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La nature, l’autre «frontière»

Fronts écologiques au Sud (Afrique du Sud, Argentine, Chili)

de Sylvain Guyot (Auteur)
©2018 Monographies 310 Pages
Série: EcoPolis, Volume 30

Résumé

Cet ouvrage a pour ambition de proposer une lecture territoriale des rapports de pouvoir et de domination des sociétés dans leur rapport à la nature. Sylvain Guyot propose ici une formulation approfondie du concept de front écologique, désignant les (re)conquêtes territoriales réalisées au nom de la nature. La mondialisation contemporaine des enjeux écologiques et de protection de la nature offre un ensemble de dynamiques propres à valider la capacité d’éclairage planétaire des fronts écologiques (ONG environnementales, OIG, protection privée de la nature, services écosystémiques, éco-tourisme, retour à la nature, etc.).
L’auteur replace les enjeux internationaux dans leurs contextes nationaux et locaux, qu’ils soient politiques ou historiques, avec une comparaison inédite entre les trois cas sud-africain, argentin et chilien, véritables laboratoires écologiques et politiques de l’hémisphère austral.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface (Myriam Houssay-Holzschuch)
  • Introduction
  • Chapitre I : Une théorie des fronts écologiques
  • I. Construction théorique
  • I.1. De l’utilisation de la notion de front
  • I.2. Environnementalité et écologicalité
  • II. Construction opérationnelle
  • II.1. Dynamiques spatio-temporelles d’un front écologique
  • II.2. Dynamiques générationnelles
  • II.3. Environnementalités politiques ou post-politiques ?
  • Chapitre II : Le front écologique, entre impérialisme et constructions nationales (Afrique du Sud, Argentine, Chili)
  • I. Le front écologique impérial : le privilège de l’Afrique du Sud
  • I.1. Les colonies pionnières du Cap et du Natal
  • I.2. De l’impérialisme britannique au nationalisme boer
  • II. Le front écologique géopolitique : nature, nationalisme et régimes autoritaires
  • II.1. En Afrique du Sud
  • II.2. En Argentine
  • II.3. Au Chili
  • II.4. Comparaison des générations géopolitiques dans les trois pays
  • Chapitre III : Le front écologique global. Attractivité écologique de l’Afrique du Sud, de l’Argentine et du Chili
  • I. Les dynamiques territoriales et politiques du front écologique global en Afrique du Sud, Argentine et Chili
  • I.1. En Afrique du Sud
  • I.2. En Argentine
  • I.3. Au Chili
  • II. Synchronie des sous-processus globaux ?
  • II.1. Le front écologique UNESCO
  • II.2. Les fronts écologiques au-delà des frontières
  • II.3. Préconisation des fronts écologiques par la priorisation (BINGO)
  • II.4. Services écosystémiques
  • II.5. Fronts du green grabbing ou fronts écologiques privés ?
  • II.6. Le fort développement de l’éco-tourisme
  • II.7. Fronts écologiques du retour à la nature
  • II.8. Les fronts écologiques autochtones
  • II.9. Bilan comparatif
  • III. Penser la cyclicité des fronts écologiques
  • III.1. Cyclicité plurigénérationnelle à dynamique stable
  • III.2. Cyclicité plurigénérationnelle à dynamique instable
  • III.3. Cyclicité monogénérationnelle à dynamique de fermeture
  • III.4. Cyclicité monogénérationnelle à dynamique instable
  • III.5. Cyclicité monogénérationnelle à dynamique pionnière
  • Conclusion générale
  • Références bibliographiques
  • Index
  • Titres de la collection

