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Figures de l’infini

Du panthéisme de Schelling à Mallarmé

de Morgan Gaulin (Auteur)
©2017 Monographies 322 Pages

Résumé

Héritier d’une longue tradition pour laquelle la nature est un être vivant en devenir (natura naturans), Stéphane Mallarmé est l’auteur d’une physiologie des lettres qui le mène à concevoir la littérature comme un organisme. Nous inscrivons le poète dans une histoire des idées qui remonte par-delà Poe et Baudelaire à Mme de Staël et au philosophe de la nature Friedrich Schelling, qui voyait dans le concept d’organisme un infini immanent au fini, un infini actuel. S’exprime, dès lors, de Schelling à Mallarmé, un panthéisme organique qui prend tour-à-tour la forme d’un panthéisme de la nature puis d’un panthéisme littéraire qui s’affranchit de la substance fixe du spinozisme. La première partie de cet ouvrage examine les fondements philosophiques et théologiques de ce panthéisme ainsi que son transfert en France chez des auteurs tels que Cousin, Renan, Vacherot, Séailles et Littré. La seconde partie présente cet organicisme en tant qu’il est, chez Mallarmé, le produit d’une doctrine du mot comme dépositaire de la vie (Les Mots anglais).

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Délimitation de la question : Schelling et Schleiermacher
  • Première partie
  • Chapitre I – Le panthéisme, doctrine du fini et de l’infini
  • Explorations théologico-philosophiques : de l’athéisme à l’acosmisme
  • Par-delà l’athéisme et l’acosmisme
  • L’organicisme de Herder
  • La doctrine panthéistique en France
  • Étienne Vacherot : gloire de l’immanentisme
  • Kant et l’infini
  • Les antinomies kantiennes
  • Mallarmé : le fini et l’infini
  • Mallarmé, une lutte avec l’absolu
  • État de la critique mallarméenne
  • Hérodiade : une expérience littéraire panthéiste
  • Le positionnement métaphysique de l’infini
  • Le paradigme physico-spirituel
  • La religion et la nature comme figures de l’infini : le travail d’importation de Mme de Staël
  • Religion et enthousiasme
  • Une religion de la nature
  • Le panthéisme, une divinisation de la nature
  • Du panthéisme religieux. Schleiermacher, l’Aufklärung, Kant et les critiques de la religion
  • Le panthéisme de l’âme du monde : la nature infinie de Schelling et la religion
  • La productivité de la nature
  • Le Système de 1800
  • La nature en Dieu
  • L’âme du monde
  • Schelling, le panthéisme et la liberté
  • Chapitre II – Le panthéisme en France. De Victor Cousin à Mallarmé
  • Le sentiment religieux chez Mallarmé
  • Le prêtre et l’artiste : figures universelles de l’infini
  • La religion mallarméenne de l’infini
  • Victor Cousin : une médiation philosophique
  • Ravaisson critique de ses contemporains
  • L’esthétique : de Ravaisson à Séailles
  • Une esthétique vitaliste : Gabriel Séailles
  • Coleridge, théoricien de l’imagination
  • Deuxième partie
  • Chapitre I – L’élaboration d’un panthéisme littéraire
  • Le rôle de l’imagination : Baudelaire, Poe, Mallarmé
  • Mallarmé et Hegel : une méprise ?
  • Poe, cosmologiste
  • Prolégomènes à une théologie mallarméenne des lettres
  • L’occultisme de Victor Émile Michelet
  • Le panthéisme : Villiers de L’Isle-Adam, Poe, Görres
  • L’ascétisme de Villiers de L’Isle-Adam
  • Une religion de l’infini dans le fini : Littré, Strauss et Renan, des contemporains immédiats de Mallarmé
  • Ernest Renan et Gabriel Séailles : un modèle herméneutique et religieux
  • Elme Caro. Un connaisseur du panthéisme à Paris
  • Chapitre II – Le panthéisme littéraire de Mallarmé
  • Une préfiguration du panthéisme mallarméen : Pan (1859)
  • Igitur : une cosmologie de l’infini
  • Une identité philosophique non hégélienne
  • Cantus Interiore. L’orphisme de Mallarmé
  • Orphisme poétique, poétique orphique
  • Organicité biothéologique
  • La page et le ciel
  • La liberté poétique
  • Les Dieux antiques et ses répercussions poétiques
  • La théologie d’Hérodiade
  • Le tombeau d’Anatole : une vie infinie de la matière
  • Les Notes en vue du « Livre » : une formalisation littéraire de l’identité relative
  • Une discipline en vogue : la psychophysique
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Œuvres de Stéphane Mallarmé
  • Œuvres de Schelling
  • Ouvrages critiques sur ou autour de l’œuvre de Mallarmé
  • Ouvrages critiques sur ou autour de l’œuvre de Schelling
  • Autres ouvrages
  • Titres de la collection

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Introduction

« Il est plus facile de réfuter le panthéisme que d’y échapper. »

(Duc de Broglie cité par Charles Renouvier, Critique Philosophique, 1885, I, 166)

