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Pixie

Recherche de sens

de Nicole Decostre (Éditeur de volume) Matthew Lipman (Auteur)
©2018 Manuels 420 Pages

Résumé

La question fondamentale que chacun(e) se pose est comment donner sens à sa vie. Pour le jeune, le problème est crucial. Il y a tant à comprendre, tant à choisir. Pixie, gamine un peu excentrique, pleine de fantaisies qui amuseront le lecteur, en prend progressivement conscience comme le jeune public auquel ses aventures sont destinées. Pixie est pleine de vitalité et surtout, possède un atout capital : elle est curieuse de tout et veut comprendre le monde qui l’entoure.
Ce livre pourrait être considéré comme l’oeuvre centrale de Matthew Lipman car il y livre très clairement et très pédagogiquement son extraordinaire conception de l’éducation, y compris pour les enseignants qu’il aide dans leur démarche novatrice.
C’est le tourbillon de la vie quotidienne vu par des enfants de 9-10 ans pleins du désir de grandir.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Mot de la traductrice
  • Table des matières
  • Préface
  • Récit
  • Chapitre I
  • Chapitre II
  • Chapitre III
  • Chapitre IV
  • Chapitre V
  • Chapitre VI
  • Chapitre VII
  • Chapitre VIII
  • Chapitre IX
  • Chapitre X
  • Quatre versions de l’histoire de Pixie
  • Chapitre XI
  • Recherche de sens
  • Introduction
  • La lecture et l’écriture : du raisonnement
  • Travailler le programme Pixie
  • L’ambiguïté
  • Les relations
  • La similarité
  • Les analogies
  • Règle et raison
  • L’histoire
  • Le mystère
  • Le mythe
  • Objectifs pédagogiques
  • Suggestions pour l’utilisation du manuel
  • Pourquoi encourager le dialogue ?
  • Chapitre I – Épisode 1
  • Le nom de Pixie
  • La conduite de Pixie
  • Dispositions philosophiques de Pixie
  • Quel est le nom véritable d’une personne ?
  • Comparer les âges
  • Ou bien – ou bien
  • L’analogie
  • Sa faculté réflexive
  • Les histoires et raconter une histoire
  • Bâtir des histoires
  • Chapitre I – Épisode 2
  • Découverte et invention
  • Fiction et vérité
  • Les choses et leur histoire
  • Distinguer l’événement de la manière dont il s’est passé
  • Distinguer le passé de la discipline historique
  • Ambiguïté
  • Comprendre des sens multiples
  • L’expérience mentale
  • Actes mentaux
  • Chapitre I – Épisode 3
  • Gestes et langage corporel
  • Le trouble-fête
  • Empathie avec les animaux
  • Vulnérabilité à la moquerie
  • Chapitre I – Épisode 4
  • Les secrets
  • L’amitié
  • La créature mystère
  • Connaître l’esprit de quelqu’un d’autre
  • Partager des pensées
  • Connaître l’esprit des autres par analogie
  • Chapitre I – Épisode 5
  • Introspection et inférence
  • Le rêve éveillé
  • “Tomber endormi”
  • Qu’est-ce qu’une personne ?
  • Sommes-nous notre corps ?
  • Perplexité
  • Le mystère de sa propre identité
  • Appartenir
  • “Manière” en tant que “sens”
  • Chapitre I – Épisode 6
  • La métaphore
  • Ressemblances familiales
  • Savons-nous toujours avec certitude ?
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre II – Épisode 1
  • Le cas de Brian
  • La réflexion : un dialogue intérieur
  • Tout est-il possible ?
  • Penser et écrire
  • Comparaisons
  • Relations perceptuelles
  • Chapitre II – Épisode 2
  • Raisons du secret
  • Dialogue intérieur
  • Respect de la vie privée
  • La vie privée est-elle importante ?
  • Traiter des gens comme des choses
  • Ambiguïté
  • Chapitre II – Épisode 3
  • S’étonner devant le monde
  • Chercher à comprendre
  • Impliquer et inférer
  • Faire preuve d’irrationalité
  • La similarité en tant que comparaison
  • Le choc de la compréhension
  • Perte de contrôle et aliénation
  • Ambiguïté et analogie
  • Un comportement irréfléchi
  • Questions et problèmes
  • Chapitre II – Épisode 4
