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L’autre visage du supportérisme

Autorégulations, mobilisations collectives et mouvements sociaux

de Thomas Busset (Éditeur de volume) Roger Besson (Éditeur de volume) Christophe Jaccoud (Éditeur de volume)
©2014 Comptes-rendus de conférences VIII, 160 Pages

Résumé

Fruit d’un colloque scientifique organisé en septembre 2012 à l’Université de Neuchâtel, le présent ouvrage aborde la question du supportérisme de football sous des angles encore peu explorés. Il porte sur les modes d’organisation des supporters et leur capacité à juguler les manifestations extrémistes ou à défendre des intérêts communs vis-à-vis des clubs, des fédérations et des instances publiques. Les contributions, qui concernent des contextes géographiques différents (Argentine, Belgique, Croatie, Egypte, France, Roumanie et Suisse), amorcent une réflexion plus générale sur la constitution de réseaux d’acteurs nationaux et internationaux, et sur les dynamiques à l’œuvre dans les stades. En effet, le supportérisme change de visage. Aujourd’hui, les supporters ne se contentent plus de soutenir leur équipe favorite, mais ils formulent aussi des revendications sur des objets qui les concernent directement (aménagement des stades, législations spécifiques, etc.).

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Ont contribué à cet ouvrage
  • Table des matières
  • Pour un changement de paradigme dans les études sur le supportérisme: du soutien aux équipes à la défense d’intérêts propres: Thomas Busset
  • La transformation du supportérisme en Europe et l’essor du mouvement ultra
  • Les supporters face à la modernisation des stades
  • Acteurs et modes d’action
  • L’antiracisme comme facteur de mobilisation internationale
  • Extension de la lutte au domaine public
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Pour une sociologie politique du supportérisme: penser le militantisme et la partisanerie des supporters de football en Europe: Jean-Charles Basson et Ludovic Lestrelin
  • Un espace public européen d’encadrement du supportérisme
  • La domination du modèle répressif et proactif développé en Angleterre
  • Les limites du modèle sociopréventif développé en Belgique
  • Le supportérisme ultra comme lieu du politique
  • Tribune(s) politique(s)
  • Les échelles de la participation politique des supporters
  • Le supportérisme ultra comme mouvement social
  • De l’intérêt des monographies: le Progetto ultrà de Bologne (Italie)
  • Expertise militante et citoyenneté ordinaire
  • Ennoblissement de la cause supportériste: l’antiracisme
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Les ultras français forment-ils un mouvement social?: Nicolas Hourcade
  • Les ultras constituent-ils un mouvement?
  • Des pratiques et des principes communs
  • Unité et diversité du monde ultra
  • La pertinence de la notion de mouvement
  • L’histoire des mobilisations collectives des ultras français
  • 2003: Une grève contre la répression et pour le football «populaire»
  • 2006–2007: Deux coordinations concurrentes après la mort d’un supporter
  • 2007–2009: Une plateforme de revendications et des manifestations de rue
  • 2009–2010: Une saison charnière
  • Depuis l’automne 2012: rassemblements autour des droits des supporters
  • Comment expliquer les difficultés des ultras à former un mouvement social?
  • Divergences et tensions dans un mouvement construit sur la compétition
  • Un système sportif et politique fermé
  • La mobilisation de SOS Ligue 2
  • Conclusion: ouvrir le système institutionnel pour aider les ultras à se responsabiliser?
  • Bibliographie
  • Le fan coaching belge: défis et avatars d’une alternative régulatrice avant-gardiste: Bertrand Fincoeur
  • Genèse et développement du fan coaching à la belge
  • Evolution du supportérisme violent et de sa régulation en Belgique
  • Le déclin des casuals, l’essor des ultras: quelles répercussions pour le fan coaching?
  • Fidélisation des clients historiques
  • Les ultras et le fan coaching: deux mondes parallèles
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Les forums internet et les prises de position des supporters d’un club de football: Bulat Chagaev et l’avenir de Neuchâtel Xamax: Roger Besson
  • L’utilisation d’un forum de discussion en sciences sociales
  • Evolution de l’activité de xamaxforum.ch
  • L’espoir d’un renouveau
  • La période des doutes
  • Rupture et contestation
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • La prise de parole des supporters en Suisse: Thomas Busset
  • Prise de parole, loyalisme et défection – le modèle de Hirschman
  • La mutation du football suisse au seuil du XXIe siècle
  • L’essor du mouvement ultra en Suisse
  • L’établissement du fan coaching
  • Actions collectives dans les stades suisses
  • Défense d’intérêts communs
  • Quand les rivalités passent au second plan
  • La mobilisation contre la loi anti-hooligan
  • La législation suisse en matière de supporters
  • Lutte contre le concordat
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • La violence dans le football en Argentine: la réaction citoyenne face aux barras bravas: Diego Murzi et Fernando Segura M. Trejo
  • Les barras bravas et leur culture de l’aguante: entre symbolisme et business
  • Les dispositifs sécuritaires et la complicité institutionnelle
  • Salvemos al fútbol et FAVIFA: deux initiatives citoyennes
  • Réflexions et perspectives
  • Bibliographie
  • Les Bijeli Andjeli du NK Zagreb: comment peut-on être ultra et antifasciste en Croatie?: Loïc Trégourès
  • L’émergence de la scène ultra en Croatie
  • Les Bijeli Andjeli
  • Fondation et fonctionnement du groupe
  • L’antifascisme des Bijeli Andjeli
  • Les membres: entre action collective et trajectoires individuelles
  • Entrer et rester dans le groupe
  • Agir au sein du groupe
  • Face aux autres
  • Perceptions et légitimation
  • La question du nombre
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Concilier les intérêts de groupe et les intérêts sociaux: les supporters de football roumains et les manifestations de 2012: Pompiliu-Nicolae Constantin
  • L’essor du supportérisme en Roumanie
  • Le supportérisme et l’organisation des manifestations
  • L’unité dans la diversité
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Les ultras égyptiens: du mythe à la banalisation de la participation à la Révolution: Chaymaa Hassabo
  • De l’underground à la Révolution: les ultras en «ligne de front»
  • La mobilisation pour les martyrs de Port-Saïd et la «violence révolutionnaire» des ultras
  • Conclusion: des ultras apolitiques mais politisés?
  • Bibliographie

