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Agriculture et changements globaux

Expertises globales et situations locales

de Xavier Arnauld de Sartre (Auteur)
©2016 Monographies 204 Pages
Série: EcoPolis, Volume 27

Résumé

L’agriculture est au cœur des changements globaux, tant pour avoir participé à leur survenue que comme solution potentielle. Aussi n’est-il pas étonnant qu’elle tienne une place particulière dans les prospectives destinées à faire réfléchir les décideurs sur les scénarios souhaitables pour relever les défis posés par ces problématiques. Deux scénarios, considérés comme des scénarios de rupture, retiennent particulièrement l’attention des analystes : le scénario dit de Technogarden, destiné à utiliser les technologies pour résoudre les problèmes posés par le mode de développement moderne, et le scénario dit Mosaïque adaptative qui prône l’autonomie des territoires, voire une certaine décroissance.
Après avoir examiné dans la première partie de l’ouvrage les fondements scientifiques de ces analyses, les enjeux des prospectives et les différentes options qu’elles posent, la deuxième partie est consacrée à l’analyse de trois situations concrètes : la protection de la forêt tropicale en Afrique centrale, la colonisation de l’Amazonie et la production au travers de semences transgéniques dans les Pampas argentines.
Écrit par un géographe mais faisant largement appel aux apports des sciences sociales, cet ouvrage montre l’importance des verrouillages spatiaux, c’est-à-dire des rapports à l’espace hérités des cinquante dernières années et limitant fortement les possibilités d’innovations.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Chapitre 1. La modernisation écologique en débat
  • De quoi la modernité est-elle le nom ?
  • Modernité et anthropocène : deux entités distinctes
  • La grande transformation et l’invention du modernisme
  • Grande transformation et Grand partage
  • Le développement durable, ou le choix de la modernisation écologique
  • Ce qu’est le développement durable
  • Histoire du développement durable : le choix de la croissance économique
  • Développement durable et modernisation écologique : l’échec de Rio+20
  • Changements globaux et évolutions de la prise en compte des problématiques environnementales dans la modernité
  • Les trois crises…
  • Différentes possibilités de sortie de crise ? Les scénarios du MEA
  • Lire la coexistence spatiale et temporelle des scénarios du MEA
  • Conclusion
  • Chapitre 2. Agriculture et changements globaux : quels scénarios pour l’agriculture ?
  • Quels débats autour de l’agriculture ?
  • Des systèmes de culture à l’espace : critique de la Révolution verte et échelle globale
  • Un scénario rétroprojectif pour penser le verdissement des formes d’agriculture
  • Systèmes de culture et espaces : le débat Land sparing versus Land sharing
  • Penser les conditions sociales et spatiales de l’articulation de systèmes de production
  • Des formes agricoles aux systèmes de production… et aux systèmes agraires ?
  • Mieux souligner ses liens avec les milieux naturels et la société
  • Qualifier l’interaction des systèmes agraires : l’irruption du pouvoir
  • Pour une Political ecology des rapports entre modèles d’agricultures
  • Dépendance et verrouillage technologiques en matière d’agriculture
  • Cadrage spatial et contextualisation des situations
  • Une Political ecology des rapports entre modèles d’agricultures
  • Différents terrains au service de l’étude des conditions de possibilité d’une articulation land sharing/land sparing
  • Conclusion
  • Chapitre 3. Une Pampa biotechnologique ? Limites et diversité d’une révolution agricole
  • Spécialisation des terres et diffusion des biotechnologies : les transformations d’un monde rural dérégulé
  • Innovation durable ou tapis de course ? Les limites économiques et écologiques de la diffusion du système semis direct / PGM / glyphosate
  • Logiques sociales de la sojización de la Pampa
  • Conclusion – L’incomplète hégémonie du scénario Technogarden
  • Chapitre 4. Le Gabon, entre land sparing et économie verte
  • Un État rentier et autoritaire
  • Le Gabon vert, un pilier du développement durable sous forte dépendance étrangère
  • Un monde rural vide et majoritairement hostile aux parcs nationaux
  • Une opposition largement construite
  • Le Gabon vert, un outil de réinvestissement de l’État dans le local ?
  • Conclusion
  • Chapitre 5. La coexistence au Brésil ? Les freins à la diffusion de l’agriculture durable
  • Partition du Brésil, de l’Amazonie et chute des taux de déboisement
  • Zonage du massif amazonien
  • Réaffirmation de la souveraineté fédérale en Amazonie
  • Le land sparing aux portes de l’Amazonie
  • Le land sparing en Amazonie
  • La Transamazonienne, un laboratoire régional de l’agriculture durable ?
  • L’absence de modèle économique adapté au land sharing
  • Caractérisation de quatre sites d’études
  • Évolution des caractéristiques des milieux sur chacun des sites
  • Entre coût non compensé de la protection des milieux et importance des dynamiques locales
  • Conclusion
  • Conclusion
  • Ce que les contextes étudiés nous apprennent des changements globaux
  • Sigles
  • Bibliographie
  • Tables
  • Table des encadrés
  • Table des tableaux
  • Table des figures
  • Titres de la collection

