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Étienne Clémentel (1864-1936)

Politique et action publique sous la Troisième République

de Marie Christine Kessler (Éditeur de volume) Guy Rousseau (Éditeur de volume)
©2018 Collections 470 Pages
Série: France contemporaine, Volume 6

Résumé

Étienne Clémentel (1864-1936) fait partie des oubliés de la Troisième République. La présente biographie, initiée par sa petite fille, est la première qui lui soit consacrée sur une véritable scène éditoriale. Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif. Il explore le parcours d’un élu local, d’un parlementaire, d’un ministre, rendu original par une trajectoire sociale ascendante et une vocation artistique constamment affirmée et exploitée.
Bien qu’il ait été présent à de nombreux tournants de l’histoire(la séparation de l’Église et de l’État, la Grande Guerre et ses conséquences, le cartel des Gauches), son action fut moins politique que structurelle et économique. Aux commandes du front économique en tant que ministre dans tous les gouvernements qui se sont succédé entre 1915 et 1919, il joua un rôle fondamental dans l’organisation de la victoire de 1918, dans la diplomatie économique et dans la structuration nouvelle de l’espace public.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Avant-propos (Jean-Yves Gouttebel)
  • Table des matières
  • Préface (Michel Borgetto)
  • Introduction (Marie-Christine Kessler)
  • Première partie. Étienne Clémentel dans son époque
  • I.1 La trajectoire sociale d’Étienne Clémentel (Marie-Christine Kessler / Guy Rousseau)
  • I.2 Les racines d’une pensée idéaliste (Guy Rousseau)
  • I.3 La construction d’une action économique (Clotilde Druelle-Korn)
  • I.4 Étienne Clémentel et son image (Guy Rousseau)
  • I.5 Étienne Clémentel, le ministre et les arts (Pierre Arizzoli-Clémentel)
  • I.6 Clémentel photographe : les autochromes (Louise Arizzoli)
  • Deuxième partie. Les pratiques politiques
  • II.1 Étienne Clémentel et l’Auvergne (Guy Rousseau)
  • II.2 Le député 1901-1915 (Fabienne Bock)
  • II.3 Clémentel sénateur (Fabien Conord)
  • II.4 Clémentel et le radicalisme (Olivier Dard)
  • Troisième partie. Étienne Clémentel au coeur de l’action : de la guerre à la paix
  • III.1 Agir et réagir face à la Grande Guerre (1914-1919) (Guy Rousseau)
  • III.2 Clémentel, le ministre et ses ministères (1915-1919) (Clotilde Druelle-Korn)
  • III.3 La sortie de guerre d’Étienne Clémentel (1919-1924) (Aline Fryszman)
  • III.4 Le monument de Vingré (Guy Rousseau)
  • III.5 L’« Inventaire de la situation financière de la France au début de la XIIIe législature » (Clotilde Druelle-Korn)
  • III.6 Le ministre des Finances du cartel des Gauches (1924-1925) (Guy Rousseau)
  • III.7 Clémentel face à l’opinion publique sous le cartel des Gauches (Jean-Étienne Dubois)
  • Quatrième partie. La continuité d’une action publique
  • IV.1 Le ministère des Colonies : M. Clémentel et sa « maison de commerce » (Gilles Ferragu)
  • IV.2 Clémentel, un radical agrarien (Alain Chatriot)
  • IV.3 Clémentel précurseur de l’Économie nationale (Clotilde Druelle-Korn)
  • IV.4 Le pré-planificateur : le « Rapport général sur l’industrie française, sa situation, son avenir » en 1919 (Michel Letté)
  • IV.5 Les « régions Clémentel » : débats et expériences (Alain Chatriot)
  • IV.6 Le « Père de l’Artisanat » (Cédric Perrin)
  • Cinquième partie. Aux origines de la diplomatie économique
  • V.1 Le « libéralisme organisé » : un programme national et international (Georges-Henri Soutou)
  • V.2 Clémentel et la diplomatie économique pendant la Première Guerre mondiale (Marc Trachtenberg)
  • V.3 Étienne Clémentel et la paix de 1919 : le dur combat pour le maintien de l’unité économique interalliée (Vincent Laniol)
  • V.4 Étienne Clémentel président-fondateur de la Chambre de commerce internationale (Clotilde Druelle-Korn)
  • V.5 D’Étienne Clémentel à Laurent Fabius : regard historien sur la diplomatie économique de la France (Laurence Badel)
  • Conclusion
  • Index
  • Titres de la collection

