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Perceptions de l’espace chez Frankétienne et Tahar Ben Jelloun

de Jean Norgaisse (Auteur)
©2020 Monographies XVI, 264 Pages

Résumé

Le présent ouvrage est une étude comparative entre deux grandes figures de la littérature d’expression française: Frankétienne, haïtien de souche, et Tahar Ben Jelloun, d’origine marocaine. Ils jouissent d’une renommée internationale, fondée sur une œuvre forte. Entendons: une œuvre visionnaire, pertinente, qui s’inscrit dans la mimésis spatio-temporelle, le vécu humain, et qui fait aussi entendre un cri perçant, un souffle envoûtant, une musique originale. Elle croise, à bien des égards, celle de René Depestre, d’Abdelkébir Khatibi, de Yasmina Khadra, de Soljénitsyne et de Zola.
Singulière, elle est à la fois géographique et dramatique, avec le nomadisme des personnages, la mise en scène de l’espace, des atrocités et conflits actantiels. L’espace-fiction chez les deux poètes-romanciers s’ancre dans l’horreur, le chaos et la psychose, qui constituent des thèmes fondamentaux de leurs œuvres.
L’étude, qui offre une nouvelle approche théorique et une méthode d’analyse efficiente, est présidée par la démarche anthropo-géographie sémiologique, qui suggère une lecture ouverte, interdisciplinaire, favorisant une pluralité de sens de l’œuvre de Frankétienne et de Ben Jelloun. Elle permet ainsi d’appréhender leur discours fictionnel et poétique, plein de fièvre et de colère, qui rend compte du monde claustral, sinistre, angoissant, et qui refuse que l’homme sombre dans la déchéance morale, l’inhumanité. D’où résulte une anthropologie poético-géographique et philosophique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des Matières
  • Remerciements
  • Avertissement
  • Chapitre 1. introduction
  • Chapitre 2. impératifs de sens : le lieu et l’espace
  • Le topos et le signe
  • Perceptions géographiques
  • Perceptions anthropologiques
  • Dimension anthropo-géographique
  • Solidarité anthropo-géographie sémiologique
  • L’effet de sens
  • Chapitre 3. l’esprit du lieu et de l’espace
  • Appropriation spatiale
  • Banalités disgracieuses
  • Constance dramatique
  • Spatialisation labyrinthique
  • Caractéristiques du labyrinthe
  • Perceptions psychologiques du labyrinthe
  • Affinités harmonieuses
  • Chapitre 4. signes et enjeux spatiaux
  • Les signes du mal
  • Pouvoir et atrocités
  • Le génie du mal
  • Le triomphe de la bête humaine
  • Miroir spatio-temporel
  • Le regard et la raison
  • Chapitre 5. l’engagement spatial symbolique
  • Configuration spatiale
  • Perceptions symboliques de l’espace
  • Dimension allégorique
  • L’esprit poétique de la métaphore
  • Chapitre 6. l’éclatement de l’espace
  • Le déchirement de l’espace
  • Topos et être barbare
  • Frisson de barbarie
  • Chaos et ruine
  • Choix de rhétorique
  • Chapitre 7. espace et poétique de la révolte
  • Voix du défi
  • Vertu de l’engagement
  • La raison et le devoir
  • L’imaginaire et foi poétiques
  • Paroles et actes
  • Chapitre 8. l’espace du texte
  • Caractéristiques d’espace textuel
  • L’urgence de l’écriture
  • Signes et choix esthétiques
  • Jubilation textuelle
  • Perceptions rythmiques et sonorifiques
  • Aspects typographiques
  • Conclusion
  • Index des noms propres
  • Titres de la collection

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier le professeur Henri Mitterand qui m’a prodigué des conseils judicieux. Mes remerciements vont également à Mme Furery Reid, M. Ronald (Ron) Borgelin et M. Salah Amrane dont l’aide technologique m’a été immensément précieuse.

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AVERTISSEMENT

Nous avons rompu avec la tradition concernant les références, particulièrement celles relatives aux œuvres littéraires analysées. Nous indiquerons ainsi après chaque citation le titre de l’ouvrage en abrégé, suivi du numéro de la page entre parenthèses. Par exemple, Mûr à crever, page 70, deviendra (Mûr, p. 70); de même, Cette Aveuglante absence de lumière, page 80, deviendra (Cette Aveuglante absence, p. 80). Pour de plus amples informations, le lecteur est prié de se référer à la bibliographie au terme de chaque chapitre.

