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Pour en finir avec le terrorisme

L’équivoque de la terreur, de la Révolution française aux attentats jihadistes

de Ami-Jacques Rapin (Auteur)
©2014 Monographies VI, 219 Pages

Résumé

Qu’est-ce que le terrorisme ? Cette lancinante question préoccupe aussi bien l’homme de la rue que les chercheurs spécialisés dans l’étude de la violence politique. Que ces derniers ne soient pas parvenus, après des décennies d’efforts, à formuler une définition consensuelle du phénomène ne manque pas d’étonner. Cet ouvrage a pour ambition d’expliquer cet échec en déplaçant le questionnement de la notion de terrorisme à celle de terreur. L'histoire des deux concepts et de leur inextricable imbrication éclaire l’équivoque du discours contemporain sur le terrorisme et contient la solution au problème de la définition du phénomène. Elucider le problème, c’est également se donner les moyens de concevoir un cadre conceptuel alternatif qui conserve la masse des connaissances acquises, tout en faisant sauter l’obstacle terminologique sur lequel butte l’analyse des violences armées clandestines.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’Auteur
  • À propos du Livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Avant la Révolution
  • Sous la Révolution
  • Deux glissements sémantiques
  • « L’invention du terrorisme à Paris » en 1894 ?
  • Les apories des définitions juridiques
  • L’incontournable écueil définitionnel
  • Mesurer l’impact psychologique des attentats
  • Ce qu’il reste du terrorisme
  • Ce qu’il reste à (mieux) expliquer
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Index

Introduction

Depuis plusieurs décennies, la réflexion sur le terrorisme est engluée dans un débat laborieux relatif aux contours du phénomène considéré1. La multiplication des définitions de cet objet évanescent, la pléthore des modèles d’analyse qui prétendent en rendre compte de manière rigoureuse, les controverses suscitées par l’instrumentalisation de la notion dans les stratégies de communication gouvernementale sont autant de révélateurs d’une incertitude fondamentale.

Qu’est-ce que le terrorisme ? À cette question élémentaire, on est tenté de donner la même réponse que Saint Augustin apportait à son interrogation sur le temps : « Si personne ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus2. » Le mot évoque immanquablement des attentats spectaculaires et meurtriers, plus ces actions étant meurtrières, plus l’évidence du terrorisme semblant s’imposer à l’entendement. À cet égard, les attaques du 11 septembre 2001 remplissent la fonction d’un véritable prototype de l’acte terroriste, c’est-à-dire l’exemplaire le plus abouti d’une catégorie de phénomènes dont l’existence paraît dès lors difficilement contestable. La preuve par l’exemple n’est toutefois convaincante que s’il n’existe pas d’ambiguïté sur ce que l’on veut démontrer. Or, lorsqu’il s’agit d’expliciter ce que recouvre exactement cette catégorie de phénomènes, l’explication se réduit souvent à cette désarmante tautologie : le terrorisme, c’est ce qui provoque de ← 1 | 2 → la terreur ! La formulation ne relève ni de la boutade ni de la caricature ; elle est le fruit d’un demi-siècle de réflexion juridique.

Précisément parce qu’elle est tautologique, cette ébauche de définition indique le réel nœud du problème qu’il s’agit de dénouer. La difficulté à laquelle nous nous heurtons lorsque nous voulons expliquer ce qu’est exactement le terrorisme ne réside pas prioritairement dans l’élasticité du concept, ni dans son attribution unilatérale à l’adversaire politique – « le terroriste des uns est le combattant de la liberté des autres », selon l’expression consacrée – ni même dans la connotation péjorative du terme. Elle relève de l’étroite association entre l’idée de terreur et celle de terrorisme.

Le large emploi du mot « terreur » (terror) par l’administration Bush dans un sens qui était précédemment réservé au terme de terrorisme a contribué à éclairer le problème3 : un seul et même mot est simultanément utilisé pour désigner une forme de violence et l’impact psychologique de cette violence. De cette confusion entre un registre émotionnel et un registre d’action procèdent toutes les apories conceptuelles du discours sur le terrorisme, et il en résulte que le problème que pose la définition du concept peut se résoudre si l’on envisage sérieusement la relation entre la qualification de l’acte et son réel impact psychologique.

Déplacer le questionnement du concept de terrorisme à celui de terreur est une démarche susceptible de donner une base commune à la réflexion. D’une part, parce qu’une définition conventionnelle de la terreur, au sens psychologique du terme, est plus facile à concevoir qu’une définition du terrorisme, notion qui suscite des controverses sans fin depuis les années 1930. D’autre part, parce que les instruments dont nous disposons pour mesurer l’impact émotionnel d’une action violente offrent la possibilité d’infirmer ou de confirmer les hypothèses relatives à la dimen ← 2 | 3 → sion psychologique de la violence politique. Plus généralement, un tel recentrement du questionnement doit être l’occasion d’affiner la terminologie relative à l’analyse des diverses formes de violence politique.

Qu’est-ce que la terreur ? Au sens précis du terme, ce n’est ni une forme spécifique de violence ni une « idée politique »4, mais une émotion extrême qui affecte l’être humain face à la perception d’un danger ou d’une menace. Forme exacerbée de peur, la terreur est associée à la panique lorsqu’elle provoque la fuite ou à l’effroi lorsqu’elle inhibe l’action.

