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Silences et dédicaces dans les vers d’Henri Meschonnic. Atelier de lecture-traduction

de Marcella Leopizzi (Auteur)
©2016 Monographies 218 Pages

Résumé

À côté des blancs marquant des pauses et des blancs renvoyant à des « non-dits », voire à des « non-mots » et à des « avant-mots », de nombreux silences habitent la parole des poèmes d’Henri Meschonnic et participent d’un mouvement-dialogue-dédicace inachevé-inachevable. Suggérée du premier au dernier recueil, cette recherche-dédicace est tellement originale qu’elle est pensée par des expressions néologiques (« et je visage de toi / comme tu visages de moi ») qui relèvent de l’esprit créateur et novateur de ce poète. Strictement liés entre eux, sans commencement ni fin, tous ses recueils expriment l’amour pour la vie et confient à la Poésie la tâche de l’orientation et du salut possible : c’est au Poète de répandre la lumière, même, sur les yeux aveugles … c’est au Lecteur de se laisser illuminer et de vivre poème.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • I. Parler silence. Le silence de la parole et la parole du silence dans le poème Meschonnic
  • I.1. Silence-participation
  • I.2. Silence-désencontre vs parole-rencontre
  • II. Les dédicaces du poème Meschonnic
  • II.1. Vers-dédicaces je → tu
  • II.2. Vers-dédicaces je → autres
  • III. La force du dire néologique. Quelle traduction sans trahison ?
  • III.1. Créativité lexicale et expressive dans le poème Meschonnic. Quelques propositions de traduction
  • III.2. Le poème comme « forme-sujet » et « force-sujet »
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • A) Bibliographie chronologique et synoptique de l’œuvre Meschonnic
  • B) Bibliographie des ouvrages sur Henri Meschonnic
  • Index des noms
  • Littératures de langue française

← xii | 1 →Introduction

Loin d’être tout simplement l’antagoniste du son, le silence est une composante fondamentale du langage qui contribue à faire jaillir les pensées et les sentiments les plus cachés et inconnus. Il accède au ‘discours profond’ de l’âme, autrement dit il met à nu une dimension, un espace intérieur où s’enracine et s’exprime la voix la plus intime de l’Homme1.

Pour cette raison, pour se recueillir en signe d’hommage, on observe une minute de silence. Le silence relève, d’ailleurs, d’une attitude de respect – d’où l’expression « silence religieux » – et il favorise la purification des sens et, par conséquent, la méditation.

C’est pourquoi la tradition mystique envisage le silence comme l’espace ineffable apte à communiquer avec la transcendance. Dans cette optique, en effet, dans le premier chapitre des Pensées, Pascal considère le silence comme la voie de la contemplation spirituelle, si ce n’est la voie de la connaissance de soi-même et de tout ce qui caractérise les méandres les plus secrets du moi.

Dans la pratique bouddhiste Zen, le silence joue également un rôle important, car il sert à combattre de façon pacifique les interrogations de l’être humain sur la vie et la mort ainsi qu’à connaître son moi profond et à trouver la paix intérieure en se concentrant sur l’instant présent.

← 1 | 2 →Le silence provoque, le déclenchement de certains sentiments restés silencieux en présence des ‘bruits’ quotidiens, comme le met en évidence la célèbre composition musicale, datant de 1964, de Nini Rosso et Willy Brezza, intitulée Le silence – version allégée du morceau Silence out of order joué dans les casernes et lors des funérailles militaires –, où il est question de la solitude ressentie, lorsque tout devient silence, par un conscrit qui souhaite une bonne nuit à l’élue de son cœur.

Le silence donne voix au moi le plus profond et ainsi aux états d’âme qui le caractérisent, davantage en matière de solitude, de mélancolie, de peur, de haine, d’amour, ou de recherche de plénitude et d’apaisement face aux tracas de tous ordres. Il donne naissance à un jaillissement de sons et de tonalités – de douleur, de joie, d’harmonie, d’espoir – de façon parfois involontaire2. Le silence, en effet, a la capacité de faire entendre ce dont on voudrait effacer toute trace, ainsi que ce dont on voudrait garder un doux souvenir3.

Tantôt éloigné tantôt recherché, le silence accompagne la vie de l’homme : sa pensée, sa parole, son rapport avec le monde et le cosmos. Il est la voix de l’âme indispensable à toute création artistique : d’où la célèbre phrase de Salvator Dalì « Peintre, tu n’es pas un orateur ! Peins, donc, et tais-toi ! »4. Il favorise le contact avec la nature – à cet égard, d’ailleurs, dans l’Infinito, Leopardi parle de « sovrumani silenzi » et de « infinito silenzio » – et, qui plus est, il semble permettre une véritable immersion dans la nature, comme en témoigne La pioggia nel pineto de Gabriele D’Annunzio :

Taci. Su le soglie

del bosco non odo

parole che dici

umane ; ma odo

parole più nuove

che parlano gocciole e foglie

lontane

Élément constant du langage jouant un rôle capital au sein de la musique, le silence caractérise tous les moments sans productions auditives : d’où l’expression « rompre le silence ». Il est la clé de voûte des sons : c’est du silence qu’ils émanent et c’est au silence qu’ils retournent. Il embrasse les sons et les place dans une toile d’araignée dépourvue de présences sonores5, comme le suggère Giuseppe Ungaretti dans son poème intitulé Commiato « Quando ← 2 | 3 →trovo / in questo mio silenzio / una parola / scavata è nella mia vita / come un abisso »6.

