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Le bien-être subjectif au quotidien dans une société plurielle

Le cas des femmes cadres supérieurs en Suisse

de Maria De Rio Carral (Auteur)
©2015 Thèses X, 335 Pages

Résumé

Depuis une cinquantaine d’années, nombreuses sont les études qui s’intéressent aux interactions entre les milieux de vie et leur impact sur la santé. Deux axes principaux se dégagent : l’un focalisé sur le conflit travail-famille en termes de notions liées au stress, et l’autre faisant la promotion du bien-être via l’équilibre travail-vie privée. Cependant, peu de travaux portent sur la dimension contextualisée de ce phénomène, dans son rapport à l’activité quotidienne concrète. Cette étude est consacrée à l’articulation travail–vie privée et son influence sur le bien-être subjectif (corporo-socio-psychologique) chez des femmes cadres en Suisse romande. Cette population est un terrain privilégié pour comprendre le sens donné à l’activité à partir des contraintes, responsabilités, et sollicitations perçues dans des contextes différents. Abordée selon une perspective qualitative en psychologie de la santé, notre approche permet de définir l’expérience plurielle de ces femmes par rapport aux divers groupes d’appartenance et par rapport à leur propre corporéité. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives de recherche et d’intervention, notamment dans le domaine de la santé au travail.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Aperçu préliminaire
  • La situation sociale et professionnelle des femmes en Europe et en Suisse
  • Le choix de la terminologie : la notion d’« articulation des milieux de vie »
  • Structure générale de l’ouvrage
  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre de conclusion
  • Chapitre 1. La revue de la littérature et la problématique de recherche
  • Introduction
  • 1.1 La revue de la littérature
  • 1.1.1 Brève revue de la littérature sur les femmes cadres supérieurs
  • Les cadres supérieurs et le métier
  • La féminisation du métier de cadre supérieur
  • 1.1.2 Brève revue de la littérature en santé et travail
  • Travail et santé chez les cadres
  • Travail et santé chez les femmes
  • 1.1.3 Brève revue de la littérature en articulation des milieux de vie
  • L’articulation des milieux de vie en termes de « stress » et de « bien-être »
  • L’articulation des milieux de vie chez les cadres
  • 1.1.4 Quelques limites observées au sein des travaux analysés
  • Limites des travaux sur la population de cadres supérieurs
  • Limites des travaux en santé et travail
  • Limites des travaux sur l’articulation des milieux de vie en termes de « stress » et de « bien-être »
  • 1.2 La problématique de recherche
  • 1.2.1 L’adoption du regard critique en psychologie de la santé
  • 1.2.2 La recherche préliminaire
  • Population de la recherche préliminaire
  • Méthodes de recueil et d’analyse des données de la recherche préliminaire
  • Résultats de la recherche préliminaire
  • Le mécanisme de « porosité paradoxale » entre milieux de vie différents
  • Trois thématiques principales à développer
  • a) la relation contextualisée à autrui
  • b) des pratiques corporelles et le rapport au corps
  • c) le sentiment de la maîtrise relative
  • L’intérêt de la phase préliminaire dans l’adoption d’une approche théorique pertinente
  • 1.2.3 L’approche développementale en psychologie de la santé critique
  • 1.2.4 La définition des questions de recherche
  • Chapitre 2. La méthodologie
  • Introduction
  • 2.1 Nos objectifs de recherche
  • 2.2 Justification du choix de la méthode
  • 2.3 Le plan de recherche
  • 2.3.1 La dynamique développementale de notre dispositif méthodologique
  • 2.3.2 Le plan de la recherche en fonction du dispositif méthodologique
  • 2.4 La méthode de récolte des données
  • 2.4.1 Descriptif de l’entretien d’explicitation
