libération d’une blessure physique et psychique, un exutoire par lequel l’écrivain ou l’écrivaine agit sur sa vie en reprenant le contrôle sur ses ressentis et ses émotions. En effet, ces quelques mots d’Annie Ernaux2 expriment avec force l’importance que certains auteurs accordent à « faire bouger » la scène ou l’événement traumatogène qui a menacé leur mécanisme de défense psychique dans l’enfance. « Prendre le risque » de révéler l’indicible, expliciter ses émotions, une image ou des anecdotes répétitives, s’emparer d’une obsession ou d’une angoisse, lever un refoulement, dépasser une situation de vide psychique sont autant d’actions mises en marche par le sujet traumatisé pour ←1 | 2→élaborer et créer des liens entre l’expérience traumatique, son histoire personnelle présente et son passé effacé.

« Blessures » et « enfance » sont deux termes que l’on aimerait ne jamais réunir et qui pourtant depuis des siècles ne cessent de faire couler de l’encre sur le papier et des larmes sur les oreillers. On y entend bien sûr le vécu d’une expérience toujours négative. On pense en premier lieu à la souffrance physique d’une plaie. Ces « bobos » ou accidents (coupure, écorchure, égratignure, déchirure, fracture), qui sont plus ou moins douloureux, jalonnent nos apprentissages de l’enfance et marquent notre passé corporel. Il faut dire que si du Ier au XIIe siècle, « bleffure » du latin vulnere, signifiait dans les dictionnaires, contes et fabliaux, une lésion physique, une plaie produite par un coup, au XVIe siècle, on observe un autre sens plus métaphorique celui-là: « blessure de l’amour-propre ». Le sens se déplace de corps endommagé à une atteinte à la personne, à l’amour de soi. Ce n’est qu’avec l’avènement de la psychanalyse que « blessures d’enfance » charrie une douleur plus émotionnelle et psychique. Ces termes renvoient au rejet ou à l’abandon (enfant non désiré), à la honte, à l’injustice (non-respect des droits de l’enfance), à la tristesse de la perte, à l’impuissance, à la détresse et à la vulnérabilité. Or pour parler des blessures physiques ou psychiques, on se référait autrefois au terme de « traumatisme », puis plus récemment à celui de « trauma » qui en grec (τραύμα) signifie également « blessure ». En effet, médicalement parlant, un traumatisme est une lésion physique produite par un agent extérieur. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre le terme de « traumatisme » dans les établissements médicaux lorsqu’il s’agit de décrire un dommage causé à la structure ou au fonctionnement du corps (brûlures, fractures, contusions, traumatismes crâniens) ou de blessures morales (traumatismes psychiques). Si les termes « trauma » et « traumatisme » sont synonymes dans le milieu médical, il reste qu’ils sont distincts dans le monde de la psychanalyse. C’est avec les découvertes du neurologue et psychiatre Sigmund Freud que le trauma, explique Cathy Caruth, « est compris comme une blessure infligée à l’esprit et non au corps ».3

D’emblée, nous aimerions souligner la distinction entre « traumatisme » et « trauma » proposée par plusieurs chercheurs de façon à mieux cerner les différences entre ces deux termes souvent mal utilisés. Selon Rousseau-Dujardin le « traumatisme s’applique à l’événement extérieur qui frappe le sujet, trauma à l’effet produit par cet événement chez le sujet, et plus spécifiquement dans le domaine psychique ».4 Quant à Bokanowski, il considère que le terme « traumatisme se réfère au sexuel et, de ce fait, était intimement lié », à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, à la théorie de la séduction de Freud.5 Selon lui, c’est un terme générique qui désigne « la représentation, tant figurable que symbolisable, de l’événement et de ses répercussions sur l’organisation fantasmatique du sujet au regard ←2 | 3→de la sexualité infantile qui l’anime (organisation des fantasmes originaires) ».6 En ce sens, pour le psychanalyste, le traumatisme est considéré comme une valeur positive et organisatrice pour le psychisme du sujet. En revanche, le trauma vient à désigner « l’action négative et désorganisatrice du “traumatisme”»7 puisqu’il peut provoquer des « blessures précoces faites au moi »8 et entraîner à long terme une blessure narcissique grave, une déchirure du moi. En 2014, Louis Crocq définit le traumatisme psychique ou trauma de la façon suivante:

