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Les fables à l’école

Un genre patrimonial européen ?

de Brigitte Louichon (Éditeur de volume) Marie France Bishop (Éditeur de volume) Christophe Ronveaux (Éditeur de volume)
©2017 Collections 279 Pages
Série: Exploration, Volume 178

Résumé

Les fables de La Fontaine, celles de Krylov ou d’Esope relèvent du patrimoine européen. Les auteurs aussi assurément, même si leur statut diffère d’un pays à l’autre, d’un espace linguistique à un autre. Cet ouvrage s’intéresse aux fables à l’école car le genre est présent au sein des écoles publiques européennes depuis le XIXe siècle. De quelle vertu particulière est pourvue la fable pour figurer dans les corpus scolaires ? Y a-t-il dans les fables une matière qui les rende plus adéquates à des fins didactiques ? Les fables d’Esope, Phèdre, Lessing, Krylov ou La Fontaine relèvent-elles d’une même poétique ? Quelle part l’école prend-elle sur la définition de cette poétique ? Quels fabulistes ont été choisis pour figurer dans les corpus nationaux, régionaux ou cantonaux ? À quels enjeux didactiques particuliers répondent-elles ? Sous quelles contraintes sociales et politiques apparaissent et disparaissent-elles ?
Des chercheurs en didactique, de différents pays européens, intéressés par l’apprentissage et l’enseignement de la littérature dans leurs régions, regroupés au sein du réseau international HELiCE, répondent à ces questions.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Présentation
  • Première Partie: Les Processus De Scolarisation Des Fables
  • De la plasticité éditoriale de la fable (en France) (Brigitte Louichon)
  • La double re-contextualisation des fables d’Ésope dans les manuels scolaires utilisés pour l’enseignement du grec moderne (Vasilis Vasileiadis / Dimitris Koutsogiannis)
  • Les fables de l’école française: le choix des anthologistes aux XXe et XXIe siècles (Christine Boutevin)
  • Le fabuliste, le professeur de FLE et les méthodologies (Nadja Maillard / Dominique Ulma)
  • Deuxième Partie: La Place Des Fables Dans Les Programmes Et Les Manuels
  • Les fables au travail à l’école d’un siècle. Une comparaison des manuels suisses du primaire et du secondaire (Christophe Ronveaux / Chloé Gabathuler)
  • Les fables dans les manuels scolaires de l’enseignement en France, 1880-1990: un genre ou des auteurs? (Marie-France Bishop / Nathalie Denizot)
  • Les fables de Krasicki dans les programmes d’enseignement et les manuels scolaires polonais à partir de 1918 (Beata Klebeko)
  • Les avatars de la fable dans les programmes et les manuels du secondaire belge depuis 1945 (Jean-Louis Dufays / Cendrine Sorignet-Waszak)
  • La Fontaine et les fables en lycée professionnel français: quelles approches, quelles finalités? (Anissa Belhadjin / Maryse Lopez)
  • Les fables d’Ésope dans les manuels littéraires de l’école primaire grecque: quelle place? Pour quelles raisons? (Diamanti Anagnostopoulou / Marianna Missiou)
  • Troisième Partie: Lectures Et Lecteurs Des Fables Dans Et Hors L’éCole
  • Comment Jean Bastaire, écolier français des années 1930, a rencontré les fables (Catherine Frichet)
  • La demoiselle et la fable: formes et usages évolutifs de l’apologue dans l’éducation des jeunes filles de la fin de l’Ancien Régime au début du XIXe siècle, en france (Christine Mongenot)
  • La fable au collège français au seuil du XXIe siècle: un genre discursif et/ou littéraire? (Sylviane Ahr)
  • La vengeance de la grenouille, ou les permanences et évolutions du corpus des Fables de La Fontaine au collège français et ses différents usages scolaires (1985-2013) (Magali Brunel)
  • Conclusion
  • Bibliographie générale
  • Les auteurs
  • Titres de la collection

Présentation

La notion de patrimoine semble aujourd’hui investir tous les espaces. Alors que le terme désignait à Rome et jusqu’au XVIIIe siècle, en France, les biens familiaux, la Révolution française invente le «patrimoine national», désignant ainsi les biens privés des Émigrés ou de l’Église, que l’on doit préserver du vandalisme parce qu’ils forment un bien collectif, constitutif d’une histoire et d’une identité communes (Houdard-Mérot, 2015).