Espace ouvert dans lequel s’inscrit tout acte énonciatif, le silence est une voie de communication fondamentale dans tous les échanges communicationnels : il favorise l’écoute et, de surcroît, il parle à l’‘autre’, il lui transmet ‘quelque chose’, et il a même la capacité de dire, et dans les meilleurs et dans les pires moments de la vie, ce que les mots n’arrivent pas à exprimer. Il permet ainsi une sorte d’introspection partagée. Dans cet ordre d’idée, Michel de Montaigne s’exclame : « Le silence et la modestie sont qualités très commodes à la conversation »7 et en parle comme suit :

Un ancien pere dit que nous sommes mieux en la compagnie d’un chien cognu qu’en celle d’un homme duquel le langage nous est inconnu. Ut externus alieno non sit hominis vice. Et de combien est le langage faux moins sociable que le silence8.

D’ailleurs, comme l’a dit Leopardi « Il silenzio è il linguaggio di tutte le forti passioni, dell’amore (anche nei momenti dolci), dell’ira, della maraviglia, del timore ecc … »9. Et comme l’a affirmé Victor Cousin en citant une phrase attribuée à Pascal : « en amour un silence vaut mieux qu’un langage »10.

De même, dans Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry attribue, lui aussi, au silence la capacité d’aller au-delà des mots, et, par la bouche du renard, il déclare l’importance de savoir faire acte de silence lorsque c’est nécessaire :

Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien11.

Le silence semble, donc, représenter une sorte de ‘plénitude communicative’, fondée sur la coïncidence entre langage et pensée, où les mots apparaissent superflus, sinon inefficaces. Le tercet suivant de la Divine Comédie de Dante (Paradis, XXXIII, v. 121-123) est emblématique :

Or, il s’ensuit que le silence n’est pas ‘vide’ mais ‘plein’ : plein de pensées et de messages d’approbation, de désapprobation, d’indifférence. Le long silence d’Hermione dans Andromaque de Racine est lourd, par exemple, de menaces contre Pyrrhus et favorise la planification de la vengeance. Le silence peut être agréable, désagréable, stratégique, problématique, choisi, imposé. Entre les silences qui stigmatisent l’indicible et ceux qui rendent compte de la difficulté et de l’impossibilité de la verbalisation, une partition de non-dits s’étend en véhiculant une polyphonie et une polysémie de silences ; au point que, pour être ‘décrypté’, le silence nécessite un « interprétant de compréhension répondant » et non pas un simple « interprétant d’identification »12. Il appartient, en conséquence, au domaine de la connotation13.

En littérature14, et tout particulièrement en poésie, le silence joue un rôle essentiel : étant l’au-delà de la parole, il concourt à enrichir la puissance ← 4 | 5 →sémantique du texte et tout ce que celui-ci « suggère »15. Le silence habite la parole poétique, il la traverse et l’entoure au travers des non-dits et des blancs. Tendue entre l’anxiété d’absolu et l’horreur de la page blanche, par exemple, la poésie de Mallarmé – qui ‘annonce’ de nombreuses caractéristiques propres à la production poétique du XXe siècle – développe la parole sur la route de l’errance, par des blancs et des silences qui incarnent un réservoir de sens (cf. notamment Les Noces d’Hérodiade, Mystère)16. Le silence accompagne tout vers poétique ; il exprime l’inexprimable et l’inexprimé. Il donne une ‘valeur ajoutée’ aux mots et concourt avec eux à la création du sens :

Silence Fragmenté

Le silence se dépose

En éclats de mosaïque,

Sur les crêtes passionnelles

D’un océan extatique

Recouvert des neiges d’écume.

Le silence se fragmente

Sur les routes en convergence

Des lisses les plus belles

De nos chorégraphies complices.

Le silence se mesure

Résumé des informations

Pages
218
Année
2016
ISBN (ePUB)
9783035197143
ISBN (PDF)
9783035203370
ISBN (MOBI)
9783035197136
ISBN (Broché)
9783034320498
DOI
10.3726/978-3-0352-0337-0
Langue
français
Date de parution
2016 (Mars)
Mots clés
Créativité lexicale Henri Meschonnic Dire néologique Traduction poème
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 218 p., 1 ill. n/b

Notes biographiques

Marcella Leopizzi (Auteur)

Marcella Leopizzi est enseignante-chercheuse en Littérature Française à l’Université de Bari (Italie). Titulaire d’un doctorat de troisième cycle en Francesistica, elle étudie notamment la littérature libertine du XVIIe siècle et la poésie contemporaine. Elle est l’auteure d’une centaine de publications concernant la littérature française dont trois monographies sur Meschonnic.

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