  • Juger des intentions
  • Attitude injuste : une violation des droits
  • L’équité
  • Les droits
  • Les paradoxes de la préadolescence
  • À nouveau juger les intentions
  • Actes mentaux correspondants
  • Actes mentaux identiques
  • Chapitre II – Épisode 5
  • S’imaginer être victime
  • Toute différence fait une différence
  • Doit-on toujours obéir à toutes les règles ?
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre III – Épisode 1
  • Lire le langage du visage et du corps
  • S’étonner, imaginer et la crédibilité de Pixie
  • Le silence
  • Pourquoi parle-t-on ?
  • Comment parole et pensée sont-elles reliées ?
  • Supposer et invalider
  • Le raisonnement hypothétique
  • Chapitre III – Épisode 2
  • Sauter aux conclusions
  • Demander de l’aide à un condisciple
  • Une licorne est-elle plausible ?
  • La description de Pixie
  • Définition et existence
  • Signification et vérité
  • Chapitre III – Épisode 3
  • Penser : découvrir les relations d’une expérience
  • La pensée commence avec le sentiment d’une difficulté
  • Personnification des choses
  • Le raisonnement analogique
  • Le père de Pixie manque-t-il de cohérence ?
  • Chapitre III – Épisode 4
  • Mauvais comportement de Pixie dans l’ascenseur
  • Compter deux fois les mêmes personnes
  • Erreurs de catégorie
  • Parenté et famille
  • Les familles : des systèmes de relations
  • Relations familiales et relations militaires
  • Relations familiales et analogies
  • Limites du raisonnement analogique
  • Connie a-t-elle compris ?
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre IV – Épisode 1
  • Complexité de Pixie
  • Analyse philosophique de l’expérience
  • Un comportement provocant
  • Regarder, est-ce faire quelque chose ?
  • Pixie est-elle hypocrite ?
  • Mettre des gens mal à l’aise
  • Feindre et faire croire
  • Enquête sur l’incident
  • Le ressentiment de Pixie
  • Éthique enfantine
  • Les relations familiales
  • Comment dire si des relations sont réelles ?
  • Les relations sont-elles perceptibles ?
  • Perçoit-on des ressemblances ?
  • Avoir raison ou avoir tort dépend de la définition
  • Demander des raisons
  • Chapitre IV – Épisode 2
  • Caractère mystérieux de Pixie
  • Fascination de Pixie
  • Pixie et l’histoire mystère
  • Reconstruire une œuvre d’art
  • Raison de Pixie de garder son secret
  • Chapitre IV – Épisode 3
  • Excuser et excuses
  • Une excuse est-elle une bonne raison ?
  • Quelle force doit posséder une raison pour être bonne ?
  • La justification : relation entre un acte ou une croyance et raisons pour les soutenir
  • Chapitre IV – Épisode 4
  • Raconter l’histoire telle qu’elle sera
  • Les pistes de Pixie
  • Les hurlements de Pixie
  • Prendre d’autres pour modèles
  • Comparer des cas similaires
  • Difficulté de faire des comparaisons exactes
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre V – Épisode 1
  • « Où va la lumière ? »
  • Croire à ce qui est
  • Ne pas croire à l’espace
  • L’espace n’est-il qu’un mot ?
  • L’espace n’est-il que du vide ?
  • Le mystère et le moi
  • Chapitre V – Épisode 2
  • La conscience et ses objets
  • Avons-nous en permanence conscience de quelque chose ?
  • Relations spatiales et temporelles
  • Chapitre V – Épisode 3
  • Exemples de relations
  • Comment définir les relations ?
  • Pixie trouve que personne ne participe à la recherche
  • Chapitre V – Épisode 4
  • La relation “être mis pour”
  • L’analogie de M. Mulligan
  • Où se trouvent les relations ?
  • Relations spatiales et temporelles
  • L’analogie de Pixie
  • L’esprit est-il une dimension ?
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre VI – Épisode 1
  • Sériation
  • Faire semblant et avoir l’air
  • Y a-t-il des couleurs dans l’obscurité ?
  • Une erreur de perception interprétée comme changement dans le monde
