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Méthodes de recherche dans le champ de la déficience intellectuelle

Nouvelles postures et nouvelles modalités

de Geneviève Petitpierre (Éditeur de volume) Britt-Marie Martini-Willemin (Éditeur de volume)
©2014 Collections XIV, 232 Pages

Résumé

Cet ouvrage jette un regard neuf sur les méthodes de recherche dans le champ des déficiences intellectuelles. Il aborde différentes manières de rendre compte scientifiquement des questions relatives à la déficience intellectuelle et s’intéresse aux postures et méthodologies nouvelles à une période marquée par la transformation des paradigmes du handicap.
Des thèmes comme l’articulation entre la réflexion épistémologique et le choix des dispositifs et des méthodes, les défis liés à la construction et la validation des outils ou stratégies innovantes, la place de la personne avec une déficience intellectuelle dans la recherche ou encore les précautions à prendre pour respecter son droit à la protection et à la participation sont au cœur de ce livre. Les auteurs esquissent les contours de postures nouvelles tant dans la recherche comparative que dans les plans expérimentaux à cas unique, la recherche qualitative ou la recherche collaborative et émancipatoire. Conçu comme un manuel, chaque chapitre est accompagné d’exemples tirés de travaux scientifiques publiés, d’un choix de lectures et finalement d’exercices permettant l’approfondissement.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Liste des auteurs
  • Remerciements
  • Introduction
  • 1. La transformation du paradigme du handicap
  • 1.1. La recherche dans le champ des déficiences intellectuelles
  • 2. La contribution de la recherche et de la société à l’innovation sociale
  • 2.1. Fondements épistémologiques sous-tendant les travaux scientifiques
  • 3. Choix éditoriaux
  • Références
  • Chapitre I. Les méthodes de comparaison dans le champ des déficiences intellectuelles
  • 1. Les comparaisons : usages et possibles mésusages
  • 2. Les objets des comparaisons
  • 2.1. Les enjeux du choix de méthodes
  • 3. Définition de la déficience intellectuelle : les principaux modèles de référence
  • 4. Les appariements
  • 5. Les trajectoires de développement
  • 5.1. Caractériser les allures du développement
  • 5.2. Décrire les trajectoires
  • 6. Les environnements virtuels au service des personnes avec une déficience intellectuelle
  • Conclusion
  • Lectures suggérées
  • Références
  • Chapitre I : Exercice suggéré n° 1
  • Chapitre II. Les protocoles expérimentaux à cas unique dans le champ des déficiences intellectuelles
  • 1. Atouts des protocoles à cas unique
  • 1.1. La réalité du domaine
  • 1.2. Evaluer les pratiques éducatives
  • 1.3. La dimension clinique
  • 1.4. Garantir la validité d’une stratégie d’intervention
  • 2. Principes méthodologiques
  • 3. Sources d’erreurs et précautions à prendre
  • 3.1. La définition du(des) comportement(s)-cible
  • 3.2. La mesure au sein d’une même phase
  • 3.3. Les propriétés attendues de la ligne de base
  • 3.4. L’exagération lors de l’établissement de la ligne de base
  • 3.5. La description de l’intervention
  • 3.6. La description du(es) participant(s)
  • 3.7. Réplication des résultats
  • 3.8. Le contrôle des biais d’instrumentation
  • 4. Typologie des protocoles
  • 4.1. Les protocoles basés sur le retrait de l’intervention ou l’inversion du traitement
  • 4.2. Les protocoles basés sur le changement de critères
  • 4.3. Les protocoles « multi-éléments »
  • 4.4. Les protocoles à lignes de base multiples
  • 4.5. Le protocole à lignes de base multiples selon les comportements
  • 4.6. Le protocole à lignes de base multiples selon les sujets
  • 4.7. Le protocole à lignes de base multiples selon les contextes
  • 5. Présentation et analyse des données
  • 6. Impératifs éthiques