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Préface

Michel BORGETTO

Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas)
Directeur du Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Paris 2/CNRS)

Les contributions qui forment le présent ouvrage sont issues, pour nombre d’entre elles, d’un colloque organisé à Paris, le 6 octobre 2016, sous la direction scientifique de Marie-Christine Kessler et avec le soutien du Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Paris 2/CNRS)1.

Celle-ci et celui-là étaient, en l’occurrence, particulièrement bien placés pour prendre l’initiative d’une telle manifestation.

Marie-Christine Kessler, tout d’abord, en raison non pas seulement des liens personnels qui l’unissent à Étienne Clémentel : ce dernier n’étant autre… que son grand-père ; mais en raison, aussi et peut-être surtout, de ses travaux de recherche : une partie significative de ceux-ci ayant porté – ainsi qu’en témoignent les divers ouvrages qu’elle a consacrés au Conseil d’État, à l’École nationale d’administration et à la politique de la haute fonction publique ou encore aux grands corps de l’État – sur l’analyse de l’action et des politiques publiques et, plus précisément, sur l’étude des élites administratives.

Et le CERSA, ensuite, en raison à la fois de son histoire et de ses champs d’investigation : cette unité mixte de recherche (Paris 2 et CNRS) ayant fait, dès sa création dans les années 1960, de l’étude des phénomènes administratifs, dans toutes leurs dimensions (juridique, ← 13 | 14 → historique, politique, sociologique, etc.), le principe fondateur de son identité.

Sans doute, le laboratoire a-t-il peu à peu élargi, par la suite, ses principaux axes de réflexion : prenant en compte les compétences et les champs disciplinaires de ses nouveaux membres ainsi que l’importance croissante revêtue par certaines problématiques émergentes (Communs, droit souple, Nudges, etc.), il a entrepris d’explorer et d’investir des territoires nouveaux : l’administration numérique, les politiques sanitaires et sociales, les politiques de diversité sociale et de lutte contre les discriminations, l’européanisation des politiques publiques…

Mais si son périmètre de recherche a sensiblement évolué au fil du temps, il reste que ce qui en a toujours constitué et en constitue encore la spécificité ‒ ou, comme l’on dirait aujourd’hui, l’ADN ‒ est bel et bien l’analyse du phénomène administratif dans son ensemble : ce qui passe notamment par l’étude des organes et institutions mis en place, par l’étude des formes d’action mises en œuvre ou encore par l’étude des réformes multiples et variées mises en mouvement ou, le cas échéant, mises en cause par les uns et les autres.

Compte tenu de ce positionnement bien particulier dans le champ scientifique, le CERSA, on le voit, était donc tout spécialement désigné pour réinterroger l’action d’un responsable ‒ Étienne Clémentel ‒ dont l’influence sur l’adaptation des politiques publiques et la modernisation des structures administratives a été, dans le premier tiers du XXe siècle, tout à fait considérable.

Pour rendre compte de cette influence, on doit bien évidemment évoquer le contexte général dans lequel ce député radical inscrivit à la fois sa réflexion et son action.

Contexte marqué, à partir des années 1890, par le succès et l’audience que rencontra, auprès des contemporains, la doctrine solidariste popularisée par l’un des chefs, précisément, du parti radical, en l’occurrence Léon Bourgeois : succès et audience qui furent alors à ce point considérables qu’ils conduisirent l’un des premiers commentateurs de la doctrine, Célestin Bouglé, à constater qu’elle était devenue « une manière de philosophie officielle […] pour la troisième République »2. Or, parmi les conséquences que beaucoup tirèrent, alors, des idées solidaristes, figure en bonne place celle, structurante, selon laquelle l’État ← 14 | 15 → a un rôle moteur à jouer non seulement en matière sociale mais aussi en matière économique : conséquence qui fut solennellement tirée, pour ne citer que cet exemple parmi beaucoup d’autres, au cours des divers congrès du parti et, notamment au cours du programme adopté au Congrès de Nancy de 19073.