Par quel étrange raisonnement en sommes-nous arrivés à penser que la terreur est une idée (ou, si l’on préfère, un principe politique) et une catégorie particulière de violence ? Plus que d’un raisonnement, il s’agit en réalité d’une synecdoque c’est-à-dire un procédé rhétorique consistant à désigner un phénomène par un terme qui se réfère à l’une de ses composantes, en l’occurrence la dimension psychologique de l’impact de la violence. Cette synecdoque s’est progressivement imposée, simultanément à la généralisation de l’emploi de la notion de terrorisme dans le nouveau sens qui lui a été donné au tournant des XIXe et XXe siècles. Plus précisément, cette synecdoque repose sur deux postulats qui fondent le discours sur le terrorisme depuis les années 1930 : l’intention de terreur et l’effet de terreur.

L’intention de terreur se rapporte au dessein conçu par les auteurs des actes de violence. Pour qu’ils méritent leur nom de terroristes, selon la logique de ce premier postulat, leur volonté doit être de répandre la terreur dans la population et/ou au sein des autorités, et non pas seulement d’user de la violence afin de faire plier la volonté de leur adversaire. Si leur dessein se circonscrivait à ce dernier objectif, le postulat perdrait sa pertinence dans la mesure où le fléchissement de la volonté de l’ad ← 3 | 4 → versaire est le but de toute forme de violence politique, y compris la guerre comme l’a établi Clausewitz.

L’effet de terreur renvoie à l’impact psychologique effectif des actes de violence, autrement dit à l’intensité de la peur qu’ils génèrent. À cet égard, il importe d’opérer une distinction essentielle entre la cible directe (les victimes immédiates) et la cible indirecte de la violence (les sujets indirectement exposés à l’acte). Quoique le discours général sur le sujet omette le plus souvent de le préciser, c’est prioritairement la seconde catégorie de cible qui est prise en considération lorsqu’il s’agit de concevoir la dimension anxiogène du « terrorisme ». En d’autres termes, le second postulat part du principe selon lequel les actes terroristes provoquent une forme extrême de peur chez des sujets qui ne sont pas directement exposés aux conséquences physiques de la violence.

Comme tout postulat, celui de l’intention de terreur et celui de l’effet de terreur paraissent a priori légitimes et incontestables. Mais qu’en est-il lorsque l’on quitte le domaine du discours abstrait sur le terrorisme pour passer à l’étude de cas concrets ?

Il existe deux moyens de répondre à cette interrogation. Trancher brutalement le nœud du problème en affirmant, d’une part, que la plupart des « terroristes » n’ont pas réellement l’intention de répandre la terreur et, d’autre part, que la plupart des actes « terroristes » ne produisent pas de terreur au sens psychologique du terme. Dans cette perspective, la notion de terrorisme est une approximation terminologique qui induit en erreur et a effectivement contribué à brouiller la compréhension des phénomènes auxquels elle se rapporte. L’argument étant susceptible de prêter à des malentendus, il est plus profitable de patiemment démêler les fils de l’écheveau en essayant de comprendre l’origine et les développements de la confusion dans laquelle baigne le débat sur le terrorisme.

Les trois premiers chapitres de cet ouvrage portent sur les circonstances dans lesquelles les mots « terreur » et « terrorisme » se sont inscrits dans le lexique politique et en sont venus à dé ← 4 | 5 → signer deux formes spécifiques de violence : ce que l’on nomme actuellement le « terrorisme d’en haut » ou « terreur d’Etat » et le « terrorisme d’en bas » ou « terreur subversive »5. Jusqu’aux dernières décennies du XIXe siècle, seule la première forme de violence était prise en considération, le référent des notions relatives à la terreur politique étant purement historique. Un terroriste était un partisan du terrorisme, et le terrorisme s’identifiait au régime de la Terreur qui s’était brièvement imposé durant les années 1793-1794 de la Révolution française.

Tout s’est considérablement embrouillé à partir des années 1880, lorsque les révolutionnaires russes de la Volonté du Peuple (Narodnaïa Volia) s’approprièrent ces différentes notions et les utilisèrent pour caractériser le combat qu’ils livraient à l’autocratie tsariste. Dès lors, le « terrorisme » ne se référait plus exclusivement à une politique gouvernementale, il désignait aussi une méthode de lutte contre le pouvoir étatique. Ce nouveau référent du terme fit naître une équivoque qui imprègne encore la réflexion sur la violence politique.

Résumé des informations

Pages
VI, 219
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035198850
ISBN (PDF)
9783035202557
ISBN (MOBI)
9783035198843
ISBN (Broché)
9783034313520
DOI
10.3726/978-3-0352-0255-7
Langue
français
Date de parution
2014 (Juillet)
Mots clés
Violence politique Terreur Stratégie
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 219 p.

Notes biographiques

Ami-Jacques Rapin (Auteur)

Ami-Jacques Rapin est maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des Sciences sociales et politiques de l’université de Lausanne. Ses travaux portent sur l’histoire de la pensée stratégique, les violences armées clandestines et l’histoire de l’Extrême-Orient.

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