  • 6.1. Les limites d’un retour à la ligne de base
  • 6.2. Les limites d’un report dans l’introduction de l’intervention
  • 7. Conclusion
  • Lectures suggérées
  • Références
  • Chapitre II : Exercice suggéré n° 1
  • Chapitre II : Exercice suggéré n° 2
  • Chapitre III. La recherche qualitative dans le champ des déficiences intellectuelles
  • 1. Clarification terminologique et épistémologique
  • 2. L’expérience de la déficience intellectuelle : les paroles des proches
  • 3. Porter un intérêt authentique aux expériences des personnes directement concernées : défis éthiques et méthodologiques dans la production de données
  • 3.1. L’utilisation des récits de vie et des techniques narratives
  • 3.2. L’entretien de recherche dans une perspective qualitative/compréhensive
  • 3.3. L’entretien de groupe
  • 3.4. Les ressources de l’ethnographie
  • 4. Veiller à la rigueur méthodologique
  • 5. Conclusion
  • Lectures suggérées
  • Références
  • Chapitre III : Exercice suggéré n° 1
  • Chapitre III : Exercice suggéré n° 2
  • Chapitre IV. La recherche participative et émancipatoire en déficience intellectuelle : vers une éthique de la citoyenneté
  • 1. L’émergence de la recherche émancipatoire en Angleterre
  • 1.1. Le modèle social du handicap
  • 1.2. Un nouveau paradigme en recherche
  • 1.3. Les fonctions de la recherche émancipatoire
  • 1.4. Rapports de production des savoirs et engagement politique
  • 2. Recherche émancipatoire ou participative en déficience intellectuelle ?
  • 2.1. Obstacles et défis de la recherche émancipatoire en déficience intellectuelle
  • 2.2. Vers une plus grande implication en recherche des personnes avec une déficience intellectuelle
  • 3. La recherche francophone en déficience intellectuelle sur la qualité de vie et l’autodétermination
  • 3.1. Évaluation des services, qualité de vie et autodétermination
  • 3.2. La parentalité des personnes ayant une déficience intellectuelle
  • 3.3. Technologies de l’information et de la communication
  • 3.4. L’adaptation des techniques d’entrevue en déficience intellectuelle
  • 4. Une recherche-action pour l’émancipation et l’exercice des droits politiques
  • 4.1. Un Programme international d’éducation à la citoyenneté démocratique pour, par et avec les personnes
  • 4.2. L’engagement civique et la participation citoyenne de personnes directement concernées
  • 5. Pour une transformation des rapports de production de la recherche, vers une éthique de la citoyenneté
  • Lectures suggérées
  • Références
  • Chapitre IV : Exercice suggéré n° 1
  • Chapitre IV : Exercice suggéré n° 2
  • Chapitre IV : Exercice suggéré n° 3
  • Chapitre V. La place de la personne en situation de handicap dans la recherche : quels principes éthiques ?
  • 1. L’évolution de la recherche dans le domaine du handicap
  • 1.1. L’émergence des « disability studies »
  • 1.2. Place des recherches sur le handicap dans les politiques nationales
  • 1.3. Des personnes en situation de handicap comme chercheurs
  • 2. Principes généraux s’appliquant à toute recherche menée avec des êtres humains
  • 3. Les législations en vigueur dans quelques pays
  • 3.1. Suisse
  • 3.2. Canada
  • 3.3. Etats-Unis
  • 3.4. France
  • 3.5. Royaume-Uni
  • 4. Protection des données
  • 5. Comment s’appliquent ces principes aux personnes avec une déficience intellectuelle ?
  • 5.1. Les recommandations de l’International Society for the Scientific Study of Intellectual Disability (IASSID)
  • 6. Recueillir le consentement éclairé
  • 6.1. Comment chercher à obtenir le consentement éclairé ?
  • 6.2. Comment le processus de recherche de consentement peut-il être évalué ?
  • 7. Quelles pistes retenir pour guider nos recherches avec des personnes présentant une déficience intellectuelle ?
  • Lectures suggérées
  • Références
  • Postface
  • Corrigé