  • Le lieu du moi
  • Pixie remet ça !
  • Les hésitations de Pixie
  • Chapitre VI – Épisode 2
  • Un modèle n’est-il qu’une version miniature de quelque chose ?
  • Les enfants sont-ils des modèles d’adultes ?
  • Relations similaires, parties différentes
  • Qu’est-ce qu’une analogie ?
  • Les analogies : des comparaisons exactes de rapports
  • Qu’apprend-on à l’école ?
  • Chapitre VI – Épisode 3
  • La comparaison : une variété de relations
  • Comparaisons au sein d’un même ordre
  • Comparaisons sortant du cadre : logique du langage imagé
  • Les rapports
  • Figures de style transcendant les catégories
  • Similitudes
  • Métaphores
  • Étudier le langage figuré et apprendre à apprécier la littérature
  • Chapitre VI – Épisode 4
  • Comportement manipulateur de Pixie
  • Doit-on écouter des vérités pertinentes ?
  • Confusion de Pixie
  • Pixie s’observe avec détachement
  • Rôle de M. Mulligan
  • Connexions et relations
  • Analogies et similarités structurelles
  • Raisonnement analogique
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Exercices de révision de la première partie
  • Chapitre VII – Épisode 1
  • Règles de liberté
  • En quoi consistent les règles ?
  • La liberté comme absence de règles
  • Liberté d’être soi
  • Discrétion d’Isabel
  • Chapitre VII – Épisode 2
  • Les créatures mystères
  • Chapitre VII – Épisode 3
  • Différentes sortes de règles
  • Règles et principes
  • Chapitre VII – Épisode 4
  • Inventer des histoires incroyables
  • Adam : raison sans expérience
  • Deux récits de l’origine des étudiants
  • Faut-il croire la vérité ?
  • Résultats de l’expérience de réflexion
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre VIII – Épisode 1
  • Brian et la girafe
  • Rendre hommage à la beauté de la girafe
  • Brian explique son silence
  • Pourquoi l’attitude de Brian a-t-elle changé ?
  • Rôle de Pixie dans le changement chez Brian
  • Chapitre VIII – Épisode 2
  • Critères de reconnaissance
  • Les noms et les indications
  • Se sentir exclue
  • Violer les règles
  • Un autre nom pour le gorille ?
  • Confondre genre et espèce
  • Familles et classes
  • Une analogie erronée ?
  • Classes et appartenance à une classe
  • Les classes existent-elles ?
  • Brian, Isabel et consolations de la philosophie
  • Chapitre VIII – Épisode 3
  • Partager la compréhension
  • Comportements similaires pour montrer des intentions
  • Raisonnement a fortiori
  • Langage imprécis
  • C’est, semble-t-il, naturel chez Pixie d’aimer comprendre
  • Relever les ambiguïtés
  • Pourquoi les choses sont-elles ce qu’elles sont ?
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre IX – Épisode 1
  • Causes et symptômes
  • Genre et espèce
  • L’ironie
  • Interpréter un fou rire
  • Le médecin recourt-il à des excuses ?
  • Les médecins recourent-ils à la flatterie ?
  • Chapitre IX – Épisode 3
  • Petite manipulation d’une amie
  • Fins et moyens
  • Promettre
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre X – Épisode 1
  • Créer et représenter
  • Versions
  • La représentation : un dialogue
  • Combinaison des adaptations
  • Une perspective inversée
  • Pixie est-elle honnête avec elle-même ?
  • Les marionnettes
  • Une interprétation de ces histoires est-elle préférable ?
  • Planifier la production
  • Autoévaluation de l’enseignant
  • Chapitre XI – Épisode 1
  • Version de Brian
  • Fiction et « la vraie vie »
  • Histoires philosophiques versus contes de fée
  • Chapitre XI – Épisode 2
  • Robert critique la version de Brian
  • Les deux théories pourraient être un conte de fées
  • Ce qu’impliquent les deux positions
  • Un événement du passé peut-il être reconstruit sur base de récits ultérieurs ?
  • Comment savons-nous que nous savons ?
  • Autoévaluation de l’enseignant