Un phénomène d’effraction du psychisme, et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur.9

Il nous a semblé important de nous attarder sur cette distinction puisque nous allons, tout au long de notre ouvrage, utiliser le terme de trauma. Il regroupe selon nous plusieurs points soulignés ci-dessus par les chercheurs, à savoir un choc brutal psychique chez le sujet qui crée une déchirure du moi ainsi qu’un « débordement des défenses » provoquant des symptômes et des syndromes. Le trauma s’avère être la résonance dévastatrice et négative sur le moi au point que les systèmes de défense du sujet en sont perturbés et renforcés. De plus, dans la définition de Crocq, il ressort de cela que le sujet n’est plus seulement la victime, mais aussi l’acteur ou le témoin de l’événement traumatique. Pour les besoins de notre étude, nous nous intéresserons aux écrivaines qui ont été victimes et/ou témoins d’un « événement agressant ou menaçant » devenu un souvenir persistant et qui agit sur leur vie psychique.

Cela étant dit, avant de traiter les formes narratives, discursives et énonciatives de cette expression persistante du trauma d’enfance dans les textes littéraires, il importe de revenir aux différentes périodes du développement du concept du trauma et de rendre compte de ses avancées. Il faut dire que d’importants événements violents de masse ont changé la teneur et l’ampleur du trauma dans notre société depuis la fin du XIXe siècle: les accidents ferroviaires, miniers ou industriels, les Première et Seconde Guerres mondiales, les génocides10, les univers concentrationnaires, les catastrophes naturelles, les accidents modernes collectifs11, les attaques terroristes et les prises d’otages ou encore les violences sociétale ou sportive (émeutes, soulèvements, hooliganisme, entre autres). Exposé de plus en plus à la violence, l’homme doit réagir et trouver des réponses scientifiques sur la façon de porter secours aux victimes et survivants de trauma. Les pages qui suivent ne prétendent pas être un parcours exhaustif sur les divers travaux effectués au fil du temps sur le trauma. Il serait vain, en effet, de reprendre toutes les théories tant elles varient suivant l’époque et le lieu où elles sont été élaborées (Amérique du ←3 | 4→Nord ou Europe, entre autres). Pourtant, il est utile de revenir sur certains aspects fondamentaux et sur quelques symptômes, car ils permettent de comprendre le fonctionnement des textes littéraires que nous analyserons dans les chapitres suivants. Par ailleurs, des précisions théoriques sur chaque trauma (la maltraitance, l’inceste et le deuil) seront affinées et développées dans les préliminaires proposés au début de chaque grande partie.

Le trauma: historique et regards sur les études contemporaines

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les accidents de chemin de fer, d’usine ou de la construction sont fréquents et beaucoup de survivants présentent des troubles qui restent énigmatiques pour les médecins ou les chirurgiens de l’époque. C’est dans l’hôpital de la Charité à Berlin qu’Hermann Oppenheim, un jeune psychiatre allemand, observe de nombreux patients victimes d’un accident de travail et finit par découvrir qu’ils sont sous l’effet d’une névrose traumatique, terme qu’il crée et définit en 1888 dans Die Traumatischen Neurosen (les névroses traumatiques).12 Dans ce texte, il explique que les victimes subissent des troubles: souvenir répétitif de l’accident, cauchemars, manque de sommeil, phobie du chemin de fer. C’est dans ce contexte d’intense réflexion sur l’état psychique des patients que se font connaître les théories de Pierre Janet, neurologue et psychologue français, sur le subconscient et celles de Sigmund Freud sur l’inconscient; ils vont être à l’origine des premières constructions véritablement psychologiques du psychisme humain »13 à travers leurs travaux sur l’hystérie.