Après la Seconde Guerre mondiale, autre période de destruction de monuments, l’UNESCO crée le «patrimoine mondial» ou «patrimoine de l’humanité» et se donne pour mission de répertorier et conserver les biens culturels et naturels de l’humanité.

Enfin, l’extension sémantique se poursuit dans une autre direction lorsque la notion de «patrimoine culturel immatériel» est introduite par l’UNESCO dans les années 1990. Le recensement et la conservation des traditions, des pratiques sociales ou festives a pour fonction de maintenir la diversité culturelle face à la mondialisation (Babelon & Chastel, 1994).

On le voit, le périmètre patrimonial est en réalité très variable. Chaque village s’enorgueillit ainsi de son patrimoine. Le terme désigne en général toutes les traces du passé, le plus souvent architectural. La chapelle ou le lavoir, ainsi élevé au rang patrimonial, se trouve distingué en tant que monument historique mais aussi en tant que marqueur de cohésion villageoise que la communauté, en retour, se doit de protéger, de sauvegarder et de mettre en valeur, voire en exergue.

Le patrimoine est donc, tour à tour – et parfois en même temps –, familial, communal, régional, national, transnational, mondial, et donc européen. Or, s’il est bien une chose dont l’Europe a besoin, c’est d’un patrimoine partagé, c’est-à-dire de ce qui peut la désigner et peut-être même l’instituer comme un espace commun.

La littérature peut, à l’évidence, relever du patrimoine, mais il convient d’en spécifier les modalités. On posera que l’œuvre patrimoniale est production passée et réception actuelle de cette œuvre et, plus ← 1 | 2 → largement, usages présents. C’est parce que l’on use de l’œuvre au présent qu’elle se transmet et continue à exister au présent. Ainsi, plus on use d’une œuvre, moins elle s’use, plus elle est vivante. Autrement dit, il ne peut y avoir patrimonialité littéraire sans usages (éditoriaux, artistiques, individuels, médiatiques, politiques, savants, scolaires, etc.). Ceux-ci, divers suivant les époques, multipliés par les moyens de communication aujourd’hui, permettent le passage du passé au présent. Il est donc possible d’observer, en synchronie, la dimension effectivement patrimoniale d’une œuvre en observant ce qu’on en fait. Que fait-on des œuvres? Que fait-on par exemple des Fables de La Fontaine aujourd’hui en France? On en fait des livres, des ouvrages savants comme des recueils de quelques fables pour les enfants. On illustre les fables, on commente les fables, on parodie les fables, on adapte les fables qui deviennent dessin animé ou spectacle théâtral à la Comédie française1. Dans les écoles, on lit les fables, on apprend les fables, on récite les fables, on recopie les fables, on en parle à la maison, on les insère dans des manuels, on les chante, on les explique, on les travaille… L’œuvre originale produit ainsi ce que l’on appellera des objets sémiotiques secondaires, ces adaptations, réécritures, commentaires, interprétations par lesquels l’œuvre est à la fois lisible et visible, c’est-à-dire présente (Louichon, 2015).

Dans cette logique, l’école et les usages scolaires des œuvres constituent une des modalités les plus évidentes de patrimonialisation. Les fables de La Fontaine et celles de Krylov ou d’Ésope relèvent bien du patrimoine européen. Les auteurs aussi, assurément, même si leur statut diffère d’un pays à l’autre, d’un espace linguistique à un autre. Mais peut-on parler d’un «genre patrimonial»?

Le fait que la fable soit présente dans les écoles publiques européennes, dès leur création, nous a interpelé triplement: sur l’étiquetage générique de la fable, sur la nature didactique de cette forme textuelle particulière et sur l’étendue territoriale et linguistique des fables. De quelle vertu particulière est pourvue la fable pour figurer dans les corpus scolaires? Y a-t-il dans les fables une matière qui les rende plus adéquates à des fins didactiques (Bared, 1995)? Les fables d’Ésope, Phèdre, Lessing, Krylov ou La Fontaine relèvent-elles d’une même poétique? Quelle part l’école prend-elle sur la définition de cette poétique? Quels nations, pays, cantons ou régions ont accueilli des fables dans leurs curricula? À ← 2 | 3 → quels enjeux didactiques particuliers répondent-elles? Sous quelles contraintes sociales et politiques apparaissent et disparaissent-elles?

Cet ouvrage entend apporter quelques réponses à ces questions, en les abordant selon trois axes.

