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Gestes d’enseignement

L’agir didactique dans les premières pratiques d’écrit

de Pier Carlo Bocchi (Auteur)
©2016 Monographies XV, 378 Pages
Série: Exploration, Volume 171

Résumé

Cet ouvrage porte sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage liées à la maîtrise de la langue écrite, une compétence cruciale pour le jeune enfant. Adoptant une approche didactique, il revisite ce qui permet à l’élève d’entrer dans l’écrit, tout en examinant les caractéristiques de l’action de l’enseignant. Il dévoile, au delà du domaine de l’entrée dans l’écrit, l’univers enchevêtré et le maillage entre les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage. Les situations didactiques et l’évolution des attentes des enseignants à l’égard des élèves sont analysées selon trois niveaux d’observation : l’année scolaire, les séances et les épisodes remarquables. Cette analyse multiniveaux permet de mettre à jour que la réussite du projet pédagogique en termes d’apprentissages est tributaire de la distribution des rôles entre les élèves. Ainsi, la persistance des élèves dans des positions défavorables à leurs apprentissages contribuerait à la fabrication des inégalités scolaires. C’est tout l’intérêt d’interroger, dès lors, les idéologies qui traversent le métier d’enseignant et le poids de certains gestes d’enseignement.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Tables de matières
  • Préface
  • Introduction
  • Première partie L’étude des pratiques d’enseignement / apprentissage de l’entrée dans l’écrit
  • Chapitre 1: L’entrée dans l’écrit : une démarche interdisciplinaire
  • Introduction
  • Quel modèle d’enseignement de la lecture ?
  • La psychologie de la lecture
  • Le point de vue de la sociologie : la diversité des pratiques de lecture
  • Les apports de la didactique : de la didactique de « l’intervention » à la didactique de « l’explication »
  • Que retenir ?
  • Chapitre 2: Les pratiques d’enseignement et d’apprentissage
  • Introduction
  • L’enseignement et l’apprentissage en situation scolaire
  • L’approche de la didactique comparée
  • Que retenir ?
  • Chapitre 3: Les savoirs à enseigner
  • Introduction
  • Le savoir formel en lecture / écriture émergente
  • Les prescriptions officielles
  • La « méthode » Monighetti
  • Que retenir ?
  • Chapitre 4: Expliquer et comprendre l’action didactique
  • Introduction
  • Le fonctionnement didactique de l’entrée dans l’écrit
  • Expliquer / comprendre
  • Quel type d’observation ?
  • Que retenir ?
  • Chapitre 5: Le dispositif de recherche
  • Introduction
  • L’analyse macroscopique
  • L’analyse mésoscopique et microscopique
  • Contexte d’étude
  • Que retenir ?
  • Deuxième partie: Études de cas
  • Chapitre 6: La variété des tâches et l’évolution des savoirs
  • Introduction
  • Les tâches significatives au cours de l’année
  • La progression des savoirs
  • La question des rapports aux savoirs et du rapport identitaire
  • Quelques effets de la transposition didactique
  • Que retenir ?
  • Chapitre 7: Le texte masqué
  • Introduction
  • Une tâche dite « remarquable »
  • Analyse de la tâche prescrite
  • La tâche effective chez l’enseignante A
  • La tâche effective chez l’enseignant B
  • La tâche effective chez l’enseignante C
  • Les séances consacrées au texte masqué : que retenir ?
  • Chapitre 8: Les textes narratifs
  • Introduction
  • Analyse descendante de la tache prescrite
  • L’enseignante A
  • L’enseignant B
  • L’enseignante C
  • Les textes narratifs : que retenir ?
  • Chapitre 9: La segmentation lexicale
  • Introduction
  • Analyse de la tâche prescrite
  • L’enseignante A
  • L’enseignant B
  • L’enseignante C
  • La segmentation lexicale : que retenir ?
  • Chapitre 10: Le décodage et les tâches d’écriture de mots
  • Introduction
  • Analyse des tâches possibles à proposer
  • L’enseignante A : autodictée de mots
  • L’enseignant B : analyse phonologique et graphophonologique
  • L’enseignante C : synthèse syllabique et lecture de phrases
  • Le décodage et les tâches d’écriture de mots : que retenir ?
  • Conclusions
  • L’évolution des objets de savoir en lecture/écriture émergente
  • Les inégalités d’apprentissage
  • Une démarche de développement professionnel
  • Références bibliographiques
  • Annexes
  • Titres de la collection