← xiv | 1 → Introduction

GENEVIÈVE PETITPIERRE ET BRITT-MARIE MARTINI-WILLEMIN

Cette publication jette un regard neuf sur les méthodes de recherche dans le champ des déficiences intellectuelles. Elle s’intéresse aux postures nouvelles et aux méthodologies émergentes à une période marquée par une profonde transformation des paradigmes du handicap, par des mouvements de revendication politique des personnes vivant des situations de handicap, par une évolution des interactions entre la recherche et la société, ainsi que par un renforcement des exigences éthiques et méthodologiques dans le champ scientifique.

Les auteurs esquissent les contours d’une nouvelle génération de recherche, posent les défis liés à la construction et à la validation d’outils et de stratégies innovantes, les illustrent à l’aide de travaux récents et ouvrent la discussion sur les solutions envisagées ou apportées en cas de difficultés. Il ne s’agit pas d’un ouvrage technique au sens premier du terme, mais d’une publication qui tente une articulation entre une réflexion épistémologique et un choix de méthodes, avec leurs apports, leurs limites, leurs différences, leurs complémentarités ainsi que leurs récentes évolutions méthodologiques. Non réservé à un champ particulier, ce livre aborde les protocoles de recherche les plus fréquemment utilisés dans des disciplines variées comme les sciences de l’éducation, la pédagogie spécialisée, la psychologie, la neuropsychologie, la sociologie et les autres disciplines apparentées. Il s’adresse tout particulièrement aux jeunes chercheurs et espère leur donner envie de se lancer dans l’aventure de la recherche.

1. La transformation du paradigme du handicap

Au cours de la dernière décennie, la manière de considérer les personnes avec une déficience intellectuelle s’est considérablement transformée sous l’action du paradigme de pleine participation (Conseil de l’Europe, ← 1 | 2 → 2006 ; ONU, 2006). Le modèle fondé sur les droits, apparu dans les années 80 sous l’impulsion des mouvements de revendication politique des personnes handicapées, est une réponse critique au modèle dit biomédical. Il considère que le handicap ne peut pas s’expliquer uniquement par des causes médicales ou fonctionnelles, mais qu’il est aussi et surtout une identité sociale fabriquée sous l’action de critères et de mécanismes de filtrage culturels, dont la communauté se sert pour classer et parfois marginaliser certains de ses membres. Dépassant ces modèles, le modèle bio-psycho-social propose une perspective intermédiaire, de nature éco-systémique, qui considère le handicap comme un produit de l’interaction entre la personne et son environnement.

Ces différents modèles impliquent des postures épistémologiques et des pratiques différentes au niveau de la recherche.

Le modèle biomédical approche le handicap comme un phénomène qui serait causé par des atteintes ou des limitations fonctionnelles prenant leur source dans l’organisme. Dans ce modèle classique, l’accent est mis sur la dimension individuelle. Même s’il est fortement récusé aujourd’hui, nous devons au modèle biomédical des découvertes qui ont révolutionné le savoir sur les perturbations organiques, développementales ou acquises, permettant d’accumuler des connaissances qui ont largement contribué à modifier la compréhension des déficiences étudiées et ont permis de développer des interventions thérapeutiques et éducatives ciblées. Doit-on rappeler, par exemple, qu’au milieu du XIXe siècle, la trisomie 21 n’était encore qu’un phénomène nommé mongolisme infantile, interprété par les aliénistes de l’époque comme une erreur de filiation ethnique, c’est-à-dire comme un rattachement de celui qui en était porteur à une race humaine autre que celle dont il était supposé descendre ? Ce n’est, en effet, qu’en 1959, que les Français Lejeune, Gautier et Turpin ont identifié, chez les personnes concernées, la présence de trois chromosomes 21, franchissant le pas de la « première maladie chromosomique humaine démontrée » (Lejeune, 1959, p. 523). Dans le modèle biomédical, le phénomène du handicap est toujours appréhendé comme une condition résultant d’un trouble ou d’un dysfonctionnement interne affectant l’individu. Du fait qu’il ne tient pas compte du rôle des variables sociétales, comme par exemple la relativité des normes, les mécanismes de catégorisation sociale ou les préjugés contribuant à fixer les rôles individuels et collectifs, « the application of this model in isolation led ← 2 | 3 → to a failure to consider the totality of circumstances »1 (Shogren, 2013, p. 133). Les autres facteurs, personnels ou environnementaux, pouvant avoir de l’importance sont généralement négligés. C’est le cas, par exemple, des ressources personnelles et des buts de l’individu, de l’influence de l’environnement, des attitudes sociales à l’égard du handicap, ou encore de l’impact de l’organisation sociale et/ou des systèmes éducatifs.