Pour un changement de paradigme dans les études sur le supportérisme: du soutien aux équipes à la défense d’intérêts propres

Thomas BUSSET

Fruit d’un colloque scientifique1, le présent ouvrage entend éclairer la question du supportérisme de football sous des angles encore peu explorés. Il porte sur les modes d’organisation des supporters, leur capacité à s’organiser, à juguler les manifestations extrémistes ou à défendre des intérêts communs vis-à-vis des clubs, des fédérations et des instances publiques. A travers des contributions qui concernent des contextes géographiques différents (Belgique, France, Suisse, Croatie, Argentine, etc.), il s’agit aussi d’amorcer une réflexion plus générale sur la constitution de réseaux d’acteurs nationaux et internationaux, et sur les dynamiques à l’œuvre en matière d’action collective.

L’abondante littérature consacrée au supportérisme porte en grande partie sur ses aspects problématiques et sur ses dimensions culturelle et émotionnelle. Nombre de travaux sont par exemple consacrés au racisme et à la présence de groupements d’extrême droite dans les stades. Bien des auteurs se sont aussi attachés à retracer et à analyser les mesures déployées par les institutions politiques, judiciaires et policières pour enrayer les phénomènes de violence.

Si ces dérives restent des préoccupations très actuelles, le supportérisme a néanmoins aussi changé de visage. En effet, de nombreux supporters ne se contentent plus, aujourd’hui, de soutenir leur équipe favorite, mais ils formulent aussi des revendications sur des objets qui les concernent directement et, partant, défendent leur vision du football. Si les demandes s’adressent en premier lieu aux dirigeants de club et aux exploitants des stades, d’autres ont une portée plus générale. Les règlements et les lois qui ← 1 | 2 → visent à surveiller et contrôler les supporters et à sanctionner les fauteurs de troubles ont contribué à ce qu’une frange de plus en plus importante des supporters prenne conscience qu’il existait des intérêts communs et que, pour les défendre, il était judicieux voire nécessaire de faire (au moins temporairement) abstraction des rivalités et des conflits. Ainsi, l’usage d’engins pyrotechniques, qui est prohibé en vertu des législations nationales sur les explosifs, est-il considéré par les supporters comme une partie intégrante de leur culture et constitue à ce titre un enjeu qui interpelle non seulement les structures fédératives nationales et internationales du football, mais aussi les autorités politiques et judiciaires.