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Préface

Ce troisième volume n’appelle pas une présentation précise du philosophe et pédagogue Matthew Lipman1. Il suffit de rappeler que son but est de construire une pensée aussi ouverte, cohérente et lucide que possible de façon à bénéficier d’un jugement adéquat en toutes circonstances. C’est donc une préparation à une vie consciente, informée et critique, servie par une langue précise, l’idéal pour mener une vie intellectuelle et sociale réussie.

Pixie s’adresse normalement aux 9-10 ans. Mais l’ouvrage pourrait apprendre nombre de choses à des adultes. C’est un âge où se poursuivent l’étonnement et la curiosité devant la vie, dispositions fondamentales de l’esprit philosophique qu’il faut penser à développer et à outiller : analogie, polysémie, comparaison, métaphore, inférence, identité, compréhension équité, paradoxe, modèle, etc. sont au menu, enchâssés dans le tissu bariolé de la vie de Pixie, une héroïne pleine de défauts et de fantaisie mais qui témoigne constamment de la volonté de comprendre, tant elle-même que le monde et les autres. Une histoire pleine de vie et d’humour qui se termine par des mises en scène soulignant les possibilités de la fiction littéraire.

L’étude des relations est centrale : familiales, scolaires, sociales ; elle révèle des surprises, des incohérences mais aussi les personnalités. Les secrets y jouent un rôle particulier. Avec une question centrale : « Quelle doit être la force d’une raison pour qu’elle soit bonne ? » L’harmonie sociale en dépend ainsi que le statut des croyances. Cela n’exclut pas certains thèmes de la philosophie, classiques mais toujours concrètement vécus, comme la liberté, la vérité, le moi, la règle, la pensée et la langue, le corps et l’esprit, le mot et la chose, etc.

Ce volume pourrait être considéré comme central dans l’œuvre monumentale de Lipman. Il explicite parfaitement les principes, les moyens et la forme de sa méthode. Son souci pédagogique y apparaît en pleine lumière. Il est donc particulièrement utile pour les enseignants, ← 21 | 22 → tout en éclairant parents et enfants sur le processus. En témoignent l’importance donnée à l’analyse du contenu, l’abondance des exercices mais aussi une nouveauté très bienvenue : la page d’autoévaluation de l’enseignant qui clôt les chapitres.

Cette page pointe les défauts récurrents qu’il s’agit d’éliminer si l’on veut réussir la clé du programme, à savoir la communauté de recherche philosophique (CRP). Exemples :

« les élèves semblent-ils construire sur ce que disent les autres ? » C’est capital. Le vrai dialogue philosophique qui affine la pensée doit être radicalement différent du débat de télévision ou du café du commerce. La pensée se construit par le rapport libre de chacun et cette élaboration ne peut tolérer la prolifération des diversions. L’approfondissement philosophique est une construction collective.

« Est-ce que je parle trop pendant les discussions ? » Le rôle de l’animateur est particulièrement limité mais indispensable. Il s’agit de rompre avec l’enseignement frontal et de favoriser la découverte par les enfants. Il ne donne pas de matière, n’impose ni les questions ni le thème de discussion. Mais il doit écouter très attentivement, toujours prêt à faire rebondir la discussion ou à la remettre sur son chemin par une question purement technique comme « qui aurait un contre-exemple ? » Ou bien « dans le texte (ou dans ce que dit X) qu’est-ce qui te permet d’affirmer ce que tu dis ? » Jamais de jugement ou de sanction. Le vrai dialogue se poursuit dans la critique collective des idées mais sans faire jouer une autorité quelconque. On n’est pas tenu au consensus ni à la conclusion. Ce qui importe, c’est l’entraînement intellectuel et la dynamisation sociale.