En 1895, dans le chapitre IV de l’ouvrage Études sur l’hystérie, intitulé « Psychothérapie de l’hystérie », Freud développe les fondations théoriques d’une nouvelle discipline: la psychanalyse, elle-même dérivée de la méthode « cathartique » — ou méthode d’abréaction des affects — inventée par Breuer et mise en pratique de 1880 à 1895.14 Dans ce chapitre, Freud explique qu’il s’est tourné vers la technique dite des associations libres après avoir essayé les techniques de l’hypnose et de la suggestion pour l’approche cathartique. Freud décrit la technique de la libre association de la façon suivante:

J’informe mon malade que je vais, dans l’instant qui suivra, exercer une pression sur son front et lui assure que, pendant tout le temps que durera cette pression, un souvenir surgira en lui sous forme d’une image ou bien qu’une idée se présentera à son esprit. Je lui enjoins de me faire part de cette image ou de cette idée, quelles qu’elles puissent être. Il ne doit pas les taire, même s’il pense qu’elles n’ont aucun rapport avec ce qu’on recherche, qu’il ne s’agit pas de cela ou encore s’il les trouve désagréables à révéler. ←4 | 5→Aucune critique, aucune réserve ne sont admises même pour des raisons d’affect ou de mésestimation. C’est de cette façon seulement que nous parviendrions immanquablement à trouver ce que nous recherchons.15

Freud découvre alors que le psychanalyste peut atténuer les symptômes de l’hystérie lorsque le patient finit par faire resurgir le souvenir traumatique refoulé et le mettre en mots.

Dans le milieu des années 1890, Janet, en France, et Freud (soutenu par Joseph Breuer), à Vienne, arrivent indépendamment à la même conclusion: l’hystérie féminine est un état mental causé par un trauma psychologique.16 Ce n’est qu’en 1896 que Freud en découvre la source: l’hystérie serait la conséquence d’un abus sexuel subi pendant l’enfance. Le 21 avril 1896, il présente, devant ses collègues de la Société de psychiatrie et de neurologie de Vienne, une communication intitulée « L’étiologie de l’hystérie », dans laquelle il développe sa théorie, à savoir que l’origine de l’état mental de l’hystérie se trouvait dans les premiers traumatismes sexuels. C’est le début de ses recherches sur la théorie de la séduction. Freud est forcé d’abandonner officieusement cette hypothèse au bout d’une année de recherche devant le nombre croissant de cas d’hystéries parmi les femmes du prolétariat de Paris — ces premiers cas de l’étude sur l’hystérie —, mais aussi de la société bourgeoise de Vienne, ville où il avait installé son cabinet de consultation. Reconnaître ouvertement cette théorie aurait été socialement impensable. Si les histoires d’agressions sexuelles sur mineurs étaient vraies dans le prolétariat, cela revenait à dire qu’elles l’étaient aussi dans le milieu bourgeois. Or en ce début de XIXe siècle, l’idée est tout simplement inacceptable. Toutefois, dans le chapitre intitulé « L’étiologie de l’hystérie » de son ouvrage Le Réel escamoté (1984), Jeffrey Moussaieff Masson revient en détail sur les circonstances du renoncement de Freud. Masson remarque que dans une lettre adressée à son ami Fliess, Freud rapporte que ses découvertes reçurent un accueil glacial de la part de ses pairs.17 Ses collègues résistent à ces nouvelles idées et considèrent les traumatismes évoqués par les patientes de Freud, comme de simples fantasmes de femmes hystériques qui inventent des histoires. Freud insistant, ils finissent par s’éloigner au point de le mettre en quarantaine. En 1905, Freud finit par « rétracter son point de vue sur l’étiologie de l’hystérie, à savoir sa conviction que c’étaient des traumatismes [sexuels] extérieurs et réels qui étaient au cœur de la névrose ».18

Freud se penche à nouveau sur la question du trauma suite à la Première Guerre mondiale. Dans la deuxième partie de son essai de 1920, Au-delà du principe de plaisir, le psychanalyste explique qu’à « la suite de graves commotions mécaniques, de catastrophes de chemin de fer et d’autres accidents impliquant un danger pour la vie, on voit survenir un état qui a été décrit depuis longtemps sous le nom de “névrose traumatique”. La terrible guerre, qui vient de prendre fin, a engendré un ←5 | 6→grand nombre d’affections de ce genre ».19 Plus loin, il s’attarde sur ces névroses et observe que les soldats (et autres patients ayant subi un trauma) tendent à réactiver leur trauma dans leurs rêves par une compulsion à la répétition:

Les rêves des malades atteints de névrose traumatique sont caractérisés par le fait que le sujet se trouve constamment ramené à la situation constituée par l’accident et se réveille chaque fois avec une nouvelle frayeur. […] On y voit une preuve de l’intensité de l’impression produite par l’accident traumatique, cette impression, dit-on, ayant été tellement forte qu’elle revient au malade même pendant son sommeil. Il y aurait, pour ainsi dire, fixation psychique du malade au traumatisme.20

À cet égard, le symptôme des rêves récurrents de l’événement ne sera jamais contesté et fera partie, des années plus tard, de la définition de l’état de stress post-traumatique.

En ce début de XXe siècle, Freud n’est pas le seul à examiner les cas des vétérans de guerre. D’autres avant lui, comme le psychologue anglais Charles Myers, ont découvert que les soldats souffraient de « shell shock » ou « psychose traumatique du soldat », encore appelé « obusite » qui était un syndrome commotionnel. Au début de la Première Guerre mondiale, le psychologue anglais Charles Myers a quarante ans et est un psychologue renommé en Angleterre. En 1914, conscient du rôle qu’il peut jouer, il se porte volontaire dans la Royal Army Medical Corp pour aller traiter les soldats anglais qui se battent sur le front en France. Sur place, il est témoin de la grande souffrance des hommes et il observe les premiers cas de shell shock, un trouble psychologique ressenti par des soldats nullement touchés physiquement par les bombes, mais par l’effet répété des bombardements autour d’eux. Il publie ses recherches dans The Lancet en février 1915.21 D’autres médecins sont intrigués par le comportement des soldats et plusieurs sont à la poursuite de la cure. En 1916, Richard Rows, un psychologue freudien, utilise la technique de l’analyse des rêves et des cauchemars. En invitant le patient à narrer ses mauvais rêves et à ressentir des émotions, Rows a permis à ses patients de se libérer de leur trauma. En 1917, W. H. R. Rivers, un professeur de neurophysiologie, prononce un discours devant la Section de psychiatrie de la Royal British Society of Medicine dans lequel il déclare que les soldats doivent se rappeler leur trauma et non pas l’oublier. Suite à ce discours, un article paraît en 1918 sous le titre « On the Repression of War Experience ». Rivers encouragera toujours ses patients, des soldats rentrés du front, à écrire ou à raconter les atrocités de la guerre. Son traitement est un succès22; la cure par le récit fait ses preuves.

Dans les années 1920 et 1930, les recherches cliniques sur les traumas s’enrichissent des découvertes de Sándor Ferenczi, qui depuis le début du siècle, a la réputation de recevoir les cas de patients les plus difficiles. Si Freud s’est penché sur ←6 | 7→l’aspect analytique du trauma, Ferenczi va pousser ses études vers l’aspect thérapeutique de l’analyse. Selon le psychanalyste hongrois, si une cure ne semble pas aider le patient, ce n’est pas le patient qui est inanalysable, mais l’approche thérapeutique qui doit s’adapter aux besoins de celui-ci. Durant ses analyses, il écrit des notes et tient un Journal clinique de janvier à octobre 1932. En 1934, les « Réflexions sur le traumatisme » sont publiées dans la revue internationale Zeitschrift für Psychoanalyse à titre posthume. Cinq de ses notes y sont regroupées. Dans la première intitulée « de la psychologie de la commotion psychique », Ferenczi décrit le trauma comme « un choc » qui est « équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre ».23 Ferenczi pousse la réflexion enclenchée durant la Première Guerre mondiale en s’intéressant davantage à la question du temps lorsqu’il s’agit de trauma. Les psychiatres comme Rowes et Rivers, entre autres, ont compris qu’il était impératif d’écouter et de donner la parole aux soldats assez vite pour éviter une trop grande fragmentation du moi au moment du choc et amener le patient à se replonger dans sa souffrance. Or Ferenczi note que s’il existe une personne « secourable (compréhensive et prête à aider) », il peut y avoir une « atténuation de la peine » et que si une « aide suggestive » est prodiguée au moment où l’énergie est paralysée en secouant le patient, en prononçant des paroles stimulantes, alors « il s’ensuit le sentiment de forces accrues ou d’une moindre faiblesse de la « “capacité de pensée et d’actionˮ ».24 Cela dit, cette personne qualifiée, un médecin ou un psychiatre, doit apporter « de la tendresse et de l’amour passionnés (et seulement une empathie véritable, non simulée) »25; cependant, il ajoute que cette méthode a ses limites et ne garantit pas un chemin vers la guérison. Pourtant, Ferenczi est un des premiers à promouvoir la compassion, à établir une « atmosphère amicale » avec le patient qui lui permet ainsi de