  • Intérêt de l’entretien d’explicitation
  • Limites de l’entretien d’explicitation par rapport à notre objet d’étude
  • 2.4.2 L’entretien focalisé sur l’activité
  • 2.4.3 L’entretien du retour réflexif (T2)
  • 2.4.4 L’intervalle temporel entre T1 et T2
  • 2.5 La population
  • 2.5.1 La démarche d’échantillonnage
  • 2.5.2 La dimension éthique de la participation à la recherche
  • 2.5.3 Les refus de participation à la recherche
  • 2.6 Les méthodes d’analyse des données
  • 2.6.1 La triangulation des méthodes d’analyse des données
  • 2.6.2 L’analyse thématique de contenu
  • Les étapes de l’analyse thématique de contenu
  • 2.6.3 La méthode lexicale d’analyse des données
  • 2.7 La place du chercheur dans notre étude
  • 2.7.1 De la nécessite d’une activité réflexive du chercheur en psychologie
  • 2.7.2 Le paradigme du chercheur et la relation entre le chercheur et son objet
  • Quelle est la relation du chercheur au phénomène qui est investigué ?
  • Quelle est la relation entre des faits et des valeurs dans le processus de recherche ?
  • Quel est l’objectif de la recherche ?
  • 2.7.3 Le dispositif méthodologique comme moyen de validation des résultats
  • Triangulation dans les méthodes de récolte et d’analyse des données
  • La confrontation de notre travail au sein d’un collectif de chercheurs
  • L’explicitation des ajustements du chercheur pour chaque étape de la recherche
  • A) Par rapport au questionnement de recherche et adaptation de la terminologie
  • B) Dans la démarche du choix du dispositif méthodologique
  • C) Dans la construction de l’outil de récolte des données
  • 2.7.4 La réflexivité du chercheur à l’égard de son implication personnelle
  • Chapitre 3. Les résultats
  • Introduction
  • 3.1 Résultats liés aux caractéristiques de la méthode
  • 3.1.1 La dynamique du changement entre les étapes T1 et T2
  • La différence observée au niveau des discours entre T1 et T2
  • La validation de T1 et le développement du sens en T2
  • Le développement du sens : la relation à l’autre
  • Le développement du sens : la création d’espaces à soi
  • Le développement du sens : le rôle du corps
  • 3.1.2 Les différences observées au sein de T2 : lecture VS non lecture de T1
  • 3.2 Triangulation des méthodes d’analyse et résultats
  • 3.2.1 L’articulation des milieux de vie chez les femmes cadres supérieurs : résultats généraux
  • Le choix de la méthode d’analyse : l’analyse thématique de contenu
  • Aperçu général des thèmes identifiés
  • L’insertion sociale plurielle
  • La « porosité paradoxale » entre différents milieux de vie
  • Critères et définition de la « porosité paradoxale »
  • 3.2.2 Description détaillée de la classification obtenue
  • Thème 1 : Le rapport subjectif au métier
  • Le rapport subjectif au métier de pair avec un sentiment de satisfaction
  • Le rapport subjectif au métier de pair avec un vécu négatif
  • Thème 2 : Le rapport subjectif au corps en tant qu’entité fonctionnelle
  • Thème 3 : Le rapport subjectif à autrui au sein de l’articulation des milieux de vie
  • Les relations professionnelles (3.1)
  • Les relations professionnelles comme support socio-affectif
  • Les relations professionnelles comme entrave
  • Relations familiales (3.2)
  • La relation au compagnon (3.2.1)
  • La relation aux enfants (3.2.2)
  • La relation aux enfants comme support socio-affectif
  • La relation aux enfants comme entrave
  • Autres relations socio-affectives (3.3)
  • Les relations amicales (3.3.1.)
  • Les relations amicales comme support socio-affectif
  • Les relations amicales comme entrave
  • La recherche active d’aide professionnelle (3.3.2)
  • L’engagement dans la vie associative (3.3.3.)
  • Rapport à d’autres supports socio-affectifs (3.3.4)
  • Thème 4 : Moyens organisationnels favorisant la maîtrise subjective
  • Flexibilité dans l’organisation (4.1)
  • La flexibilité comme support organisationnel