« Est-ce que j’apprends beaucoup en les écoutant ? » C’est exactement l’inverse de la situation scolaire traditionnelle. La spontanéité, la curiosité éveillée, l’enthousiasme des enfants à découvrir recèlent des trésors qu’il faut savoir saisir au passage. L’expérience unique de la CRP enrichit tous les participants. Alors l’animateur pourra répondre positivement à la question : « Ai-je pris davantage conscience de ce que comporte la méthode de recherche ? »

Notons que le professeur du roman, M. Mulligan, n’est pas exactement un modèle qui s’imposerait immanquablement. Son comportement est ← 22 | 23 → plus subtil de façon à ne pas court-circuiter ou bloquer l’évolution de la classe, lorsqu’il s’abstient de répondre par exemple ou le fait de façon évasive, laissant ouvertes une discussion ou une situation non encore abouties. Explorer est aussi une aventure philosophique. Et cette aventure de la pensée qui se pratique en communauté engage aussi tous les aspects de la solidarité.

Il est clair que la CRP est une sorte de mini monde qui fonctionne selon l’idéal démocratique. Les jeunes apprennent en les vivant quelles sont les règles du fonctionnement démocratique. Cela les prépare concrètement à devenir des citoyens actifs, conscients et responsables. C’est un enjeu important pour l’avenir de nos sociétés. Comme l’écrit Lipman : « La seule expérience peut séparer fait et fantaisie », c’est-à-dire réalité et illusion. On peut espérer que l’expérience de la CRP, si elle est bien menée, permette de répondre positivement à cette question philosophique difficile : « Mes élèves peuvent-ils faire la distinction entre croire, avoir une opinion, comprendre et savoir ? »

Si la CRP est bien organisée, les jeunes s’approprient la méthode et les problématiques travaillées. Ils en sont valorisés et s’y attachent avec ferveur. En outre, dans notre ère de propagande larvée, de publicité généralisée et de mensonges mondialisés, d’émocratie et de langue de bois, de fake news et de politiquement correct, la dynamisation d’une pensée éveillée de façon optimale devient une sauvegarde de l’épanouissement personnel et de l’évolution démocratique.

La joie de connaître se combine alors au plaisir de grandir partagé dans un esprit d’équipe, au renforcement harmonieux de la personnalité qui découvre le pouvoir de dépasser les pièges de la propagande, de la publicité, du verbalisme, des conformismes, des biais cognitifs, etc. Tels sont les fruits d’une véritable philosophie de l’éducation respectueuse de l’enfant. Grâce à cette impulsion, il pourra continuer à se construire une pensée libérée des préjugés et donc auto correctrice et adaptée à la complexité contemporaine. Cet entraînement lui permettra en outre d’aborder avec succès un futur à la fois incertain, complexe et différent où sévira probablement une “guerre des intelligences”. Une réussite qui permet aussi le bonheur.

On l’aura compris, vivre pareille aventure intellectuelle dans la stimulation permanente du questionnement, base de la philosophie, représente le meilleur remède – d’ailleurs attesté de par le monde par les évaluations – à la fois au décrochage et à l’échec scolaires. Car toutes les ← 23 | 24 → disciplines bénéficient naturellement de cet entraînement fondamental. Comme l’écrivait le grand philosophe de l’éducation John Dewey : « La seule adaptation que nous puissions promouvoir également chez l’enfant consiste à le mettre en possession complète de toutes ses facultés. »2

MARCEL VOISIN

Président de l'Association PhARE
(Analyse, Recherche et Éducation en Philosophie pour Enfants)


1 Voir Mark, Recherche sociale (Peter Lang, 2009) et Lisa, Recherche éthique (id., 2011) qui comptent chacun une présentation substantielle.

2 John Dewey, Mon Credo pédagogique, Art. 1, 1897.

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RÉCIT

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CHAPITRE I

Enfin, mon tour est arrivé ! J’ai dû attendre tellement longtemps que les autres aient raconté leur histoire !

