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L’Europe en quête d’Européens

Pour un nouveau rapport entre Bruxelles et les nations

de Gérard Bouchard (Auteur)
©2017 Monographies 228 Pages
Série: Diversitas, Volume 22

Résumé

Plaidoyer en faveur de l’Union européenne, ce livre critique néanmoins certains choix culturels qu’elle a faits lors de sa fondation et qui entravent aujourd’hui son intégration. Elle doit rebâtir ses fondements symboliques et redéfinir sa relation avec les nations (à ne pas confondre avec les États). Les orientations culturelles qu’elle a privilégiées à sa naissance lui ont permis de connaître un essor rapide, mais faute de les réviser à temps, elles sont devenues dysfonctionnelles. Or, les tentatives qu’elle a faites ultérieurement pour se donner de nouveaux mythes et une identité continentale ont échoué. Par ailleurs, les leaders de l’Union se sont toujours méfiés des nations et des nationalismes, accusés d’avoir provoqué les horreurs des deux guerres mondiales. Ils ont donc voulu les contourner en instituant une gouvernance par le haut d’où a résulté un déficit démocratique.
L’Union devra désormais s’employer à se réconcilier avec les nations, en les réhabilitant, et à tirer profit de leurs ressources symboliques pour se doter de mythes ayant une résonance à la fois nationale et européenne.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Introduction
  • Chapitre 1: Le concept de fondement symbolique
  • I. Les identités
  • II. Les mythes
  • III. Conclusion
  • Chapitre 2: Les choix fondateurs de l’Union
  • I. Rappel des choix fondateurs
  • II. Les choix fondateurs : un aperçu critique
  • Chapitre 3: La nation en garde à vue
  • I. Une dynamique à trois acteurs
  • II. L’UE contre les nations ?
  • III. La nation résiliente
  • IV. Conclusion
  • Chapitre 4: Essais de construction d’un fondement symbolique
  • I. Pourquoi une identité européenne ?
  • II. Les recherches sur l’identité européenne : un survol
  • III. Bilan
  • IV. Conclusion
  • Chapitre 5: Essais de construction d’un fondement symbolique
  • I. Le mythe : un sujet controversé
  • II. Propositions de mythes européens
  • III. Évaluation
  • IV. Conclusion
  • Chapitre 6: Un avenir pour des mythes européens
  • I. L’Europe : un état d’urgence ?
  • II. Réhabiliter la nation
  • Chapitre 7: La construction de mythes européens
  • I. Introduction
  • II. (Ré)concilier l’UE avec les nations
  • III. L’européanisation des mythes nationaux
  • IV. Une voix à plusieurs échos
  • V. Conclusion
  • Conclusion générale
  • Références
  • Index
  • Titres de la collection

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Remerciements

Cette recherche a été conduite dans le cadre des travaux de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires collectifs, dont je suis le titulaire. Elle a bénéficié aussi de la collaboration du CRIDAQ (Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité, basé à l’Université du Québec à Montréal).

J’exprime ma gratitude à l’endroit de l’Université du Québec à Chicoutimi et de la Fondation de l’Université du Québec à Chicoutimi pour leur généreuse assistance financière. Je suis reconnaissant à Catherine Audet pour son soutien technique de même qu’à Alain Roy, Jean-François Lessard et Monique Fournier pour leur assistance professionnelle.

Je dois beaucoup aussi aux échanges que j’ai eus avec divers chercheurs (Justine Lacroix, Yves Bertoncini, Peter A. Hall, Peter Gourevitch, etc.).

Enfin, des versions initiales du manuscrit ont pu être améliorées grâce aux précieuses observations de Geneviève Nootens, Michel Seymour, George Ross, Alain-G. Gagnon et aux participants à un colloque organisé en mars 2016 à l’Université du Québec à Montréal.

Ma gratitude s’étend à tous ceux et celles qui ont bien voulu commenter mes analyses dans le cadre de nombreux séminaires et conférences, notamment auprès du groupe « Successful Societies » du Canadian Institute for Advanced Research. ← 9 | 10 →

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Introduction

Ce livre se veut un plaidoyer sans équivoque en faveur de l’Union européenne. Mais il offre aussi une critique de certains choix qu’elle a faits et qui compromettent présentement la poursuite de ses efforts d’intégration.

