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Eclats d’Autriche

Vingt études sur l’image de la culture autrichienne aux XXe et XXIe siècles

de Valérie de Daran (Éditeur de volume) Marion George (Éditeur de volume)
©2014 Collections VIII, 368 Pages

Résumé

L’Autriche n’est plus seulement « ce qui reste », à savoir un pays nostalgique d’une grandeur passée souvent idéalisée. Elle n’est pas non plus le terreau exclusif de la littérature dite « négativiste ». Innovante et audacieuse, soucieuse de se démarquer de son voisin allemand, ouverte plus que d’autres pays d’Europe aux influences centre-européennes, elle s’invente sans cesse par les échanges qu’elle tisse avec l’extérieur. Quels reflets projette-t-elle de son identité littéraire et culturelle ? Comment ces images sont-elles accueillies et fixées par ses partenaires européens, la France en particulier ? Et comment se sont-elles modifiées au fil de l’Histoire de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècle ? Des germanistes, des romanistes, des spécialistes des domaines filmique et artistique analysent dans ce livre la réception de la création autrichienne dans une perspective historique, sociologique et esthétique. Ils éclairent les multiples facettes culturelles d’un pays qui fraye volontiers avec l’altérité et apporte une contribution non négligeable à la vie artistique européenne.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Sommaire
  • Préface
  • Vues d’ensemble
  • Entre oubli et provocation: l’enfermement ou l’envers de l’idylle autrichienne: Florence Bancaud
  • De l’Autriche – et de sa place dans les histoires littéraires de langue française: Valérie de Daran
  • Le qualificatif «allemand»
  • Périodisation, courants et genres littéraires vus de France
  • Constitution d’un canon autrichien à la française: classiques et marginaux
  • «Grande Nation et Valses éternelles» – L’impact des images dans l’enseignement des langues-cultures: Margit Eisl
  • Représentations et stéréotypes dans les discours médiatiques et quotidiens
  • L’impact des images de l’Autre dans l’enseignement des langues
  • Pistes didactiques pour la classe de langue-culture
  • Remarque finale
  • Encore une Querelle des Anciens et des Modernes – quelques remarques sur la perception française de l’identité culturelle autrichienne après 1945: Marion George
  • La littérature autrichienne contemporaine en France: traductions, édition et réception: Elisabeth Kargl
  • Traductions et transfert
  • Le champ d’accueil
  • Les grands éditeurs: instances de consécration?
  • Les petits et micro-éditeurs: les découvreurs
  • Conclusion
  • Une découverte enthousiaste des années 1980 et 1990: la modernité viennoise, de la fin du XIXe siècle à 1938: Jacques Le Rider
  • L’éclat de la liberté – le cinéma autrichien entre univers narratifs ouverts et fermés: Bert Rebhandl
  • Allers-retours. Un aperçu des relations culturelles entre le Département de la Vienne (France) et le Land de Styrie (Autriche): Bernadette Steps
  • Autour des langues française et allemande
  • Découverte de l’altérité par les sens
  • Ce qui reste. L’Autriche, historiographie littéraire et canon: Klaus Zeyringer
  • Le visage autrichien
  • Puissance de discours et d’ordre, centre et périphérie
  • Cadre historico-littéraire
  • Exemples de formation historique du canon
  • Dernières nouvelles
  • Etudes monographiques
  • Présence et non-présence de l’auteur. Mise en scène de l’écrivain dans les textes de Werner Kofler: Bernard Banoun
  • Kofler. Biographèmes: auteur et textes
  • Le non-lieu de l’écrivain
  • Autorité et positionnement dans le champ littéraire
  • Conclusion: le «modèle» autrichien
  • Un roman graphique autrichien et sa réception française: Heute ist der letzte Tag vom Rest deines Lebens d’Ulli Lust: Eric Chevrel
  • La réception de Freud dans le roman policier du début du XXIe siècle: Véronique Liard
  • Les personnages de Freud et Jung chez Bossi et Barde-Cabuçon
  • Freud et Jung détectives
  • Frank Tallis et Jed Rubenfeld
  • La réception des romans sur Freud en France
  • Promouvoir Jelinek – Sports Play en Grande-Bretagne: Gisela Linschinger
  • Introduction
  • Sur les abîmes du sport
  • «Her plays are rarely seen here»
  • La mise en scène de Vanda Butkovic et la compagnie Just a Must
  • Game on
  • Le sport comme métaphore de la performance
  • Exigences intellectuelles
  • Références à l’origine de l’auteur
  • Conclusion
  • «Et seul perdure le venin.» Le froid, la folie et la mort dans l’œuvre de Gerhard Roth: Cornelia Michelis-Masloch
  • La réception de Hermann Broch en France: Christine Mondon
  • Des débuts difficiles
  • Vers la reconnaissance
  • Intérêt pour le philosophe Broch
  • Une longue histoire compliquée: l’accueil d’Ingeborg Bachmann en France: Herta Luise Ott
  • L’Autriche et l’Allemagne. La poésie et la prose. Femmes et hommes.
  • Bachmann et la France
  • La France et Bachmann
  • Une consécration récente
  • Traductions de Bachmann en France:
  • Textes et poèmes accessibles sur internet:
  • La Galerie Stadler et les actionnistes viennois: Philippe Piguet
  • Le boom de Bernhard en Roumanie. Réception d’une œuvre dramatique: Eleonora Ringler-Pascu
  • «Parce que tu es tiède, je te vomirai de ma bouche.» Stratégies de la violence chez la dramaturge Elfriede Jelinek: violence faite aux femmes, violence faite au drame: Gérard Thieriot
  • La femme sans identité: Krankheit oder Moderne Frauen
  • La femme confinée: FaustIn and out
  • Stratégies de la violence chez Elfriede Jelinek
  • La publication de Strette de Paul Celan – moment inaugural de sa réception en France: Dirk Weissmann
  • Genèse et composition du recueil
  • La poésie de Paul Celan selon Strette
  • Mallarmé contre le référent juif?
  • Fortune d’une publication
  • Impasse ou point de départ?
  • Ont contribué à ce volume