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· I ·

INTRODUCTION

La genèse de cet essai critique vit le jour avec la lecture séduisante et bouleversante du roman de Frankétienne, Les Affres d’un défi, et celui de Tahar Ben Jelloun, Cette Aveuglante absence de lumière, dont le fond et la matière donnent à voir des dimensions communes. Puis leurs affinités thématiques, qui nous fascinèrent et qui nous laissèrent pantois, attisèrent notre engouement, notre curiosité intellectuelle, et nous conduisirent à des interrogations, à l’exploration d’autres œuvres des deux poètes-romanciers.

Ainsi, le présent ouvrage, qui résulte de la complicité discursive romanesque et poétique, est une étude comparative entre ces deux grandes figures de la littérature d’expression française : Frankétienne, haïtien de souche, et Tahar Ben Jelloun, d’origine marocaine. S’ils sont grands à nos yeux, tels leurs prédécesseurs Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Jacques Roumain et Kateb Yacine, pour ne citer qu’eux, c’est en vertu de la valeur qualitative et singulière de leurs œuvres littéraires, qui attire le lectorat, et qui leur assure l’estime, la notoriété. Ils occupent ainsi une place proéminente dans la vaste galerie de la littérature d’expression française, jouissent d’une renommée internationale, fondée sur une œuvre forte. Nous entendons par là une œuvre visionnaire, pertinente, qui s’incruste dans le réalisme historique spatio-temporel, les conditions de l’existence humaine, ←1 | 2→et qui fait aussi entendre, tant par le fond que par le langage et l’effet de langue, un cri perçant contre l’abjection, l’inhumanité, un souffle envoûtant, une musique originale. Elle s’inscrit aussi sous le signe de la nouveauté, en rompant avec les vieilles recettes littéraires de jadis. Les deux écrivains se libèrent donc des orthodoxies surannées, créent leur propre style, leur technique narrative, et font largement place à une écriture neuve, captivante et provocative, qui tend à susciter un plaisir ludique.

Le critique François Busnel a écrit, à propos du poète, romancier, dramaturge et artiste peintre, Frankétienne : « Si la littérature française doit un jour se régénérer, retrouver son génie et boire à quelque source de jouvence, c’est sans doute vers les Caraïbes qu’il lui faudra se tourner. Il y a là-bas […] un écrivain comme on en lit peu. Un écrivain total.1 » Caustique et sagace, la chair de son écriture est captivante, s’ancre dans les racines culturelles de son terroir, des questions d’ordre existentiel, tend aussi à transcender les frontières de sa terre natale, eu égard à la détresse planétaire mondiale, la terreur et la condition de l’homme en général qui sont mises en relief. De telles caractéristiques de sa production littéraire portent à croire que la littérature est une fenêtre ouverte sur le monde. Il y a donc, chez Frankétienne, au dire de Delphine Peras : « Liberté de penser. De parole. Liberté de ses écrits qui disent la complexité du monde, pas seulement celle d’Haïti, et qui en font l’un des plus grands écrivains contemporains.2 » L’un des grands journaux américains, The New York Times, le présente en des termes pertinents : « A Prolific Father of Haitian Letters3 ». Remarque élogieuse qui n’en dément pas, au regard de la machine créatrice de l’auteur. On ne saurait toutefois mesurer ses écrits à l’aune de la production quantitative, mais en vertu de leur dimension qualitative, transgressive et frondeuse, qui est, par surcroît, une plaidoirie contre l’archaïsme littéraire. Aussi élèvent-ils la voix contre la cruauté, la dégradation de « l’humanisme », les ténèbres de l’ignorance et les forces du mal.

Il en va de même chez Tahar Ben Jelloun dont l’œuvre, à bien des égards, fait écho à celle de Frankétienne. La critique Carine Bourget lui consacre un article et le commence avec déférence : « Depuis l’attribution du Goncourt à La Nuit sacrée en 1987, Ben Jelloun est l’écrivain maghrébin le plus connu internationalement. Vivant à Paris et collaborateur au Monde, il est devenu le porte-parole de la communauté maghrébine.4 » En plus du prix Goncourt, il est récipiendaire de bien d’autres, pour la qualité de sa production romanesque, dont la force de l’écriture, émouvante et en alerte, réside dans des valeurs esthétiques, éthiques, le combat pour le respect et l’estime de la femme, la justice et contre les souffrances cruelles de l’homme par l’homme. Elle est, au ←2 | 3→surplus, truculente et fébrile, se veut salvatrice et révoltante contre l’injustice, le mal, s’enracine dans le vécu maghrébin. L’un des volumes de la série des ouvrages d'anthologie, Littérature, textes et documents, parle de lui de manière élogieuse : « Enfin Tahar Ben Jelloun est en train de devenir un classique de la francophonie internationale, touchant aux angoisses humaines les plus stables à travers une mythologie subtile.5 » On dirait que son univers littéraire et celui de Frankétienne constituent à la fois un miroir universel de l’humain et une investigation territoriale, au plan social, politique, moral et économique, entraînent ainsi le lecteur dans une dynamique de réveil, s’inscrivent d’emblée dans la grande galerie de la « littérature-monde6 ».