D’abord, l’ouvrage souhaite démontrer que l’Union a besoin de s’appuyer sur un fondement symbolique ou culturel plus ou moins substantiel, selon le type de configuration (plus ou moins centralisé) qui lui sera assigné dans l’avenir. Après avoir introduit la notion de fondement symbolique, l’exposé revient sur les choix culturels qui ont présidé à la naissance de l’Union1 et lui ont permis de connaître un essor rapide. Cependant, un examen critique montre que certains de ces choix fondateurs, après avoir propulsé l’UE, ont perdu de leur pouvoir de mobilisation. Quant aux autres choix, ils se sont finalement avérés dysfonctionnels ; on peut en effet les lier directement aux grandes difficultés auxquelles l’Union est actuellement confrontée.

L’ouvrage passe ensuite en revue les essais infructueux effectués au cours des dernières décennies pour doter l’Union de nouveaux mythes et d’une identité, ces échecs contribuant à accentuer un déséquilibre entre la sphère fonctionnelle, axée principalement sur l’économie, et la sphère symbolique. L’Union s’est trouvée ainsi placée dans une sorte de cul-de-sac, éprouvant le besoin de renouveler et de renforcer ses assises symboliques mais s’avérant incapable de le faire.

Selon une autre thèse mise de l’avant dans l’ouvrage, l’un des choix les plus délétères effectués par les fondateurs de l’Union a consisté à marginaliser et même à tenter de neutraliser les nations (à ne pas confondre avec les États – infra), dont ils se méfiaient, et à adopter un mode de gouvernance ← 11 | 12 → vertical (« top-down »)2. Il est suggéré de rompre avec cette orientation qui nourrit une tension permanente entre l’Union et les nations et fait obstacle de diverses façons à son intégration économique, politique et culturelle. La voie proposée consisterait à réconcilier ces deux acteurs, en amenant le premier à voir dans les secondes un réservoir d’énergie et de ressources symboliques à harnacher plutôt qu’à contraindre. S’ouvriraient ainsi de nouvelles perspectives pour la construction de mythes européens – l’une des voies proposées dans cet ouvrage consistant dans une européanisation des mythes nationaux (ceux qui sont porteurs de valeurs promues par l’UE : égalité, justice sociale, démocratie, pluralisme, etc.).

Il va de soi que cette réorientation exigerait de la part des leaders européens une révision des pratiques de gouvernance et une nouvelle façon de penser l’avenir de l’Union. Elle appellerait aussi une réflexion renouvelée sur la façon d’agencer ou de synchroniser les cultures nationales et le développement d’un tissu symbolique continental. En fait, cette réorientation apparaît comme une condition nécessaire à la poursuite de l’intégration européenne.

En somme, ce livre plaide pour deux formes de réhabilitation, celle du mythe et celle de la nation. Il offre, à cette fin, une analyse culturelle du devenir et de la situation de l’UE3. Ce faisant, il ne prétend nullement discréditer les autres démarches. Il va de soi qu’une société ne se réduit pas à un corpus de valeurs, croyances, idéaux, mythes, identités et traditions. En plus, les comportements collectifs sont évidemment motivés par des intérêts concrets au moins autant que par des ressorts d’ordre symbolique. Une approche d’ensemble devrait donc idéalement accorder une très large part au rôle que jouent concurremment le politique et l’économique, les relations de pouvoir, les jeux d’intérêts, de même que les conflits qui accompagnent et souvent conditionnent la vie des symboles et des idées. Elle devrait aussi prendre en compte toute une gamme d’acteurs, tels que les partis politiques, les syndicats, les villes, les nombreux et très influents lobbyistes et diverses institutions.

Je signalerai toutefois que, dans le cas de l’UE, s’il est relativement aisé de reconnaître les interventions de ces protagonistes, il est beaucoup ← 12 | 13 → plus difficile d’observer de véritables mouvements sociaux contestataires dont l’action relèverait, par exemple, de la politique de protestation ou de contestation (« contentious politics »)4. Quoi qu’il en soit, toute cette dimension n’entre pas dans mon analyse, même si je ne pourrai évidemment pas en exclure les relations complexes entre Bruxelles, les États membres et les nations.