Préface

A bien des égards, il peut sembler inopportun voire anachronique de se pencher sur les limites identitaires d’une culture et les images qu’elle projette d’elle-même, ou que d’autres cultures se sont forgées d’elle. A l’heure du marché mondialisé (celui de l’économie culturelle aussi), d’une Europe plus ouverte et changeante (à compter du 1er juillet 2013, l’Union européenne accueille son 28e membre, la Croatie), les frontières semblent se dissoudre, les identités nationales vaciller sur leur base. Les relations entre les pays se diversifient et se démultiplient, et cet éclatement modifie, voire affecte, les relations politiques ou culturelles qui se sont inscrites jusque-là dans des cadres plus restreints, comme les cadres bilatéraux par exemple.

Pourtant et fort heureusement, il existe bien encore aujourd’hui, dans l’Europe à vingt-huit, des identités culturelles affirmées, au rayonnement propre – ne fût-ce que sous la forme d’éclats épars, de fragments et de fulgurances à partir desquels un pays construit l’image qu’il se fait des pays voisins. La littérature et les arts, soit qu’ils contournent le politique ou au contraire s’en nourrissent, restent des vecteurs privilégiés d’influences réciproques. En outre, ils permettent à chaque pays, selon son degré d’exportation et d’intégration à la culture des pays d’accueil, de mesurer l’ampleur de son rayonnement, d’ajuster sa position dans un paysage culturel devenu européen, pour ne pas dire mondial, et de renouveler sa propre identité en puisant dans les images positives ou négatives qu’il renvoie. Quels sont les écrivains ou artistes installés et reconnus à l’étranger? Quelles pièces d’un répertoire national donne-t-on ailleurs? Pourquoi et à quelles fins? Comment expliquer l’impact de tel artiste, l’oubli de tel autre?

Les contributions rassemblées dans cet ouvrage sont consacrées aux images que l’Autriche projette d’elle-même, et à celles que ses partenaires européens (la France surtout, mais aussi, ici, la Roumanie ou l’Angleterre) ont retenues et fixées, parfois figées – ainsi qu’à l’analyse de ces images. Toutes tentent de répondre à l’une ou l’autre des questions posées ci-dessus, moins par une approche exhaustive ← 1 | 2 → que par des coups de projecteur sur des aspects précis de l’identité et du transfert culturels («études monographiques») ou sur de grandes lignes plus historiques et synthétiques («vues d’ensemble»).