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Introduction

L’expression « changements globaux » est couramment retenue pour qualifier ces problèmes qui se manifestent dans différents endroits du globe en suivant une même temporalité et qui trouvent leurs origines dans les mêmes processus. Le changement climatique, l’extinction de la biodiversité et la crise alimentaire constituent les trois processus les plus connus. Chaque changement global fait l’objet de diagnostics scientifiques globaux : le GIEC pour le changement climatique (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2014), le MEA pour la biodiversité (Millennium Ecosystem Assessment, 2005b) et l’IAASTD pour l’agriculture (International Assessment of Agricultural Knowledge Science and Technology for Development, 2009). Les diagnostics réalisés par chacun de ces groupes d’experts permettent de penser avec un très fort degré de certitude que nous sommes entrés, du fait des activités humaines, dans une ère de changements majeurs, l’Anthropocène (Crutzen, 2002 ; Crutzen et Stoermer, 2004 ; Lorius et Carpentier, 2010 ; Steffen et al., 2011) :

Considérant les conséquences, qui ne font que s’aggraver, que les activités humaines ont sur la terre et l’atmosphère, il nous paraît plus approprié de mettre l’accent sur le rôle central que l’humanité joue sur la géologie et l’écologie en proposant l’usage du terme Anthropocène pour qualifier l’époque géologique actuelle. Les impacts des activités humaines vont continuer pendant longtemps encore (Crutzen et Stoermer, 2004, p. 17-18).

Parler d’Anthropocène, c’est, comme le disent Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz (2013), fusionner deux temporalités, celle des temps géologiques (l’histoire de la planète) et celle des temps historiques (et plus particulièrement des cinquante dernières années). Non seulement ces temporalités se rencontrent, mais elles vont rester intimement liées : le processus est engagé, et quoiqu’il arrive les transformations de la planète vont peser sur celles des humains – la temporalité géologique va déborder sur la temporalité humaine. D’où une conséquence fondamentale :

Prendre au sérieux l’Anthropocène, c’est donc acter qu’il n’y a plus rien à gagner à parler de crise environnementale. Le mot crise entretient un optimiste trompeur : il donne à croire que nous serions simplement confrontés à un tournant périlleux de la modernité, à une épreuve brève dont l’issue serait imminente. Le terme de crise désigne un état transitoire, or l’Anthropocène est un point de non-retour. Il désigne un dérèglement écologique global, une ← 11 | 12 → bifurcation géologique sans retour prévisible à la normale de l’Holocène (Bonneuil et Fressoz, 2013, p. 39).

Ce n’est dès lors pas à une crise que nous aurions à faire, mais à un état de perturbations permanentes et sévères. Il y a là une contradiction fondamentale : état et perturbation sont deux mots antinomiques. Cet oxymore est pourtant au cœur du propos de cet ouvrage. Car il peut être le fondement du diagnostic des changements globaux, que l’on peut résumer par la formule suivante : « certes, il y a des agencements, qui permettent aux sociétés de fonctionner, mais ces agencements sont fragiles. Ils reposent en effet sur des équilibres qui ont pu fonctionner à des périodes précises de l’histoire, mais qui sont aujourd’hui fortement perturbés du fait de la difficulté pour les milieux de continuer à absorber les effets négatifs de ces agencements sans voir son fonctionnement profondément perturbé ».

D’où la question, très générale : quels agencements peut-on inventer pour faire tenir cet état de déséquilibre permanent ? Ce questionnement, qui sera sous-jacent à l’ensemble de notre propos, est très vaste. L’ambition de ce travail est bien plus modeste : d’abord parce qu’elle se restreint à un champ particulier, l’agriculture, mais surtout parce qu’elle se limite à un regard particulier : l’analyse, à partir de cas précis, des difficultés rencontrées dans des tentatives contemporaines de résolutions des changements globaux appliquées à l’agriculture.

L’agriculture tient une place particulière dans l’entrée dans l’Anthropocène : elle est une des causes des changements globaux et en supportera en premier lieu les conséquences ; elle est de ce double fait un acteur majeur de la gestion de ces changements. Dit autrement, l’agriculture est un important émetteur de gaz à effets de serres (entre 15 et 20 % des émissions globales), et en tant qu’activité fortement dépendante des conditions climatiques, elle sera fortement touchée par le changement climatique. L’agriculture repose en outre sur des fonctionnements écosystémiques dont les perturbations, dont elle est en partie responsable, la touchent fortement : l’appauvrissement des sols, l’érosion de la biodiversité, perturbent les bases mêmes des fonctionnements écosystémiques. Enfin, l’agriculture doit nourrir une population humaine en constante augmentation et fournir des matières premières à l’industrie, alors même que le modèle de la seconde révolution agricole est à bout de souffle et que ses effets sur le milieu sont fortement contestés.