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PRÉFACE

Pier Carlo Bocchi met à la disposition du lecteur un ouvrage des plus passionnants et qui s’avère de grande actualité pour la recherche en éducation. Plusieurs dimensions rendent ce livre incontournable à la fois pour les chercheurs en sciences de l’éducation, les formateurs d’enseignants et les enseignants qui sont aux prises avec des enjeux à la fois d’initiation culturelle, de socialisation et de contribution à la constitution de personnes capables d’agir sur le monde en toute conscience. Ces différentes composantes du travail enseignant sont d’ailleurs indissociables puisque les cultures se forgent dans et par la relation aux autres – pairs et formateurs – et aux institutions qui légitiment les gestes d’enseignement et d’apprentissage.

J’insisterai d’abord sur l’importance de l’objet d’enseignement dont il est question ici : l’initiation aux pratiques d’écrit. Dans la perspective socio-historique de Pier Carlo Bocchi, l’appropriation par l’élève de l’outil écriture (au sens de Brossard, 1997) est un processus décisif pour que le sujet apprenne un rapport inédit au monde (dominé jusque là par l’oralité de la première enfance), et pour que l’articulation lire/écrire ne se réduise pas à des techniques locales au profit d’une réelle entrée dans les diverses cultures d’écrit. Bien que l’auteur observe principalement l’accès à l’écriture de la langue italienne (langue 1 de l’institution concernée), il ne perd pas de vue la spécificité de l’écriture de cette langue et ce qui la distingue, par exemple, de l’écriture mathématique à laquelle sont initiés aussi les jeunes enfants. Les différentes écritures engagent en effet des transformations cognitives qui assurent chacune leur fonction spécifique et nourrissent des raisonnements qui leur sont propres.

L’enjeu didactique est consistant et se conjugue avec un autre pari éducatif : les jeunes enfants qui entrent dans l’univers de l’école (première année scolaire) découvrent, par la même occasion, le « vivre ensemble » du groupe-classe ainsi que les interactions sociales et didactiques que comportent les premières programmations dans les « matières » de la culture scolaire. L’accès aux pratiques d’écrit se fait donc en même temps que l’initiation à l’ordre d’une communauté (la ← XI | XII → classe et ses contrats d’éducation et d’instruction) dont les règles restent à découvrir. Devenir des personnes instruites et incorporer – pour les faire siennes – les attentes de l’enseignant aux différentes étapes du processus d’enseignement/apprentissage relève d’un défi (à la fois pour le maître et pour les différents élèves) dont la portée laissera des traces importantes dans l’histoire de chacun. Le travail de Bocchi nous ouvre une porte centrale sur cet univers enchevêtré, et la vision qui résulte des différentes focalisations sur la scène didactique donne de nouveaux outils pour comprendre et agir dans le domaine didactique de l’entrée dans l’écrit.