Dès les années 80, le modèle fondé sur les droits renverse radicalement le regard porté sur le handicap en postulant que ce dernier est une conséquence de l’organisation sociale et du statut octroyé aux individus par le groupe social (Rioux, 1997). Cette conception, qui fait des variations et de la diversité humaine les pivots de la société, soutient que « wide variations in cognitive, sensory and motor ability are inherent in the human condition and that people with disabilities do contribute to society »2 (Rioux, 1997, p. 106). Une telle perspective exige de la recherche qu’elle ne fasse pas de la différence le phénomène à étudier, mais qu’elle l’utilise pour mieux comprendre le processus de production du handicap. Le champ des disability studies qui a contribué à construire ce modèle et à le fonder par des travaux de recherche, s’est engagé dans ce sens. Les disability studies réfutent l’idée que le handicap puisse n’être qu’un objet de recherche duquel on parle et soutiennent qu’il devrait être considéré comme un lieu à partir duquel on peut « apprendre [et/ou] réfléchir sur la condition humaine » (Kaba, 2008, p. 6). Plaidant pour la reconnaissance civique et l’autodétermination des personnes handicapées, ce modèle soulève également la question cruciale de « qui est habilité à diriger les recherches dans le champ » (Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001). Il exige qu’un statut de co-chercheur soit accordé aux personnes directement concernées dans les procédures et les dispositifs de recherche et que leur qualité d’interlocuteur valable et précieux soit pleinement reconnue. En ce qui concerne les personnes avec une déficience intellectuelle, ce rôle de co-chercheur n’est pas toujours facile à concrétiser.

← 3 | 4 → – Le modèle bio-psycho-social considère, pour sa part, qu’aucune catégorie de facteurs, prise isolément, ne suffit pour comprendre le handicap. Il choisit de ne pas aborder la personne et le contexte de façon isolée, mais les considère dans leurs relations mutuelles. Selon ce modèle, la recherche a pour tâche de comprendre la déficience intellectuelle et ses impacts pour la personne et la société et de viser des résultats positifs valorisés par ces acteurs à travers une « systematic consideration of the multiple, interrelated contextual [and personal] factors that impact research, policy, and practice »3 (Shogren, 2013, p. 132). Mener une recherche dans une telle perspective exige non seulement de considérer plusieurs facteurs simultanément, mais implique surtout de rendre compte de leurs interactions et de la dynamique dans laquelle ils s’insèrent. Ceci suppose des études complexes et interdisciplinaires. Actuellement de tels protocoles commencent seulement à se développer. Ils visent par exemple à décrire le développement ou le fonctionnement comme un enchaînement dans lequel un comportement agit sur l’environnement social, qui l’influence en retour et conduit à des effets aux niveaux cognitif et biologique (Moore & Georges, 2011, p. 964). Dans ce type de protocole, le contexte et le comportement sont pris tour à tour, tantôt comme variables dépendantes, tantôt comme variables indépendantes.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les modèles présentés ci-dessus ne se sont pas succédés, ils cohabitent (Rioux, 1997). Les éventuels chocs conceptuels engendrés et le va et vient entre leurs différents principes fabriquent et adressent des questions pertinentes et des exigences nouvelles aux chercheurs. Cela invite aussi la communauté scientifique à questionner et à ajuster les présupposés théoriques et méthodologiques sous-tendant les protocoles de recherche qu’elle utilise habituellement.

1.1. La recherche dans le champ des déficiences intellectuelles

On s’accorde depuis plus d’un demi-siècle sur le fait que la déficience intellectuelle se caractérise par trois critères : des limitations significatives ← 4 | 5 → du fonctionnement intellectuel ; des limitations significatives du comportement adaptatif ; un âge d’apparition des troubles situé avant 18 ans4 (Schalock et al., 2010). Malgré des politiques plus inclusives, une diminution des préjugés et des attitudes moins stigmatisantes à leur égard, les personnes avec une déficience intellectuelle constituent encore une communauté très exposée à toutes sortes de formes de rejet social et d’ostracisme. A certaines périodes de l’histoire, la recherche a malheureusement elle-même alimenté ces attitudes, ses travaux ayant été conduits, utilisés et/ou instrumentalisés à des fins politico-idéologiques contestables, voire funestes (Clarke & Clarke, 1958). C’est pour cette raison qu’ont été édictées des mesures de protection de plus en plus strictes destinées à protéger les êtres humains en général, et les publics vulnérables en particulier, dès lors qu’ils sont impliqués dans une recherche. Actuellement, on veille toutefois aussi à ce que ces mesures de protection ne créent pas de nouvelles formes d’exclusion et de mise à l’écart des personnes avec une déficience intellectuelle en empêchant la mise en route d’études et donc en privant celles-ci des apports significatifs des travaux scientifiques pour l’amélioration de leur statut et de leur bien-être (Feudtner & Brosco, 2011).