Deux intuitions sont à l’origine des pages qui suivent. La première est que le poète Stéphane Mallarmé nous semble partager avec les philosophes postkantiens, ces penseurs qui, venant après Kant, ont voulu critiquer, améliorer ou simplement prolonger sa philosophie, une conception voisine de ce que ces derniers, Schelling en tête, entendent par les termes religion et nature. La seconde consiste à remarquer qu’il y a pour Mallarmé deux figures capables d’incarner ce qu’il nomme dès 1867 dans une lettre à Lefébure une « vue très-une de l’univers1 ». La première de ces figures consiste en une une forme de piété qui voit partout l’infini dans le fini et qui postule que toute chose fait partie d’un tout. La seconde est une façon nouvelle de se représenter la nature comme force auto-productive. La nature est alors, à la fois, natura naturans et natura naturata, sujet et objet ; bref, c’est un être en devenir. Nous montrerons que Mallarmé conçoit la littérature à l’instar de cette nature vivante venue du panthéisme, c’est-à-dire comme un être doué d’un corps d’os et de chair. Mallarmé est en cela le continuateur fidèle du schellingien Gabriel Séailles pour lequel en art la nature est comme une personne2. Le poète remplace de la sorte le Dieu des théologies monothéistes par la nature et s’il est donc possible de formuler une nouvelle religion, une religion des poètes au sens où l’entend Mallarmé, c’est avant tout sous la forme d’un panthéisme qu’elle peut s’incarner.

La philosophie de la nature schellingienne et en particulier l’Introduction à l’Esquisse d’une philosophie de la nature de 1799 se veut selon les mots de son auteur un spinozisme de la physique. Ainsi, au ← 11 | 12 → lieu d’affirmer que Dieu est tout Schelling y postule que c’est la nature qui est tout. Loin d’afficher des scrupules à l’égard de cette doctrine tant de fois attaquée par l’Église, le jeune Schelling se range alors du côté de Lessing contre Jacobi dans cette querelle dite du panthéisme ou du spinozisme3 (Pantheismusstreit) qui fit rage entre 1782 et 1815 et qui vit le second attaquer le spinozisme du premier y décelant un danger d’athéisme4. Affichant donc publiquement son parti pris pour une philosophie d’inspiration spinoziste, Schelling, dès 1795 dans son traité Du Moi affirme que le Moi est tout, pôle auquel vient s’ajouter, en 1799, la nature. Mallarmé, nous le verrons, s’efforce, surtout à partir de sa crise métaphysique, de considérer la littérature comme cette nature vivante schellingienne : un fini-infini, un organisme5 en développement et dont l’identité relative, développée par Schelling dans le dialogue du Bruno de 1802, vient régler et assurer le devenir. C’est le poète symboliste belge Albert Giraud qui, dès 1891, a perçu quoique de manière abstraite ce caractère panthéiste de la pensée de Mallarmé6. Le panthéisme de Mallarmé se range donc sous le signe de ce que nous nommons le principe d’Igitur, suivant lequel il est possible de fixer l’infini7. Chez Mallarmé il s’agit donc d’analyser les modalités de cette localisation de l’infini dans l’organisme et, à ce titre, c’est Kant qui en a donné la ← 12 | 13 → définition la plus précise, définition dans laquelle ce dernier distingue le simple mécanisme de la véritable organisation :

Kant met l’accent sur le caractère auto-organisationnel de l’organisme et, surtout, sur le fait que, selon lui, la force formatrice est immanente à l’organisme. C’est d’ailleurs cela que Schelling, à sa suite, entend par l’expression pulsion formatrice, figure ultime s’il en est de l’infini dans le fini.

Le nœud de ce travail consiste donc à démontrer deux hypothèses. La première est qu’avec le philosophe et théologien Friedrich Schleiermacher, que Mme de Staël a qualifié de théologien de l’infini, Mallarmé partage l’idée que l’artiste, en l’occurrence l’écrivain, est un nouveau prêtre. Le prêtre et l’artiste sont habités par le sentiment de l’infini mais expriment ce sentiment de manière différente. Le prêtre exprime son sentiment sous la forme de dogmes alors que l’artiste produit des œuvres d’art. Ainsi, l’art se veut une présentation de l’infini dans une matière quelconque (en ce qui concerne la littérature, ce sont les lettres) et l’expression d’un sentiment individuel pour une communauté. En ce qui concerne un supposé athéisme de Mallarmé nous demeurons donc sceptiques. Le poète n’a-t-il pas évoqué dans sa conférence tardive La Musique et les lettres (1895) la possibilité d’une religion de l’intuition : « Si dans l’avenir, en France, ressurgit une religion, ce sera l’amplification à mille joies de l’instinct de ciel en chacun », et n’a-t-il pas affirmé dans une lettre à Verlaine datée du 16 novembre 1885 que le devoir du poète se résume en une explication orphique de la terre9. Enfin, n’a-t-il pas insisté sur la « divine transposition » qui doit aller du fait à l’idéal ? C’est sur ce point précis qu’intervient l’idée d’une influence grandissante ← 13 | 14 → partout en Europe du protestantisme libéral initié par Schleiermacher. Ce caractère religieux de la poésie est aussi hérité de Schelling puisque ce dernier, nous le verrons, a insisté dès 1802 sur le fait que le poète se doit de construire une poésie qui soit à l’image d’une mythologie et qui fonctionne donc comme une religion où toutes les particularités peuvent tendre vers un principe d’universalité.