L’apparition de nouvelles formes d’action collective semblent indissociables d’un contexte marqué par la diffusion d’un modèle de supportérisme «ultra» pour lequel la violence n’est plus nécessairement une fin en soit. Il est par conséquent nécessaire de mettre en place le contexte en rappelant que cette mouvance se décline en de nombreuses facettes locales, régionales et nationales, et qu’elle évolue dans le temps.

La transformation du supportérisme en Europe et l’essor du mouvement ultra

Depuis plus d’un demi-siècle, le spectre du hooliganisme2 hante l’Europe. D’abord diagnostiqué «maladie anglaise», le phénomène a longtemps indigné l’opinion publique sur le continent, mais guère plus. Secouées par le drame du Heysel, en 1985, à Bruxelles, qui a vu la mort de 39 fans italiens venus assister à la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions disputée par la Juventus de Turin et le FC Liverpool, les instances européennes ont été contraintes d’agir. Aussi la Convention européenne de 1985 «sur la violence et les débordements des spectateurs lors des manifestations sportives et notamment les matchs de football» constitue-t-elle un jalon dans la mesure où elle inscrit la gestion du supportérisme à l’échelon international et qu’elle engage les Etats à lutter de concert contre les fauteurs de ← 2 | 3 → troubles. Sur le plan juridique, cet accord a favorisé l’harmonisation des législations nationales et la convergence de la gestion policière (Tsoukala 2010). En outre, les contacts noués entre les corps de police lors des compétitions organisées sous l’égide de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et de la Fédération internationale de football association (FIFA) ont favorisé l’uniformisation des dispositifs sécuritaires.

Sur le plan scientifique, une pléthore de travaux a vu le jour dès les années 1960, en Grande-Bretagne d’abord. Leurs auteurs ont proposé diverses interprétations quant à l’origine et aux modalités d’expression des violences commises par les supporters: révolte de jeunes membres de la classe ouvrière, manifestations résiduelles de résolution agonistique de conflits, etc. Si les explications ont en partie divergé, elles tendaient à montrer que le phénomène concernait en premier lieu la classe ouvrière. Aussi, le hooligan – terme qui s’est imposé par rapport à celui de rowdy – a-t-il été vu, dans les années 1980, comme le produit de la politique néolibérale de l’ère thatchérienne. Entre-temps, les pratiques développées en Angleterre n’ont pas manqué d’influencer celles des supporters d’autres pays, les comportements se combinant avec des éléments locaux et régionaux. En Italie, ces interactions ont donné naissance à une forme propre de supportérisme, qui apparaît dans le contexte des luttes politiques qui secouent la Péninsule à la fin des années 1960 et durant la décennie suivante (Podaliri et Balestri 1998, Louis 2008). Le terme «ultra» – qui la désigne – renvoie du reste au radicalisme qui prévaut alors dans les mouvements de jeunesse transalpins. Fascinés à leur tour par l’intransigeance des supporters italiens, des groupes d’autres pays, qui fonctionnaient selon le modèle anglais – c’est-à-dire privilégiant l’affrontement physique avec les groupes rivaux – se sont accaparés eux aussi le label «ultra», contribuant par là à la confusion des catégories. Toutefois, ce sont davantage la partisanerie, le caractère festif et la capacité à mettre en scène des actions spectaculaires («tifos», «choréos», etc.) reposant sur une organisation bien huilée (Bromberger 1995) qui ont favorisé la diffusion du modèle, notamment en France et dans la partie latine de la Suisse.

En Allemagne, les premiers groupes se revendiquant de la mouvance ultra sont apparus dans la seconde moitié des années 1980. Leur essor n’est intervenu qu’à partir du milieu de la décennie suivante, qui est aussi caractérisée par la crainte de voir les gradins investis par l’extrême-droite. Aussi, les protagonistes de la nouvelle génération de supporters ont-ils eu à cœur de se démarquer de ce courant, en affirmant que les «virages» ← 3 | 4 → étaient politiquement neutres, c’est-à-dire ouverts à tous (Schwier 2005, Wark 2012). Influencée par ce qui se passait Outre-Rhin, la Suisse alémanique (germanophone) a connu le même développement avec un décalage de quelques années (Busset et al. 2008). De surcroît, cette distanciation par rapport aux camps politiques permettait de rallier le plus grand nombre aux chorégraphies et autres activités déployées au stade. Si ce positionnement correspondait très largement à la réalité des gradins, une partie des groupes ou groupements a néanmoins gardé des attaches politiques.

