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L’image du Soi

Fichte – Feuerbach – Althusser

de Luc Vincenti (Auteur)
©2021 Monographies 158 Pages

Résumé

Ce livre sur l’identité personnelle se distingue des recherches contemporaines par la présentation des racines de la conscience de soi dans les philosophies modernes de la réflexion et de la subjectivité. Le Soi, comme acte réflexif, est rapproché de l’image laquelle est constituée par le rapport entre ses éléments. Définir la conscience de soi en termes d’image conduit vers la philosophie tardive de Fichte, mais aussi vers Feuerbach qui définit l’essence humaine comme projection d’une image, et vers Althusser reprenant le redoublement spéculaire dans sa critique de l’idéologie. La filiation des trois auteurs n’a jamais été étudiée, on la trouve entre autres dans le dépassement de l’individu ou la dimension universelle de la conscience de soi. Ce parcours permet ainsi de comprendre comment par la défense de l’humanisme pratique et l’inévitable part de l’imaginaire idéologique dans l’engagement social, Althusser rejoint Fichte en refusant la réification de l’idéal au profit d’un dynamisme expliquant et enveloppant l’action morale et politique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • 1. Le Soi et l’image
  • 2. Trois auteurs   
  • Chapitre 1. La construction du Moi chez Fichte
  • Introduction. La confusion initiale
  • 1. Moi pur, Moi empirique, intuition intellectuelle
  • 1.1. La Thathandlung comme Moi : le premier principe de 1794
  • 1.2. Le Moi empirique
  • 1.3. Moi pur et conscience de Soi en 1798 : l’intuition intellectuelle
  • 2. L’éthique, Moi idéal et Moi individuel
  • 2.1. Unité du Moi et raison pratique. Une quatrième figure du Moi : le Moi idéal
  • 2.2. Le Moi individuel et l’universel de la raison
  • 2.3. Déduction de l’individu et dynamisme de la raison
  • 3. Abandon, mysticisme et vie individuelle
  • Chapitre 2. Feuerbach
  • 1. Fichte dans Feuerbach
  • 1.1. La conscience de soi, savoir universel
  • 1.2. Le genre comme idéal moral
  • 1.3. Rôle de l’intersubjectivité
  • 1.4. L’universel et la mort de l’individu
  • 2. La critique de la religion. Conscience de Soi et aliénation
  • 2.1. La conscience de soi et l’essence humaine
  • 2.2. L’aliénation religieuse
  • 2.3. Critique philosophique, dépassement de l’aliénation et religion du genre
  • 3. De Feurbach vers Althusser. La théorie feuerbachienne de l’image
  • 3.1. L’automanifestation de l’image divine
  • 3.2. La Trinité et la construction des consciences de soi
  • 3.3. La source imaginaire
  • Chapitre 3. La fabrication du sujet chez Althusser
  • 1. L’idéologie de Feuerbach à Althusser
  • 1.1. De Feuerbach à Marx
  • 1.2. De Marx à Althusser
  • 1.3. L’idéologie d’Althusser
  • 2. L’idéologie interpelle les individus en sujets
  • 2.1. Comment ça marche ? De l’individu au sujet
  • 2.2. L’interpellation
  • 2.3. L’effet stabilisateur de l’idéologie
  • 3. La querelle de l’humanisme et la fin de l’homme
  • Conclusion
  • Annexe au chapitre 1 Schéma de la 2e partie de la Doctrine de la science Nova methodo

Introduction

1.  Le Soi et l’image

Le Soi

La première partie du titre – l’image du Soi – évoque de nombreux échos en philosophie contemporaine. Il ne sera pourtant pas question ici des recherches anglo-saxonnes menées depuis le milieu du siècle dernier1. L’orientation de cet essai est différente, ne pensant pas le Soi sur le mode de la permanence de chose, et ne supposant donc pas un quelque chose auquel se rapporter. Il s’agit ici de privilégier « l’ipséité » sur la « mêmeté », pour reprendre la distinction de P. Ricœur2 : « L’identité au sens d’ipse n’implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant de la personnalité »3. Entre la réflexivité de l’ipse et la mêmeté de la chose, je chercherai le Soi du côté de l’acte réflexif, distinct de la chose comme le cogito peut l’être de la substance pensante.