L’ambition de cet essai reste donc modeste. Dans un esprit de complémentarité, mon but est de faire voir ce qu’une démarche culturelle peut ajouter à la connaissance et à la compréhension que nous possédons déjà du passé et du présent de l’Union. L’un des postulats de l’ouvrage suppose que les facteurs symboliques ou culturels agissent constamment sur le devenir d’une société et qu’ils possèdent donc une part d’autonomie. Cela dit, je verrai à situer l’arène où se joue l’affrontement des idées et identifier au moins sommairement les grands acteurs en présence.

Plus spécifiquement, je souhaite que cette contribution jette un éclairage original sur les défis et les difficultés auxquels l’UE fait face actuellement, tout en reconnaissant l’ampleur de ses réalisations. Il ne s’agit assurément pas de remettre en question la pertinence de cet organisme unique qui, dans l’ensemble, s’est avéré jusqu’ici un important levier pour promouvoir la paix et le développement. L’analyse porte un regard critique sur d’anciennes orientations devenues caduques et même nuisibles, et offre quelques suggestions pour l’avenir. Cette initiative trouve une pertinence accrue dans le contexte actuel, caractérisé notamment par la crise économique qui sévit depuis quelques années et qui s’est aggravée avec la débâcle grecque, le vote en faveur du « Brexit » et la crise des réfugiés. On sait par ailleurs que les pronostics très sombres sur l’avenir de l’Union ne manquent pas, certains « europessimistes » allant jusqu’à prédire son éclatement imminent (voir chapitre 6).

En résumé, la proposition présentée dans cet ouvrage voudrait contribuer de trois façons à la santé de l’Union : a) renouveler et renforcer son fondement symbolique pour en faire une source de solidarité, b) réduire la vieille tension entre Bruxelles et les nations (ou les « peuples »), et c) affaiblir les assises sur lesquelles prospèrent actuellement les nationalismes de droite (ou d’extrême droite) et autres courants anti-Union. ← 13 | 14 →

Le livre est fondé sur l’étude de quelques centaines d’ouvrages et articles publiés pour la plupart depuis les années 1950 par des auteurs de divers pays qui ont contribué à la réflexion sur les orientations et les voies de développement de l’Union5. Ce sont essentiellement des acteurs politiques, des hauts-fonctionnaires, des universitaires et des intellectuels publics dévoués au développement de l’Union, auxquels s’ajoutent des voix plus critiques, parfois carrément opposées au projet. Des documents officiels de l’UE et des textes de journaux ont aussi été mis à profit.

Un mot, enfin, sur la raison qui a motivé cette recherche. Pour le sociologue comme pour l’historien, l’Union représente un phénomène exceptionnel dans l’histoire des sociétés. C’est une tentative sans précédent de création d’un lien sociétal6 à une très large échelle, fondé sur le consentement de partenaires qui, à un moment ou l’autre et à plus d’une reprise dans le passé, se sont presque tous trouvés en guerre entre eux. Après plusieurs décennies, l’aventure de l’UE a dû surmonter bien des obstacles mais elle se poursuit, en dépit d’importantes carences. Depuis sa création, en effet, la paix a régné parmi ses États membres et d’importants dispositifs ont pu être mis en place, notamment en matière de justice, de sécurité, de citoyenneté et d’environnement. Dans sa politique extérieure, l’UE a toujours milité contre les guerres et pour le droit, en plus de soutenir de nombreuses coopérations internationales. Ces antécédents suffisent à en faire une initiative remarquable dont le monde actuel a bien besoin.

Sur un autre plan, les européanistes (j’appelle ainsi les partisans de l’intégration européenne) aiment à souligner que le continent représente un marché intérieur d’un demi-milliard de consommateurs, qu’il produit aujourd’hui plus de 20 % de la richesse mondiale, qu’il est le premier exportateur de biens et services et qu’avec son PIB de plus de $18 trillions (supérieur à celui des États-Unis, plus de trois fois celui de la Chine), il est devenu la première puissance économique mondiale7. Nul ne se surprendra qu’un dossier aussi spectaculaire suscite l’attention de tant de chercheurs – nous reviendrons cependant plus loin sur ces données.