projeter les traumas dans le passé et de les raconter comme souvenirs. Le contraste avec l’environnement de la situation traumatique, donc la sympathie, la confiance — réciproque — doivent être établies, avant que ne soit mise en place une attitude nouvelle: la remémoration au lieu de la répétition.26

En fait, Ferenczi bâtit les premières pierres d’une réflexion sur la nécessité de la délivrance de la parole par une tierce personne qui deviendra, des décennies plus tard, l’approche thérapeutique de l’urgence en France avec les naissances du Service d’aide médicale urgente (SAMU) en 1993, fondé par le docteur Xavier Emmanuelli, et du réseau des Cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), fondée par le docteur Louis Crocq.

Suite à la Deuxième Guerre mondiale et à la guerre du Vietnam, les recherches sur le trauma s’intensifient au point que dès 1970, on voit la naissance d’une ←7 | 8→organisation appelée « Vietnam Veterans Against the War ». Avec l’aide de deux psychiatres, Robert Jay Lifton et Chaim Shatan, l’association organise des rencontres, désignées sous le nom de « rap groups », durant lesquelles chacun redonne ses médailles et offre au public le témoignage de ses crimes de guerre. Vers le milieu des années 1970, on compte ces groupes par centaines et la pression politique exercée par ces organisations de vétérans est telle qu’elle conduit à la création d’un programme gouvernemental de traitement psychologique pour les soldats.27

L’année 1980 marque un tournant dans la reconnaissance clinique des névroses traumatiques. Cette année-là, l’Association américaine de psychiatrie reconnaît officiellement ces névroses et les ajoute dans la troisième édition de son Manuel des diagnostics et des statistiques des troubles mentaux (DSM-III) sous le nom d’État de stress post-traumatique (ESPT).28 La nouvelle définition de ce diagnostic inclut les symptômes autrefois appelés « shell shock, stress du combat, syndrome de stress différé, névrose traumatique » et se réfère aux réactions psychologiques manifestes d’un individu face à une catastrophe humaine ou naturelle.29

Les études sur le trauma se sont poursuivies parallèlement aux revendications des vétérans, mais c’est l’action d’un autre mouvement sociopolitique qui est venu bouleverser et changer radicalement les données sur le trauma: le mouvement féministe américain des années 1970–1980. Durant cette période, des psychiatres et théoriciennes féministes américaines, comme Judith Herman et Laura Brown, contestent la définition de l’État de stress post-traumatique du DSM-III qui, selon elles, n’est pas satisfaisant et ne tient aucunement compte des traumas secrets et privés. Cette définition doit être reformulée et axée davantage sur les abus sexuels et les violences faites aux femmes et aux enfants. Judith Herman s’étonne du manque de critères qui établissent le diagnostic de ce trouble. Elle considère que la définition du DSM-III « ne parvient pas à capturer les manifestations symptomatiques protéennes d’un traumatisme prolongé et répété, ni les profondes déformations de la personnalité qui se produisent en captivité ».30 Pour pallier cette carence, il faudrait, selon Herman, proposer sept nouveaux critères qui se regrouperaient sous le nom de « Complex Post-Traumatic Stress Disorder » et qui iraient plus loin que ceux de l’état de stress post-traumatique.31