La seconde hypothèse qu’il nous faut exposer consiste à montrer que Mallarmé a repris à son compte l’idée d’une identité relative en s’inspirant d’Edgar Allan Poe qui l’a lui-même empruntée de Schelling et mise en scène dans ce vaste poème cosmologique qu’est Eureka. Chez Schelling, que Mme de Staël a fait connaître en France comme le philosophe de la divinisation de la nature, l’identité relative s’oppose à l’identité absolue. La première concerne les productions de la natura naturans et laisse sans cesse apparaître un troisième terme, figure parfaite du dynamisme alors que l’identité absolue concerne un objet et son image dans un miroir. Cette dernière forme d’identité est dite absolue parce qu’elle n’engendre aucun reste ; l’objet et son image étant des équivalents, aucun mouvement, aucun devenir ne peut en naître. Cette divinisation de la nature vient du fait que dans l’Introduction à l’Esquisse de 1799 Schelling affirme qu’il s’agit pour lui de développer une philosophie de la nature fidèle au spinozisme de la physique pour la raison que, selon lui, la nature est autonome : Selbständige10. C’est à cause de cette autonomie de la nature que le texte schellingien de 1799 est si important pour notre travail puisque cette nature y est comprise comme productrice autant que produite et, donc, en mouvement perpétuel parce qu’elle possède des forces qui lui sont propres. L’ouvrage de 1801 intitulé Du Vrai concept de la philosophie de la nature affirme la même chose qualifiant alors la nature de sujet-objet11. Chez Mallarmé, nous retrouvons en écho ce principe d’une nature productive en train ← 14 | 15 → de se faire sous nos yeux : « La nature a lieu, on y ajoutera pas ; que des cités, les voies ferrées, et plusieurs inventions formant notre matériel12. » Dans l’énonciation de ce principe, qui est daté du premier mars 1894 et que le poète prononce dans sa conférence sur La Musique et les lettres, le présent est employé afin de souligner que la nature se produit sans cesse et qu’elle n’est donc pas un produit « tout fait » que l’on aurait qu’à décrire froidement. La nature y est présentée comme un acte, un acte en processus et dans lequel se confrontent diverses forces. Le philosophe de la nature, quant à lui, s’attache à mettre en valeur la productivité de la nature dans laquelle s’unissent en une simultanéité deux infinis : l’infinité idéelle et l’infinité empirique13. La nature est donc une unité de l’idée et de l’acte alors que dans l’art, selon Schelling, ces deux infinis demeurent distincts. Cependant, Mallarmé, surtout à partir de la Nuit de Tournon, concevra de plus en plus le langage et la littérature comme cette rencontre de l’idéel et de l’empirique tentant de la sorte de faire apparaître la littérature comme un produit organique naturel, une continuité absolue, un dynamisme infini. Dès sa lettre du 28 avril 1866 à Cazalis Mallarmé souligne que c’est de la matière dont il veut s’occuper désormais mais d’une matière consciente de soi et ce par le biais d’une philosophie de l’immanence :

Oui, je le sais, nous ne sommes que de vaines formes de la matière – mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme. Si sublimes, mon ami ! que je veux me donner ce spectacle de la matière, ayant conscience d’elle, et, cependant, s’élançant forcenément dans le Rêve qu’elle sait n’être pas, chantant l’Âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges, et proclamant, devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges !

Avec la nature, la religion constitue l’autre concept central de notre recherche. Parmi les philosophes allemands ayant réfléchi sur la religion la conception de Schleiermacher, très proche comme nous le verrons de la manière dont Mallarmé comprend la religiosité, confie à l’artiste le sentiment de l’infini et la responsabilité de représenter ce sentiment pour ← 15 | 16 → une communauté. De plus, la littérature telle que la comprend Mallarmé, parce qu’elle est autonome comme la nature de Schelling, signe le retrait du poète et la mise de l’avant de cette matière vivante qu’est le langage. Notre travail se divise donc en deux parties. La première insiste sur l’importance philosophique qu’a prise en France le panthéisme à partir des travaux de Mme de Staël, de Renan, de Ravaisson, de Séailles, de Victor Émile Michelet et d’Elme Caro14. Ce panthéisme s’exprime sous la double forme d’une religion libre de tout dogmatisme, préconisant la recherche de l’infini dans le fini telle qu’elle se présente chez Schleiermacher et d’une découverte de cet infini dans la nature vivante ou, en d’autres termes, d’une inclusion, chez Schelling, du monde en Dieu. La seconde partie de ce travail porte sur la manière dont Mallarmé s’y est pris pour figurer une telle manifestation de l’infini. Ainsi, la première partie consiste en une brève histoire du panthéisme au XIXe siècle dans laquelle nous avons tenté de reconstituer sa lente élaboration, à la fois esthétique et religieuse et ce jusqu’à Mallarmé. La seconde partie présente les diverses stratégies figuratives par lesquelles le poète est parvenu à incarner ce panthéisme dans le domaine littéraire. Il nous a semblé important de souligner cette parenté du poète avec les penseurs qui ont développé une philosophie panthéiste15, surtout en regard des monographies consacrées à la poésie de Mallarmé. Ces ouvrages présentent généralement le poète comme une étoile filante libre de toute entrave quant à l’histoire des idées. En d’autres mots, c’est à partir des survivances françaises de la religion de Schleiermacher et, surtout, de la philosophie de la nature schellingienne que nous avons voulu retrouver la trace d’un infini immanent au fini et, par le fait même, d’une inclusion de l’infini dans le fini dans l’œuvre de Mallarmé16. En privilégiant une ← 16 | 17 → doctrine de la nature vivante, Mallarmé nous est apparu beaucoup plus près du panthéisme de Schelling que de celui de Hegel, qui ne voit dans la nature qu’une manifestation de l’Idée dans l’être-autre17. Ainsi, dans la foulée d’un Schelling qui redonne ses lettres de noblesse à une nature vivante habitée de forces qui lui sont propres (la pulsion formatrice ou Bildungstrieb18) ou d’un Bernhard Bolzano qui en 1851 dans ses Paradoxes de l’infini tente de définir l’infini à l’aide des mathématiques, Mallarmé essaie lui aussi de définir cet infini à partir de l’immanence et ce dès la crise métaphysique qui l’affecte entre 1866 et 1868. Les deux pôles de cet immanentisme Mallarméen, au sortir de la crise, sont les vingt-quatre lettres de l’alphabet ainsi que la nature. C’est d’ailleurs à cette époque que Mallarmé donne les clefs de sa nouvelle philosophie et ce dans une lettre du 3 mai 1868 à Lefébure. Mallarmé y cite un vers de Cazalis qui, dit-il, est « Un bien beau vers, et qui fut toute ma vie depuis que je suis mort. » Ce vers : « Ils vont par l’Infini faire des Cieux nouveaux19. » Chez le poète ces deux infinis que sont les lettres et la nature finissent par se confondre pour ne faire qu’un : la littérature comme organisme vivant. S’ensuit un intérêt croissant et simultané chez Mallarmé à partir de 1869 pour la physiologie et la linguistique de même que durant les dernières années de sa vie un goût prononcé pour cette nouvelle science qu’est la psychophysique à laquelle il a accès par ← 17 | 18 → l’intermédiaire d’Eugène de Roberty20, de Roberty qui estime que cette discipline constitue en fait, selon ses propres termes, « l’achèvement du panthéisme ». De la Naturphilosophie de Schelling à Mallarmé nous assistons donc en ce XIXe siècle à une revalorisation significative de l’infini actuel, un infini en acte, un infini physique et non seulement d’un infini potentiel qui n’a d’existence que virtuelle.

On ne saurait trop insister sur le fait que la philosophie de la nature schellingienne a cet avantage de donner accès à des objets réels à partir desquels la pensée est ensuite en mesure de produire de la connaissance. La nature y est donc présentée dans son processus de conscientisation ; il s’agit d’un procès organique et même d’un processus de perfectionnement du vivant. Le monde, explique Schelling en 1799, « aspire puissamment à la conscience […]21. » Ce développement du monde est possible parce qu’il possède en lui les forces qui lui permettent de grandir et de se perfectionner. Nous retrouvons cette révélation d’une divinisation du monde chez Mallarmé. Celle-ci s’annonce timidement, à tâtons et avec de nombreuses hésitations dès le poème Pan écrit en 1846 et connaîtra des modifications de même que des approfondissements au cours de la nuit de Tournon. Nous montrerons aussi que l’orphisme et la psychophysique sont des paradigmes qui alimentent Mallarmé lorsqu’il veut comprendre l’union du fini et de l’infini dans la nature. Ce sera tout le sens de la proposition mallarméenne telle qu’elle est consignée dans La Musique et les lettres : « La nature a lieu, on n’y ajoutera pas ; que des cités, les voies ferrées et plusieurs inventions formant notre matériel22. » La nature est alors pensée comme acte autonome, moment dynamique auto-produit à partir duquel nous sommes en mesure de distinguer deux types de panthéisme. Le premier est un panthéisme absolu qui pose entre Dieu et le monde une identité parfaite, absolue et qui empêche ← 18 | 19 → toute forme de devenir ; c’est le panthéisme classique. En revanche, les panthéismes de Schelling et de Mallarmé peuvent être compris comme des panthéismes relatifs ou dynamiques, qui émergent de l’identité relative schellingienne et selon laquelle il ne peut y avoir qu’une identité imparfaite entre les opposés, imperfection qui engendre la possibilité d’un développement, d’une divinisation progressive du monde.