Mais pas seulement. Le lecteur spécialement intéressé par les modes de socialisation des élèves et par les opérations de pensée qui caractérisent le fonctionnement d’enfants en situation scolaire trouve ici une superbe occasion pour saisir l’évolution des tâches – choisies par chaque enseignant – au fil de l’année scolaire, le travail cognitif que de telles tâches comportent (analyses a priori d’une grande finesse), ainsi que l’évolution de différentes catégories d’élèves aux prises avec des attentes professorales spécifiques. C’est bel et bien le travail du contrat didactique différentiel (Ligozat & Leutenegger, 2008) qui est donné à voir sur des durées longues (une année scolaire). Bien que cela ne constitue pas la centration première de l’auteur, il paraît important de souligner ici la contribution de cette étude à une analyse didactique et psychosociale de la fabrication des inégalités scolaires. C’est d’ailleurs justement par une prise en compte très fine des objets d’enseignement/apprentissage et de l’évolution des attentes professorales à l’égard des différents élèves que l’on mesure à quel point l’avancement du projet d’enseignement est solidaire d’une certaine distribution des rôles entre les élèves au fil de l’évolution du programme et de l’année scolaire. Le lecteur intéressé par les phénomènes de différenciation pédagogique trouve ainsi largement matière pour (re)penser certains diktats pédagogiques en prenant en compte la face habituellement cachée de projets éducatifs qui sous-estiment la portée de certains gestes didactiques sur la pérennisation de places d’élèves défavorables aux apprentissages. Sur ce point aussi, les analyses très nuancées de Pier Carlo Bocchi évitent une attribution de responsabilité à sens unique aux enseignants observés. C’est bien une responsabilité de l’ensemble du système éducatif et de formation qui est prise en compte, et l’auteur met clairement en évidence les phénomènes transpositifs et culturels au sens large qui, dans la durée, ← XII | XIII → sont constitutifs des « bons » gestes d’enseignement comme des plus discutables. En effet, les débats sur la pertinence et l’efficacité des choix didactiques réfléchis d’avance, comme de ceux pris dans le vif de l’agir professoral, font régulièrement l’objet de controverses, et cet ouvrage ne pourra que contribuer à l’avancement de la réflexion collective.

Concernant l’objet d’enseignement, je tiens aussi à souligner l’intérêt – pour un ouvrage en langue française et des lecteurs qui ont peut-être naturalisé un certain rapport aux pratiques d’écrit du français – d’une mise sous la loupe de pratiques d’écriture de l’italien en tant que langue première. Au lieu d’alourdir la lecture des extraits de protocoles de séances didactiques, l’objet même sur lequel tel élève ou la classe sont censés porter une attention conjointe avec l’enseignant se trouve spécialement mis en exergue. Le lecteur est invité, voire aidé, à prendre une distance supplémentaire et l’analyse gagne en rigueur et profondeur. Les traductions de certains travaux d’Emilia Ferreiro avaient déjà produits des phénomènes similaires.

Mais si l’auteur a pu assurer une analyse aussi consistante, c’est parce qu’il s’est doté d’un cadre théorique et méthodologique fort convainquant. La démarche clinique et expérimentale (en suivant Leutenegger, 2009) s’avère en parfaite adéquation avec une construction théorique des plus cohérentes. Je me limiterai à souligner ici la contribution substantielle de ce travail à l’avancement d’une didactique comparée. Mais que le lecteur ne s’y trompe pas : la comparaison ne réside pas dans une banale comparaison méthodologique entre trois enseignants aux choix didactiques distincts. Plus profondément, et bien que cela puisse étonner certaines visions comparatistes en didactique, c’est la contribution à une théorie de l’articulation entre composantes spécifiques et génériques des pratiques d’enseignement que je salue ici. Je considère en effet que plus on descend profondément dans la mise en évidence des spécificités des objets d’enseignement/apprentissage, de leur modification au fil du temps didactique, de leur imbrication avec d’autres objets – parfois perturbateurs ou non pertinents – qui meublent l’espace didactique et parfois brouillent la mésogenèse (monde des objets culturels, physiques, symboliques, langagiers qui émergent sur la scène didactique), plus on approfondit les enjeux spécifiques de savoir, plus on peut « remonter » vers la mise en évidence des dimensions génériques des processus d’enseignement et d’éducation. D’autres ouvrages contribuent, sur un autre plan, à mettre en comparaison des cadres d’analyse et des ← XIII | XIV → objets d’enseignement contrastés (Dorier, Leutenegger & Schneuwly, 2013). Mais sans des études spécifiques d’un contenu de savoir qui se donnent les moyens, comme c’est le cas ici, de déployer un corps articulé d’analyses, tout projet d’une didactique comparée serait voué aux déclarations d’intention. La place qu’un ouvrage peut faire au déploiement des analyses micro et macroscopiques, ainsi qu’à leur articulation, permet de donner corps à une théorie de l’action conjointe entre l’enseignant, les différents élèves et les objets d’enseignement au fil de leur évolution.