Il faut souligner que cette distinction, entre chose et acte, ne se situe pas entre une permanence physique et une activité mentale : la permanence de la substance peut concerner aussi bien un corps qu’une âme, et c’est la substance, aussi bien physique que spirituelle, qui est opposée à l’acte. Dans le domaine de l’esprit, la mêmeté est représentée par la permanence d’une identité intemporelle, âme ou personnalité, alors que pour l’acte il faut penser à un dynamisme, un mouvement.←9 | 10→

Ce mouvement est ici le retour sur soi de la réflexion, et c’est ce retour sur Soi qui constitue le Soi. Le Soi se définit donc comme un acte, et l’on peut remplacer la définition par le défini au sens où c’est par l’acte de se viser qu’un individu se produit comme Soi. Le Soi n’est pas autre chose ici que la production de soi par l’acte se visant ou faisant référence à lui-même, car il s’agit de ce qui ne peut faire retour que sur son acte : le sujet de l’acte qui se vise ne peut que viser cet acte.

La réflexion est-elle vide pour autant ? S’en trouve-t-elle condamnée à viser en dehors de son acte un support effectuant cet acte, à l’instar du pronom « je » dont la vacuité nous convie à rechercher l’antécédent ? La question du Soi deviendrait alors celle du pronom « je », étudiée de Wittgenstein à Anscombe en passant par Jakobson. Mais rabattre la question du Soi sur l’usage du pronom personnel présuppose admise la vacuité de la réflexion. Cette thématique a fait époque dans l’histoire de la philosophie, entre philosophie moderne et philosophie contemporaine. Est-il si nécessaire de prendre le parti de Hegel ou du Kant de la Critique de la raison pure, contre celui de Descartes ou de Fichte ? Pour Kant, l’intuition intellectuelle, comprise comme conscience de Soi constituant son propre objet, reste vide : « la pure conscience de Soi et à la vérité prise seulement suivant la forme de la pensée, sans matière, par suite sans que la réflexion qu’on y porte ait quelque chose à quoi elle puisse être appliquée, et sans que l’on puisse sortir de la logique, fait une impression étonnante sur le lecteur »4. Ce que Kant reproche ici à la réflexion est de prétendre constituer son propre objet, et ainsi de se constituer elle-même. Curieusement, Hegel, que l’on peut à bon droit considérer comme un penseur de l’acte contre la chose5, condamne aussi la vanité de la réflexion6. Mais il s’agit alors de la réflexion subjective du penseur revenant d’abord en lui-même par et pour lui-même. Précisément notre problématique conserve la réflexion individuelle et la primauté de son ←10 | 11→acte, quitte à défendre cette primauté en voyant dans l’acte réflexif ce qui rapporte l’individu à l’universel : vérité ou communauté.

Cette primauté de l’acte, récusant toute subordination au contenu substantiel de la chose, trouve des points d’appui dans les études modernes et contemporaines de l’image.

L’image

Le rapprochement du Soi et de l’image veut dire que le Soi peut avoir une image, et que l’image en général peut se prêter ainsi à refléter le Soi. Mais pourquoi ? Non pas du tout parce que le Soi serait un modèle à reproduire : l’accusation de vacuité semble lui interdire cela. C’est plutôt par sa prétention à se constituer soi-même que le Soi se rapproche de l’image en général. L’image, tout comme le Soi, désigne elle aussi une dynamique avant de représenter une chose, et cette dynamique première n’est pas seulement celle par laquelle toute image est image de quelque chose, mais elle est aussi celle qui constitue intrinsèquement l’image comme telle. Par-là l’image n’est pas seulement signe, pur mouvement vers un autre. L’image se distingue de la chose parce qu’elle renvoie à une autre chose, mais elle se distingue aussi du signe linguistique car sa structure de renvoi constitue spécifiquement l’image, et ne s’efface pas quand le signifié est atteint. Ce qui nous intéresse ici est moins la distinction entre signe, symbole ou indice, avec encore une fois variation selon auteur, d’Aristote aux linguistes en passant par Peirce7 ; c’est ce qui constitue l’image comme telle dans l’image : ce qui fait que l’on voit de suite qu’il s’agit d’une image et non pas d’une chose. Cette caractéristique tient à l’image elle-même, à sa constitution interne. Comment l’image comme telle est-elle structurée, ou plutôt : comment l’image se structure-t-elle ? Il y a une grammaire de l’image qui est grammaire de l’autoconstitution de l’image.