Nous chercherons ainsi à montrer que Mallarmé a produit une œuvre littéraire mettant en scène une matière infinie, infinie en développement comme l’est le Dieu de la religion chrétienne car, tel que nous le verrons, le poète a élaboré l’idée que la divinité habite la nature. En cela, Mallarmé reprend, selon nous, l’impulsion de la philosophie de la nature de Schelling. Cette philosophie met en jeu une nature infinie venue du panthéisme de Spinoza23 : Deus sive natura, formule selon laquelle la nature et la divinité sont des termes identiques. L’originalité de Mallarmé consiste à élaborer un panthéisme non plus simplement philosophique ou théologique mais littéraire : Deus sive litterae, la littérature étant devenue chez lui l’équivalent de la nature vivante héritée du panthéisme. C’est d’Émile Verhaeren, ce contemporain de Mallarmé, que nous reprenons l’intuition suivant laquelle chez le poète il y a présence d’une philosophie organique. Seulement, Verhaeren ne faisait qu’esquisser quelques intuitions abstraites quoique géniales. Nous aurons, pour notre part, à préciser et à démontrer ce panthéisme organiciste de Mallarmé.

Sur le plan méthodologique nous avons adopté un principe herméneutique que nous avons tiré de l’œuvre de Paul Valéry, ce lecteur patient de Mallarmé. Selon ce principe « Il ne suffit pas d’expliquer le texte, il faut aussi expliquer la thèse24. » En adoptant un tel postulat nous avons voulu nous distancier des explications de texte ordinaires. Notre étude n’est donc pas un travail de « littéraire » car, selon nous, ← 19 | 20 → Mallarmé a travaillé à l’aide d’une thèse d’envergure métaphysique se situant du même coup dans une longue histoire des idées. D’ailleurs, cette nécessité d’inscrire la littérature dans un contexte métaphysique et théologique Mallarmé l’indique clairement dans le brouillon de la lettre à Charles Morice daté du 27 octobre 1892 : « Je révère l’opinion de Poe [dit-il], nul vestige d’une philosophie, l’éthique ou la métaphysique, ne transparaîtra ; j’ajoute qu’il la faut, incluse ou latente25. » Mallarmé a souhaité donner naissance à une littérature qui soit à la fois magique (non trop réelle, voire réaliste26) et préméditée (non irrationnelle), fondée sur ce qu’il appelle de « puissants calculs27 », c’est-à-dire des prémisses intellectuelles qui doivent donner vie au texte mais qui doivent aussi demeurer cachées28. C’est pourquoi nous avons cherché à mettre en lumière ce qui ne peut être qu’une des nombreuses thèses enfouies dans les textes du poète. Pour arriver à reconstruire le panthéisme de Mallarmé il nous a fallu passer par un travail minimal de formalisation philosophique et sortir de la logique philologique qui veut qu’un mot en éclaire un autre, puis un autre, etc. En cela, nous avons voulu respecter l’intuition même du poète, intuition selon laquelle la poésie est fondée sur ce qu’il nomme « l’armature intellectuelle du poème […]29. » Cette structure ou fondation intellectuelle de la littérature est constituée par la philosophie de même que par la théologie. Dans la rubrique intitulée Sur la philosophie dans la poésie, rubrique incluse parmi les nombreuses Réponses à des enquêtes le poète précise, se référant alors à Poe, que la philosophie est nécessaire mais qu’elle doit être cachée, « latente30 ». Notre thèse consiste à identifier cette métaphysique latente en lui donnant un nom : panthéisme. Afin de débusquer ce panthéisme dissimulé de Mallarmé il a aussi été nécessaire de faire référence à la ← 20 | 21 → correspondance, qui met en lumière les projets, les intentions et, surtout, les calculs qui ont servi de balises au poète31.

***

Le panthéisme tel que nous l’entendons dans ce travail s’appuie sur l’idée générale d’une âme du monde (Schelling) ou d’un esprit du monde (Schleiermacher), ce que Mallarmé, dans la même mouvance, nomme le mystère dans les lettres32. Ces expressions désignent le fait qu’il y a une vie (un principe infini) qui habite la matière (un principe fini). Jadis, Charles Mauron avait eu une belle expression pour désigner cette puissance de la nature chez Mallarmé : le Génie terrestre33. Il s’agit de quelque chose qui se trouve dans le fini et qui l’anime sans toutefois s’y réduire. Le panthéisme de l’âme du monde ou du mystère dans les lettres explique et rend possible la rencontre du fini avec l’infini. Il s’agit d’une manière d’expliquer que le fini est capable de l’infini et, dans le cas de Mallarmé, qu’un nombre fini de lettres (au nombre de vingt-quatre) puisse engendrer une quantité infinie de significations. Suivant la thèse de Jacobi, selon laquelle le panthéisme s’associe à la formule de l’hen kai pan (l’Un et Tout) des néo-spinozistes Lessing et Goethe34, notre recherche s’attache à Schelling, philosophe néo-spinoziste pour lequel la querelle du panthéisme, qui connut son apogée autour de 1786, a somme toute peu d’importance. Sur le plan religieux, en effet, ← 21 | 22 → Schelling affiche peu de scrupules et dès 1799 il compose un poème, La profession de foi épicurienne de Heinz Widerpost, dans lequel il fait preuve d’irréligion et affiche une forte tendance au matérialisme35. Dans ce poème Schelling prend des libertés avec l’orthodoxie religieuse et y conçoit même le monde comme un être en devenir : « Je ne saurais pas non plus pourquoi je devrais redouter le monde […] Il aspire puissamment à la conscience […] Sans jamais épargner sa peine, / Poussant une fois en hauteur, / Étendant ses membres et ses organes […]36. »