Je commencerai par vous dire mon nom. Je m’appelle Pixie. Ce n’est pas mon nom réel. Le réel, c’est celui que m’ont donné mon père et ma mère. Pixie est celui que je me suis donné moi-même.

Mon âge ? Le même que vous.

Je peux croiser mes jambes et marcher sur les genoux. Mon père dit que, quand j’agis, j’ai l’air d’être en caoutchouc. Hier soir, j’ai mis mes pieds autour de mon cou et j’ai marché sur mes mains !

Non, c’est impossible de croiser les jambes et d’en même temps les mettre autour du cou ! L’un ou l’autre, mais pas les deux ! Pour quoi faire ? Se transformer en bretzel ?

Ma mère trouve que j’agis comme si j’étais faite de vinaigre. Je ne sais pas ce que c’est que du vinaigre. C’est sans doute quelque chose de bon, comme de la crème glacée.

Mon histoire est tellement longue que vous feriez mieux de vous installer. (Je suis beaucoup plus patiente cette année que l’an dernier. L’an dernier, je vous aurais dit : « Installez-vous ! Je ne vous en dirai pas plus avant que vous le fassiez. Je peux penser à des tas de choses pendant que j’attends. »)

C’est marrant ! Je n’ai plus envie de bavarder ! Je souhaite simplement poursuivre mon histoire.

* * *

La raison pour laquelle j’ai construit une histoire, c’est que toute la classe devait le faire. Ce que je veux vous conter maintenant, c’est comment mon histoire s’est construite. Vient d’abord l’histoire, puis l’histoire de comment ça s’est passé. Ce que je veux dire, c’est qu’elle a d’abord dû arriver et qu’après coup est venue l’histoire. Voici donc d’abord l’histoire des faits. C’est l’histoire de la manière dont ils se sont déroulés. ← 27 | 28 →

Nous ne savions pas du tout que nous devions inventer une histoire avant que M. Mulligan nous parle d’une excursion au zoo.

M. Mulligan est notre enseignant. Ses oreilles sont un peu décollées, comme les miennes. Mais moi je peux les faire bouger, lui pas. (Je ne veux pas dire que ce sont mes oreilles qu’il ne peut faire bouger. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne peut pas faire bouger ses oreilles à lui !)

M. Mulligan est tellement vieux ! Imaginez, il a une fille qui va avoir un bébé ! Il existe depuis vraiment longtemps ! Je me demande s’il a connu Abraham Lincoln. (L’an passé je le lui aurais demandé, alors qu’aujourd’hui je suis mieux informée.)

Revenons au fait : M. Mulligan nous a annoncé que nous ferions une excursion au zoo et qu’il souhaitait que, par la suite, chacun de nous invente une histoire à propos de cette excursion. Ou à propos des animaux que nous aurions vus. Ou des lieux d’où proviennent ces animaux. Ou sur leur capture et leur transport au zoo.

Il a précisé :

– « Votre histoire peut concerner tout ce à quoi un zoo vous fait penser. »

Je me souviens très clairement de ses paroles. C’est pourquoi l’histoire que j’ai élaborée ne concerne pas du tout le zoo, mais quelque chose à quoi le zoo m’a fait penser.

* * *

Lorsque M. Mulligan nous a fait part de ses plans pour cette excursion, nous nous sommes tous écriés « Hourra ! » et « Chouette ! »

Tous sauf Neil qui, avec une grimace et en se pinçant le nez, a déclaré :

– « Qui, en tout cas, a envie d’aller dans un vieux zoo ? »

Ça m’a rendu folle. Vraiment folle. Je lui ai rétorqué :

– « Neil, toi si malin, aimerais-tu devoir rester en cage toute la journée ? »

Il s’est contenté de me tirer la langue. Naturellement, je lui ai répondu par une grimace : j’ai mis mes pouces dans mes oreilles en louchant.

Il m’a dit alors que j’avais un chewing-gum dans les cheveux, ce qui était faux ! Je suis sûre que j’avais pu l’enlever totalement !

J’vous jure, y’a des gens !