Une grande question émerge de cette immense expérience de coopération : qu’est-ce qui l’a finalement rendue possible alors que de ← 14 | 15 → nombreux essais antérieurs avaient tourné à l’échec ? Le rêve d’un continent uni et pacifié est en effet ancien. Presque chaque guerre entre Européens l’a rallumé, au moins provisoirement, en réaction aux violences perpétrées. On le rencontre (on ne parlera pas ici des entreprises d’unification fondées sur la force militaire comme celles de Napoléon ou Hitler) chez des esprits aussi divers que Sully, William Penn, l’abbé de Saint-Pierre, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Kant, Saint-Simon, Proudhon, Victor Hugo8, Renan (qui prévoyait l’effacement des nations dans une « Confédération européenne »), Stefan Zweig, Thomas Mann, etc.

Parmi les projets les plus articulés, signalons celui de Jules Barni qui, dans les années 1860, a voulu instaurer les « États-Unis d’Europe ». Il y eut aussi, au début du 20e siècle, le projet italien d’une Europe culturelle, mis en échec par la Première Guerre mondiale et la montée des fascismes (G. Bosetti, 1998). La fin de la guerre 1914-18 et la mémoire de ses horreurs inspirèrent des initiatives analogues sous l’impulsion de Walther Rathenau, Édouard Herriot, Aristide Briand, Gustav Stresemann, Richard Coudenhove-Kalergi et bien d’autres. Elles échouèrent également. On pense aussi au projet d’Union européenne présenté par le gouvernement français en 1929 devant la Société des Nations, aux animateurs de l’Ordre nouveau (Robert Aron, Alexandre Marc) qui, en 1933, préconisaient une véritable fédération européenne, au projet des Italiens A. Spinelli et E. Rossi qui, au début des années 1940, conçurent une autre formule d’unité continentale9, ou à Denis de Rougemont, l’un des fondateurs de l’Union européenne des fédéralistes et du Centre européen de la culture10.

Encore une fois, l’UE est sans précédent et on s’interroge sur les conditions qui ont conduit à sa naissance. Est-ce parce que les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale ont surpassé celles qui l’ont précédée ? Une conjoncture continentale plus favorable avait-elle pris forme ? Une conjugaison de menaces extérieures faisait-elle craindre rien de moins que la fin de l’Europe ? Est-ce parce qu’une génération exceptionnelle de ← 15 | 16 → leaders éclairés a su changer le cours des choses ? Il faudrait une immense enquête comparée pour y voir clair11.

Quant à la question plus circonscrite de la nature de la motivation qui a permis à l’UE de durer, elle a reçu elle aussi des réponses disparates. Certains analystes ont insisté sur les perspectives de prospérité pour les populations concernées ou sur les avantages divers que les États partenaires pourraient y trouver ; d’autres sur des facteurs géopolitiques, des questions de sécurité ; d’autres encore sur un sentiment d’appartenance, une solidarité née d’une longue histoire commune. On a aussi fait valoir tantôt l’influence de la tradition humaniste européenne, tantôt l’effet d’une dynamique largement automotrice, d’ordre fonctionnel et institutionnel. La réponse emprunte sans doute à chacun de ces facteurs. Mais je n’essaierai pas de démêler cet écheveau et limiterai mon enquête au devenir de l’UE dans sa dimension culturelle.


1 Cette appellation sera utilisée principalement tout au long du livre, même si la communauté européenne a connu divers changements de nom au cours de son histoire. Par ailleurs, et sauf exceptions, je parlerai de l’Europe pour désigner le continent (avec toutes les imprécisions du terme) ainsi que ses États-nations, et de l’UE pour référer à la structure institutionnelle de gouvernance et de collaboration entre États européens. Mais cette distinction, claire en principe, s’avère parfois ténue, en plus de sacrifier bien des nuances – ainsi, selon C. Van Mol (2015), le mot Europe comporte diverses acceptions, l’UE ne s’étend pas à toute l’Europe, etc.

Résumé des informations

Pages
228
Année
2017
ISBN (PDF)
9782807603387
ISBN (ePUB)
9782807603394
ISBN (MOBI)
9782807603400
ISBN (Broché)
9782807603370
DOI
10.3726/b11104
Langue
français
Date de parution
2017 (Mai)
Mots clés
identité européenne mythes européens symbolique de l'Europe nations rapports en Europe
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 228 p.

Notes biographiques

Gérard Bouchard (Auteur)

Historien et sociologue, Gérard Bouchard est professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses principaux domaines d’intérêt sont les imaginaires collectifs, les mythes sociaux et nationaux ainsi que la gestion de la diversité ethnoculturelle.

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Titre: L’Europe en quête d’Européens
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