A vrai dire, ce n’est pas la notoriété des écrivains qui nous porte à nous engager dans l’étude de leurs œuvres. Ce n’est non plus la réponse à l’appel de Paul Valéry qui reprochait aux historiens et critiques de la littérature leur « étrange absence de curiosité », suggérant l’étude comparative ou parallèle entre des auteurs. Certainement la curiosité nous pousse à nous y embarquer, mais pas au « sens valéryen ». Notre curiosité intellectuelle à nous est fondée sur les affinités thématiques sublimes qui rapprochent les deux poètes-romanciers l’un de l’autre, en dépit de la différenciation des cultures qui les sépare. Mieux encore, c’est parce qu’il existe entre eux, à la lumière de leurs pensées créatrices, des parentés d’âme, de conscience aiguë et d’intelligence. Intelligence qui éclaire, qui révèle, qui guide, et qui est mise au service du monde chaotique, décrié, sombrant dans la monstruosité. Leur discours littéraire nous offre donc une vision de l’homme et du monde, pris dans les rets du mal, la tourmente, bref, l’épouvante.

A consulter les travaux consacrés à celui de Frankétienne, particulièrement la fiction et la poésie, les premières recherches qui datent des années soixante-dix et quatre-vingt portent surtout sur l’aspect langagier et l’esthétique du poète-romancier, avec des critiques universitaires et d’amateurs éclairés.7 Si, en effet, quelques unes de leurs analyses se révèlent pertinentes, d’autres, par contre, sont répétitives et anecdotiques.8 Elles sont plus tard suivies par des études monographiques, linguistiques,9 sociocritiques et structurales, qui tendent à renouveler les précédentes.10 A cette dernière catégorie s’ajoutent celles qui se concentrent sur l’histoire littéraire, avec la reprise des monographies redondantes et des mêmes thématiques.11 On en déduit qu’aucune de ces études sur Frankétienne ne tourne vers la fonction de l’espace-fiction et anthropo-géographique. Entendons par là: le récit de l’énoncé qui renvoie à la mise en scène narrative du topos (espace, lieu, endroit, territoire), d’une géographicité12 à la fois objective et subjective, symbolique du territoire du personnage et ses conflits.

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S’agissant du regard critique sur l’univers fictionnel et poétique de Tahar Ben Jelloun qui suscite de nombreux travaux universitaires, nous les classons en quatre groupes. Nous considérons dans le premier groupe des réflexions critiques qui se révèlent à la fois mordantes et sévères vis-à-vis surtout de son premier roman Harrouda. En effet, l’une d’entre elles l’accuse d’avoir dénaturé le réel marocain au point même de traiter et considérer l’auteur comme un écrivain exotique, au regard de sa propre culture.13 Une autre, à juste titre, refute l’appellation « roman-poème » à Harrouda14. Othman Ben Taleb, de sa part, s’exprime sur le même roman en ces termes : « Ce que j’ai proposé d’appeler, provisoirement, « symbolique érotique », c’est pour moi un réseau de faits textuels informés par une démarche de l’auteur volontairement irrationnelle et revendiquant la différence.15 » De surcroît, Ben Jelloun est l’objet de rudes reproches pour n’avoir pas dénoncé les actes arbitraires, odieux du roi Hassan II contre des opposants politiques dont nombreux d’entre eux ont été persécutés, incarcérés, éliminés physiquement ou ont même terminé leur vie en prison comme Kénitra et Tazmamart. Cette dernière, construite dans le plus grand secret, est « le trou », « la fosse ténébreuse », le tombeau des prisonniers politiques,16 avec nombre de gens manifestant le dégoût et la révolte contre la corruption généralisée, et les souffrances dans lesquelles le régime maintient très longtemps tout un peuple. Tahar Ben Jelloun n’en dit pas mot, mais écrit neuf ans plus tard, après des terreurs brutales et mortelles, son roman bouleversant, Cette Aveuglante absence de lumière,17 suite au témoignage d’un bagnard rescapé. En dépit des reproches qu’on lui adresse pour son attitude silencieuse face aux atrocités du pouvoir au temps de panique du règne d’Hassan II, Ben Jelloun ne se défend pas contre ses accusateurs et détracteurs. Il y a plutôt chez lui à la fois un sentiment de culbabilité refoulé, voilé, et une attitude de prudence lui permettant de sauver sa peau. « Je suis, dit-il, comme tous les Marocains, j’avais aussi peur. Je ne voulais pas affronter Hassan II de face.18 » C’est dans ce même contexte qu’il écrira éloquemment, après la disparition du chérif Marocain, dans un ouvrage d’essai : « Beaucoup ont payé leur engagement par des années de prison agrémentées de torture et de toutes sortes de privations sadiques.19 » Il fait sans doute référence aux opposants farouches, aux victimes du pouvoir autoritaire, notamment les prisonniers politiques de Tazmamart, y compris ceux qui ont été fusillés et portés disparus. Ses prises de position contre la répression surgissent après les malheurs qu’ont connus de nombreuses victimes. N’empêche toutefois qu’il demeure jusqu’à date, tels des auteurs classiques francophones Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Jacques Roumain et Kateb Yacine, l’un des écrivains ←4 | 5→maghrébins d’expression française les plus lus, dont l’œuvre ne cesse de susciter l’attrait et beaucoup d’intérêts tant chez des lecteurs avertis et profanes que chez de nombreux universitaires.