Les grands noms des lettres autrichiennes ne sauraient être évités. Avec Paul Celan, Ingeborg Bachmann et Hermann Broch, se profilent les Autriches de la première République, puis de l’après-guerre. Quelles images la France a-t-elle conservées de ces classiques modernes? Christine Mondon explore la manière dont la réception de l’œuvre éclectique de Broch – qui se situe à la croisée de la littérature, de la philosophie, de la poésie, de la réflexion politique et de la sociologie – est ralentie par la Seconde Guerre mondiale, puis dynamisée en France grâce à la médiation d’intellectuels comme Maurice Blanchot ou Michel Foucault. Dirk Weissmann étudie le placement en France du recueil Strette, une anthologie de soixante poèmes tirés de quatre recueils de Paul Celan, à laquelle collaborent trois traducteurs (Jean-Pierre Burgart, Jean Daive et André du Bouchet), avec l’aval du poète. Il s’emploie ensuite à en préciser les conditions de réception: les traductions ont-elles tiré Celan davantage vers Mallarmé, gommant en quelque sorte le référent juif? Herta Luise Ott suit pas à pas l’itinéraire d’Ingeborg Bachmann en France, depuis sa réception complexe dans les années 1960 où le traducteur Philippe Jaccottet sert – et parfois dessert – l’auteure jusqu’à sa reconnaissance dans les années 1980, avec de nouvelles traductions et parutions aux éditions Actes Sud. Dirk Weissmann comme Herta Luise Ott nous montrent le rôle déterminant joué par les traducteurs, éditeurs et critiques de la culture d’accueil.

Avec Elfriede Jelinek et Thomas Bernhard, l’emporte un certain négativisme autrichien, plébiscité aussi bien en Allemagne qu’en France. Elfriede Jelinek suscite dans notre pays un intérêt qui ne se dément pas: l’article de Gérard Thiériot, d’une teneur toute poétique, est la preuve éclatante que la lecture des textes dramatiques de cette grande classique peut être toujours renouvelée. Jelinek, animée d’une violence véritablement révolutionnaire, brise les formes théâtrales traditionnelles pour éclairer avec crudité l’univers concentrationnaire des femmes. Et si l’imprécatrice d’Autriche était au fond une farouche ← 2 | 3 → optimiste qui s’acharne à croire encore au pouvoir de la parole théâtrale? Florence Bancaud repère certaines thématiques familières à Bernhard et Jelinek, comme l’enfermement et la claustration, qui hantent aussi la rubrique faits divers des médias autrichiens (affaires Natascha Kampusch et Elisabeth Fritzl) et viennent innerver les œuvres d’écrivains français, le roman Claustria de Régis Jauffret entre autres. L’aura de Jelinek est grande aussi outre-Manche, où les Jeux olympiques de 2012 ont été l’occasion de découvrir sa pièce Ein Sportstück (Sports Play); Gisela Linschinger en retrace la mise en scène et la réception, facilitées et encouragées par les initiatives de l’institut culturel autrichien de Londres. Restons dans le domaine du théâtre, genre politique par excellence: Thomas Bernhard est solidement établi en France; mais il reste encore à découvrir dans certains pays de l’ex-Europe de l’est où sa réception s’est déroulée sur des modes très différents avant et après 1989. Eleonora Ringler-Pascu montre les efforts et l’intense créativité déployés à Timişoara pour rendre son œuvre dramatique accessible au plus grand nombre.

Plus énigmatique et secrète, l’œuvre en prose de Gerhard Roth, qui aborde pourtant des sujets proches de ceux de Bernhard ou Jelinek, demeure à l’écart des grands circuits de la reconnaissance officielle en France; Cornelia Michelis-Masloch étudie ce cas de non-transfert en émettant plusieurs hypothèses. Werner Kofler, auteur relativement confidentiel en Autriche, est présenté par son traducteur Bernard Banoun. Ce dernier se penche avec minutie sur les stratégies et tactiques de positionnement de Kofler dans le champ culturel autrichien: entre hermétisme et lisibilité, entre souci de reconnaissance et retrait calculé. On peut en déduire que le transfert de Kofler vers la France – son œuvre est publiée aux éditions Absalon – aurait sans doute été impensable sans l’investissement personnel du traducteur et l’engagement (courageux, pour ne pas dire téméraire?) d’un petit éditeur. Enfin, Eric Chevrel s’attache à un genre hybride: celui du roman gra ← 3 | 4 → phique. Avec Heute ist der letzte Tag vom Rest deines Lebens (titre en langue française: Trop n’est pas assez), l’Autrichienne Ulli Lust propose une variation sur le schéma du roman de formation et le motif du voyage en Italie. Avec Ulli Lust, comme avec Nicolas Mahler, le roman graphique est en passe d’acquérir ses lettres de noblesse en Autriche; traduit, il commence à percer en France.