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Préface

Conserver et conquérir

Myriam HOUSSAY-HOLZSCHUCH

Université Grenoble-Alpes, UMR 5194 PACTE

« Conserver la nature », protéger l’environnement, semblent de l’ordre de l’évidence. Au vu des enjeux globaux et locaux, des menaces qui pèsent, du changement climatique à la diminution drastique de la biodiversité, agir de manière écologique s’impose à tous, sans distinction de parti ou de conviction, à l’exception de quelques sceptiques d’arrière-garde et autres présidents des États-Unis d’Amérique. Au vu de cette conviction largement partagée, quasi consensuelle, et de la complexité scientifique de toute action sur l’environnement, les politiques environnementales relèveraient à la fois du bon sens – qui peut raisonnablement être contre ? –, de la bonne gestion, et de l’expertise. À ce titre, elles échapperaient au politique : pas de choix partisan, pas de priorité à déterminer entre plusieurs possibles, pas d’acteur ou de groupe social à écouter, favoriser, protéger.

Il n’est est évidemment rien : cette dimension post-politique des actions sur l’environnement est une illusion (Swyngedouw, 2009). Protéger est un choix, que l’on peut faire ou non. Protéger quoi, protéger comment, protéger où, protéger pour qui et au détriment de quoi – ou qui, en est une série d’autres. À ce titre, les acteurs de ces choix prennent une importance toute particulière, comme les conséquences de leurs actions ou inactions.

La Political Ecology dans le monde anglophone, les sciences sociales de l’environnement (dont la géographie politique) dans le monde francophone mettent très précisément à jour ces dimensions politiques des actions environnementales depuis quelques décennies. En France, les recherches se multiplient depuis quelques années (Arnauld de Sartre et al., 2014 ; Chartier & Rodary, 2016). En particulier, les aires ← 11 | 12 → protégées ont constitué un objet de choix pour la géographie politique de l’environnement (Laslaz et al., 2012).

Les recherches de Sylvain Guyot, et cet ouvrage en particulier, s’insèrent dans ce cadre et y contribuent très fortement depuis le départ. Elles s’appuient sur trois cas emblématiques, l’Afrique du Sud, le Chili et l’Argentine, dans lesquels il a effectué des recherches de terrain de longue durée. Trois pays de l’hémisphère Sud, aux milieux très variés, à la biodiversité précieuse et souvent endémique et où le choix de conserver (le terme est important) de vastes zones naturelles a été fait précocement. Trois post-colonies de peuplement également, où les populations autochtones ont souffert et souffrent encore de la colonisation, de la dépossession foncière, de la rupture de leurs liens avec l’environnement. Trois pays post-autoritaires, où des régimes brutaux ont imposé par la force une manière de gérer le territoire, y compris dans leurs rapports avec la nature.

Sylvain Guyot élabore ici une analyse comparée des politiques de conservation des trois pays. Le rôle de l’État y apparaît central. Sa déclinaison impériale est particulièrement visible en Afrique du Sud à l’époque de la colonisation britannique. Dans les trois cas, la délimitation d’aires protégées où conserver la nature apparaît comme une manière d’établir la souveraineté de l’État : par le dessin de frontières internationales, par le contrôle des territoires et des populations, par le rôle de ladite conservation de la nature dans la construction nationale. Sylvain Guyot en fait une géohistoire attentive, distinguant des régimes de conservation impériaux, géopolitiques, globaux. Il montre notamment le rôle actif de l’armée dans les aires protégées, y compris aujourd’hui où drones militaires et soldats tentent par exemple de protéger du braconnage les rhinocéros du Parc Kruger en Afrique du Sud (Lunstrum, 2014). Il montre également comment l’environnement est soumis à un régime de gouvernance marqué par la néolibéralisation : l’État y est toujours présent, mais organismes internationaux, ONG, entreprises, personnes privées et communautés autochtones ou non participent désormais à un gouvernement multiscalaire de l’environnement. La diversité de ces acteurs, dont l’auteur dresse des portraits-types frappants, est ici prise en compte de manière très fine et nuancée.