Le résultat des recherches effectuées montre que la langue et le langage font l’objet d’un grand nombre d’études sur l’écriture de Frankétienne, tandis que nombre de critiques de Ben Jelloun se concentrent surtout sur sa technique narrative, qui donne ainsi lieu à un foisonnement d’analyses diversifiées, théoriques. Il en résulte des mémoires, des thèses et ouvrages collectifs.20 Nous ne retenons que ceux qui nous paraissent pertinents et utiles à notre hypothèse de travail.

Dans le deuxième groupe, ne figurent que des études se concentrant particulièrement sur la dimension narratologique, réaliste et l’identité culturelle dans le romanesque jellounien comme celles de Françoise Gaudin,21 de Robert Eldaz,22 d’Amed Raqbi23 et d’Abdelkrim M’hammed Oubella,24 auxquelles s’ajoute l’ouvrage de Jamal El Qasri intitulé: Tahar Ben Jelloun : Une fonction poétique à la lisière du réel.25 L’auteur, dans son analyse qui se focalise sur les stratégies textuelles, se livre surtout à démontrer l’existence d’une poétique jellounienne tout en mettant en lumière des caractéristiques scripturaires chez l’écrivain, ainsi que leur rapport avec le réalisme discursif dans sa fiction. Les études constituant le troisième groupe se rapprochent, à bien des égards, des précédentes, se révèlent rigoureuses du point de vue méthodologique, s’enrôlent en grande partie dans des perspectives théoriques, avec l’approche sémiotique, structurale, sociocritique, psychanalytique, permettant l’éclairage ou une meilleure compréhension de la fiction de Ben Jelloun. Nous ne considérons ici que celles qui sont les plus marquantes, avec les critiques comme Lara Popic26, Alina Gageatu-Ionicescu27, Alaeddine Ben Abdallah,28 Mohammed-Saâd Zemmouri29, May Farouk,30 Robert Varga,31 David Hayes,32 Bengt Novén33.

Enfin, dans le quatrième et dernier groupe, nous ne tenons qu’aux études consacrées à la spatialisation fictionnelle : la ville, le territoire, corps-espace-temps, et des thématiques récurrentes qui abondent chez des critiques comme Chiha Samia,34 Sophia Antipolis,35 Nasrin Qader,36 Mohamed Bahi,37 Nadia Kaml-Trense,38 Agnès Hafez-Ergaut39. Tous ces travaux académiques ne tiennent pourtant pas compte de ce que le philosophe Gaston Bachelard appelle « la poétique de l’espace40 »; non plus Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, selon le titre de l’ouvrage de Gilbert Durand.41 Là encore ces considérations nous paraissent limitées, en raison de l’écart vis-à-vis de l’analyse spatiale fictionnelle, de la poétique de la géographie, des rapports conflictuels ←5 | 6→entre les personnages, en corrélation avec l’univers topologique de l’œuvre et les principaux éléments narratifs qui le constituent.

Ainsi, eu égard à la mise en scène du topos (ville, lieu, espace, territoire) dans la fiction de Frankétienne et celle de Ben Jelloun, la vie dramatique des personnages et les désastres qui la caractérisent, nous nous proposons d’examiner la symbolique de l’espace, suivant cette démarche théorique : l’anthropo-géographie sémiologique, qui découle de l’œuvre même des deux poètes-romanciers. Elle est totalisante, puisqu’elle embrace et éclaire l’univers topique : la vie du personnage et son territoire, dominés par la bouleverse et le désarroi, au gré de la souffrance de l’homme par l’homme. D’où résultent sa signifiance et sa visée.