L’expression figures de l’infini désigne la façon dont le fini représente l’infini et présuppose qu’il existe un lien qui unit les deux termes. La formule le mystère dans les lettres, si chère à Mallarmé, est un principe général qui désigne comme l’âme du monde de Schelling la présence de la vie dans la matière. Cette formule est une des nombreuses figures de l’infini que nous retrouvons chez le poète. Affirmer qu’il y a un mystère dans les lettres c’est postuler que le langage est habité par une énergie qui le pousse à évoluer et à se produire de lui-même. C’est dire aussi que le poète n’est pas la cause première du poème mais qu’il en est plutôt une cause occasionnelle, c’est-à-dire l’occasion qu’a le langage, par l’intermédiaire de l’écrivain, de devenir littérature. À ce titre, Mallarmé n’a jamais cru qu’il était le créateur de quoi que ce soit. Au contraire, il ressortira de notre étude que Mallarmé a plutôt imaginé que le poète a simplement pour fonction de dévoiler la vie qui habite la matière. Ainsi, faire de la littérature consiste à dévoiler ce qui est voilé, laisser apparaître l’infini qui habite le fini. En cela, en effet, les mots sont comme la nature vivante du panthéisme de Schelling ; à la fois sujets et objets. Les mots sont utilisés par le poète mais demeurent malgré tout autonomes. Les figures de l’infini, qui sont des amalgames de mots, sont des figures dans lesquelles la lumière (principe infini) ← 22 | 23 → rencontre la matière (principe fini). En d’autres mots, les figures sont des incarnations ; ce sont des êtres doués d’un corps et d’une âme. Selon nous, Mallarmé a cultivé l’intuition que malgré le retrait de Dieu il reste dans l’ensemble de l’univers quelque chose de Lui qui permet à la matière, dont le langage fait partie, de vivre, d’évoluer. Ainsi, le langage est-il un être infini présenté à l’aide d’un moyen fini : la trace. Le mystère dans les lettres consiste ni plus ni moins dans le fait que le fini est capable d’accueillir l’infini. C’est pourquoi nous concevons une figure de l’infini comme une coïncidence entre le fini et l’infini, une rencontre du sensible et du suprasensible puisque le sensible est à la fois le reflet (Schelling, Mallarmé) et l’écho (Mallarmé) du suprasensible. Or, cette manière de comprendre la figuration présuppose un lien entre le visible et l’invisible. Ce lien est celui qui fonde la religion et qui prend sa forme la plus haute dans le panthéisme. Figure est un terme qui doit donc être compris à la manière dont Friedrich Christoph Œtinger (1702–1782) traite des figures bibliques. Celui que l’on nomme le Mage du Sud, traducteur de Swedenborg, souvent associé à l’aile spéculative du piétisme et grand inspirateur de Schelling37 considère, en effet, que tout ce qui est au-delà du monde doit avoir une figure, c’est-à-dire une corporéité dans le monde. Il en va ainsi de l’infini et Œtinger insiste en ce sens, nous le verrons, sur le terme Leiblichkeit afin de désigner le caractère ultime de tout ce qui est divin : un complexe nouage de spiritualité et de corporalité38. Toute idée a ainsi un corps qui lui correspond. Les efforts de Mallarmé, en particulier lorsqu’il rédige ses Notes en vue du Livre, vont dans ce sens et tendent à retrouver cet aspect magique de la religion, qui voit dans les phénomènes naturels des immanentisations des Idées. ← 23 | 24 →

Délimitation de la question : Schelling et Schleiermacher

Dans son essai Philosophie et théologie dans l’œuvre de Schelling Emilio Brito a tracé une courte mais pénétrante histoire des rapports entre les œuvres de Schleiermacher et de Schelling. L’auteur y évoque, entre autres choses, la lettre adressée par Schelling à A.W. Schlegel le 3 juillet 1801 et dans laquelle il insiste sur « l’image de l’Univers »39 telle qu’elle est développée par Schleiermacher dans les Discours sur la religion. Ce que Schelling retient de l’enseignement de Schleiermacher c’est ce concept d’univers de même que le spinozisme qui lui est sous-jacent ; il s’agit là d’un premier point de contact. De son côté, Schleiermacher apprécie l’élan antifichtéen de la philosophie de la nature schellingienne des années 1797–1799. C’est que Schleiermacher tel que le remarque Brito fut « l’initiateur de la critique de Fichte, déterminante pour Schelling. » De même que la lecture des Discours de Schleiermacher fut pour Schelling d’un énorme profit pour le développement du thème de la religion dans le système de l’identité. C’est en ce sens précis qu’Ernst Behler remarque que la critique de Fichte formulée par les premiers romantiques fut beaucoup plus sévère et déterminante que l’opposition à Kant40. Schleiermacher, en effet, a réussi à formuler une opposition à l’absolu de Fichte à l’intérieur d’un cadre pleinement philosophique et systématique, en mettant de l’avant la possibilité de construire un système philosophique ouvert, qui maintient en lui la simultanéité des opposés. La religion et la nature, qui apparaissaient à Fichte comme n’étant que des non-moi trouvent chez Schleiermacher et Schelling une place de toute première importance à l’intérieur du système philosophique. ← 24 | 25 →