  • La routine dans l’organisation (4.2)
  • Stratégies d’organisation de la pensée à partir de l’activité (4.3)
  • Moyens d’organisation matériels et concrets (4.4)
  • 1) Le système de garde (milieu familial)
  • 2) L’aide aux tâches ménagères (milieu familial)
  • 3. Les conditions des lieux de vie et de travail (milieu familial/personnel et milieu professionnel)
  • 4. Réseau des services publiques et privés de type social (milieu social)
  • Remarques générales sur le rôle de l’organisation/de la maîtrise
  • L’organisation comme entrave
  • Thème 5 : Supports favorisant la prise de distance
  • Le vécu corporel par l’activité physique et sensorielle (5.1.)
  • 1) Le choix subjectif de l’activité
  • 2) Le contexte de vie spécifique
  • Rapport à des supports socioculturels (5.2)
  • Création active et la préservation d’espaces à soi (5.3)
  • Modérateurs de la frustration (5.4)
  • La relativisation
  • La minimisation
  • L’humour et le rire
  • S’affirmer dans une position de maîtrise/de pouvoir
  • L’acceptation des limites à la maîtrise subjective
  • Les types de frontières entre milieux de vie (5.5)
  • 1) Niveau spatiotemporel
  • 2) Niveau corporel
  • 3) Niveau social
  • Thème 6 : Dynamiques de l’activité plurielle
  • Dynamique de l’activité soutenue versus son relâchement (6.1)
  • a) Le pôle du rythme soutenu
  • La relation entre le rythme soutenu et la maîtrise subjective :
  • Le pôle du relâchement du rythme soutenu
  • Dynamique de la maîtrise subjective versus le lâcher prise (activité de manger) (6.2)
  • a) Le pôle de la maîtrise subjective
  • Utilitaire
  • Avoir une influence sur autrui (souci des enfants)
  • Surveiller son poids corporel
  • Maintien de la santé
  • b) Le pôle du lâcher prise subjectif
  • La spontanéité et la possibilité de choisir
  • Le plaisir sensoriel
  • Le partage social
  • Support psychoaffectif
  • Thème 7 : Prendre sur soi comme moyen de gestion de l’articulation des milieux de vie
  • Prendre sur soi au niveau des besoins corporels et le vécu des limites du corps (7.1)
  • Prendre sur soi au niveau de la gestion de l’activité (7.2)
  • Thème 8 : Réflexivité sur l’insertion sociale plurielle
  • Thème 9 : Représentations sur un bien-être subjectif
  • Résumé des résultats issus de l’analyse thématique de contenu
  • 3.2.3 La validation des thèmes
  • Chapitre 4. Discussion
  • Introduction et arguments de notre thèse
  • 4.1 L’insertion sociale plurielle des femmes cadres supérieurs en termes de « porosité paradoxale »
  • 4.2 Les trois axes de l’articulation des milieux de vie de femmes cadres supérieurs
  • 4.2.1 Premier axe issu de l’articulation des milieux de vie : les dynamiques du rythme soutenu et de la maîtrise subjective
  • 4.2.2 Deuxième axe issu de l’articulation des milieux de vie : dynamiques du relâchement du rythme et du lâcher prise subjectif
  • 4.2.3 Troisième axe issu de l’articulation des milieux de vie : la dynamique de personnalisation
  • 4.3 Les entraves au bien-être subjectif vécues chez des femmes cadres supérieurs
  • 4.3.1 Entrave relative au premier axe de l’articulation des milieux de vie
  • 4.3.2 Entrave relative au deuxième axe de l’articulation des milieux de vie
  • 4.3.3 Entrave relative au troisième axe de l’articulation des milieux de vie
  • 4.4 Synthèse de nos arguments de thèse
  • 4.5 Limites et perspectives de recherche
  • Conclusion
  • Introduction
  • 5.1 Récapitulatif des chapitres consacrés à la revue de la littérature, à la problématique et à la méthodologie
  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • 5.2 Récapitulatif des chapitres analytiques de notre thèse basés sur nos résultats
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • 5.3 Spécificités de la population des femmes cadres supérieurs
  • 5.4 Impact pratique de la recherche
  • Références bibliographiques
  • Annexe. La population de la recherche