* * * ← 28 | 29 →

Juste avant de nous laisser partir au réfectoire, M. Mulligan s’est laissé aller en arrière sur sa chaise tout en nettoyant ses lunettes :

– « À propos de l’excursion au zoo, encore une chose. Quelque chose que j’aimerais que chacun de vous fasse. Je voudrais que chacun ait un secret. Ne le révélez à personne ! »

J’ai demandé :

– « M. Mulligan, même pas à notre meilleure amie ? »

M. Mulligan :

– « Pas même à ta meilleure amie ! »

Nikki :

– « Pas même à vous ? »

M. Mulligan :

– « Pas même à moi. »

Isabel a alors pris la parole. C’est à elle que je pensais quand j’ai évoqué ma meilleure amie. Elle est ma meilleure amie :

– « Quel genre de secret, M. Mulligan ? »

– « Je voudrais que vous pensiez à un animal, un oiseau ou un reptile qui soit un de vos favoris. C’est cela qui sera votre animal mystère. En traversant le zoo avec la classe, gardez les yeux ouverts pour votre animal mystère. Et quand vous le verrez, demandez-vous comment vous pourriez l’introduire dans votre histoire. Le lendemain de notre excursion au zoo, une fois rentrés en classe, nous raconterons tous notre histoire d’animal mystère. »

J’étais si excitée ! C’est que je n’avais pas à réfléchir à ce que serait mon animal mystère ; je l’ai su directement. Et j’étais sûre que personne d’autre n’aurait le même. Oh ! Je brûlais d’impatience d’un voir un !

Une fois passée la porte ouvrant sur la cafétéria, j’ai entendu Tommy parler tout bas à Kate : il essayait de savoir quel serait son animal mystère.

En traversant le hall, Isabel et moi nous tenions par la main, comme toujours. Nous ne disions rien, parce que chacune de nous réfléchissait. Je me disais que j’étais vraiment heureuse d’avoir une amie qui n’essayait pas de m’extorquer mon secret. Peut-être se disait-elle la même chose, parce que, tout à coup, elle s’est arrêtée et m’a embrassée. Je l’ai embrassée à mon tour – tout au haut de l’escalier. Ensuite, nous sommes descendues manger.

* * * ← 29 | 30 →

Plus tard cet après-midi-là, assise sur mon banc, j’ai repensé à mon animal secret. Isabel a trouvé que j’avais l’air de rêver éveillée.

Mon menton reposait sur ma main, mon coude sur le pupitre.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée comme ça, mais ça a dû être long. Tout à coup, je me suis rappelée que j’étais en classe. Je me suis alors rendu compte de quelque chose de bizarre. Vous savez quoi ?

Mon bras s’était endormi.

Je ne comprends toujours pas. Si toute ma personne était éveillée, comment une partie de moi pouvait-elle être endormie ?

Il dormait, c’est certain. Je ne pouvais l’utiliser. On aurait dit qu’il pendait tout simplement à mon épaule. Je ne le sentais même pas, si ce n’est peut-être par un tout petit fourmillement.

Et vous, avez-vous jamais eu votre bras qui s’endort ? N’est-ce pas bizarre ? On aurait dit qu’il ne m’appartenait plus ! Comment une partie de moi pourrait-elle ne pas m’appartenir ? Tout ce qui est moi m’appartient !

Mais, voyez-vous, c’est bien ce qui me tracasse. Ou bien mon corps et moi sommes une seule et même chose ou bien ils ne le sont pas.

Si mon corps et moi c’est la même chose, alors lui ne peut m’appartenir.

Et si mon corps et moi sommes différents, alors moi, qui suis-je ?

On dirait presque que c’est moi qui suis une espèce d’animal mystère !

Plus tard, quand j’en ai parlé à Isabel, elle m’a dit :

– « Pixie, tu te tracasses beaucoup trop. Regarde, il n’y a là vraiment aucun problème. Ton corps t’appartient et tu appartiens à ton corps. »

– « C’est clair, mais est-ce que j’appartiens à mon corps de la même manière que mon corps m’appartient ? »

* * *

J’ai regardé Brian. J’aurais aimé pouvoir lui parler de mon bras qui s’était endormi. Je savais pourtant que ce serait en vain. Brian ne me répondrait rien. En fait, il ne parle jamais. À personne.