Dès lors, l’image n’est plus essentiellement ce qui doit nous guider vers un autre qu’elle. Ou plutôt, si l’image doit nous guider vers un autre, c’est d’abord parce qu’elle se montre elle-même comme image par sa constitution interne, au lieu de se borner à nous montrer l’autre, ou à n’être qu’une copie, pouvant reprendre plus ou moins la constitution ←11 | 12→matérielle de la chose, sans en être pour autant une partie ni un double. Le symbole est ici du côté de l’image, plus que le signe ou l’indice. Le symbole reproduit, par analogie, la structure de la chose ; il illustre, par le rapport interne de ses éléments, la dynamique autoconstituante de l’image.

Ce point s’éclaircit avec la distinction entre signe et symbole, distinction qui pourrait reprendre la définition kantienne du symbole dans le § 59 de la Critique de la faculté de juger. Kant illustre parfaitement ici que le symbole correspond à la représentation de la forme, la mise en forme, la structure ou la règle permettant de composer une image. Ici encore il faut prêter attention à la terminologie de chaque auteur et distinguer chez Kant l’image, le schème et le symbole. Pour Kant l’image, telle que distinguée du schème dans le chapitre de la Critique de la raison pure sur le schématisme, est une représentation sensible du concept, ce que la Faculté de juger appellera un exemple (terme qu’il faut alors comprendre en un sens axiologiquement neutre, plus proche donc d’un exemplaire). Ainsi l’assiette pour le cercle, ou cinq points en ligne, à dénombrer, pour le nombre 5. Par distinction d’avec l’exemple ou l’image au sens kantien ici, le schème présente non pas la chose réglée mais l’image de la règle elle-même. Kant parle également, dans le § 59 de la Faculté de juger, de symbole. Comme le schème, pour représenter la règle, le symbole ne représente pas à proprement parler la règle elle-même, mais la façon dont cette règle règle ; il faudrait plutôt les appeler en ce sens des images formelles, ainsi le schème de la substance comme la permanence du réel dans le temps. Mais à la différence du schème, le symbole représente la règle indirectement, dans une autre chose que la chose réglée. Le symbole met en évidence la présence du schème dans l’image, il n’est pas un exemple concret d’un concept abstrait, comme l’assiette concrétisant le cercle, mais par le caractère indirect – analogique – de la présentation de la règle dans la constitution de l’image. Le symbole conserve la distinction de la règle et de l’image, tout en nous en montrant comment la règle règle. Parce qu’il s’agit d’une autre chose que la chose réglée, mais par la même règle sur laquelle l’attention est portée, dans le symbole, le dynamisme constituant l’image passe au premier plan, alors que pour l’exemple sensible et le schème des concepts purs la règle et son effet (le dénombrement des cinq points, la rondeur de l’assiette, la permanence de la chose) ne font qu’un dans l’intuition.

L’État monarchique est donc symbolisé au § 59 de la Faculté de juger, soit par un corps organisé « lorsqu’il est gouverné selon les lois ←12 | 13→du peuple »8, soit par une machine s’il est gouverné par « une volonté singulière absolue ». Les deux métaphores de l’État monarchique illustrent bien que pour une même forma imperii (forme du pouvoir politique, en l’occurrence la monarchie), il peut y avoir deux forma regiminis (manières de gouverner) opposées : l’une, symbolisée par l’organisme, qui reste républicaine, l’autre, symbolisée par une machine9, qui ne peut être que despotique10. Kant illustre parfaitement ici la façon dont le symbole correspond à la représentation de la forme, la mise en forme, la structure ou la règle permettant de composer une image. Nous sommes très proches ici de ce que Fichte appellera Bild y, la deuxième image accompagnant toujours la première, et par laquelle Fichte décompose la conscience de soi dans sa dernière philosophie (nous verrons que Fichte reprend un sens général du schème comme image d’une mise en forme).