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Introduction

Aperçu préliminaire

L’objectif général de notre recherche consiste à analyser la contribution de l’insertion sociale plurielle au bien-être subjectif auprès des femmes cadres supérieurs en Suisse. En Suisse et en Europe, nombreux sont les discours sociaux, politiques et culturels axés sur la promotion de la carrière des femmes et de leur bien-être en termes d’« équilibre travail-­famille » ou de « conciliation travail-vie privée » (BFEG, 2007a, 2007b, 2010, 2012 ; OFS, 2010 ; OMS, 2010). Or, peu de travaux se sont focalisés sur le bien-être subjectif de l’une des populations les plus concernées par cet enjeu, celle des femmes cadres supérieurs. Notre étude vise à combler cette lacune.

Plus particulièrement, nous nous intéressons au vécu concret de ces femmes à travers leur discours sur l’activité quotidienne personnelle, selon une perspective critique et développementale en psychologie de la santé (Santiago-Delefosse, 2002, 2008 ; Lyons & Chamberlain, 2006 ; Murray, 2004). Il s’agira d’étudier la mise en sens de leur activité au sein d’une appartenance simultanée et parallèle à différents milieux de vie, où elles sont constamment amenées à faire des choix entre des priorités, des objectifs et des valeurs différents, parfois contradictoires. De même, nous visons à identifier les différents moyens mis en place à travers l’activité permettant de s’ajuster à ce vécu social pluriel en termes de supports à leur bien-être subjectif, ainsi que les possibles entraves à ce processus. Enfin, notre recherche proposera quelques bases pour la théorisation critique de la notion de bien-être en psychologie de la santé, comme processus subjectif co-construit à partir du contexte spécifique et concret et qui engage le sujet sur les plans corporel, social et psychologique à travers son activité quotidienne plurielle. ← 1 | 2 →

La situation sociale et professionnelle des femmes en Europe et en Suisse

Notre intérêt pour le vécu des femmes au sein des paysages professionnel et social s’inscrit au sein d’un contexte socio-historique spécifique (Le Feuvre & Guillaume, 2007). Ainsi, nous consacrons une partie de notre travail de thèse à la description de la situation générale de ces dernières dans le monde occidental contemporain. Plus particulièrement, nous exposons un certain nombre d’éléments historiques sur leur participation à la vie professionnelle au niveau européen, suivis d’une description ciblée de la situation de la population que nous étudions, celle des femmes cadres supérieurs en Suisse.

Sur le plan historique européen, certains auteurs décrivent l’émergence graduelle et la définition des séparations entre travail salarié et vie de famille à partir de la Révolution Industrielle (Gambles, Lewis, & Rapoport, 2006). Dès lors, on a associé le travail1 aux hommes et la famille et ses soins relatifs aux femmes, principalement au niveau des attentes de rôle pour les uns et pour les autres. De ce fait, cette séparation est devenue l’objet de représentations s’agissant d’une harmonie supposée dans la division des tâches. Bien qu’elles ne reflètent guère la réalité quotidienne concrète, ces attentes ont des effets sur les représentations au sein des sociétés européennes contemporaines (Chakrabarty, 2000, 2002).

Quant au discours sociopolitique on observe, de manière générale, l’influence de l’augmentation de la vie active des femmes pendant la seconde moitié du 20ème siècle en Europe sur le rapport au travail des femmes et des hommes (CE, 2014 ; Gables et al., 2006). Le taux moyen d’activité professionnelle de cette population est passé de 57,3 % à 62,5 % entre 2000 et 2009 (pour la tranche d’âge des 20 à 64 ans) (CE, 2010). Des statistiques récentes montrent que cette incorporation a mené à des transformations importantes au niveau des relations et des responsabilités familiales. Selon ces chiffres, de plus en plus de femmes s’orientant vers le milieu professionnel sembleraient concernées par l’articulation du milieu professionnel avec celui de la vie de famille (CE, 2014).