Dès avant le tournant du siècle, il est devenu courant d’opposer la figure du hooligan, devenue l’incarnation du supportérisme «à la britannique», à celle de l’ultra, son pendant méditerranéen (Mignon 1998). Selon cette dichotomie, le premier est un supporter qui cherche l’affrontement physique avec ses homologues d’autres clubs. L’ultra se caractérise quant à lui par son attache indéfectible à un club, qu’il soutient tout au long du match par des chants et d’autres encouragements verbaux. Par le biais des actions déployées généralement avant le coup d’envoi et qui sont diffusées ensuite sur internet, les groupes restent en compétition les uns avec les autres. Si la violence ne revêt pas le caractère central qu’elle a pour les hooligans, elle est néanmoins jugée légitime par une partie des ultras.

La géographie du supportérisme européen s’est profondément modifiée au cours des vingt dernières années: d’une part, parce que les divisions supérieures du football anglais ne connaissent (pratiquement) plus de violences dans les tribunes; d’autre part, parce que le mouvement ultra, déjà établi en Europe méridionale, s’est diffusé sur le reste du continent. Cet essor a été de pair avec le déclin des groupes se réclamant de la tendance «hooligan». En se déclinant sous des formes spécifiques selon les contextes locaux, le mouvement ultra est devenu très hétérogène, si bien que la pertinence de cette catégorie n’est plus toujours évidente. C’est néanmoins dans ce processus de diversification qu’un supportérisme «engagé» et «contestataire» peut se développer3. ← 4 | 5 →

Les supporters face à la modernisation des stades

Un des catalyseurs souvent mentionné par la littérature (et par plusieurs contribution du présent ouvrage) est la modernisation des infrastructures, soit la rénovation des stades et la construction de nouvelles enceintes sportives (Besson et Poli 2009, Besson 2012). En Angleterre, ce processus intervient dans la première moitié des années 1990. Elle s’inscrit dans le cadre d’une restructuration du football suite au drame du Hillsborough, à Sheffield, survenu le 15 avril 1989, et au rapport Taylor commandé par le gouvernement après cet événement. En moins de dix ans, le football anglais, qui connaissait une baisse des affluences, des stades vétustes et des affrontements réguliers entre supporters, allait entamer un développement économique remarquable, qui s’est notamment traduit par l’arrivée d’un flux important de stars étrangères (Lee 1998). Ce bond ne s’est toutefois pas fait sans résistances de la part des supporters. En particulier, l’aménagement des stades dotés exclusivement de places assises a soulevé une levée de boucliers contre la hausse du prix des billets qui l’accompagne. Si des concessions ont été obtenues localement, les efforts déployés à l’échelle du pays sont généralement restés vains (Brown 1998). Aux plus hauts niveaux de la compétition, la modernisation des stades a en effet contribué à un processus d’embourgeoisement des tribunes et à l’éviction de certaines catégories de supporters, notamment ceux issus des classes populaires (Crabbe et Brown 2004, Williams 2007).

Résumé des informations

Pages
VIII, 160
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035195378
ISBN (PDF)
9783035202670
ISBN (MOBI)
9783035195361
ISBN (Broché)
9783034315494
DOI
10.3726/978-3-0352-0267-0
Langue
français
Date de parution
2014 (Août)
Mots clés
Soziologie Sozialtheorie Politik und Staat
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 160 p.

Notes biographiques

Thomas Busset (Éditeur de volume) Roger Besson (Éditeur de volume) Christophe Jaccoud (Éditeur de volume)

Thomas Busset, historien, est collaborateur scientifique au Centre international d’étude du sport de l’Université de Neuchâtel. Roger Besson, géographe, est collaborateur scientifique au Centre international d’étude du sport de l’Université de Neuchâtel. Christophe Jaccoud, sociologue, est professeur associé de sociologie du sport à l’Université de Neuchâtel et collaborateur scientifique au Centre international d’étude du sport.

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