C’est dans cette perspective de recherche fondamentale qu’une didactique comparée, ancrée sur les pratiques d’enseignement/apprentissage, s’avère une science parmi les sciences humaines et sociales. C’est dans ce sens que je considère la science didactique comme consubstancielle à une science des personnes concrètes qui se constituent comme sujets culturels au travers des institutions scolaires et de formation. Une science didactique qui n’hésite pas à se mettre « au ras du sol » comme dirait Jacques Revel (1989) de l’histoire pour donner un statut inédit à des événements pris dans le vif d’un échange entre un enseignant et un groupe d’élèves ou un élève singulier. Ce n’est pas un goût pour le « cas » unique ou tellement « vrai » qu’il serait parlant en soi. C’est l’articulation finement tissée entre les différents « cas » d’agir didactique conjoint qui motivent une telle centration. Et ce qui importe, c’est surtout la collocation des cas dans la série qu’ils tissent au fil du temps de l’enseignement et de l’apprentissage, et ceci par contraste avec d’autres séries à la fois semblables et différentes (selon des traits à définir) identifiables dans l’agir didactique d’un autre enseignant. L’analyse ascendante de la transposition didactique que permet l’étude de l’agir didactique conjoint doit alors se confronter à l’analyse descendante de l’objet enseigné. C’est à ce travail complexe que s’attelle utilement Pier Carlo Bocchi.

Comprendre ce qui se passe et se joue, du côté à la fois des sujets enseignés et enseignants, comme du côté des objets d’enseignement, est dès lors, à mon sens, le cœur de l’acte d’enseignement. Je situe par conséquent la compréhension de la dynamique culturelle de cette ternarité au centre des pratiques de formation des enseignants. A ce titre, l’ouvrage de Pier Carlo Bocchi s’avère décisif pour nourrir le débat entre formateurs et avec les formés. Bien des matériaux issus de ce livre sont potentiellement constitutifs de « tâches » de formation afin d’aiguiser la ← XIV | XV → réflexion du futur enseignant et l’aider à penser ses propres gestes didactiques dans un contexte donné. Un travail dans la transposition didactique s’amorce ainsi pour le formé. Dans la perspective comparatiste que je défends, la question de la formation des maîtres et son articulation avec les pratiques de recherche a été développée ailleurs (Leutenegger, Amade-Escot & Schubauer-Leoni, Eds. 2014). Pier Carlo Bocchi va dans le même sens comme l’atteste la conclusion de cet ouvrage.

Maria Luisa Schubauer-Leoni
Genève, décembre 2014

BIBLIOGRAPHIE

Brossard, M. (1997). Pratiques d’écrit, fonctionnements et développement cognitifs. In C. Moro, B. Schneuwly & M. Brossard (Ed.), Outils et signes. Perspectives actuelles de la théorie de Vygotsky (pp. 95–114). Berne : Peter Lang.

Dorier, J.-L, Leutenegger, F. & Schneuwly, B. (Ed.) (2013). Didactique en construction, constructions des didactiques. Bruxelles : De Boeck.

Leutenegger, F. (2009). Le temps d’instruire. Approche clinique et expérimentale du didactique ordinaire en mathématique. Berne : Peter Lang.

Leutenegger, F., Amade-Escot, C. & Schubauer-Leoni, M.-L. (Ed.) (2014). Interactions entre recherches en didactique(s) et formation des enseignants : questions de didactique comparée. Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté.

Ligozat, F. & Leutenegger, F. (2008). Construction de la référence et milieux différentiels dans l’action conjointe du professeur et des élèves. Le cas de l’agrandissement des distances. Recherches en didactique des mathématiques, 28(3), 319–378.

Revel, J. (1989). L’histoire au ras du sol. Préface. In G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le piémont du XVIIe siècle (pp. I–XXXII). Paris : Gallimard.