Depuis des années, Brian ne parle pas.

Nous avons demandé à M. Mulligan s’il y a chez Brian quelque chose qui cloche. Il nous a répondu que non, que c’est tout simplement qu’il n’a pas envie de parler. ← 30 | 31 →

J’ai tout de même essayé. Vraiment. J’ai fait l’effort, suis allée m’asseoir près de lui en déclarant :

– « Brian, mon bras vient de s’endormir. »

Il m’a toisée un instant, puis il s’est détourné.

J’ai persévéré :

« J’avais l’impression d’être en caoutchouc. Comme si ce n’était pas du tout mon bras. »

Il a continué à regarder ailleurs.

Je lui ai alors demandé :

– « Et toi, Brian, que sentirait ton bras s’il était en caoutchouc ? »

Il s’est alors tourné vers moi et m’a regardée. Il a tout simplement continué à me fixer avec ce regard semblant me transpercer. Là-dessus, je me suis levée et j’ai regagné ma place.

Isabel trouve que Brian a des yeux de loup. Je ne vois pas comment c’est possible.

C’est comme ma mère qui ne cesse de me répéter que j’ai la bouche de mon père.

Cela nous ramène à la question que j’ai déjà posée : comment une part de moi-même pourrait-elle appartenir à quelqu’un d’autre ? ← 31 | 32 →

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CHAPITRE II

– « Isabel, » lui ai-je demandé, « comment Brian peut-il inventer une histoire sur son animal mystère s’il ne parle jamais ? »

– « Vois-tu, Pixie, il peut en inventer une, sans même en parler. C’est tout simple : il y pense et puis il l’écrit. »

– « Alors, est-ce le genre de chose qui occupe en permanence son esprit ? Se raconte-t-il des histoires qu’il a imaginées ? »

– « Possible. Avec Brian, tout est possible. »

J’aime Isabel. Elle est tout à fait comme moi pour tout ce que j’aime en moi. Et elle diffère de moi pour tout ce que je n’aime pas en moi.

Ses cheveux et ses sourcils sont plus noirs que noirs et ses yeux sont du même jaune brun que les belles-d’un-jour qui croissent dans un massif près du terrain de sport.

Résumé des informations

Pages
420
Année
2018
ISBN (PDF)
9782807608504
ISBN (ePUB)
9782807608511
ISBN (MOBI)
9782807608528
ISBN (Broché)
9782807608498
DOI
10.3726/b14320
Langue
français
Date de parution
2018 (Juillet)
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Oxford, Wien, 2018. 420 p.

Notes biographiques

Nicole Decostre (Éditeur de volume) Matthew Lipman (Auteur)

L’auteur Matthew Lipman (1923-2010) est un logicien, philosophe et pédagogue américain. Disciple de John Dewey, il a conçu un programme de construction et de libération d’une pensée qui assure les meilleures chances de réussite à l’école et dans la vie : « Philosophy for Children », reconnu par l’UNESCO et pratiqué avec succès dans plus de soixante pays. Malgré cette appellation, ce programme, composé de romans accompagnés de manuels, peut être utilisé aussi avec des adultes. Les manuels présentent des exercices spécifiques et progressifs utilisables selon les besoins ou le choix du groupe. Matthew Lipman est le fondateur de l’IAPC (Institute for the Advancement of Philosophy for Children) à l’Université Montclair (New Jersey). La traductrice Nicole Decostre est licenciée en histoire (ULB) et professeur retraitée. Elle est la traductrice de Matthew Lipman (À l’École de la pensée, 1995 ; Mark, Recherche sociale, 2009 ; Lisa, 2011), de Fred Jerome (Einstein, un traître pour le FBI, 2005), de Ronald Aronson (Vivre sans Dieu, 2010) et de Tim Sprod (La Science dialoguée, 2012).

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