Ce progrès de la féminisation de certains secteurs professionnels en Europe constitue l’un des critères qui caractérisent l’évolution de la ← 2 | 3 → ­catégorie des cadres (Bouffartigue & Gadea, 2000 ; Laufer & Pochic, 2004). Cependant, on observe une sous-représentation des femmes au sommet de la hiérarchie professionnelle, en particulier au sein des grandes entreprises. Elles occupent en effet 33 % des postes de direction. Ce chiffre reste stable depuis 2006 (CE, 2010, 2014).

En Suisse, la promotion des carrières professionnelles des femmes constitue un phénomène relativement récent, devenu l’objet d’une attention particulière depuis la fin des années 1980 (BFEG, 2010). Ce phénomène est étroitement lié à l’évolution sociale et politique de la situation des femmes. Le droit de vote de cette partie de la population a été obtenu en 1959 (Vaud étant le premier canton). Une trentaine d’années plus tard, en 1991, on observe les premières revendications politiques de l’égalité salariale, et c’est en 1996 que la loi sur l’égalité entre hommes et femmes entre en vigueur (BFEG, 2010).

Selon les statistiques helvétiques, les femmes représentent aujourd’hui 44 % de la force de travail (BFS, 2010), c’est-à-dire, presque la moitié de la population active sur le plan économique. Cette évolution certaine se traduit par l’« écart de genre » (« Gender Gap Index ») qui situait en 2007 la Suisse au 40è rang mondial sur le plan de l’égalité, alors qu’en 2010 cet écart diminue de manière importante (10e rang) pour se stabiliser relativement par la suite (9e rang en 2013) (WEF, 2007 ; 2010 ; 2013).

En ce qui concerne les postes d’encadrement supérieur, la proportion des femmes et des hommes exerçant une fonction dirigeante n’a pas changé substantiellement depuis 1996 (OFS, 2010). Un recensement montre qu’en 2000 la part de ces femmes atteignait près de 15 % en Suisse (BFS, 2010). Des enquêtes plus récentes indiquent cependant un taux légèrement inférieur, de 12 %. Même si ce chiffre varie considérablement entre les régions et les branches économiques, il constitue un indicateur de la situation des femmes cadres supérieurs (BFEG 2007a ; BFS, 2010).

Au sein de ce contexte socio-historique, des efforts politiques et sociaux en vue de la promotion de la carrière des femmes sont observés (BFEG, 2010, 2012). On constate depuis une vingtaine d’années la création d’instances visant cette promotion (différents bureaux de l’égalité entre hommes et femmes au niveau fédéral et cantonal), ainsi que des mouvements associatifs (Career Women’s Forum, European Professional Women’s Network, Business and Professional Women, Career-­Women, Pacte, Rezonance, Potentialyse, etc.) (BFEG, 2010). L’articulation des milieux de vie constitue l’un des axes majeurs de cette promotion. Elle ← 3 | 4 → est abordée en termes de « conciliation des vies professionnelle et familiale »2. Ce phénomène est principalement appréhendé par sa contribution à l’égalité des sexes sur le plan concret, et ce dans tous les domaines de la vie (BFEG, 2012)3. Telle qu’il est représenté, l’objectif de l’articulation des milieux de vie est de parvenir au partage équitable du travail rémunéré et non rémunéré au sein des couples « dans un esprit de partenariat » (BFEG, 2010). La réduction et l’aménagement du temps de travail, le travail partagé (« jobsharing »), le télétravail, la mise en place des garderies et des directives sur le congé parental, représentent des mesures de concrétisation de cette articulation sur le plan structurel (BFEG 2010, 2012).

Les mesures mentionnées semblent nécessaires. Toutefois, focalisées sur l’amélioration de la « conciliation travail-famille » et basées sur l’idée d’un « équilibre de vie » à atteindre, elles ont un impact limité (Gambles et al., 2006). Leur mise en œuvre n’a pas les effets escomptés suivant leur contexte socio-historique d’implémentation (Branth & Kvande, 2001 ; Brandth, Kvande, Jensen, & McKee, 2003 ; Brandth, Kvande, Moss, & O’Brien, 2006).