On ne saurait toutefois nier qu’il existe déjà un grand nombre de travaux théoriques sur l’espace et le personnage dans le roman. Beaucoup d’entre eux, en effet, sont utiles, puisqu’ils permettent une meilleure lecture et compréhension du romanesque comme ceux d’Henri Mitterand,42 de Jean-Yves Tadié,43 d’Henri Lafond,44 de Philippe Hamon,45 de Denis Bertrand,46 de Jean-Pierre Richard47 et de Maurice Blanchot.48 Notre étude, par contre, est complètement différente des leurs parce que, premièrement, elle s’inscrit dans une perspective interdisciplinaire et comparative entre Frankétienne et Ben Jelloun. Deuxièmement, elle cherche surtout à appréhender à la fois la signifiance symbolique et mimétique du topos dans leur fiction, indissociable de leur tissu poétique. Troisièmement, elle se soucie des fonctions et valeurs idéologiques et culturelles qui caractérisent leur prose narrative, au regard du lieu vécu des personnages nomades, territorialisés, déterritorialisés, errants.

C’est d’ailleurs de ces caractéristiques actantielles que se définissent la géographie49 ainsi que la poétique de la géographie constituant la génératrice de l’histoire contée. Aux faits géographiques s’ajoutent les relations dramatiques entre personnages caractérisant la dimension anthropologique dans la fiction. Loin de leur gratuité dans cette dernière, parce que les faits contés constituent un réseau de signes. D’où l’appellation conceptuelle théorique présidant à l’essai critique : anthropo-géographie sémiologique, qui résulte de la matrice féconde de l’univers littéraire des deux poètes-romanciers, et qui vise son éclairage de manière méticuleuse, en combinant forme et contenu. Elle sera démontrée tout au long du développement de l’analyse qui débouche sur une anthropologie poético-géographique et philosophique, fondée sur la manière inhumaine d’agir.50 D’où le sens et l’intérêt de l’essai qui, à certains égards, s’inspire de la vision ingénieuse de Jean-Jacques Rousseau, exprimée dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes :« Ne verra-t-on jamais renaître ces temps heureux où les peuples ne se mêlaient point de philosopher, mais où les ←6 | 7→Platons, les Thalès et les Pythagores, épris d’un ardent désir de savoir, entreprenaient les plus grands voyages uniquement pour s’instruire, et allaient au loin secouer le joug des préjugés nationaux, apprendre à connaître les hommes par leurs conformités et leurs différences, et acquérir ces connaissances universelles, qui ne sont point celles d’un siècle ou d’un pays exclusivement, mais qui, étant de tous les temps et de tous les lieux, sont pour ainsi dire la science commune des sages.51 » La réflexion rousseauiste est pertinente, esquisse un vaste programme ambitieux, puisqu’elle marque à la fois la naissance de la « science de l’homme », l’anthropologie, et une vision philosophique permettant la découverte et l’exploitation de nouvelles branches de connaissance. Suggestive, elle nous est immensément précieuse à la lecture de la prose narrative, en la combinant avec d’autres disciplines scientifiques que celle-ci nous offre telles que la géographie, la sociologie et la sémiologie. Il va alors sans dire que l’analyse porte la marque de nos propres perceptions de lecteur. Elle livre une interprétation à la fois anthropo-géographie sémiologique et philosophique de l’œuvre de Frankétienne et de Ben Jelloun dont le sens surgit à la croisée des disciplines s’imbriquant les unes dans les autres.

Il n’est alors pas moins vrai que la méthode de lecture favorise l’approche interdisciplinaire. On verra que les disciplines se côtoient, dialoguent, s’entraident, n’évoluent pas en vase clos. Soit. En effet, anthropologie, géographie et sémiologie s’articulent les unes aux autres, constituent une symbiose dans la fiction de Frankétienne et jellounienne, qui présente les signes d’un topos effroyable, un champ chaotique, troublant. C’est de tout cela qu’elle s’alimente, offrant ainsi une dimension d’interdisciplinarité théorique. Comme l’explique Jean-Paul Rewesber : « La réflexion interdisciplinaire déroule l’imaginaire d’un savoir qui se donne à voir, qui se laisse jouer et théâtraliser.52 » C’est bien ce qui permet la solidarité, l’union des trois disciplines scientifiques dans notre étude : l’anthropologie, la géographie et la sémiologie. Elles deviennent, en vertu de l’univers littéraire des deux écrivains, concept théorique : anthropo-géographie sémiologique, notre guide analytique.