Les trois pays que Sylvain Guyot étudie ici en détails ne sont pas exceptionnels – bien au contraire, ils sont exemplaires de ce nœud entre conserver l’environnement et conquérir le territoire. La remarquable démarche analytique qu’il applique à ces trois cas lui permet, en ← 12 | 13 → pensant par les marges, des apports théoriques décisifs dont celui qui donne son titre à l’ouvrage : la notion de front écologique, qui désigne « l’appropriation écologisante d’espaces réels ou imaginaires dont la valeur écologique et esthétique est très forte ». Cette notion est éminemment convaincante et lui permet d’interpréter sous un jour nouveau les cas actuellement étudiés par la recherche.

Sylvain Guyot pratique ici une géographie critique, attentive aux relations de pouvoir et de domination, multilingue, internationale, à forte ambition théorique et ancrée dans des recherches de terrain. « La nature, l’autre frontière : Fronts écologiques au Sud (Afrique du Sud, Argentine, Chili) » est à ce titre un ouvrage exemplaire.

Références

ARNAULD DE SARTRE, X., et al. (dir). 2014. «Political ecology» des services écosystémiques. Bruxelles : P.I.E-Peter Lang S.A., Éditions Scientifiques Internationales.

CHARTIER, D., & RODARY, E. (dir). 2016. Manifeste pour une géographie environnementale. Paris : Presses de Sciences Po.

LASLAZ, L., et al. 2012. Atlas mondial des espaces protégés. Paris: Autrement.

LUNSTRUM, E. 2014. « Green Militarization: Anti-Poaching Efforts and the Spatial Contours of Kruger National Park ». Annals of the Association of American Geographers 104(4) : 816-832.

SWYNGEDOUW, E. 2009. « The Antinomies of the Postpolitical City: In Search of a Democratic Politics of Environmental Production ». International Journal of Urban and Regional Research 33(3): 601-620. ← 13 | 14 →

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Introduction

Ce livre, tiré d’un mémoire d’habilitation à diriger des recherches1, a pour ambition de proposer une lecture territoriale des rapports de pouvoir et de domination des sociétés dans leur rapport à la nature. Cette vision politique des appropriations socio-spatiales de la nature est résolument postcoloniale car elle repose sur des circulations conceptuelles croisées Sud-Nord, Sud-Sud et Nord-Sud.

Je propose dans cet ouvrage une formulation approfondie du concept de front écologique, fondée sur une vision essentiellement occidentalo-centrée de la nature. Dans cet ouvrage l’idée de nature est une entrée thématique pour faire de la géographie politique, et non le contraire. C’est en suivant cette logique que j’ai choisi de parler de « front écologique » pour désigner les (re)conquêtes territoriales réalisées au nom de la nature. En effet, les fronts écologiques sont des entités réelles constituées par des propriétés émergentes ou pionnières.

Stricto-sensu, le concept de front écologique devrait correspondre à des dynamiques spatiales réservées aux espèces animales et végétales comme les invasions biologiques, or j’utilise le terme à propos de dynamiques socio-spatiales réalisées à des fins politico-culturelles et socio-économiques. Le terme de « front écologiste » serait donc sémantiquement plus juste, au regard de la différence existant entre l’écologie (science des écosystèmes) et l’écologisme (militantisme orienté vers la protection de ces écosystèmes). Toutefois, avec le terme « écologie », la filiation avec la political ecology me semble ainsi évidente et souhaitable. De plus, « écologique » fait aussi référence dans le langage courant à un usage ou une pratique respectueuse de la nature (ou de l’environnement) et le préfixe « éco » est souvent utilisé pour signifier ce parti pris (éco-lodge, éco-village, éco-tourisme etc.). L’idée qu’une appropriation spatiale soit respectueuse de la nature correspond précisément à l’idée d’un front écologique (fig. 1). En outre, je relie le front écologique à une théorie de l’environnementalité ou ← 15 | 16 → éco-gouvernementalité (Agrawal, 2005b ; Fletcher, 2010 ; Luke, 2000 ; Rutherford, 2007) dérivée de la gouvernementalité foucaldienne (Foucault, 1978) et de l’environnementalisme (Duban, 2000).

