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L’émergence des ONG en Chine

Le changement du rôle de l’Etat-Parti

de Paolo Urio (Auteur) Yuan Ying (Auteur)
©2014 Monographies 289 Pages

Résumé

Depuis le début des réformes en 1978, l’Etat-Parti chinois a diminué son emprise sur la société et a accordé aux organisations non-gouvernementales (ONG) un nouvel espace de liberté. Mais, en même temps, il a limité leur marge de manœuvre de façon significative. Quelles sont les raisons qui expliquent cette stratégie apparemment contradictoire ? Pour répondre à cette question cette recherche a été fondée sur l’hypothèse suivante : d’une part les ONG sont nécessaires pour remplir le vide laissé par l’Etat dans le social, mais d’autre part elles représentent une menace pour le pouvoir du Parti.
Cette recherche se base sur l’observation participante, des entretiens avec les fondateurs et le personnel d’ONG chinoises et étrangères, des représentants de la société civile, des autorités publiques et des universitaires spécialistes du domaine, ainsi que sur des sources secondaires.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface
  • Chapitre 1 : Introduction: les ONG chinoises, indicateur du changement du rôle de l’Etat-Parti
  • 1.1 La transformation du rôle de l’Etat Chinois: suggestions des recherches antérieures
  • 1.2 Transformation, mais aussi permanence du rôle central de l’Etat
  • Chapitre 2 : L’émergence des ONG dans le monde et en Chine
  • 2.1 Origine religieuse et philosophique
  • 2.2 Le développement des ONG après la guerre froide
  • 2.2.1 La crise de l’Etat développementaliste et réorientation de la coopération internationale
  • 2.2.2 La mondialisation néolibérale et la Déclaration du Millénaire
  • 2.2.3 La révolution technologique de la communication
  • 2.2.4 La crise de l’environnement global
  • 2.3 Deux grandes approches pour analyser les ONG
  • 2.3.1 L’approche juridique
  • 2.3.2 L’approche sociopolitique
  • 2.3.3 L’approche « société civile »
  • 2.4 L’émergence des ONG en Chine, ou les conséquences de la stratégie de développement de Deng Xiaoping
  • 2.4.1 Le développement de la vulnérabilité et de nouvelles formes de pauvreté
  • 2.4.2 Le dysfonctionnement du système de protection sociale
  • 2.4.3 Les ONG caritatives: une forme de réponse de la société à la vulnérabilité
  • Chapitre 3 : Le contexte sociopolitique et juridique des ONG chinoises
  • 3.1 L’impact de l’évolution du contexte sociopolitique sur les ONG chinoises depuis 1949
  • 3.1.1 Le début de la « Nouvelle Chine » (1949-1965)
  • 3.2.1 La période de la Révolution culturelle (1966-1976)
  • 3.1.3 Depuis la réforme de 1978
  • 3.2 Le cadre juridique chinois mis en œuvre pour les ONG
  • 3.2.1 Les réglementations administratives
  • 3.2.1.1 Les réglementations concernant les unités privées sans but lucratif
  • 3.2.1.2 Les caractéristiques du cadre juridique actuel
  • 3.2.1.3 Quelques pratiques d’aménagement au niveau local
  • 3.2.2 Le système fiscal chinois concernant les ONG
  • 3.2.2.1 La loi sur l’impôt sur le revenu des entreprises
  • 3.2.2.2 La loi sur l’impôt sur le revenu des individus
  • 3.2.2.4 Quelques problèmes sous-jacents
  • 3.2.3 Les dons versés aux œuvres d’intérêt public
  • Chapitre 4 : La diversité des ONG chinoises
  • 4.1 Les statistiques officielles sur les ONG chinoises
  • 4.1.1 Le développement quantitatif des ONG chinoises
  • 4.1.1.1 Les associations
  • 4.1.1.2 Les unités privées sans but lucratif
  • 4.1.1.3 Les fondations
  • 4.1.2 Le développement quantitatif des ONG chinoises au niveau local
  • 4.1.2.1 La municipalité de Beijing
  • 4.1.2.2 La municipalité de Shanghai
  • 4.1.2.3 La province du Guangdong
  • 4.1.2.4 La province du Yunnan
  • 4.2 Les estimations des chercheurs chinois
  • 4.3 Les formes juridiques des ONG chinoises
  • 4.4 Les domaines d’activité des ONG chinoises
  • Chapitre 5 : Le financement des ONG chinoises par le gouvernement chinois
  • 5.1 Le financement gouvernemental des GONGO
  • 5.2 L’achat de prestations du gouvernement auprès des ONG chinoises
  • 5.3 Le modèle de l’achat avec compétition
  • 5.4 Le modèle de l’achat sans compétition
  • 5.4.1 Le modèle d’intégration au système gouvernemental
  • 5.4.2 Le modèle de l’achat informel hors du système gouvernemental
  • Chapitre 6 : Le financement des ONG chinoises par les bailleurs de fonds internationaux
  • 6.1 Les organisations étrangères travaillant en Chine
  • 6.2 L’apport des organisations étrangères en Chine
  • 6.3 Modes de transfert des financements étrangers en Chine
  • 6.3.1 La voie gouvernementale
  • 6.3.2 La voie non-gouvernementale
  • 6.4 Les domaines qui intéressent les organisations étrangères
  • 6.5 Les activités des organisations étrangères sur le terrain
  • 6.5.1 Le financement des ressources humaines
  • 6.5.2 Les contributions en argent
  • 6.6 Les relations des organisations étrangères avec les autorités chinoises
  • 6.6.1 Les motivations des organisations étrangères
  • 6.6.2 Les motivations du gouvernement chinois
  • 6.7 Les relation des organisations étrangères avec des ONG chinoises
  • 6.8 L’apport des organisations étrangères à la société chinoise
  • 6.8.1 L’élaboration des lois et des politiques publiques
  • 6.8.2 L’impact sur les ONG chinoises
  • 6.8.3 L’impact sur la population locale
  • Chapitre 7 : Le profil social des fondateurs et du personnel des ONG caritatives chinoises
  • 7.1 Trois générations de fondateurs
  • 7.1.1 La 1ère génération (11 ONG, 15 fondateurs)
  • 7.1.2 La 2ème génération (9 ONG, 9 fondateurs)
  • 7.1.3 La 3ème génération (7 ONG, 8 fondateurs)
  • 7.2 La professionnalisation des ONG
  • 7.2.1 La formation professionnelle du personnel
  • 7.2.2 Les collaborateurs travaillant à plein temps
  • 7.2.3 Inscription du salaire dans un contrat de travail formel
  • Conclusion : bilan et perspectives d’avenir
  • Bibliographie
  • Annexe 1 : Annexe méthodologique
  • Annexe 2 : Complément au Chapitre 3. Dispositions fiscales additionnelles concernant la fiscalité des ONG
  • Abréviations
  • Lexique des principales institutions de le Chine