Le premier est celui qui envisage les traits du genre scolaire et leur caractérisation en synchronie. Comment se caractérise la fable à l’école? À quelles formes textuelles la fable est-elle assimilée? Les empiries analysées dans les diverses contributions de cet ouvrage montrent que la fable ne se laisse pas appréhender par une série de traits déterminés et stables. Cette labilité invite à déplacer le problème de la catégorisation générique sur celui des conduites de lecture confectionnées par l’école pour enseigner la lecture ou faciliter la lisibilité de la fable. La question de la définition du genre de la fable revient à décrire les manières dont il faut lire ces textes que l’école range sous l’étiquette de fable. La variété générique des fables questionne davantage les instances à la source des régimes de lecture. Programmes, instructions officielles, plans d’études, méthodes, manuels, exercices, tous ces textes contribuent à la définition de ces régimes. Mais aussi les dispositifs imaginés par les enseignantes, les consignes, les exercices, les activités et les interactions verbales qui accompagnent la mise en œuvre des dispositifs produisent des «effets de généricité». Nous empruntons cette notion aux travaux d’Adam et Heidmann (2007). Selon ces auteurs, tout texte est inscrit dans une classe de discours et participe à plusieurs genres. Cette inscription s’opère sous l’autorité de diverses instances: l’auteur bien sûr, mais aussi le lecteur et tous les acteurs qui interviennent dans le circuit d’édition, de diffusion et de légitimation du texte. Éditeurs, critiques… et enseignants, ajoutons-nous. Adam et Heidman proposent de rapporter le genre à une pratique normée dont la stabilité et les contraintes sont imputables à un groupe social donné. Ils lui préfèrent la notion dynamique de généricité, plus apte à décrire les transformations et innovations des pratiques de l’écrit. Quels régimes de lecture de la fable l’école a-t-elle développés? Quels effets de généricité a-t-elle initiés, privilégiés ou abandonnés?

Le second axe de questionnement s’intéresse à la matière spécifiquement didactique ou pédagogique qui semble avoir été associée à la fable par la tradition depuis que l’école existe. Y a-t-il dans la fable de «bonnes raisons», littéraires, didactiques ou pédagogiques, pour en faire un objet d’étude et de développement scolaire privilégié? Ces bonnes raisons se déclinent-elles de la même manière au début de la création de l’école publique et au moment des grandes rénovations des années 1970, ← 3 | 4 → et, en Europe de l’Est, des grandes révolutions de 1990? Cette question se décline à deux niveaux: à un niveau synchronique et plus spécifiquement didactique se pose la question des savoirs utiles élaborés par l’école (par une discipline, le français); à un niveau diachronique, se pose la question de l’inscription de la fable dans une histoire culturelle et une tradition scolaire (de la discipline) qui définit son utilité, son efficacité pour ce moment-là de l’histoire. Pour ne prendre que le domaine francophone, dans les livres de lecture destinés aux élèves de la fin du primaire, les fables figurent dans des assemblages comprenant des anecdotes et récits édifiant, qui paraissent aujourd’hui hétéroclites. La dimension réaliste du récit que certains auteurs ont pu lire dans la fable à une certaine époque a pu donner à la fable cette qualité concrète des textes qui illustrent. Depuis cet angle de vue, la fable apparait comme une démonstration conduite à partir d’un système de préceptes moraux universels. Il s’agit d’illustrer par un récit «réel», «concret», «vécu», une vérité divine. Et voilà La Fontaine considéré comme moraliste en dépit de l’ironie critique de certaines de ses morales! Dans quelle mesure cette lecture de la fable comme représentation du réel correspond-elle à une certaine conception scolaire de la littérature? Les institutions de formation ont pu, à certaines époques, favoriser la rédaction, publication et diffusion d’une littérature moralisante à laquelle ont été assimilées les fables. Des travaux ont bien montré que l’opérationnalisation d’un projet pédagogique s’accompagne d’opérations de sélection, d’occultation, de troncation, d’ajout qui transforment la matière textuelle (Jey, 1998; Kuentz, 1972; Massol, 2004). Faut-il regretter ce que d’aucuns nommeraient une altération? Doit-on imputer à l’esprit d’une époque la carence d’un outil de lecture idoine? Est-ce incapacité ou malentendu comme le laisserait accroire la question posée par Heidmann et Adam (2010, p. 6) à propos du conte?