On comprend l’importance des enjeux qui touchent l’agriculture et la prolifération d’une littérature qui cherche à les relever : « produire autrement », produire plus, moins polluer et être capable de s’adapter aux changements devient un leitmotiv. Des solutions sont proposées. ← 12 | 13 → Celles-ci, on ne s’en étonnera pas, peuvent être appréhendées au travers d’une opposition entre « plus de technologies » et « recours aux processus naturels ». Pour les uns, il faut approfondir la seconde révolution agricole par le recours aux technologies pour mettre en place une autre révolution agricole, qui soit elle plus respectueuse des milieux. Pour les autres, il faut au contraire acter l’échec des technologies et revenir à un ménagement des milieux. Ce débat, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir, se double d’un autre débat, sur « où produire ? », ou plutôt « que produire où ? » Car tous les milieux ne sont pas adaptés aux mêmes productions, et les intensifications ne peuvent se faire partout de la même manière. D’où une réflexion fortement spatialisée.

Spatialiser un phénomène revient à prendre toutes les dimensions qui constituent l’espace : l’espace a une épaisseur naturelle, sociale et historique qui rend illusoire le fait de vouloir appliquer partout les mêmes recettes. Si dans les débats que nous allons suivre les potentialités naturelles des milieux sont prises en compte, leurs histoires, les populations qui les ont portés sont, elles, oubliées. D’où le fait que chercher une réponse unique à la question « que produire où ? » est vain, car la production est toujours faite dans un contexte particulier pour s’adapter à un contexte en transformation. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de mettre l’accent sur les contextes et sur leurs possibilités de transformation, de partir de ce qui se fait localement pour comprendre les potentialités d’évolution. La caractérisation des contextes occupera une place considérable dans cet ouvrage. Car ceux-ci sont déterminants, en tant qu’agencements, en ceci qu’ils fournissent les conditions dans lesquelles une innovation peut émerger. Ils n’interdisent pas l’émergence d’une solution, mais ils la conditionnent.

Contextualiser, c’est être attentif aux circonstances dans lesquelles se déroule un fait. Les faits dont nous parlerons sont à la fois très globaux et très locaux ; ils sont aussi inscrits dans des contextes nationaux et régionaux. Ce n’est cependant pas, comme on a pu le croire (Marston et al., 2005), parce que ces faits sont multiscalaires qu’ils ne sont pas structurés et structurants. Au contraire, une échelle, comme un territoire, est à la fois un artefact scientifique (ce qui nous permet de lire un phénomène), un fait physique (les phénomènes se déroulent à certaines échelles) et une construction politique (Brenner, 2001 ; Orain, 2004 ; Rangan et Kull, 2009). Parlant d’agriculture, cinq échelles nous paraissent entrer en interactions pour constituer un contexte : l’échelle de l’exploitation agricole, celle où se prennent les décisions, c’est-à-dire où s’organise la production des aliments ; l’échelle du territoire dans lequel une exploitation est insérée et qui offre une mosaïque de milieux par rapport à laquelle s’organise la production ; l’échelle régionale, qui peut être une échelle politique d’action et qui donne des conditions générales ← 13 | 14 → des milieux ; une échelle nationale, qui fixe des règles du jeu politique et économique ; et une échelle globale, qui donne le cadre dans lequel ces règles sont fixées. Un contexte, c’est l’ensemble des conditions naturelles, économiques et politiques qui résultent de l’imbrication de ces échelles.

Que peut un individu dans un contexte multiscalaire dont nombre de dimensions lui échappent ? En est-il prisonnier ? Comment s’approprie-t-il les différents éléments qui constituent le contexte, comment peut-il en jouer ? En sciences sociales, les alternatives sont posées entre l’agent, qui subit le contexte, l’acteur, qui en joue, et le sujet, qui s’y adapte en y définissant des logiques qui lui sont propres. Notre expérience auprès d’agriculteurs nous a plutôt montré que c’était la troisième solution que l’on observait, et ce même dans des contextes à forts enjeux (Arnauld de Sartre, 2006). Elle permet en effet d’avoir un certain optimisme méthodologique :

Résumé des informations

Pages
204
Année de publication
2016
ISBN (PDF)
9782807600881
ISBN (ePUB)
9782807600898
ISBN (MOBI)
9782807600904
ISBN (Broché)
9782807600874
DOI
10.3726/978-2-8076-0088-1
Langue
français
Date de parution
2016 (Novembre)
Publié
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 204 p., 24 fig., 12 tabl.
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Notes biographiques

Xavier Arnauld de Sartre (Auteur)

Chercheur au CNRS (récipiendaire notamment de la médaille de Bronze du CNRS en 2007), titulaire d’une habilitation à diriger les recherches, Xavier Arnauld de Sartre est spécialiste de l’agriculture dans les pays du Sud, notamment dans des contextes à faible densité, et a beaucoup travaillé sur la gouvernance environnementale, notamment au travers de l’évolution des paradigmes cadrant cette gouvernance.

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Titre: Agriculture et changements globaux