La recherche dans le champ des déficiences intellectuelles s’est considérablement développée au cours des dernières décennies. Le nombre de publications scientifiques qui leur sont consacrées a en effet presque doublé depuis les années 80 (Matson & Boisjoli, 2009). Malgré cet essor qui témoigne d’un intérêt croissant pour le champ, certaines insatisfactions se font jour. Un des reproches fréquemment adressé aux chercheurs est leur approche trop distante et surtout trop détachée des phénomènes étudiés (en particulier des personnes ayant une expérience de ceux-ci), la présence de biais théoriques et/ou politiques dans certaines interprétations et finalement leurs choix méthodologiques manquant de sensibilité pour capturer toute la complexité et la finesse des enjeux des objets étudiés (McClimens, 2010). Des attentes et des suggestions pour une recherche plus en prise avec la réalité vécue des personnes directement concernées, plus écologique et plus attentive aux questions de validité sociale, sont actuellement formulées. Des pressions pour une recherche à l’écoute des demandes sociales qui lui sont adressées, ayant des retombées avérées, explicites et davantage mesurables, se manifestent également.

← 5 | 6 → 2. La contribution de la recherche et de la société à l’innovation sociale

Il est coutumier de penser la recherche scientifique comme un vecteur de changement. Les attentes classiques à son égard suggèrent en effet qu’elle est nécessairement « première », et que c’est à elle qu’il revient de défricher et d’ouvrir la voie en matière d’innovation sociale. Dans le champ des déficiences intellectuelles et, de façon plus large peut-être aussi, dans le champ de l’action sociale, un tournant semble s’être opéré dans les années 70-80, qui amène à revisiter le rôle et l’influence de la recherche sur les politiques publiques (Townsend, 2011).

As scientists we often delude ourselves that the major changes in services for people with intellectual disabilities are a direct result of our energies. A study of history will reveal that by far the most significant forces to influence service delivery have been those related to social movements, cultural phenomena, political and economic forces. [… ]. Despite the richness of the research literature in areas such as identification, prevention, assessment, education and training in community living and working programs, the commitment to contemporary social policies seems to have left a vacuum between the promise and the reality5 (Parmenter, 1991, p. 1).

Il est difficile et délicat de distinguer ce qui, dans le progrès et les bouleversements sociaux, est attribuable aux travaux scientifiques et ce qui relève des facteurs contextuels eux-mêmes (transformation des représentations et des valeurs, influences économiques et socio-politiques, rôle de l’histoire, etc.). Si, dans un article publié en 1991, Parmenter alla même jusqu’à poser la question provocatrice suivante : « Has social policy left research behind ? »6 (p. 1), ← 6 | 7 → il n’est pas dans notre projet de discuter ici d’une question aussi complexe qui exige une expertise spécifique en philosophie des sciences. Rappelons cependant que les avancées de la recherche ne répondent pas qu’à des fins politiques et que les décisions politiques et les services publiques sont influencés par de multiples facteurs, parmi lesquels les facteurs sociaux (Shogren et al., 2009). Dans le champ des déficiences intellectuelles, les décisions et les modes de gouvernance sont par exemple sous l’action des valeurs, des ressources, des principes administratifs, de la structure du système social (Schalock & Verdugo, 2012). Finalement,

policy and service development and reform is rarely impacted upon by a linear or engineering process of knowledge generation but rather is influenced by less obvious patterns of use that are not reducible to specific research applications, but are open-ended and continuous (Hannay, Gonzalez-Block, Buxton, & Kogan, 2003 ; Kingdom, 1984 ; Weiss, 1986)7 (Townsend, 2011, p. 121).

Le fait que de telles questions soient soulevées de façon insistante et récurrente reflète certains clivages. Les chercheurs ne peuvent ignorer les contextes dans lesquels ils travaillent et ceci implique une réflexion, voire une remise en question de la nature des liens qu’ils entretiennent avec les acteurs concernés dans une perspective de collaboration. Le chercheur doit bien évidemment se montrer circonspect vis-à-vis des contrats qu’il passe avec les milieux dont les finalités ne coïncident pas avec les siennes. Il doit aussi veiller aux risques possiblement paradoxaux qu’il y a à entrer dans une vision uniquement utilitariste ou dans une conception exclusivement pensée en termes de retombées et de profits à court terme (Bogenschneider & Corbett, 2011 ; Berthelette et al., 2008). Il n’en reste pas moins qu’il doit aussi se montrer attentif aux questions et problématiques rencontrées concrètement par la collectivité et les politiques et qu’il ne peut négliger la question des implications et des applications sociales de ses travaux.