De notre point de vue de didacticien, nous voulons y voir une opération consciente de mise en cohérence de savoirs utiles pour l’école, un processus général de transformation des objets culturels, spécifique aux activi ← 4 | 5 → tés de transmission. La fable apparait comme un analyseur de cette activité éminemment complexe qu’est l’enseignement des littératures.

Enseigner quoi, au fait, par le truchement de la fable? La lecture? La bonne conduite par la récitation de textes édifiants? L’orthographe? L’histoire de la littérature et la répartition hiérarchisée des auteurs majeurs et mineurs dans le panthéon des hommes de lettres qui ont fait l’histoire? Ce questionnement sur les savoirs de la fable concerne au premier chef la discipline et la clarification de ses composantes.

Le troisième axe s’interroge sur l’étendue territoriale et linguistique de ces traditions. Quels fabulistes ont été choisis pour figurer dans les corpus nationaux, régionaux ou cantonaux? Mais aussi, pour un même auteur, qu’en est-il de la lecture des fables en Grèce, en France, en Allemagne et en Russie? Étendre l’analyse à la comparaison des curricula et supports des divers pays européens et des diverses communautés linguistiques complexifie encore le projet. Dans le même temps, il le rend plus lisible en ouvrant la réflexion aux filiations culturelles et à l’intertexte. Dans le chapitre 5 de Psychologie de l’art, Vygotsky commente la confusion que les auteurs de son époque entretiennent autour de la fable. Rapprochant les commentaires de Lessing et de Potebnia, il analyse la manière dont le philosophe et le critique confondent ce qu’il appelle la fable poétique, par exemple la fable de La Fontaine, et la fable en prose, ou apologue. Selon lui, chacun des deux commentateurs, par des chemins différents, plaque sur la fable poétique les traits outrageusement didactiques de la fable en prose, fait de la première un «sermon», oubliant par là qu’elles appartiennent à des histoires différentes et se sont développées selon leur cours propre. Ce qui fait la supériorité de la première sur la seconde, d’après Vygotsky, c’est le recours à des procédés qui isolent la fable poétique du réel. Cette dernière doit son effet esthétique et l’émotion qui en émane aux conventions qui lient l’auteur à son lecteur. L’intérêt de ce chapitre pour notre réflexion réside dans le fait de déplacer la question d’une définition du genre sur celle de l’histoire et des traditions culturelles. Il nous appartient de restituer la fable et son enseignement dans la spécificité des communautés qui les ont rendus lisibles et constitués en objets d’enseignement.

Ce triple questionnement, adressé dans ce volume à la fable, trouve son origine dans la constitution d’un groupe de chercheurs en didactique de différents pays européens, intéressés par l’apprentissage et l’enseignement de la littérature dans leurs régions. C’est à Genève, lors des 11e Rencontres des Chercheurs en didactique de la littérature en 2010, ← 5 | 6 → que l’intérêt et la nécessité de la constitution d’un réseau international abordant l’enseignement de la littérature dans une optique diachronique et comparatiste est apparu.

Ce groupe, désigné par un acronyme, HELiCE2, a porté ses premières réflexions autour de deux constats.

Résumé des informations

Pages
279
Année
2017
ISBN (PDF)
9783034329224
ISBN (ePUB)
9783034329231
ISBN (MOBI)
9783034329248
ISBN (Broché)
9783034329217
DOI
10.3726/b11272
Langue
français
Date de parution
2017 (Juin)
Mots clés
histoire de l’enseignement didactique fables comparaison européenne niveaux primaire et secondaire patrimoine La Fontaine Esope Krylov
Published
Bern, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2017. VII, 279 p. 5 ill. en couleurs, 5 ill. n/b, 15 tabl.

Notes biographiques

Brigitte Louichon (Éditeur de volume) Marie France Bishop (Éditeur de volume) Christophe Ronveaux (Éditeur de volume)

Brigitte Louichon est professeure de langue et littérature françaises à l’Université de Montpellier et enseigne à l’ESPE Languedoc-Roussillon. Spécialiste de didactique de la littérature, elle travaille sur le patrimoine littéraire à l’école. Marie-France Bishop est professeure à l’Université de Cergy-Pontoise. Elle travaille dans le champ de la didactique du français, dans une perspective historique, sur les pratiques et les contenus d’enseignement et d’apprentissage à l’école primaire. Christophe Ronveaux est maitre d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève où il enseigne la didactique du français et de la lecture. Il travaille sur les pratiques d’enseignement et la disciplination au fil des cycles.

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Titre: Les fables à l’école
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