Les débats contemporains promouvant un « équilibre travail-vie privée » ou « conciliation travail-famille » concernent des enjeux et défis complexes. De manière générale, cinq éléments interreliés peuvent être soulignés au sein du contexte socio-historique actuel (Curie & Hajjar, 1987 ; Gambles et al., 2006) :

1) la libéralisation de l’économie, le vieillissement de la population et les changements dans le marché du travail constituent des aspects ayant un impact sur les politiques du système social en Europe et en Suisse (COST A34, 2009) ← 4 | 5 →

2) l’évolution de la situation professionnelle des femmes et leur accession relativement récente à des postes d’encadrement supérieur (BFEG 2007a, 2007b, 2010)

3) les transformations dans le milieu du travail, telles que la diminution du nombre d’heures, l’augmentation des temps partiels et la flexibilité des horaires (BFEG, 2010 ; Gambles et al., 2006 ; Curie & Hajjar, 1987 ; Lancry & Guilbert, 2004)

4) les changements au niveau de l’agencement du travail avec d’autres milieux de vie comme résultat de ces transformations (Curie & Hajjar, 1987 ; Lancry & Guilbert, 2004)

5) l’intérêt spécifique envers la santé et le bien-être, que ce soit au travail exclusivement ou dans sa relation à d’autres milieux de vie, en particulier à la famille (BFEG, 2012 ; COST A34, 2009 ; OMS, 2010).

En résumé, cette brève description de la situation européenne et suisse a permis de témoigner d’une série de transformations profondes sur le plan sociétal, qui concernent de près les femmes et leur accession récente à des postes d’encadrement supérieur. Leur bien-être est devenu, dans ce contexte, une question d’actualité cruciale, et ceci dans une perspective politique, culturelle et économique de promotion de la carrière des femmes en termes d’ « équilibre travail-famille » et de « conciliation travail-vie privée ». Du point de vue de la recherche, un nombre croissant de travaux focalisés sur l’analyse de ces changements politiques et sociétaux, selon des perspectives épistémologiques et méthodologiques variées, sont observés. Parmi les analyses de catégories socioprofessionnelles féminines, masculines ou mixtes, celle des femmes cadres supérieurs n’a reçu que peu d’attention.

Le choix de la terminologie : la notion d’« articulation des milieux de vie »

Malgré l’intérêt certain des sciences humaines à l’égard des changements sociaux évoqués, le vocabulaire utilisé dans l’étude des relations entre vie au travail et vie hors travail ne fait pas l’unanimité dans la littérature spécialisée sur le sujet (Chrétien, 2005). Ces problèmes sémantiques reflètent, selon nous, une préoccupation croissante de la part des chercheurs de rendre compte de manière aussi fidèle que possible de leur perception ← 5 | 6 → du contexte et de l’état de leurs travaux. La terminologie dominante, utilisée depuis les années 70, est celle de « conflit travail-famille » (Casper et al. 2007 ; Chrétien, 2005 ; Duxbury, Higgins, & Lee, 1994 ; Frone et al., 1997 ; Greenhaus & Parasuraman, 1999 ; Guérin, St-Onge, Chevalier, Denault, & Deschamps, 1997 ; Pleck, 1977 ; St-Onge, Renauc, Guérin, & Caussignac, 2002 ; Tremblay, Amherdt, & De Sève, 2003 ; Zedeck et Mosier, 1990). Cependent, depuis une dizaine d’années, on propose une vision globale et intégrative des liens travail-hors travail. Certains auteurs privilégient la locution « conflit travail-vie privée », d’autres la notion « conciliation travail-famille », d’autres « harmonisation vie professionnelle-vie familiale », ou encore celle d’« équilibre travail-vie privée » (Chrétien, 2005 ; Johnson, Lero, & Rooney, 2001). Ces concepts proposent des visions différentes et répondent à la nécessité d’intégrer le travail aux autres facettes de la vie (Johnson et al., 2001).