Et contexte marqué aussi, pendant la Première Guerre mondiale, par la nécessité d’organiser la production, d’assurer le ravitaillement, de lutter contre la spéculation, de réguler le commerce via un contrôle des importations, de favoriser les groupements ou unions des agents économiques, de rationaliser les départements ministériels : nécessité qui conduisit peu à peu Étienne Clémentel à diriger une sorte de super-ministère du Commerce et de l’Industrie, puisque, au ministère initial qui lui avait été confié en octobre 1915 (lequel comprenait déjà les Postes et les Télégraphes), s’ajoutèrent par la suite les charges de l’Agriculture, du Travail et même de la Marine marchande…

Mais pour rendre compte de l’influence exercée par Étienne Clémentel tant sur les politiques publiques que sur les structures administratives, on doit surtout évoquer les très nombreuses réalisations et innovations qu’il convient de porter à son crédit.

On a en vue, ici, le fameux rapport de près de 2 400 pages qu’il rendit, au sortir de la guerre, au Président du conseil, rapport que certains n’hésiteront pas à saluer comme « l’acte de naissance d’un véritable ministère de la production industrielle »4 : ce rapport se caractérisant en effet autant par une volonté de légitimer une intervention accrue de l’État en la matière ainsi qu’une extension de ses prérogatives que par le souci de refondre l’ensemble de la politique publique sous l’égide de la rationalisation. ← 15 | 16 →

On a en vue également la création, en 1919, des 17 « groupements économiques régionaux » (groupements vite dénommés « régions Clémentel ») qui seront, en quelque sorte, à l’origine des régions françaises actuelles ; le rôle qu’il joua dans la structuration des organisations professionnelles et notamment dans la création de la Confédération générale de la production française, ancêtre lointain du CNPF et du MEDEF; ou encore dans le regroupement des artisans dans une Confédération nouvelle défendant leurs intérêts, ce qui lui valut d’être qualifié de « père de l’artisanat ».

On a en vue, aussi, l’action décisive qui fut la sienne, s’agissant de l’agriculture, tant dans l’adoption de la loi qui jettera les bases du Crédit Agricole que dans la régulation des délimitations d’appellations d’origine contrôlée pour les vins ; ou, s’agissant des postes, dans l’essor du système des chèques postaux, grâce auquel l’État disposera d’importantes liquidités que les collectivités locales pourront emprunter afin de financer leurs projets d’investissement et de modernisation ; ou encore, s’agissant du commerce international, dans la création de la Banque française du commerce extérieur et la réorganisation de l’Office national du commerce (qui deviendra le Centre français du commerce extérieur)…

Autant d’éléments sur lesquels les contributions qui suivent ne manquent pas de revenir et qui permettent de mieux comprendre pourquoi Étienne Clémentel s’est vu accorder une place de choix (plus de 26 pages !) dans le célèbre ouvrage de Richard Kuisel intitulé Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au XXe siècle5.

En conclusion, précisément, de son maître ouvrage, Richard Kuisel émet le jugement suivant à propos d’Étienne Clémentel : « L’évolution nationale vers une économie mixte, dirigée et dynamique, affirme-t-il, se réalisa par accès et par à-coups bien plutôt que selon une progression linéaire ; et le destin personnel des modernisateurs a reflété cette histoire. Dès 1900, la tendance de l’avenir apparaissait à quelques esprits clairvoyants. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, des réformateurs comme Albert Thomas et Étienne Clémentel voulurent forcer l’allure, mais allèrent au-delà du possible […]. Mais, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Français étaient prêts à écouter les partisans ← 16 | 17 → de l’économie dirigée et de l’expansion […]. Les années cinquante marquaient la victoire des modernisateurs6. »