← 8 | 9 → Préface

Ce livre est le fruit d’une collaboration qui a commencé pendant l’année académique 2003-4 alors que Yuan Ying suivait le séminaire que Paolo Urio dirigeait sur les réformes en Chine dans le cadre du Diplôme d’études supérieures en études asiatiques de l’Université de Genève. Etablie en Suisse dès 1997 Yuan Ying continuait à suivre de près le développement de son pays d’origine et plus particulièrement les conséquences sociales du développement économique spectaculaire que la Chine a connu ces dernières décennies. C’est donc tout naturellement qu’elle a conçu son mémoire de diplôme autour de la question du soutien aux travailleurs qui avaient perdu leur emploi suite à la vague de licenciements, conséquence des politiques de libéralisation de l’économie chinoise décidée en 1978 lors du Troisième Plenum du XI Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC). Originaire de la région de Shanghai, elle a tout naturellement choisi de mener sa recherche sur le terrain dans cette ville.1 En réalisant cette recherche, Yuan Ying découvre le monde en développement des Organisations Non-Gouvernementales (ONG) chinoises. Après l’obtention du Master en études asiatiques en 2004 elle est engagée par Paolo Urio en tant qu’assistante d’enseignement et de recherche. Elle développe alors un projet de thèse de doctorat portant sur le thème de l’émergence des ONG en Chine et le changement du rôle de l’Etat-Parti dans la gestion du social.2 En effet, lors des recherches menées dans le cadre de son mémoire sur la gestion du chômage en Chine, elle a pu non seulement observer le rôle actif de l’Etat dans ce domaine et la mise en place de nouvelles politiques de réinsertion pour les chômeurs, mais aussi l’émergence dans ce champ d’un nouveau type d’acteur plus ou moins dépendant de l’Etat, à savoir les ONG. L’idée a donc germé de poursuivre ← 9 | 10 → ses recherches par l’analyse de ces organisations très diversifiées qui ont émergé en Chine ces dernières années. Existe-t-il un véritable tissu associatif distinct de l’Etat? Quels sont les liens de dépendance que ces structures entretiennent avec l’Etat? S’inscrivent-elles dans une dynamique d’autonomisation progressive préfigurant ainsi l’émergence d’une société civile? Ou au contraire restent-elles fortement contrôlées par un Etat réticent à voir émerger des associations autonomes? Qu’en est-t-il de l’indépendance des ONG chinoises financées par l’Occident? Et quel est le rôle des ONG occidentales; n’ont-elles pas, à côté de leurs activités déclarées (notamment dans le domaine social), aussi un rôle de diffusion des idéaux occidentaux concernant l’organisation de l’économie et de la politique? Quel est enfin le rôle des ONG étrangères, et celui des ONG chinoises financées par l’étranger, et quel est la position de l’Etat-Parti à l’égard de ces dernières ? Voilà quelques-unes des questions qui ont été à l’origine de cette recherche.