Depuis les années 1980, la modernité viennoise exerce un puissant magnétisme. Le père de la psychanalyse fait la une de l’actualité philosophique et intellectuelle: en 2006 paraît L’Anti-livre noir de la psychanalyse de Jacques-Alain Miller, Gérard Miller, Agnès Aflalo et Marie-Claude Sureau, et en 2010 la charge de Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole. Affabulation freudienne. Freud n’est pas seulement au cœur des polémiques, il devient personnage de fiction dans les romans policiers français de Luc Bossi et d’Olivier Barde-Cabuçon, lesquels abordent certains éléments des théories freudiennes sur un mode à la fois instructif et ludique. Véronique Liard mène l’enquête sur cette «intrusion» de Freud dans le tissu romanesque et elle jette un pont par dessus l’Atlantique en rapprochant ces romans français de l’œuvre de l’Américain Jed Rubenfeld. Quand on pense à la modernité viennoise, un autre nom vient aussitôt à l’esprit, celui de Gustav Klimt à qui les années 2000 continuent de rendre hommage. En 2005 est organisée au Grand Palais une exposition intitulée «Vienne 1900: Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka». La même année, plusieurs documentaires sont consacrés au chef de file de la Sécession viennoise (Gustave Klimt au Musée Maillol: papiers érotiques, film de Christian Guyonnet, 2005, Klimt ou le testament d’Adèle, film de Michel Vuillermet et Gilbert Charles, 2005). En 2006 sort le Klimt de Raoul Ruiz, avec Malkovich dans le rôle-titre. Enfin, l’année 2012 marque le 150e anniversaire de la naissance de l’artiste, plusieurs expositions temporaires ont lieu à Vienne, à l’Albertina et au Wien Museum. La sacralisation excessive de l’œuvre de Klimt (cf. la mise en scène du Baiser de Klimt au Belvédère) et sa commercialisation protéiforme ont contribué à reléguer dans l’ombre d’autres mouvements artistiques autrichiens, comme les interventions des actionnistes viennois qui ne sont connues en France que de quelques initiés. Le critique d’art Philippe Piguet dresse un inventaire des initiatives de la Galerie Stadler, créée en 1955 et située dans le quartier Saint-Germain à Paris. Il retrace avec précision l’important travail de prospection accompli par Rodolphe Stadler – qui fait découvrir en France Brus, Muehl, ← 4 | 5 → Nitsch, Rainer, Schwarzkogler – et la réception de l’actionnisme dans la presse spécialisée ou non. Enfin, dans le domaine du film autrichien, Bert Rebhandl met en lumière tous les aspects d’une production nationale diversifiée; il analyse le rayonnement international d’un Haneke ou d’un Seidl tout en montrant la force d’attraction ou de rejet que leur cinéma exerce sur celui de réalisateurs plus jeunes, mais non moins talentueux. Rebhandl élargit la palette des références avec les noms de Covi, Frimmel, Mückstein, Markovics, Hoesl, Tabak…