À l’instar de Judith Herman, Laura S. Brown, psychologue clinicienne américaine, note que la définition du DSM-III n’incorpore pas les traumas privés, répétitifs et continuels. Elle s’attaque à la définition de la névrose traumatique qui se lit comme suit: « La personne a vécu un événement hors du champ de l’expérience humaine ».32 Selon Brown, cette formulation, qui définit les conditions nécessaires et suffisantes pour établir le diagnostic d’un événement traumatique par le clinicien, n’englobe pas les traumas insidieux comme l’inceste ou la violence domestique répétée. Pour la psychologue clinique, la définition du DSM-III repose sur ←8 | 9→une conception de « ce qui est normal et habituel dans la vie des hommes de la classe dominante: hommes blancs, jeunes, valides, instruits, de la classe moyenne, chrétiens. Le traumatisme est donc ce qui perturbe ces vies humaines particulières, mais aucune autre ».33 Brown s’oppose à cette notion et proclame que l’inceste, le viol, la maltraitance et tout autre acte violent ou à caractère sexuel à l’égard des femmes et des enfants sont des événements qui ne sont pas « inhabituel, statistiquement; ils sont tous à la portée de l’expérience humaine ».34 De plus, Brown maintient que les filles et les femmes s’accoutument à l’idée qu’elles peuvent être victimes d’agression sexuelle puisque les statistiques prouvent qu’elles sont souvent violées dans le secret du cercle familial, par un petit ami peu scrupuleux ou encore dans le cabinet d’un médecin.35 D’après elle, cette violence intime arrive généralement dans un espace privé, et témoigne d’une dimension collective puisqu’elle s’applique à toutes les femmes, toutes ethnies et tous milieux sociaux confondus. Dans la même perspective, Susan Brison rejoint le propos de Brown en soutenant que l’abus sexuel, « par opposition à la violence collective, peut être considéré à la place comme une violence à l’égard des femmes motivée par le genre, qui est perpétrée contre les femmes collectivement, bien que pas en même temps et au même endroit ».36

La définition de l’état de stress post-traumatique a fait l’objet de tant de discussions et de contestations de la part de ces spécialistes que sa définition a été enfin élargie en 1994 pour inclure des traumas tels le viol, l’inceste ou la violence familiale.37 Cette nouvelle définition englobe toutes sortes de traumas (humains ou naturels38) et insiste sur le fait que l’événement traumatique est ressenti à nouveau sous la forme de souvenirs persistants, de rêves pénibles et récurrents, d’illusions, d’hallucinations, et d’épisodes de flashback.39 Laura Brown se félicite de cette avancée, mais regrette que la révision du DSM-IV échoue à proposer un diagnostic qui décrit « les effets de l’exposition à la violence interpersonnelle répétitive et à la victimisation ».40 Cette dernière définition reste quelque peu problématique pour Caruth. S’il est incontestable que l’ESPT est une blessure faite à l’âme qui n’est pas consciente jusqu’à ce qu’elle s’impose à nouveau, de façon répétée sous la forme de phobies, de comportements répétitifs ou de cauchemars vécus par la victime, Caruth soutient que la pathologie de l’ESPT « ne peut être définie ni par l’événement lui-même […] ni par une distorsion de l’événement ».41 La spécificité de l’ESPT réside « uniquement dans la structure de son expérience ou de sa réception: l’événement n’est pas assimilé ou pleinement vécu à ce moment-là, mais seulement tardivement, dans la possession répétée de celui qui en fait l’expérience. Être traumatisé, c’est précisément être possédé par une image ou un événement ».42 Autrement dit, selon Caruth, l’événement traumatique n’est pas assimilé au moment où il se produit, car la menace est intégrée par la psyché un moment ←9 | 10→trop tard.43 Ce n’est pas tant la violence de l’événement traumatique qui perturbe la victime, mais son souvenir envahissant. La victime ne reconstruit l’événement pour mieux le comprendre et le percevoir qu’après des heures, des semaines, des mois, voire des années.