Les distinctions à faire parmi les « choses qui renvoient à d’autres choses » nous révèlent donc un caractère essentiel de l’image en général, dont on ne peut réduire la définition au renvoi vers une autre chose. Ce que le symbole, qui après tout est lui aussi une image, nous apprend de l’image en général, c’est que l’image se caractérise comme mise en forme, non pas directement mise en forme du réel, mais mise en forme de notre perception du réel, rendue sensible par et dans la mise en forme de l’image elle-même. Une image est donc comprise en rapport à un code d’une part, code qui la constitue, et qui peut lui-même être représenté par un symbole, par une autre image. Ainsi, dans l’exemple pris par Saussure ←13 | 14→au début de son Cours de linguistique générale11, la justice et la balance, que symbolise le symbole ? C’est-à-dire non seulement : vers quel concept renvoie-t-il ? Mais aussi et en même temps : comment structure-t-il l’image de telle sorte que nous percevions la forme du concept symbolisé en percevant l’image elle-même ? L’image-symbole représente moins le concept lui-même que ce qui permet de le penser : ici l’équilibre entre les plateaux pour la justice par exemple, cet équilibre symbolisant l’égalité que nos théories de la justice retrouvent sous des formes aussi différentes que les formes de l’État chez Kant. S’il n’y avait cette prévalence du code pour structurer l’image de la justice – comme une femme droite et noblement vêtue tenant ces deux plateaux en équilibre –, que verrait-on dans la représentation d’une personne quelconque, sans majesté aucune, assise par terre peut-être, tenant une balance mal équilibrée ? Peut-être rien. Il en va des images sans code comme des intuitions sans concepts : elles sont à peine des images, des choses parmi les choses, presque indistinctes, des impressions, de simples phénomènes.

Attention toutefois, en liant ainsi l’image à son propre code, comme le concept à l’intuition, nous risquons de perdre la spécificité de l’image elle-même, puisque toutes nos représentations objectives, commandées par des concepts ou catégories, sont mises en forme conformément à une certaine règle, et correspondent bien en ce sens à leur code. Le symbole nous dit quelque chose de plus précis sur l’image : il nous dit que l’image elle-même nous explique comment la lire, et qu’elle est toujours aussi (en même temps) image de son propre code : image d’une autre chose et schème (image d’un concept ou d’une règle) à la fois. Comme l’écrit Fichte introduisant sa Doctrine de la science 1812, « L’image même explique ce qu’est une image »12.

La question à poser concernant l’image n’est pas donc simplement celle de sa signification ni même de sa mise en forme mais celle de son autoconstitution. La grammaire de l’image est grammaire de l’autoconstitution de l’image. Il ne faut pas demander « comment l’image est-elle structurée ? », mais bien, pour en saisir la spécificité : comment l’image se structure-t-elle ? C’est à une telle grammaire de l’autoconstitution de l’image que se rapporte ce que ←14 | 15→Barthes appelait la rhétorique de l’image, rhétorique dont les « figures » « ne sont jamais que des rapports formels d’éléments »13. Aujourd’hui encore, ce que l’on a pu appeler la « différence iconique » est repéré comme ces « interactions qui font naître du sens »14 et qui constituent l’image de façon immanente15.

Résumé des informations

Pages
158
Année
2021
ISBN (PDF)
9782807615649
ISBN (ePUB)
9782807615656
ISBN (MOBI)
9782807615663
ISBN (Broché)
9782807615632
DOI
10.3726/b18069
Langue
français
Date de parution
2021 (Juillet)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2021. 158 p.

Notes biographiques

Luc Vincenti (Auteur)

Luc Vincenti, Professeur de philosophie à l’Université Montpellier 3, a notamment publié : Éducation et liberté (Kant et Fichte), 1992 ; Pratique et réalité dans les philosophies de Kant et de Fichte, 1997 ; Dialectique et histoire, 2014.

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