Certaines contributions offrent des panoramas et des cadres explicatifs qui permettent de mieux comprendre les schémas de réception actuels. Klaus Zeyringer éclaire le visage que l’Autriche offre d’elle-même, la façon dont cette nation littéraire est située, ou bien se situe elle-même, dans ses rapports avec d’autres (l’Allemagne ou la Suisse), et il s’interroge sur les conditions et critères d’élaboration d’une histoire littéraire proprement autrichienne. Car si la notion d’Autriche a été sujette à de profondes modifications, des permanences et rémanences n’en révèlent pas moins la singularité du cadre historique et littéraire autrichien. Jacques Le Rider revient sur ce phénomène international qu’a été la mode viennoise des années 1980 (expositions à Hambourg, Venise, Vienne et New-York). Cet intérêt pour les arts et la Mitteleuropa s’est doublé d’une fascination post-moderne pour l’anthropologie freudienne et pour les théories philosophiques de la langue (Wittgenstein). Marion George analyse certains aspects de la perception française de l’identité autrichienne après 1945. Certes, la vision française de l’Autriche apparaît comme durablement marquée par les formes culturelles de la monarchie des Habsbourg et par certains stéréotypes (la culture autrichienne est musicale et artistique), mais cette image patinée n’est pas reprise dans le discours de certains intellectuels situés plus à gauche, qui lui préfèrent une perception plus moderne, centrée sur une approche intellectuelle par le langage. Quant aux histoires littéraires, elles fixent une hiérarchie des valeurs littéraires (un ou des canon/s) et ne sauraient rester spectatrices des effets de mode qu’elles se doivent d’analyser. Klaus Zeyringer défend un projet historiographique aussi attentif à la spécificité du produit littéraire autrichien qu’à ses conditions de création, de diffusion et de ← 5 | 6 → réception. De son côté, Valérie de Daran retrace la généalogie d’une histoire française de la littérature autrichienne; elle montre que l’historiographie est nécessairement lacunaire, évolutive et tributaire d’un contexte intellectuel et historique.

Trois contributions ramènent le lecteur à l’actualité la plus récente et concrète. Elisabeth Kargl recense les tout derniers écrivains autrichiens auxquels les éditeurs et les critiques français ont bien voulu faire une place. Même si le marché français des traductions reste sous l’emprise anglo-américaine, quelques écrivains autrichiens contemporains parviennent à attirer l’attention sinon du grand public, du moins d’amateurs éclairés. Dans un article fondé sur des enquêtes et des expériences de terrain, Margit Eisl analyse les clichés qui circulent sur la France en Autriche, et sur l’Autriche en France. Elle souligne le rôle déterminant que joue (ou devrait jouer) la réflexion interculturelle dans l’enseignement de la culture et de la langue de l’Autre, ainsi que dans la prévention ou l’atténuation des visions stéréotypées et réductrices. Elle suggère que tout échange scolaire s’inscrit dans un contexte qui peut faciliter ou entraver la mise en place d’une coopération, et améliorer ou altérer l’image de l’Autre (exemple des «sanctions» européennes en 2000) – et qu’il convient donc aussi de réfléchir à ce contexte. Enfin, Bernadette Steps témoigne d’une activité de médiation sans relâche entre des entités non plus nationales mais régionales: le Département de la Vienne (France) d’une part, et le Land de Styrie (Autriche) d’autre part. Elle montre que la réflexion sur l’interculturalité peut trouver d’innombrables applications pratiques, pour peu que ces dernières soient portées par un engagement personnel enthousiaste et inventif, et le soutien des collectivités territoriales.

L’Autriche n’est pas aujourd’hui seulement «ce qui reste». Ouverte plus que d’autres pays d’Europe aux influences centre-européennes, slaves et balkaniques, désireuse de se projeter à l’extérieur, elle s’invente sans cesse par les échanges culturels qu’elle développe avec ses partenaires européens, tout comme ces derniers peuvent s’enrichir à son contact – par delà les obstacles historiques, les périodes d’ombre et les réticences politiques ou intellectuelles. Nous remercions chaleureusement les auteurs de ces «éclats d’Autriche» qui apportent leur ← 6 | 7 → précieuse contribution à cet enrichissement réciproque et à une vision affinée des identités culturelles autrichienne, française, européenne.

Valérie DE DARAN, Marion GEORGE

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Vues d’ensemble

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Entre oubli et provocation: l’enfermement ou l’envers de l’idylle autrichienne