Nous partageons le point de vue de Caruth sur la reviviscence intrusive — diurne ou nocturne — de l’événement, mais nous aimerions revenir sur la notion de « pas pleinement vécu sur le moment, mais tardivement » qu’il nous semble nécessaire de nuancer ici. Beaucoup de victimes sont incapables de se souvenir de l’événement dramatique qui les a traumatisées. En revanche, pour d’autres, l’événement a été reconnu, visualisé ou ressenti sur le moment même où il se produisait. Ces sujets vivent réellement l’événement traumatique, c’est-à-dire qu’ils le perçoivent directement et concrètement. Or dans ces cas, ce qui n’a pas été intégré ou surmonté, c’est l’impact psychique du trauma sur leur personne. Prenons quelques exemples littéraires pour montrer ces réactions concrètes au moment du drame. Apprenant la mort subite de ses parents, Anny Duperey raconte, dans Le voile noir: « Je n’ai pas fui, je n’ai rien éprouvé de très violent, juste un tout petit choc ».44 Marie Nimier, qui n’a que cinq ans lorsque son père décède tragiquement dans un accident de voiture, ressent physiquement l’annonce de sa mort:

J’avais l’impression de flotter, les bras surtout, ils étaient légers, légers, et si mes jambes m’entraînaient vers le bas, le haut de mon corps semblait retenu par une main qui m’appelait vers le ciel, mes poumons s’ouvraient, ma nuque s’allongeait, je n’étais plus cette petite fille un peu lourde que tout le monde traitait comme un bébé […]. Je n’aurais pas pu exprimer cela avec des mots, bien sûr, mais je garde la sensation très forte de cette chute qui ressemblait à un envol, et du bouleversement qu’elle provoqua dans mon ventre.45

Dans La Honte, Annie Ernaux est tout à fait capable de mentionner le jour (le 15 juin 1952) et le moment (l’après-midi) de son drame (son père tente de tuer sa mère).46 Les auteures font l’expérience de l’événement sur le moment; toutefois, ce qu’elles n’ont pas dominé, c’est l’après-coup et les conséquences des dommages faits à leur corps et à leur psyché. En fait, ces réactions immédiates s’expliquent selon les recherches de Louis Crocq. Le psychiatre propose qu’il existe plusieurs degrés de réaction face à un trauma. Se basant sur les expériences des vétérans de guerre, le psychiatre des armées distingue la réaction immédiate (sur le moment même), post-immédiate (premiers jours, voire première semaine après l’événement traumatique) de la pathologie différée et chronique qui par une durée de temps de latence constant plonge la victime dans une névrose traumatique. La réaction immédiate de stress normal est un signal d’alarme « bio-physiologique et psychologique, normale et transitoire, de l’organisme à toute menace ou agression ».47 Crocq ajoute que

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par ses cinq sens, le sujet va prospecter l’environnement pour y chercher les données susceptibles de le renseigner sur la situation; dans cette activité de balayage, il va s’attarder sur les informations pertinentes, pour les retenir, et délaisser immédiatement le bruit de fond des informations non pertinentes.48

Voilà pourquoi chez certains sujets, le souvenir du trauma reste évasif ou au contraire regorge de détails. La pathologie post-immédiate se manifeste le lendemain, les jours ou les premières semaines qui suivent la phase de stress immédiatement ressenti après l’événement traumatique. Selon Crocq, elle comporte des réactions anxieuses, « des épisodes de distraction, de vécu d’étrangeté, par le surgissement d’une impression d’insécurité, et par la récurrence du souvenir de ce qui vient d’être vécu ».49 Enfin, il y a la période différée-chronique qui correspond à ce que l’on appelle la névrose traumatique. Elle se caractérise par « un syndrome de reviviscence, avec hallucinations, illusions, souvenirs forcés, vécus et agis comme si l’événement se reproduisait, cauchemars, jeu répétitif (chez l’enfant), le tout étant spontané ou provoqué par un stimulus qui évoque » l’événement traumatique.50

De nombreux autres travaux ont actualisé, nourri et enrichi les recherches sur le trauma. Depuis 1980, des psychiatres français des armées, Claude Barrois, Louis Crocq et François Lebigot ont développé une approche phénoménologique51 du trauma. Pour ces spécialistes, le trauma confronte le sujet au réel de la mort.52 N’étant pas préparé, le sujet traumatisé fait alors face à l’effroi et aux « pires fantasmes de destruction et de néantisation qui sommeillaient au fond de son inconscient ».53 Barrois s’est intéressé à la névrose traumatique de guerre et a publié en 1988 un ouvrage de référence dans lequel il décrit tous les troubles et les aspects historiques et cliniques de la névrose en alliant théories psychanalytiques et phénoménologiques.54