Autre façon de suggérer ‒ mais personne réellement n’en doutait ‒ que Clémentel ne fut pas seulement un modernisateur7 : il fut aussi et surtout ‒ ce que ce beau travail collectif confirme avec éclat ‒ à la fois un précurseur et un visionnaire. ← 17 | 18 →


1 Ce colloque a constitué ainsi la première étape ou, si l’on préfère, la matrice d’un projet collectif beaucoup plus vaste : en effet, à l’ensemble des communications faites à l’occasion de cette manifestation, se sont ajoutées un certain nombre d’autres contributions venues compléter et enrichir l’ouvrage.

2 Célestin Bouglé, Le solidarisme, 2e édition, Paris, Giard, 1924.

3 Ainsi peut-on lire, dans ce programme, les proclamations suivantes : « le Parti […] réclame la reprise par l’État des monopoles de fait, là où un grand intérêt l’exige […]. Il réclame particulièrement le rachat des chemins de fer et le monopole des assurances […]. Pour activer l’accroissement de la richesse nationale, il se préoccupe de l’outillage de nos ports, de la navigation intérieure, de notre système de canaux, qu’il est urgent de compléter et de perfectionner, du développement des voies ferrées, du recrutement rationnel de nos agents à l’extérieur, de l’extension continue de notre champ d’action commerciale », reproduit in Roger Bloch, Histoire du parti radical-socialiste, Paris, LGDJ, 1968, pp. 149-150.

4 Michel Letté, « Le rapport d’Étienne Clémentel (1919). L’avènement administratif des technocrates et de la rationalisation », Documents pour l’histoire des techniques, n° 20, 2011, p. 167.

5 Richard Kuisel, Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au XXe siècle, traduit de l’anglais par André Charpentier, préface de Jean-Noël Jeanneney, Paris, Gallimard, 1984, 477 p.

6 Ibid., pp. 459-460.

7 En ce sens, voir aussi René Rémond, Jean-François Sirinelli, Notre siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 72 : « L’État n’est pas en retrait et encourage la modernisation. Un nom personnifie l’intervention de la puissance publique : celui de Clémentel […]. Il est de ceux qui ont pris conscience du retard de la France et se sont convaincus qu’elle ne pourrait le rattraper qu’avec l’aide de l’État […]. On le retrouve tantôt personnellement tantôt indirectement dans la plupart des initiatives qui concourent à rationaliser les activités et à rendre notre économie plus compétitive. »

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Introduction

Marie-Christine KESSLER

Directeur de recherche émérite au CNRS, CERSA (CNRS-Paris 2)

Ce livre a des racines familiales. À son origine se trouve l’intérêt personnel de Marie-Christine Kessler pour un grandpère certes mort avant sa naissance mais dont la légende a entouré son enfance et dont le nom apparaît au coin de bien des rues et avenues de son Puy-de-Dôme natal. Mais il vient aussi combler un vide. Étienne Clémentel n’a pas été biographié bien que son rôle pendant la Grande Guerre dont on célèbre cette année le centenaire de la victoire ait été capital : il y conduisit de façon continue un ministère aux contours variables que l’on peut qualifier de ministère de l’Économie nationale. Le travail de Guy Rousseau sur la vie et l’œuvre d’Étienne Clémentel en date de 1998, n’a pas eu de diffusion académique1.

Pourquoi ce relatif anonymat historique ?