Florence BANCAUD

Depuis les années 1970, avec le gouvernement Kreisky et le maintien au pouvoir du SPÖ jusqu’en 1983, l’Autriche, qui se perçoit comme une démocratie du consensus (Konsensdemokratie) et qui s’efforce d’oublier le passé de l’austro-fascisme, continue de s’ériger en victime du nazisme: Kreisky, issu pourtant de la haute bourgeoisie juive, refuse de déterrer les fantômes du passé nazi, d’honorer la mémoire de ses victimes et nombre d’anciens nazis se voient même confier des responsabilités politiques. La dialectique entre mémoire et oubli volontaire, entre refoulement du passé nazi et exacerbation de la tradition autrichienne ne date donc pas d’hier et le culte de l’idylle de l’Autriche, cette «île des bienheureux» (Insel der Seligen) aux yeux du Pape Paul VI, se perpétue dans la lignée des films de terroir (Heimatfilme) de l’après-guerre ou de la littérature du terroir. Dans ce contexte, il revient aux artistes et intellectuels d’opposer à cette culture de l’idylle et du faux semblant la violence de la provocation, de la subversion, de la dénonciation. C’est là ce qui fait toute la force et la radicalité de l’actionnisme viennois, des Antiheimatromane réalistes de Franz Innerhofer, Gert Jonke, Gernot Wolfgruber ou Josef Winkler qui opposent à l’idylle autrichienne la peinture d’une Autriche ténébreuse et carcérale. C’est aussi ce qui explique le scandale provoqué par les œuvres d’un Thomas Bernhard ou d’une Elfriede Jelinek qui, dans Heldenplatz (1998) pour l’un, Die Kinder der Toten (1995) ou Das Werk (2002) pour l’autre, mettent au jour le mensonge d’Etat et la farce de la dénazification autrichienne:

Le mouvement poétique réagit contre les fausses évidences de la société établie, dont il sent les frictions, les mensonges, les faux semblants […]. L’idylle est ba ← 11 | 12 → sée sur la négation du réel, sur les contradictions cachées de la nouvelle société, et, plus grave encore, fondée sur le passé dissimulé.1

Dans son discours de 1986 intitulé In den Waldheimen und auf den Haidern, Jelinek dénonçait déjà, avec l’ironie mordante qui la caractérise, ce mythe de la belle apparence et de la neutralité autrichiennes:

In den Waldheimen und auf den Haidern dieses schönen Landes brennen die kleinen Lichter und geben einen schönen Schein ab, und der schönste Schein sind wir. Wir sind nichts, wir sind nur was wir scheinen: Land der Musik und der weißen Pferde. […] Wir wollten doch nur ein bißchen in deutschen Betten liegen, wer hätte uns das nicht gönnen wollen? Aber wir sind es nicht gewesen, und daher hat man uns – im Jahre 1955 selbstverständlich oder wann dachten Sie denn? – auch ordnungsgemäß befreit! Wir sind überhaupt die Unschuldigsten und sind es daher auch immer gewesen. […] Wir müssen uns nur im richtigen Moment klein machen, damit man uns nicht sieht, wie wir grade unsere Weine pantschen; wir müssen uns nur im richtigen Moment noch kleiner machen, damit man uns nicht sieht und auch unsere Vergangenheit nicht, wenn wir Bundespräsident, also das Höchste was es gibt, werden wollen. Und wir müssen uns im richtigen Moment auch groß zu machen verstehen, damit wir in die Weltpresse hineinkommen, und zwar selbstverständlich positiv, denn wir leben ja wirklich in einem schönen Land, man kann es sich anschauen gehen, wann immer man will!2

Résumé des informations

Pages
VIII, 368
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035197433
ISBN (PDF)
9783035202465
ISBN (MOBI)
9783035197426
ISBN (Broché)
9783034314770
DOI
10.3726/978-3-0352-0246-5
Langue
français
Date de parution
2014 (Février)
Mots clés
Altérité Nostalgie Arte européenne Création autrichienne Identité littéraire
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. VIII, 368 p.

Notes biographiques

Valérie de Daran (Éditeur de volume) Marion George (Éditeur de volume)

Valérie de Daran est germaniste, maître de conférences titulaire de l’Habilitation à diriger des recherches. Elle enseigne à l’Université de Poitiers. Ses recherches portent sur la culture autrichienne des XXe et XXIe siècles. Elle a traduit des auteurs de langue allemande, parmi lesquels plusieurs écrivains autrichiens contemporains, et publié aux éditions Peter Lang « Traduit de l’allemand (Autriche) ». Etude d’un transfert littéraire (2010). Marion George, germaniste, est professeur à l’Université de Poitiers depuis 1995. Elle mène des recherches sur la littérature allemande, en particulier du XVIIIe siècle, sur le transfert culturel entre la France et les pays germanophones ainsi que sur l’histoire des études germaniques en Allemagne et en France. Elle a publié aux éditions Peter Lang: Die Geburt der Hermeneutik aus dem Geist der Politik. Diltheys Begründung der Philosophie als pragmatische Ordnungsmacht der Moderne (2002).

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Titre: Eclats d’Autriche
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