Dans cet ouvrage, nous optons pour l’expression « articulation des milieux de vie ». Le terme « articulation » met l’accent sur l’interdépendance des mondes différents auxquels participe l’individu (Chrétien, 2005). De notre point de vue, il permet d’appréhender l’étude de ces liens sous une perspective compréhensive en psychologie, intéressée par la question du sens subjectif. En outre, la notion de « milieux de vie » suggère une conception élargie du champ non professionnel qui peut comporter des activités de natures diverses, telles que sociales, familiales, personnelles, associatives, sportives, socioculturelles, amicales, etc. (Baubion-Broye, Malrieu, & Tap, 1983 ; Curie & Hajjar, 1987 ; Johnson et al., 2001).

Structure générale de l’ouvrage

Compte tenu d’un aperçu préliminaire de notre recherche, de sa contextualisation et de l’argumentation du choix de la terminologie, la structure de notre démarche s’énonce de la manière suivante :

Chapitre 1

Le sous-chapitre 1.1 porte sur la revue de la littérature en vue de délimiter notre objet d’étude sur la base des travaux existants. Compte tenu du ← 6 | 7 → manque de recherches qui concernent notre objet dans notre discipline, nous avons couvert la littérature à partir de trois niveaux différents superposés : la population (cadres supérieurs et femmes cadres supérieurs), l’objet (travail et santé, articulation des milieux de vie et son influence dans le bien-être) et la discipline (psychologie, psychologie de la santé, psychologie du travail, sociologie). Nous y décrivons l’état des travaux sur la population des femmes cadres supérieurs (paragraphe 1.1.1). Puis, nous traçons l’évolution des principaux courants en santé et travail (paragraphe 1.1.2) et dans le domaine de l’articulation des milieux de vie de la fin des années 70 jusqu’à nos jours (paragraphe 1.1.3). Nous terminerons ce sous-chapitre par l’analyse critique de l’ensemble de ces travaux (paragraphe 1.1.4). Bien que les chercheurs insistent sur les relations entre la vie au travail et la vie hors travail, on constate une lacune importante en ce qui concerne la question des dimensions psychologiques en jeu dans ces relations entre milieux de vie et de leur rôle dans un bien-être subjectif, d’un point de vue empirique et compréhensif. De plus, la population des femmes cadres supérieurs demeure peu étudiée du point de vue empirique à l’égard de l’articulation des milieux de vie.

Compte tenu des intérêts et des limites des travaux existants, le sous-chapitre 1.2 concerne la construction de la problématique de la recherche. Cette dernière porte sur notre adoption d’un regard critique en psychologie de la santé (paragraphe 1.2.1). Suivant ce regard, nous soulignons la nécessité de choisir l’approche théorique sur la base de la réalité du terrain à l’appui d’une recherche préliminaire (paragraphe 1.2.2). Le paragraphe 1.2.3 quant à lui, explicite l’approche adoptée. Enfin, le paragraphe 1.2.4. aboutit à une série de questions de recherche auxquelles nous allons répondre en adoptant une démarche méthodologique spécifique de type qualitatif.

Résumé des informations

Pages
X, 335
Année
2015
ISBN (ePUB)
9783035197358
ISBN (PDF)
9783035203110
ISBN (MOBI)
9783035197341
ISBN (Broché)
9783034314817
DOI
10.3726/978-3-0352-0311-0
Langue
français
Date de parution
2015 (Mars)
Mots clés
Travail Activité quotidienne Vie privée
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 346 p.

Notes biographiques

Maria De Rio Carral (Auteur)

María del Río Carral a obtenu le titre de Docteur en Psychologie à l’Université de Lausanne en 2011 (Prix d’excellence de la Faculté des sciences sociales et politiques). Après avoir effectué un séjour postdoctoral à l’Université de Louvain, elle collabore actuellement au sein du Centre de Recherche en Psychologie de la Santé (CeRPSa - UNIL). Ses intérêts de recherche portent sur la psychologie critique et les méthodes qualitatives.

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Titre: Le bien-être subjectif au quotidien dans une société plurielle
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