Étienne Clémentel a pourtant rencontré à plusieurs reprises la grande histoire politique. Élu pour la première fois à la chambre des députés en à la faveur d’une élection partielle, sa première véritable campagne électorale deux ans plus tard s’est déroulée dans le tumulte local de la séparation de l’Église et de l’État. Il fut nommé dans la foulée, ministre des colonies dans le cabinet Rouvier qui mettra en œuvre la séparation de l’Église et de l’État, il acquiert ainsi une étiquette de radical séparatiste qui ne le quittera jamais. La Grande Guerre le met aux commandes du front économique d’abord comme président de la commission des finances de la chambre des députés puis comme ministre dans tous les ← 19 | 20 → gouvernements successifs de 1915 à 1919. Le cartel des Gauches en fera un ministre des Finances. Malgré ces responsabilités et, bien que son engagement politique dans la sphère de la gauche radicale n’ait absolument pas varié du début à la fin de sa carrière, il n’a pas été une figure clef de la mouvance radicale comme le faisait remarquer Serge Bernstein2. Il n’était pas un homme de combinaison ministérielle et n’a pas été président du Conseil. Il était plutôt homme d’État axé sur les problèmes économiques et commerciaux.

Or les analyses portant sur l’histoire économique française ont longtemps été peu nombreuses. Dans un sens, c’est le livre de l’historien américain Richard Kuisel, préfacé par Jean-Noël Jeanneney et publié chez Gallimard en 1984 qui a ressuscité Étienne Clémentel3. Si l’histoire de la Troisième République est analysée à travers le prisme, non de la « policy » mais des « politics », la figure d’Étienne Clémentel y trouve une place essentielle. La Grande Guerre a rendu inévitable la prise en charge par l’État de politiques publiques industrielles, commerciales, financières, agricoles entrecroisées ayant une double dimension intérieure et internationale. Étienne Clémentel qui fut, comme on l’a dit, aux commandes d’un ministère multiforme recouvrant les divers aspects de l’économie nationale de 1915 à 1919 a mis en place de nombreux dispositifs d’organisation du système productif bancaire et administratif. Il l’a fait avec un groupe de collaborateurs éclairés où l’on trouve les noms de plusieurs hauts fonctionnaires comme Roger Fighiéra, des industriels comme Hugues Citroën et Georges Despret mais aussi de l’historien Henri Hauser, du très jeune Jean Monnet, en concertation parfois orageuse avec les forces vives de la société civile (grands et petits patrons, artisans, chambres de commerce) en liaison avec le parlement, en confrontation et discussions constantes avec les gouvernements belge, anglais puis américain… Étienne Clémentel a conduit ces opérations en fonction d’un référentiel qui avait été le sien depuis les débuts de son engagement politique : solidarisme à la Léon Bourgeois, mutualisme, régionalisme et avec la préoccupation prospective d’un après-guerre nationalement rationalisé et internationalement organisé. ← 20 | 21 →

Dans les trente dernières années, les différentes facettes de cette œuvre d’Étienne Clémentel ont été sectoriellement étudiées par plusieurs historiens, politistes et sociologues. Tous ont réuni leurs efforts pour contribuer à cette biographie et ont bien voulu dépasser et compléter leurs travaux initiaux pour construire collectivement cet ouvrage. Les auteurs de ce livre ont longuement et étroitement travaillé de concert. Ils ont établi ensemble le plan de cet ouvrage.

S’agit-il réellement d’une biographie4 ? Sans doute pas au sens strict du mot dans la mesure où la vie personnelle d’Étienne Clémentel n’apparaîtra ici qu’au second plan lorsqu’il s’agira d’expliquer certains aspects de sa vie publique. Il n’y aura de croisement systématique de l’« être » et de l’« action » comme dans une biographie classique. Ceci dit, des erreurs constantes seront réparées en ce domaine. Ainsi, la proximité du patronat impliquée par les fonctions d’Étienne Clémentel pendant la guerre a souvent conduit à un facile postulat déterministe pseudo marxiste, selon lequel ses origines sociales le prédestinaient à cette tâche. Il n’en est rien. Comme Paul Doumer, Étienne Clémentel est issu de la paysannerie auvergnate et a été très tôt privé de père. Ses deux grands-pères ne savaient pas écrire. Sa mère a réussi à survivre en vendant des petits lopins de terre et en faisant des lessives. Elle est parvenue à l’envoyer chez les maristes, au collège de Riom où il a pu passer son baccalauréat. Il n’a pas fait, semble-t-il, d’études universitaires. Mais sa scolarité chez les maristes a été déterminante. Elle a facilité son implantation locale tant politique que professionnelle. Ainsi, le sénateur Gomot, gloire locale dont il a été le secrétaire, était l’oncle d’un de ses camarades. Il a acheté son étude de notaire grâce à un prêt fait par un ami. Ses racines riomoises, son vivier d’amis d’enfance et de jeunesse ont été un support constant toute sa vie.