Dans cette courte archéologie nous nous sommes limités à Schelling41 et à quelques linéaments de la pensée de Schleiermacher, ce faisant nous avons adopté une position tout à fait différente de Hegel, qui considère Fichte comme le penseur le plus emblématique du Premier romantisme allemand. C’est ainsi que nous avons fait nôtre une partie de la remarque d’Ernst Behler selon laquelle « la pensée et la critique du Premier romantisme ne sont pas davantage liées à l’esthétique kantienne et à la philosophie fichtéenne du moi qu’au classicisme weimarien de Schiller et de Goethe42. » Le choix de nous en tenir principalement aux œuvres de Schelling et de Schleiermacher est d’abord motivé par le fait que ce sont les deux penseurs qui ont formulé les thèses les plus développées et les plus systématiques quant à la question de l’infini et de son rapport au fini. Ils ont tous deux démontré que l’infini peut être envisagé à partir d’une pensée systématique et ne doit pas être rejeté vers les linéaments de la fragmentarité. La philosophie de l’identité de Schelling, qui s’articule sur un double versant, en philosophie de l’art et en philosophie de la nature est celle qui s’est avérée la plus marquante et qui a connu la diffusion la plus grande en France au XIXe siècle. Mallarmé, comme nous le verrons, reçut celle-ci essentiellement par l’entremise de l’œuvre d’Edgar Allan Poe. La pensée de Schleiermacher quant à elle présente un intérêt considérable ; ce dernier a le premier systématisé l’idée d’une religion de l’art (Kunstreligion) si importante tout au long de ce siècle et marquante pour Schelling. Dans les Discours sur la religion, en effet, Schleiermacher définit l’art comme ce qui doit assumer la principale fonction de la religion et qui consiste à aménager un espace de réflexion à partir de la rencontre du fini et de l’infini. Art et religion sont alors respectivement présentés comme intuition et sentiment de l’infini dans le fini (la religion) puis comme présentation matérielle de la présence de l’infini dans le fini (l’art). ← 25 | 26 →

En ce qui concerne Mallarmé nous avons pris au sérieux ce qu’Yves Delègue a appelé à la suite d’Henri Meschonic l’« affaire Mallarmé43 ». Delègue explique que cette affaire est d’abord caractérisée par un manque de dialogue entre les philosophes et les littéraires qui écrivent sur Mallarmé :

L’offensive de nos voisins philosophes nous échappait, tout comme ceux-ci, il est vrai, méconnaissaient les études littéraires. Aucune référence à Blanchot dans l’ouvrage magistral de Bertrand Marchal ; Derrida y est nommé une fois dans une note cursive. Mais de leur côté, ni Badiou, ni Rancière, ni les autres ne mentionnent par exemple La Religion de Mallarmé ne serait-ce que pour en discuter les interprétations littérales ou la signification globale. Le point de vue différent des uns et des autres explique cette indifférence réciproque. Les littéraires ont tendance à fixer leur regard sur l’individualité du poète […] les philosophes cherchent à situer le cas Mallarmé dans une perspective à très long terme, qui donne toute son ampleur au “pourquoi” de la littérature lancé par Mallarmé44.

Notre travail se situe d’emblée dans le sillage des travaux des philosophes et voudrait replacer Mallarmé dans une tradition de pensée qui s’attache à une vision panthéiste du monde. Nous ne prétendons pas régler cette affaire puisque ce qui nous mobilise par le biais du panthéisme c’est la question de la parenté de Mallarmé avec une certaine pensée allemande. La philosophie allemande demeure évidemment la grande affaire du XIXe siècle même si les écrivains français ne l’ont connue la plupart du temps que d’une manière indirecte. Le propos de notre travail consiste donc à déployer l’idée que de Schelling à Mallarmé le monde physique redevient animé et que la vie redonnée à la matière dépend d’une structure générale qui a pour nom panthéisme. Le panthéisme nous est apparu comme la condition transcendantale de la coexistence du fini et de l’infini. En effet, avant que la mécanique classique ne s’impose et ne vide la nature de toute trace de spontanéité il était d’usage d’attribuer l’interconnexion de tous les corps de l’univers à l’anima mundi, l’âme du monde, la Weltseele. Les successeurs médiévaux d’Aristote, par exemple, allaient aussi loin que d’affirmer ← 26 | 27 → que divers types d’âmes habitent la matière. Avec Schelling et jusqu’à Mallarmé nous avons voulu retrouver une tradition d’écrivains et de philosophes renouant avec cette option métaphysique d’une matière vivante, d’une matière métaphysique, soma pneumatikon, mettant en scène un fini capable de l’infini de même qu’un infini immanent au fini. Cette option métaphysique c’est la figure qui la réalise. En somme, une figure au sens où nous l’entendons dans ce travail est ce qui reproduit l’unité panthéiste entre Dieu et la nature. Tout dépend ensuite de la manière dont les uns et les autres interprètent cette unité. En 1840, L’Abbé Henry Maret dans un ouvrage général sur l’histoire du panthéisme reconnaît l’importance de cette posture philosophique et théologique au XIXe siècle lorsqu’il note que