Paolo Urio, ayant pris sa retraite de l’Université de Genève en 2005, et ne pouvant plus de ce fait diriger une thèse de doctorat, c’est le Prof. Antoine Kernen qui a assumé cette tâche au sein de l’Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IUHEID) grâce à un financement du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Paolo Urio était toutefois admis au sein du jury de thèse. En automne 2005 Yuan Ying accompagne Paolo Urio lors de son séjour à l’Université Tsinghua à Pékin où il se rend dans le but de compléter le matériel pour un livre sur les réformes en Chine, grâce à une collaboration établie de longue date avec le Prof. Hu Angang, directeur du Centre de recherche pour les études sur la Chine au sein de la « School of Public Policy and Management ».3 Or, il se trouve que l’Université Tsinghua possède depuis ← 10 | 11 → quelques années un centre de recherche sur les ONG chinoises dirigé par le Prof. Wang Ming, qui est aussi membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Le contact est vite établi et cela a été le début d’une collaboration qui s’est poursuivie depuis, grâce à laquelle Yuan Ying a passé plusieurs séjours en Chine et a recueilli le matériel qui sert de base empirique au présent ouvrage.

Ayant terminé son mandat auprès du Fonds National en 2009, Yuan Ying a été engagée au siège de Genève des Nations Unies, un travail qui a rapidement assumé des proportions telles que la poursuite de la préparation du manuscrit de la thèse s’en est trouvée fortement compromise. Malgré les encouragements de l’IUHEID et de Paolo Urio, Yuan Ying a alors décidé, après mure réflexion, d’abandonner la rédaction de sa thèse. Ne pouvant se résoudre à voir tout le travail de recherche réalisé par Yuan Ying perdu pour toujours, Paolo Urio a alors persuadé Yuan Ying à accepter une collaboration en vue de donner au matériel empirique recueillis en Chine une forme susceptible de faire l’objet d’un ouvrage.

Comme le titre de l’ouvrage l’indique, le travail que nous présentons aujourd’hui est une contribution aux études sur l’émergence des ONG chinoises et l’apparition d’une société civile en Chine.4 La recherche sur le terrain a été réalisée entre 2004 et 2008. C’est donc plus particulièrement sur la période de 1949 à 2009 que porte cet ouvrage. Cette limitation ne diminue en rien la valeur de notre contribution à la compréhension de ce phénomène. En effet, tout d’abord nous couvrons la période au cours de laquelle les ONG ont émergé, ce qui nous a permis d’en découvrir les déterminants aussi bien au niveau structurel (c’est-à-dire, le changement du rôle de l’Etat-Parti et son retrait partiel, mais effectif, de l’économique et du social), mais aussi les motivations des pionniers qui ont été à l’origine des premières ONG chinoises. Ensuite, le développement des ← 11 | 12 → ONG chinoise s’est poursuivi, depuis 2008, dans le cadre politique, économique et juridique que nous décrivons dans le Chapitre 3. Ce n’est qu’au courant de l’année 2012 que de nouvelles initiatives concernant le rôle des ONG, ainsi que leur rapport avec les pouvoirs publics, ont été annoncées, notamment au niveau local. Ces changements (en fait il s’agit plutôt de déclarations) sont encore trop récents et fragmentaires pour qu’on puisse en déduire une réorientation fondamentale de la façon dont la Chine compte organiser (ou réorganiser) à l’avenir son rapport avec les ONG et la société civile émergente. A fortiori, il en va de même des annonces faites en novembre 2013 lors du Troisième Plenum du XVIII Congrès du PCC. Néanmoins, ces déclarations ne doivent pas être prises à la légère, comme de simples effets de manche au début de l’activité du nouveau leadership chinois instauré lors du Congrès du Parti en novembre 2012 et confirmé par le parlement chinois en mars 2013. L’histoire du PCC nous enseigne que ces déclarations sont généralement suivies d’effets concrets, même si elles ne sont pas assorties d’un calendrier précis.5