Comme toute étude scientifique est présidée par la méthode qui se trouve dans la recherche même et que la nôtre n’y échappe pas, nous nous attachons à l’analyse poétique géo-sociale, thématique, du sens des signes anthropologiques et géographiques, l’examen des faits et effets de langue, du rythme. La méthode ici employée ne se passe pas de l’étude de l’imaginaire spatial, des valeurs modales, des composantes des œuvres, de leur cohérence et signification, dans l’univers textuel hybride, polyphonique. Elle ne privilégie non plus un élément ou un aspect au profit de l’autre, puisque le texte, qu’ils soient de la fiction ou ←7 | 8→de la poésie, est un corps d’éléments combinatoires, forme un enchaînement. Elle considère aussi l’idéologie présidant à la vérité fictionnelle et poétique, se soucie des voix qui parlent.

Enfin, il consiste également à montrer non seulement les ressemblances entre les deux poètes-romanciers, mais aussi les différences, tout en comparant leurs œuvres à des écrivains contemporains, antérieurs et postérieurs, sur la base des liens étroits qui se tissent entre eux au plan thématique. On est ainsi gouverné par une technique de lecture qui permet d’appréhender la vision de leurs pensées créatrices. Il ne s’agit pas alors d’une lecture mécanique à laquelle celles-ci sont soumises. Ç’aurait donc été une aberration, puisqu’elle aurait figé ou réduit leur interprétation ou le sens profond de l’œuvre. Lire, en effet, Frankétienne et Ben Jelloun du point de vue esthétique, social, moral, politique et philosophique avec nos propres yeux et l’appui des philosophes, des géographes, des anthropologues, des sociologues et sémiologues de différents siècles (Rousseau, Kant, Hannah Arendt, E. Durkheim, P. Ricœur, F. de Saussure, R. Barthes, Claude Lévi-Strauss, Paul Claval, Yves Lacoste), c’est rentrer dans leur imagination et découvrir le voile du secret de leurs écrits. Nous voulons dire du langage, de la langue, de l’écriture, de la vérité, du non-dit, de la métaphore, bref, de la signifiance discursive. Ainsi la poétique chez les deux écrivains suggère une lecture ouverte, interdisciplinaire, qui favorise une pluralité de sens. C’est au gré d’une telle démarche qu’on parvient à la découverte de l’anthropo-géographie sémiologique. Ayant donc voulu que l’analyse soit précise et probante, sans pour autant prétendre être définitive et concluante, car la pensée et l’écriture des deux écrivains sont encore en pleine gestation, nous nous limitons à ce compte aux dernières publications en date de l’année 2013, en considérant la singularité de chaque texte dans son rapport avec l’espace socio-politique, historique, culturel, et du temps qu’il donne à lire.

Au fondement de l’approche interdisciplinaire qui tient compte du statut épistémique dans les œuvres littéraires, nous nous accrochons au texte qui est le point de repères de l’analyse, en allant au fin fond de l’opacité textuelle, à la recherche de la lumière, qui éclaire, qui guide les pas de nos pas sur le chemin du parcours analytique. On ne nie pas pour autant que le texte ne soit pas toujours transparent, mais se laisse découvrir au gré des signes, des figures de discours, de la langue, du langage. Celui-ci livre au lecteur les secrets et la signifiance de l’œuvre, puisqu’« Il ne dit, ni ne cache, alla semaìnei mais il signifie53 », au dire d’Émile Benveniste.

Enfin, reste à expliquer le choix du corpus. Deux genres littéraires le composent : le roman et la poésie, qui s’entremêlent, qui sont indissociables ←8 | 9→chez Frankétienne et Ben Jelloun et qui ont une véritable unité profonde, eu égard à leurs thématiques communes. L’initiation d’ailleurs chez les deux poètes-romanciers à la littérature a commencé par la poésie, qui s’implante dans la prose narrative. Or, que ce soit dans la fiction ou la poésie, les réseaux topiques (villes, espaces, lieux, territoires), se confondent, avec la traverse, la détresse des personnages constituant un tableau kaléidoscopique infrahumain. Et c’est en vertu de ces thèmes que se fait le choix de ces ouvrages de Frankétienne, emboîtés les uns dans les autres : Mûr à crever, Ultravocal, Les Affres d’un défi, Amour, délices et orgues, Les Métamorphoses de l’oiseau schizophone (huit unités), Corps sans repères, Mots d’ailes en infini d’abîme, Brèche ardente, L’Amérique saigne, Fleurs d’insomnie. Tel chez Ben Jelloun, il y a récurrence thématique, avec, en plus, le jeu et la modulation fréquente des mêmes métaphores qui reviennent tant dans la fiction que dans la poésie. Écriture poétique, métaphorique, qui exhibe des incidents spatiaux et humains. Ce sont aussi les mêmes critères déterminant la sélection des œuvres jellouniennes qui, à bien des égards, font écho à celles de Frankétienne comme Le Bonheur conjugal, Que la blessure se ferme, Partir, Cette Aveuglante absence de lumière, Au Pays, L’Auberge des pauvres, Les Yeux baissés, La Nuit sacrée, L’Enfant de sable, La Nuit de l’erreur, La Prière de l’absent, L’Écrivain public, Jour de silence Tanger, Harrouda, La Réclusion solitaire, Moha le fou, Moha le sage et Poésie complète. Géographiques et dramatiques, les œuvres mentionnées ont des affinités thématiques, constituent un vaste répertoire de formes littéraires et d’événements bouleversants. Ainsi, les deux écrivains se font l’interprète du silence et des cris étouffés, se ressemblent dans ce qu’ils expriment similairement avec véhémence et colère sur le temps, l’espace, l’Histoire, l’homme, dans ce qu’ensemble ils en sont témoins.