Maret comprend le panthéisme comme une erreur doctrinale mais son jugement vise juste : venu d’Allemagne le panthéisme a le mérite de résumer plusieurs options intellectuelles. Que l’on plaide donc en faveur d’une divinisation de la nature ou bien d’une naturalisation de la divinité ; il s’agit bien dans chaque cas de penser ensemble et simultanément l’identité et la séparation du fini et de l’infini. Ce n’est qu’en adoptant le point de vue d’un tel mouvement de va-et-vient entre le fini et l’infini que la pensée peut appréhender la nature, l’art ou la religion comme des entités traversées par la force de l’infini. Aussi, un tel point de vue nous donne la possibilité de regarder les choses dans leur processus de constitution, dans leur devenir. À partir de ce moment ce ne sont plus à des choses que nous avons à faire mais à des organismes (Mallarmé n’envisageait-il pas les mots de cette manière), à des corps doués d’une ← 27 | 28 → activité immanente et habités d’un dynamisme résultant d’une lutte interne entre le fini et l’infini. Envisagée de la sorte, la littérature n’est plus un simple appendice de la volonté de notre entendement. Bien au contraire, le texte littéraire apparaît alors comme un Être dans lequel chaque partie est conditionnée par le tout et qui est à soi-même une fin et un moyen. Le panthéisme organique que nous présenterons dans les pages qui suivent pourrait avoir comme mot d’ordre que le plus simple élément naturel est habité par la puissance de la divinité. Ainsi, la littérature est, comme l’organisme, une totalité finie en extension et infinie en compréhension, un lieu dans lequel trouve place une identité relative de l’infini et du fini résultant d’une lutte entre ces pôles qui la fait vivre, durer et croître. Le panthéisme organique pourrait donc aussi recevoir le nom de panthéisme relatif et implique, au contraire d’un panthéisme absolu, qui fait de Dieu et du monde des identiques que ces deux pôles ne sont identiques que de manière relative et qu’il y a donc place à ce que le monde puisse s’inscrire dans un devenir-Dieu.

Envisager la nature comme processus de déploiement au lieu de la représenter comme quelque chose d’achevé fut le mot d’ordre de la philosophie de la nature de Schelling. De même, Mallarmé est, selon nous, le premier écrivain à avoir tenté de représenter la littérature dans son devenir, la littérature se faisant sous nos yeux de lecteurs, ce qui engendre un changement d’optique audacieux. Ce devenir porte aussi le nom de dynamisme ou plus simplement de vie ; il s’explique par la présence dans la nature de deux tendances opposées que Schelling nomme l’attraction et la répulsion et qui luttent l’une contre l’autre. Cette duplicité engendre le mouvement ; c’est la manifestation de la vie dans la matière, chose que Poe a fort bien mis en scène dans son poème cosmologique Eureka : « Matter exists only as Attraction and Repulsion […]46. » Mallarmé a repris cette idée d’une matière habitée par une duplicité en identifiant les oppositions qui sont la source d’une littérature vivante : les noirs et les blancs, l’ombre et la lumière. C’est dans les Notes pour un Tombeau d’Anatole que le poète a exposé cette doctrine d’une lutte entre deux opposés, lutte sans laquelle il n’y aurait ← 28 | 29 → pas de vie : « enfant sorti de nous deux – nous montrant notre idéal, le chemin – à nous ! père et mère qui lui survivons en triste existence, comme les deux extrêmes – mal associés en lui et qui se sont séparés – d’où sa mort – annulant ce petit “soi” d’enfant47. »

Résumé des informations

Pages
322
Année
2017
ISBN (PDF)
9783034329262
ISBN (ePUB)
9783034329279
ISBN (MOBI)
9783034329286
ISBN (Broché)
9783034329255
DOI
10.3726/b11837
Langue
français
Date de parution
2017 (Novembre)
Mots clés
infini panthéisme organisme post-kantisme psychophysique Schelling Mallarmé
Published
Bern, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2017. 318 p.

Notes biographiques

Morgan Gaulin (Auteur)

Morgan Gaulin, associé au Centre Canadien d’Études Allemandes et Européennes de l’Université de Montréal, poursuit des recherches sur la philosophie et la théologie allemande des XIXe et XXe siècle, l’idéalisme et le romantisme allemands ainsi que le néokantisme de Marbourg et de Baden.

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Titre: Figures de l’infini
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