La socialisation politique d’Étienne Clémentel s’explique par un processus interactionniste constant. À chaque étape il a accru de façon cumulative son capital social et intellectuel. À la Chambre des députés, il a été un homme de commissions et de rapports accumulant connaissances et compétences par une activité parlementaire soutenue. Ministre, il a multiplié ses réseaux dans le monde de la production. Il s’est créé des relations à l’étranger dans les négociations commerciales ← 21 | 22 → interalliées ; elles lui ont servi de supports à la création de la Chambre de commerce internationale dans l’après-guerre. Son goût inné pour le dessin et la poésie lui a permis de pénétrer très tôt dans les cercles artistiques et littéraires où il s’est fait remarquer. Il a toute sa vie fait interférer les différents champs où il avait acquis une place. L’exemple le plus significatif est le financement de la réfection de l’hôpital de la ville de Riom dont il fut maire 35 ans, grâce à une opération originale : après une exposition à la galerie Bernheim, il mit en vente, au profit de sa ville, ses œuvres picturales à un public d’amis et relations issus des milieux politiques, économiques, artistiques où il évoluait dans les années de l’après-guerre.

Un fil rouge chronologique n’a pas été utilisé pour guider le lecteur dans le suivi de cette existence : les auteurs ont de concert éliminé tout plan chronologique. Ils n’ont pas voulu raconter une histoire du début à la fin dans toute son exhaustivité. Ils ont préféré déterminer des séquences signifiantes d’une place dans la pensée républicaine, dans l’espace social, dans la vie publique locale, dans la naissance d’institutions ayant structuré l’État et la société civile en France. Ils ont cherché à situer un homme dans son époque et à retracer son œuvre. Le plan est inspiré par l’idée selon laquelle une biographie n’est pas le tracé linéaire d’une vie mais plutôt la somme des facettes multiples d’un personnage. Il reprend les souhaits de Bernard Lacroix qui écrivait en 2003 que les analyses biographiques se situent au carrefour de l’histoire, de la science politique et de la sociologie permettant de dégager des éléments trop souvent minorés comme les structures et les réseaux familiaux, la formation et l’appartenance à des organisations de jeunesse, à des réseaux politiques ou professionnels, les attitudes religieuses ou philosophiques. Enfin la connaissance des activités professionnelles préalables ou annexes, le constat des revenus et des fortunes établies doit compléter le tableau5. Notre perspective s’est inspirée de cette méthodologie. La multiplicité des auteurs devrait avoir servi de remède à la tentation hagiographique qui guette tout biographe en empêchant le tête-à-tête d’un seul auteur face à son sujet/objet dans une biographie. Le danger de « l’illusion biographique » à la Bourdieu plane toujours toutefois : sommes-nous toujours sûrs d’éviter la reconstitution ← 22 | 23 → posthume de cohérences factices6 ? Mais l’histoire ne comporte-t-elle pas toujours une part de reconstruction ? Ce danger signalé on est toutefois frappé par la cohérence de cette vie et de cette œuvre qui se déroulent de bout en bout sous le signe d’un même engagement politique et idéologique : solidarisme, mutualisme et « libéralisme organisé », alliance d’un idéalisme enflammé et d’un pragmatisme constructif. Il reste, comme dans toute biographie, un postulat de base à la racine de cette entreprise : la croyance en la signification historique générale d’une vie individuelle. ← 23 | 24 →


1 Guy Rousseau, Étienne Clémentel (1864-1936) : entre idéalisme et réalisme, une vie politique (essai biographique), Clermont-Ferrand, Archives départementales du Puy-de-Dôme, 1998, 185 p.