Nous avons lu parallèlement leurs œuvres à celles de différentes périodes historiques relatives aux écrivains René Depestre, Jean Métellus, Gary Klang, René Philoctète, Jean-Claude Fignolé, Gérard V. Étienne, Abdelkébir Khatibi, Mahi Binebine, Kateb Yacine, Yasmina Khadra, Alexandre Soljénitsyne et Émile Zola. De là se perçoit leur singularité. Il n’est alors pas moins vrai que la grandeur d’un écrivain réside fondamentalement dans la pertinence et la dimension singulière de son œuvre. Tel est, en effet, ce qu’offre au lecteur celle de Frankétienne et de Tahar Ben Jelloun. La fiction et la poésie chez eux s’imbriquent l’une dans l’autre, sont comme une vitrine, avec l’image d’une terre lacérée, meurtrie. Elles sont un musée d’histoire de l’homme rempli d’horreurs, avec de sombres tableaux exhibant les traits d’une humanité visqueuse, sagace et exécrable. D’où résultent le choix et le sens du titre de l’essai critique.

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Si donc son but consiste fondamentalement à comprendre chez les deux poètes-romanciers la signifiance de l’espace-fiction, les enjeux spatiaux, sous l’éclairage de l’anthropo-géographie sémiologique, un tel objectif nous met en face d’une option méthodique, simple et claire, exprimée par Claude Lévis-Strauss : « Soit étudier des cas nombreux, d’une façon superficielle et sans résultat; soit se limiter résolument à l’analyse approfondie d’un petit nombre de cas, et prouver ainsi qu’en fin de compte une expérience bien faite vaut une démonstration.54 » Nous optons pour le second principe qui, logiquement, se révèle plus judicieux que le premier, en examinant des scènes ou des séquences narratives, tout en considérant les relations qui se tissent avec l’univers de l’œuvre. Au choix des scènes narratives s’ajoutent des laisses de poème qui, thématiquement, s’allient à des pans de récit fictionnel, au champ littéraire des deux écrivains; laisses que nous estimons importantes pour le renfort de la démonstration analytique.

L’essai s’organise autour de huit chapitres dont chacun (hormis l’introduction) traite un aspect spécifique relatif aux problèmes spatiaux, aux modes de relation entre les personnages et aux angoisses humaines. Il n’est pas alors circonscrit dans les limites de l’esthétique; tout au contraire, il s’étend au champ des sciences humaines et sociales (l’anthropologie, la géographie, la sémiologie, la sociologie, la psychanalyse et la philosophie), avec, au deuxième chapitre, l’aspect théorique qui le préside. Y sont ainsi examinés la signifiance du lieu et de l’espace, leurs effets, le territoire du personnage et la condition humaine.

Puisque sont posés et démontrés les éléments basiques, théoriques et méthodologiques de notre démarche, le troisième chapitre analyse l’esprit du lieu et de l’espace, en montrant les mécanismes et les différentes facettes de l’appropriation spatiale : assujettissement du personnage, violence physique, verbale, psychologique et morale, mutisme au sein d’une populace, psychose, enlèvements, exécutions sommaires, bref, la mort.

Sont étudiées, dans le quatrième chapitre, les perceptions spatiales, au regard de leurs caractéristiques, avec la manifestation du mal, la sauvagerie de l’histoire, la démence meurtrière des personnages. Nous chercherons aussi à comprendre les phénomènes sociaux qui rendent l’univers sombre, troublant, où triomphent l’arbitraire et l’épouvante, où s’impose la loi du bourreau.

Le cinquième chapitre se focalise sur la dimension symbolique de l’espace, en démontrant qu’à travers la représentation mimétique dans la narration fictionnelle, il existe aussi un aspect allégorique qui est lié au sens métaphorique dans l’univers du récit. De là se dégagera la signifiance de la métaphore du ←10 | 11→territoire du personnage tout en tenant compte de la vision idéologique dans le discours littéraire de Frankétienne et celui de Ben Jelloun.