Les fronts écologiques reposent sur le principe que la plupart des appropriations spatiales passées et contemporaines de la nature relèvent de formes de dominations politique, sociale et économique fortement territorialisées (Héritier et al., 2009). Le contexte sud-africain, sur lequel je travaille depuis 20 ans, m’a aidé à formaliser cette hypothèse de recherche postcoloniale où l’analyse politique critique des instrumentalisations pouvait parfois l’emporter sur la réflexion empirique sur la pertinence des différents modes de gestion de la nature. Ce travail s’inscrit donc clairement dans une political ecology où le politique l’emporte sans doute sur l’écologie (Walker, 2005, 2006, 2007). La protection de la nature n’est pas post-politique, et n’appartient pas à une ère où un certain consensus éthique dominerait les enjeux politiques (Swyngedouw, 2010) comme certains réseaux d’acteurs internationaux voudraient nous le faire croire (IUCN, WWF, UNESCO, États, etc.). La protection de la nature est éminemment « policée », à la manière de Rancière (Chambers, 2011 ; Pasquier, 2004 ; Purcell, 2014) et relève donc de stratégies de contrôle global et de domination politico-économique. Cette domination est intellectuelle et concerne aussi la production de la connaissance.

Le front écologique est un concept à but comparatif et disposant d’une capacité heuristique de relecture des problématiques à la fois du Sud et du Nord. Si la mondialisation des enjeux écologiques et de protection de la nature offre un ensemble de dynamiques propres à valider la capacité d’éclairage planétaire des fronts écologiques, il reste à ne pas simplifier les enjeux locaux et nationaux et à les replacer dans leurs contextes politiques respectifs.

Je propose de détailler dans le premier chapitre le concept de front écologique. Ainsi posée, ma proposition théorique sur les fronts écologiques contribue aux débats actuels sur l’instrumentalisation de la nature dans le monde.

La démarche comparative, dans les deuxième et troisième chapitres, entre l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Chili s’intéresse aux logiques internes, historiques puis contemporaines, propres à ces trois pays.


1 HDR soutenue le 15 octobre 2015 à l’Université de Limoges sous le titre « Lignes de front : l’art et la manière de protéger la nature ». Manuscrit original disponible en ligne, URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01242033/.

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CHAPITRE I

Une théorie des fronts écologiques

Le front écologique constitue un processus dynamique engagé dans différentes formes de temporalités. Je peux ainsi poser de manière concomitante la question de la fragilité des acquis (conquis) territoriaux de la protection de la nature dans certains pays instables tout comme celle de leur ubiquité dans un contexte global en apparence réceptif aux thèses environnementalistes. Le front écologique peut se penser en deux étapes : une étape théorique et une étape opérationnelle.

La première étape théorique examine en trois temps la pertinence de la notion de front au regard des enjeux sur la nature, l’apport du front écologique dans sa participation aux débats sur l’environnementalité et l’écologicalité.

Résumé des informations

Pages
310
Année
2018
ISBN (PDF)
9782807605176
ISBN (ePUB)
9782807605183
ISBN (MOBI)
9782807605190
ISBN (Broché)
9782807605169
DOI
10.3726/b11809
Langue
français
Date de parution
2017 (Octobre)
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 309 p., 30 ill. en couleurs, 49 ill. n/b, 17 tabl.

Notes biographiques

Sylvain Guyot (Auteur)

Sylvain Guyot est professeur de géographie à l’Université de Bordeaux Montaigne (UMR Passages 5319 CNRS). Membre junior de l’Institut Universitaire de France, ses travaux de recherche actuels portent sur la mise en art des fronts écologiques dans plusieurs contextes géographiques au Nord (France, États-Unis, etc.) comme au Sud (Afrique du Sud, etc.).

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Titre: La nature, l’autre «frontière»
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