Le choix, voire la programmation, des thèmes et des objets de recherche n’est pas l’unique travail partenarial susceptible de réunir les parties en présence, la conjonction des efforts entre chercheurs et acteurs de ← 7 | 8 → terrain est également significative pour une implémentation réussie des résultats issus de travaux de recherche.

Les retombées de la recherche au sein de la société constituent un processus influencé par un ensemble multidimensionnel de facteurs. La dimension, appliquée ou expérimentale, des travaux semble jouer un rôle mineur, contrairement à la présence de procédures de diffusion et de conditions d’accès facilitées aux résultats de recherche (Townsend, 2011 ; Beyer & Trice, 1982). Les rares travaux sur cette question – négligée par les chercheurs et les pouvoirs publics – établissent que l’utilisation et l’application des résultats de recherche sont des processus à part entière qui demandent à être planifiés (Greenwood & Abbott, 2001).

Many believe that lack of utilization stems from characteristics of our research and, thus, that generating different, more useful research would solve the problem. We doubt their solution would suffice, because we see the problem and its solution from a different perspective. We believe that lack of utilization stems primarily from characteristics of organizations8 (Beyer & Trice, 1982, p. 591).

Le processus de transposition des résultats en retombées requiert une programmation particulière. Celle-ci est rarement directe. Elle implique non seulement la diffusion et la transmission des résultats, mais aussi la préparation de leur réception et la remontée des réactions à l’égard des résultats, en vue d’applications qui peuvent être instrumentales, conceptuelles, symboliques ou stratégiques (Berthelette et al., 2008).

2.1. Fondements épistémologiques sous-tendant les travaux scientifiques

La nécessité de rappeler les fondements épistémologiques sous-tendant les méthodes de recherche et de rendre les chercheurs attentifs aux préconceptions qui peuvent être sous-jacentes, constitue un impératif qui apporte un argument supplémentaire en faveur de cet ouvrage.

← 8 | 9 → Actuellement une certaine tension est toujours palpable entre, d’un côté les défenseurs de la possibilité d’une science objective orientée vers des faits désinsérés de leur contexte et de l’autre, les partisans d’une science « embarquée ». Les premiers, à l’instar de Gliner, Morgan et Leech (2009, citant Smith, 1981), définissent la recherche comme une enquête sous contrôle (de l’anglais « disciplined inquiry »), dont la spécificité consiste en une démarche « dépassionnée » qui fait primer l’exigence de vérité et la quête de faits sur l’affirmation d’un point de vue ou d’une idéologie. Les seconds, à la suite de Kant, considèrent que l’activité de recherche ne peut s’extraire des influences contextuelles, idéologiques, temporelles, etc. et qu’elle ne gagne pas à le faire. Elle est nécessairement participante et consubstantielle de l’esprit de son temps.

Résumé des informations

Pages
XIV, 232
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035196511
ISBN (PDF)
9783035202526
ISBN (MOBI)
9783035196504
ISBN (Broché)
9783034315012
DOI
10.3726/978-3-0352-0252-6
Langue
français
Date de parution
2014 (Mars)
Mots clés
Handicap Protection Participation Recherche émancipatoire
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 232 p.

Notes biographiques

Geneviève Petitpierre (Éditeur de volume) Britt-Marie Martini-Willemin (Éditeur de volume)

Geneviève Petitpierre est professeure de pédagogie spécialisée à l’Université de Fribourg (Suisse). Ses travaux scientifiques s’appuient sur des protocoles de tradition variée (méthodes à cas unique, recherche qualitative ou collaborative). Elle s’intéresse aux dispositifs d’apprentissage qui préparent la personne avec une déficience intellectuelle à vivre et interagir dans la communauté. Britt-Marie Martini-Willemin, docteure en sciences de l’éducation, est collaboratrice scientifique à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Genève (Suisse). Elle s’intéresse à la participation sociale des enfants et des adultes avec déficience intellectuelle, au lien entre littéracie et déficience intellectuelle, à la collaboration parents-professionnels.

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