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INTRODUCTION

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture donne lieu à un vaste débat au sein de nos démocraties avancées. Les premiers travaux qui se sont donné une envergure scientifique, se refusant de n’aborder que des questions pratiques, datent de l’immédiat après-guerre. Depuis, divers discours sur la lecture/écriture1 ont été de plus en plus diffusés. Cependant, c’est surtout dans ces dernières décennies que les discussions dans ce domaine se sont intensifiées, caractérisant la situation actuelle d’une certaine inflation. Les discours de chercheurs en sciences cognitives et sociales, de politiciens, ainsi que de formateurs d’enseignants et d’enseignants eux-mêmes, ont envahi les débats sur la littéracie et ceux-ci ne manquent pas de remettre en question l’une ou l’autre méthode d’enseignement. Cela suscite inévitablement un certain malaise surtout chez les enseignants, du fait que certains discours peuvent aussi être appréhendés comme contradictoires. Comment favoriser l’entrée dans l’écrit ? Quelles retombées peuvent avoir dans les pratiques des enseignants les acquis de la recherche en psychologie cognitive et en psycholinguistique sur l’apprenti-lecteur ? Où en sont les travaux en didactique portant sur l’apprentissage initial de la lecture ? De quels repères les enseignants disposent-ils aujourd’hui pour planifier leurs démarches et développer leurs pratiques ? Et comment gérer les différences de niveau de connaissance des élèves d’une même classe ? Comment caractériser les difficultés en lecture ?

Voilà quelques questions qui ont été posées, donnant lieu à de nombreuses recherches scientifiques dans différentes disciplines : histoire, sciences de l’éducation, sociologie, psychologie cognitive, psycholinguistique, didactique de la langue maternelle, pour ne citer que les plus ← 1 | 2 → sollicitées. Grâce à ces travaux, de nouvelles connaissances ont été affichées. Une en particulier : l’entrée dans l’écrit constitue un processus complexe et multidimensionnel et ne peut donc pas être réduite uniquement à un problème de mécanique ou de mécanismes qui se mettraient en place à travers l’apprentissage d’habiletés faisant correspondre des sons à des signes. Au contraire, l’apprentissage de la lecture/écriture présuppose le développement de différentes capacités relevant des dimensions culturelles, linguistiques et stratégiques.

Les résultats obtenus au terme de trois décennies de recherche mettent désormais à disposition des formateurs et des enseignants quelques repères. Ayant parfois des caractéristiques antagonistes, ces repères prolongent la discussion ; mais ils ont certainement le mérite d’avoir permis de mieux préciser les enjeux. Cela semble s’inscrire dans une évolution concernant les connaissances des processus fondant les actes de lire et d’écrire et devrait surtout pouvoir apporter des bénéfices au niveau des apprentissages des apprenants. Mais le manque de compétences de certains élèves à la fin de l’école primaire, voire de l’école obligatoire, montre une toute autre réalité.

Les résultats des enquêtes PISA2 informent qu’entre 9 % et 25 % des élèves à la fin de l’école obligatoire des pays de l’OCDE (la Finlande et l’Autriche représentant les deux pôles extrèmes), éprouvent d’importantes difficultés à lire et à comprendre des textes simples de la vie de tous les jours, en montrant un niveau de compétence en lecture insuffisant. En Suisse, le pourcentage est de 17 % environ. Ceci étant, il existerait une partie non négligeable de la population des pays de l’OCDE qui termine l’école obligatoire sans être en mesure de maîtriser, avec une certaine sûreté, un des instruments les plus importants pour l’apprentissage et le développement des connaissances, à savoir la lecture/écriture.

Ce phénomène, désigné sous le terme d’illettrisme, demeure une réalité relativement méconnue et tarde à être appréhendé par les pouvoirs ← 2 | 3 → publics et les professionnels de l’école avec une détermination suffisante, bien que cela ait de fortes répercussions sur le développement de l’individu, touchant l’estime de soi et conditionnant sa vie sociale et politique. Il s’agit d’un problème complexe qui doit être abordé par différentes postures scientifiques de recherches, afin d’identifier des perspectives d’action convenables.