Nombre de leurs personnages vivent intensément dans un climat de tension qui donne à voir des lieux tumultueux, angoissants, un champ narratif agité. Ainsi, le sixième chapitre explique l’éclatement de l’espace qui se manifeste de différentes manières et engendre de grandes conséquences comme la barbarie outrancière, la séquestration, l’appréhension, la migration, l’émigration, l’exil, bref, l’adversité.

Vient ensuite l’examen de la poétique de l’espace et de la révolte, au septième chapitre, qui vise à montrer que nombre de gens, victimes de l’injustice, de la répression, refusent de vivre indéfiniment dans le silence à genoux. Nous nous concentrons surtout sur la manière dont ils manifestent leur colère.

L’ouvrage, au huitième chapitre, se termine sur l’analyse de l’espace du texte qui s’avère important, au regard de la structure et de la matérialité textuelles, de la rhétorique romanesque et poétique des deux poètes-romanciers. Nous tenterons, à ce compte, d’expliquer comment Frankétienne et Ben Jelloun élaborent une éthique, une esthétique littéraire, une esthétisation typographique de la page, une philosophie de la vie, de l’histoire dans les limites du langage. C’est aussi du langage, de la signifiance thématique, du rythme (du point de vue philologique) et des composantes de l’œuvre que nous montrerons la jouissance du texte et son caractère ludique, capables de provoquer chez le lecteur l’émotion, des pincements et des battements de cœur.

Enfin, on verra que l’œuvre fictionnelle et poétique de Frankétienne et celle de Ben Jelloun sont un immense champ du savoir sur le temps humain et historique, l’espace, l’homme, le mal. Elles présentent entre autres des dimensions à la fois dramatiques et interpellatives, au regard de l’horreur, de l’arbitraire, du territoire du personnage et son avenir. En essayant de les comprendre, nous nous attellerons, sous le signe de l’urgence, avec ferveur, à la tâche de l’interprète des explorateurs des consciences.

Notes

1. François Busnel, « L’esthétique des ruines », in http://www.lire.fr/critique.asp (Lire, juin 2004).

2. Delphine Peras, « Frankétienne : Je suis un survivant de la misère, des Duvalier, de l’alcool », in L’Express, 16/07/2010.

3. Randal C. Archibold, « A Prolific Father of Haitian Letters, Busier than Ever », in The New York Times, April 29, 2011, p. A5.

4. Carine Bourget.« L’intertexte islamique de L’Enfant de sable et La Nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun.» French Review, vol. 72 # 4 (1999) : 730–41.

5. Littérature, textes et documents XXième siècle. Paris : Nathan, 1991.

6. Ce concept a été forgé par des poètes, romanciers et philosophes visant à libérer la littérature dite francophone de la marginalisation, de son enfermement, bref du ghetto littéraire. Voir l’ouvrage collectif : Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, Paris, éd. Gallimard, 2007.

7. Voir Hedi Bouraoui, « L’œuvre romanesque de Frankétienne », in Dérives, 1986–1987, #53–54, pp. 89–96.Cf. Maximilien Laroche, « Dézafi après Duvalier », in Dérives, op. cit., pp. 97–109.Voir aussi Dieudonné Fardin, « Frankétienne artiste », in Le Petit Samedi Soir(1974) : # 3.

Résumé des informations

Pages
XVI, 264
Année
2020
ISBN (PDF)
9781433177491
ISBN (ePUB)
9781433177507
ISBN (MOBI)
9781433177514
ISBN (Relié)
9781433177484
DOI
10.3726/b16788
Langue
français
Date de parution
2020 (Décembre)
Published
New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Oxford, Wien, 2020. XVI, 264 p., 6 tabl.

Notes biographiques

Jean Norgaisse (Auteur)

Jean Norgaisse, universitaire, essayiste et poète, qui a une formation pluridisciplinaire (anthropologie, civilisation, géographie, littérature, philosophie), est docteur de Columbia University, New York (PhD, M.Phil., MA), diplômé aussi de l’Université La Sorbonne (DEA/DEA: Diplôme d’Études Approfondies) et de City University of New York (BA/BA). Spécialiste du philosophe des Lumières l’Abbé Prévost, de littératures comparées et francophones, il a publié des études sur des poètes-romanciers d’expression française et plusieurs œuvres poétiques. Il mène une triple carrière, celle de professeur-chercheur et d’écrivain.

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Titre: Perceptions de l’espace chez Frankétienne et Tahar Ben Jelloun
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