Finalement, la valeur et l’intérêt de cet ouvrage réside à notre sens dans le fait qu’il se base (1) sur une recherche originale conduite pendant trois ans sur le terrain (à Pékin, Shanghai, Guangzhou et dans un zone rurale de la province du Yunnan), (2) sur l’analyse de documents officiels du gouvernement chinois, (3) sur des publications de chercheurs chinois, ainsi que sur des entretiens avec ces derniers, et (4) sur des entretiens avec des fondateurs et des représentants d’ONG chinoises.

Il est enfin nécessaire de dire quelques mots sur la traduction de certains termes chinois, notamment dans le libellé de certains documents officiels. La terminologie chinoise propose des termes qui n’ont pas d’équivalent évident dans la terminologie juridique utilisée pour des documents analogues en Occident. Pour ne pas donner faussement l’impression d’une parfaite équivalence entre ces types de documents en Chine ← 12 | 13 → et en Occident, nous avons opté pour une traduction littérale. Ainsi par exemple: « Annonce concernant le contrôle stricte sur des organisations de niveau national » pour traduire: guanyu yange kongzhi quanguoxing zuzhi de tongzhi. Ou encore: la « Règle détaillée pour l’application du règlement provisoire concernant l’enregistrement des organisations associatives » pour traduire: shehui tuanti dengji zanxing banfa shishi xize ← 13 | 14 → .

__________

1 Yuan Ying, La transformation des rôles de l’Etat dans la politique de la réinsertion des chômeurs en Chine, Mémoire non publié pour le Mastère en Etudes Asiatiques de l’Université de Genève, 2004.

2 La plupart des auteurs s’accordent pour considérer qu’en Chine le Parti communiste et l’Etat se trouvent dans une symbiose presque parfaite et de ce fait ils utilisent l’expression « Etat-Parti » pour désigner cette symbiose.

3 Cette collaboration a permis la publication de trois ouvrages: Paolo Urio, Reconciling State, Market and Society in China. The Long March toward Prosperity, London & New York, Routledge, 2010, où on trouvera une évaluation des réformes entreprise par la Chine depuis 1978 ainsi qu’une abondante bibliographie; Paolo Urio, China, the West and the Myth of New Public Management. Neoliberalism and its Discontents, London & New York, Routledge, 2012, où on trouvera une abondante documentation sur les conséquences des réformes en management public en Chine et en Occident; et Paolo Urio (ed.), Public Private Partnerships. Success and Failure Factors for in-transition Countries, Lanham (MD) and New York, University Press of America, 2010, où on trouvera une évaluation des conditions favorables aux partenariats public-privé en Chine, Russie, Ukraine et Pologne.

4 Voir notamment: Ma Qiusha, Non-Governmental Organizations in Contemporary China. Paving the way to civil society?, London & New York, Routledge, 2006; Zhang Yongnian and Joseph Fewsmith (eds.), China’s Opening Society, London & New York, Routledge, 2008; Timothy Brook and B. Michael Frolic (eds.), Civil Society in China, Armonk, New York and London, M.E. Sharpe, 1997; Elisabeth J. Perry and Merle Goldman (eds.), Grassroots Political Reform in Contemporary China, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2007; Elisabeth J. Perry and Mark Selden, Chinese Society. Change, Conflict and Resistance, London & New York, Routledge, 2000. Tsinghua University publie en anglais depuis 2009 The China Nonprofit Review.