Mais ce phénomène n’est qu’un aspect d’une thématique plus vaste renvoyant au débat sur les inégalités scolaires, car il existe des liens très forts entre la réussite en lecture (et à l’école en général) et les appartenances sociales des élèves. L’influence des facteurs sociaux dans l’échec scolaire a été bien décrite par de très nombreux travaux à partir des années 1960 et elle n’est plus à démontrer (Forquin, 2008). Toutefois, nous sommes d’avis que les difficultés scolaires ne peuvent s’expliquer uniquement en termes de différences de positionnement culturel vis-à-vis de la forme scolaire, qui serait plus facilement accessible aux élèves des classes favorisées, étant donné les rapports de familiarité que l’institution scolaire entretient avec ces groupes sociaux. De même, il serait restrictif de considérer l’échec à l’école comme le seul effet des dispositions personnelles des élèves eux-mêmes. En revanche, nous postulons que les difficultés des élèves, voire l’échec en lecture, sont également, sinon davantage, à mettre en relation avec les caractéristiques des contextes dans lesquels celles-ci se développent (Bautier & Rayou, 2009).

Le but de cet ouvrage est précisément d’aborder la thématique de l’entrée dans l’écrit en passant par l’analyse des pratiques. Car, bien que l’apprentissage s’opère principalement en classe, c’est en général dans des situations de laboratoire et de tests que ces études ont été menées : l’élève, en tant que sujet enseigné, et l’enseignant, en tant que metteur en scène des savoirs enseignés, ont rarement été pris en compte du moins jusqu’à cette dernière décennie.

En revanche, de nombreuses recherches se sont focalisées sur l’élève, et plus particulièrement sur les processus cognitifs mis en jeu dans les apprentissages. En ce sens, différents courants psychologiques ont considéré l’entrée dans l’écrit comme un processus essentiellement individuel et interne à l’élève lui-même. Que l’on se situe du côté des psychologues de tradition cognitiviste ou du côté des psychologues généticiens, les conditions de transmission des connaissances définies par les situations scolaires sont largement négligées. Les premiers analysent les stratégies utilisées dans l’identification des mots ainsi que les ← 3 | 4 → processus de compréhension des textes en étudiant la lecture comme une activité de traitement cognitif de l’écrit. Les psychologues généticiens quant à eux, s’intéressant à l’activité de l’enfant et à sa réflexion sur l’écrit, s’attachent à décrire le développement de l’entrée dans l’écrit par « stades », dont l’origine est davantage d’ordre biologique.

En somme, il existe toute une littérature dans le domaine de la psychologie de la lecture qui ne prend pas en compte l’action didactique. Étant donné le manque de validité écologique, les acquis relevant des modèles théoriques des courants psychologiques ne peuvent pas être appliqués mécaniquement au contexte d’enseignement/apprentissage de l’écrit. En ce sens, une démarche didactique pourrait être considérée comme plus efficace qu’une autre dans une situation dans laquelle toute dimension institutionnelle aurait été gommée ; mais rien ne permet de prévoir qu’il en serait de même dans une situation réelle d’enseignement/apprentissage.

Résumé des informations

Pages
XV, 378
Année
2016
ISBN (ePUB)
9783035198065
ISBN (PDF)
9783035203257
ISBN (MOBI)
9783035198058
ISBN (Broché)
9783034320122
DOI
10.3726/978-3-0352-0325-7
Langue
français
Date de parution
2015 (Novembre)
Mots clés
différenciation didactique inégalités scolairess contrat didactique transposition didactique
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. XV, 378 p., 3 ill. n/b, 8 tabl., 11 graph.

Notes biographiques

Pier Carlo Bocchi (Auteur)

Pier Carlo Bocchi, docteur en sciences de l’éducation, est actuellement enseignant-chercheur à la Scuola Universitaria della Svizzera Italiana de Locarno, où il est responsable d’unités de formation. Ses travaux s’inscrivent en didactique et portent sur les processus d’enseignement et d’apprentissage. Il est membre du Groupe de recherche en didactique comparée de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève.

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