2 Serge Berstein, Histoire du parti radical, tome 2, Crise du radicalisme, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1982, p. 152.

3 Richard Kuisel, Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au XXe siècle, traduit de l’anglais par André Charpentier, préface de Jean-Noël Jeanneney, Paris, Gallimard, 1984, 477 p.

4 François Dosse, Le pari biographique : écrire une vie, Paris, La Découverte, 2005 et 2011 ; « La biographie. Usages scientifiques et sociaux », Politix, vol. 7, n° 27, 1994 ; Guillaume Piketty, « La biographie comme genre historique ? Étude de cas », Vingtième siècle, n° 63, juillet-septembre 1999, pp. 119-126.

5 Bernard Lacroix, « Six observations sur l’intérêt de la méthode prosopographique dans le travail historiographique », in Jean-Marie Mayeur, Jean-Pierre Chaline, Alain Corbin (dir.), Les parlementaires de la Troisième République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, pp. 27-44.

6 Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, juin 1986, pp. 69-72.

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PREMIÈRE PARTIE
ÉTIENNE CLÉMENTEL DANS SON ÉPOQUE

Étienne Clémentel ne possédait aucun capital économique social ni culturel à sa naissance. Ce n’était pas un cas isolé. On sait que Paul Doumer était comme lui au départ un petit paysan auvergnat. Christophe Charle dans une analyse des députés contemporains de Clémentel a montré que le capital scolaire supplantait souvent à cette époque le capital économique1. Mais le cas de Clémentel recèle une particularité : s’il a le baccalauréat acquis dans le collège municipal de Riom chez les frères maristes, il n’a pas fait d’études supérieures. Il accède au notariat pas des voies parallèles. Il a acquis seul ses connaissances juridiques et économiques. Mais sa ville de Riom et les réseaux qu’il s’y était créés ont constitué une ressource fondamentale et un substitut à l’absence d’assise familiale. Ils ont été le terreau de sa carrière lui donnant des soutiens majeurs. Il s’est également constitué seul un fort capital culturel, porté par ses goûts pour la peinture, la musique et la poésie. Il a ainsi eu accès à des milieux intellectuels et artistiques, locaux et nationaux. Ses aspirations mystiques et ésotériques l’ont conduit chez les Rose-Croix et l’ont de ce fait écarté de la franc-maçonnerie. Dans un monde encore très imprégné de relents royalistes et religieux traditionnels à la fin du XIXe siècle, ses accointances partisanes républicaines et radicales l’aideront à démarrer sa carrière et feront progressivement de lui le patron politique du Puy-de-Dôme. ← 25 | 26 →


1 Christophe Charle, « Les parlementaires : avant-garde ou arrière-garde d’une société en mouvement ? », in Jean-Marie Mayeur, Jean-Pierre Chaline, Alain Corbin (dir.), Les parlementaires de la Troisième République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 49.

Résumé des informations

Pages
470
Année
2018
ISBN (PDF)
9782807607514
ISBN (ePUB)
9782807607521
ISBN (MOBI)
9782807607538
ISBN (Broché)
9782807604773
DOI
10.3726/b13981
Langue
français
Date de parution
2018 (Juin)
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien, 2018. 470 p., 5 ill. n/b, 3 ill. en couleurs.

Notes biographiques

Marie Christine Kessler (Éditeur de volume) Guy Rousseau (Éditeur de volume)

Marie-Christine KESSLER est Directrice de Recherches émérite au CNRS (CERSA Paris 2), politiste, auteure de plusieurs ouvrages notamment sur les élites administratives, (dernier ouvrage Les Ambassadeurs publié en 2012 aux presses de Science Po.) Elle est la petite fille d’Étienne Clémentel Guy ROUSSEAU est professeur agrégé et docteur en histoire, il a enseigné en Khâgne au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Il a publié en 1998 la première biographie d’Étienne Clémentel et il a depuis approfondi ses recherches sur ce personnage éminent.

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