5 Pour avoir accès aux dernières nouveautés en matière d’ONG en Chine on peut consulter, outre les sites officiels du Gouvernement chinois (People’s Daiy, China Daily, Xinhua Agency, notamment), les sites suivants: <http://philanthropynews.alliancemagazine.org> publie régulièrement les mises à jours de Karla W. Simon, spécialiste des ONG chinoises; China Digital Times, basé à l’Université de Berkeley, California (<http://chinadigitaltimes.net>) propose en outre la connexion avec d’autres sites donnant informations sur la Chine; China Labour Bulletin, ONG chinoise basée à Hongkong (<http://www.clb.org.hk/en/>); China Development Brief, ONG chinoise basée à Beijing (<http://www.chinadevelopmentbrief.com/>).

← 14 | 15 → Chapitre 1
Introduction: les ONG chinoises, indicateur du changement du rôle de l’Etat-Parti

Introduction

Il est impossible de comprendre la dynamique de l’émergence des ONG en Chine si on ne la replace pas dans le contexte plus général des réformes introduites depuis 1978 sous le leadership de Deng Xiaoping. En 1976, date de la mort de Mao, événement qui met un terme à la Révolution Culturelle voulue par Mao en 1966, le PCC est confronté à la crise la plus profonde de son histoire. En effet, à la fin de l’ère Mao, les composantes de la société chinoise, l’Etat, le Parti communiste, l’élite intellectuelle, l’économie et le peuple semblent être plongés dans une contradiction inextricable qui risque non seulement d’anéantir le pouvoir du PCC, mais aussi de mettre en péril la souveraineté même du pays, si durement conquise par Mao après un siècle et demi d’ingérences étrangères et un quart de siècle de guerre civile opposant communistes et nationalistes, que l’occupation japonaise n’aura interrompue que pour quelques années.6

La réponse que le PCC donne à ces deux risques est résumée dans la célèbre formule de Deng : « peut importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape les souris ». Ayant comparé l’efficience du chat occidental (tout occupé à développer l’économie de marché) au chat chinois (empêtré dans la mise en œuvre d’une économie planifiée), le choix de Deng est vite fait: introduire dans l’économie chinoise des mécanismes de marché qui vont libérer une partie des forces vives du pays et relancer l’économie.7 Dans ← 15 | 16 → quel but ? La réponse généralement donnée en Occident est toute simple: il s’agit pour le PCC de rester au pouvoir. Réponse simple, voire simpliste. Nous avons analysé ailleurs les raisons profondes de ce changement radical de cap. Certes, le PCC veut rester au pouvoir, mais cet objectif n’est pas une fin en soi, comme il a été, et est encore aujourd’hui, présenté en Occident. Il s’agit en effet de poursuivre (peut-être paradoxalement, pour un observateur occidental) le rêve de Mao, c’est-à-dire de rattraper l’Occident et redonner à la Chine le statut de puissance mondiale qui avait été le sien jusqu’au début du XIXe siècle. En relançant l’économie grâce à des mécanismes de marché (mais qui restent – il faut le souligner – sous le contrôle de l’Etat-Parti) on vise simultanément la réalisation de deux objectifs: la puissance et la satisfaction des besoins matériels du peuple; et la réalisation de ces deux objectifs assure le maintien du Parti au pouvoir. De plus, la puissance et l’amélioration du niveau de vie du peuple chinois sont étroitement interdépendants, l’un est nécessaire à la réalisation de l’autre. Dès lors, le maintien au pouvoir n’a pas de raison intrinsèque, mais il est nécessaire pour restaurer la puissance du pays et pour satisfaire les citoyens.