Notons que bon nombre de psychiatres français, comme les docteurs Barrois, Crocq et Lebigot, rejettent le terme de « stress » dans le terme d’État de stress post-traumatique proposé par les anglophones. Dans Les Névroses traumatiques, Claude Barrois crée l’appellation « État ou syndrome psychotraumatique » ou « syndrome psychotraumatique » pour parler de l’ESPT. De même, selon Crocq, il ne faut pas confondre stress et trauma puisqu’un stress est une « réaction bio-neuro-physiologique d’alarme, de mobilisation et de défense contre une agression » alors qu’un trauma est, lui, « un phénomène psychologique d’effraction des défenses psychiques, y compris la défense qui consiste à attribuer un sens à l’événement ».55 François Lebigot, quant à lui, préfère le terme de « névrose traumatique », reprenant ainsi le terme d’origine créé par Oppenheim.56 Selon ces chercheurs, le terme de « stress » ne rend pas compte de l’impact du trauma sur la personnalité du sujet. Pourtant, il est reconnu que le vocable diagnostique d’État de stress post-traumatique « a été adopté par l’ensemble de la communauté médicale du monde entier, ←11 | 12→laissant toutefois des lacunes et des imprécisions ».57 Dès lors, nous utiliserons ce terme dans cet ouvrage.

Nous aimerions ajouter que les études sur le trauma sont plus que jamais pertinentes du fait d’une actualité récente qui a remis en avant cette confrontation au « réel de la mort » à un niveau personnel et collectif. En France, par exemple, les fusillades et attentats-suicides à Paris, durant l’année 2015, ont profondément choqué la population. Santé publique France a d’ailleurs lancé en 2016 une vaste enquête de santé publique post-attentats baptisée « 13-Novembre » qui est toujours en cours.58 Cette enquête, composée d’études diverses, a fait suite aux attaques contre le journal satirique Charlie Hebdo, le Bataclan et les terrasses de cafés et restaurants parisiens et a pour but de documenter les effets psychologiques des attentats de 2015, non seulement sur la population dite « intervenante » (urgentistes, secouristes bénévoles, psychologues, forces de l’ordre et pompiers), mais aussi sur la population dite « civile » (proches et multiples témoins présents au moment des faits). Les résultats d’une des premières études sur la répercussion des attentats, qui se sont déroulés du 7 au 9 janvier 2015 (contre le journal satirique Charlie Hebdo, le supermarché Hyper Casher, entre autres), montrent que c’est le premier cercle autour des victimes (proches, intervenants, blessés) qui a le plus été touché par un ESPT:

18% d’ESPT et 20% de troubles dépressifs ou anxieux sans ESPT ont été observés en population civile. […] Parmi les personnes souffrant d’ESPT. 47% n’avaient pas été directement menacées. Soit elles avaient été témoins des faits sur les lieux soit, étant proches des victimes, elles ont été endeuillées ou affectées par les séquelles des survivants (respectivement 12% et 36%). Chez les témoins à proximité, la souffrance psychique s’exprimait par des troubles anxieux ou une dépression (31%), qui est comparable aux études post 11 septembre 2001 menées à New York.59

Résumé des informations

Pages
XIV, 286
Année
2020
ISBN (PDF)
9781433172397
ISBN (ePUB)
9781433172403
ISBN (MOBI)
9781433172410
ISBN (Relié)
9781433172380
DOI
10.3726/b15951
Langue
français
Date de parution
2020 (Mars)
Published
New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Oxford, Wien, 2020. XIV, 286 p., 1 ill. n/b

Notes biographiques

Valérie Dusaillant-Fernandes (Auteur)

Valérie Dusaillant-Fernandes est titulaire d’un doctorat en études françaises de l’Université de Toronto. Elle est professeure adjointe en littératures française et francophone des XXe et XXIe siècles, Université de Waterloo, Canada. Elle a codirigé un ouvrage collectif intitulé La répétition dans les textes littéraires du Moyen Âge à nos jours (Peter Lang).

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Titre: Écrire les blessures de l’enfance
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