Mais le choix de Deng, s’il permet de réaliser les deux objectifs susmentionnés, n’est pas sans conséquence pour la société, l’Etat-Parti, et son rapport avec le peuple. Les réformes sont particulièrement incisives; il suffit dans ce contexte de mentionner la dérégulation du travail. Nous disons bien « du travail » et non pas « du marché du travail », puisqu’en 1978 le marché du travail n’existe tout simplement pas. En effet, les travailleurs sont intégrés dans des unités de travail qui subviennent à l’ensemble de leurs besoins, y compris logement, santé, éducation et retraite. Ces fonctions sociales sont assumées par les entreprises d’Etat et les bureaucraties d’Etat. La transformation de la gestion du facteur de production travail, ← 16 | 17 → qui est rendue nécessaire par l’introduction de mécanismes de marché, entraine très logiquement un début de concurrence entre entreprises, ainsi qu’un début de gestion d’entreprise fondée sur l’efficience, qui entraine nécessairement la recherche d’économies pouvant signifier (et qui effectivement ont signifié) une diminution du coût du travail, notamment par des licenciements de masse. Les travailleurs licenciés, ne pouvant plus (ou peu) compter sur le soutient de leurs anciennes unités de travail, en l’absence d’un système se sécurité sociale moderne adapté à une économie qui commençait à fonctionner (du moins en partie) comme une économie de marché, allaient se trouver, sans moyens de subsistance suffisants, dans une condition qui était en totale contradiction avec l’objectif de l’Etat-Parti d’améliorer les conditions de vie de la population. On comprend dès lors que l’Etat-Parti, tout tendu à privilégier l’efficience économique (mesurée principalement par référence à l’augmentation du PIB), ait été contraint de rechercher d’autres voies pour satisfaire les besoins vitaux de cette partie de la population qui n’était pas en mesure de bénéficier du développement économique. Il était donc inévitable que pour résoudre cette contradiction l’Etat-Parti s’oriente vers une transformation de son rôle dans la société chinoise. Certes pas un changement fondamental, rapide, abrupte, comme certains ont pu le souhaiter en Occident. Mais, en prenant le point de vue du « temps long » de Fernand Braudel, changement tout de même, pouvant déboucher à terme dans un changement fondamental. Dans le cadre de ce travail nous nous sommes toutefois interdits de faire des prévisions, nous nous limitant à rendre compte de ce nous avons trouvé sur le terrain pour les années couvertes par notre recherche.8

Ainsi, cet ouvrage vise d’abord à vérifier les théories existantes sur la transformation du rôle de l’Etat dans le domaine social. Durant les années quatre-vingt, beaucoup de débats ont lieu sur le rôle de l’Etat dans le développement, notamment dans les pays du Sud. L’opinion dominante qui se dégage de ces travaux considère qu’au lieu d’être l’agent central dans le processus de développement, l’Etat est plutôt considéré comme l’un des principaux obstacles à cause de ses diverses formes de dysfonctionnements. Cherchant à s’inscrire dans ce contexte international, le gouvernement chinois introduit la réforme économique et redéfinit sa relation ← 17 | 18 → avec la société. Désormais, le modèle « grande société, petit gouvernement » pourrait être considéré comme l’objectif des réformes chinoises.9 Certains considèrent même que ces réformes s’inscrivent dans le courant de la Nouvelle Gestion Publique (NGP).10 Cependant, la Chine est aussi un cas particulier, car l’Etat-Parti communiste reste au centre du pouvoir pendant qu’il se décharge de certaines de ses fonctions sociales. Il est dès lors intéressant d’étudier comment l’Etat-Parti chinois transforme ses modalités de contrôle tout en restant ouvert aux mécanismes du marché.11 Le deuxième objectif de ce travail est donc d’apporter une contribution aux théories existantes à l’aide d’une méthode inductive se basant sur des données empiriques. Notons cependant que les méthodes inductive et déductive ne sont pas indépendantes l’une de l’autre dans la pratique de recherche. Celle-ci se présente plutôt comme un processus d’accumulation de savoirs qui avance d’une manière itérative afin d’appréhender de mieux en mieux l’objet d’étude. Pour réaliser ces deux objectifs, nous avons choisi d’analyser le rôle des ONG actives sur le territoire de ← 18 | 19 → la Chine, et plus particulièrement les ONG caritatives qui travaillent dans le domaine social.

Résumé des informations

Pages
289
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035194869
ISBN (PDF)
9783035202793
ISBN (MOBI)
9783035194852
ISBN (Broché)
9783034315838
DOI
10.3726/978-3-0352-0279-3
Langue
français
Date de parution
2014 (Octobre)
Mots clés
Réforme Fondateur Personnel Société civile Autorité
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 290 p.

Notes biographiques

Paolo Urio (Auteur) Yuan Ying (Auteur)

Depuis 2005 Paolo Urio est professeur honoraire de l’université de Genève, après avoir été professeur ordinaire en administration et management publics et directeur du Master en management public. Ses publications récentes portent sur la Nouvelle Gestion Publique, et plus particulièrement sur les réformes en Chine en comparaison avec l’Occident. Yuan Ying est titulaire d’un Bachelor en « International Business Management » (Shanghai), d’un Diplôme en Langue et Culture Françaises (Lausanne), et d’un Master en Etudes Asiatiques (Genève). Elle a été assistante de recherche aux universités de Genève et de Lausanne et « Visiting Scholar » au « NGO Research Centre », Université Tsinghua (Beijing).

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