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Action, interaction, intervention

A la croisée du langage, de la pratique et des savoirs

de Nathalie Wallian (Éditeur de volume) Marie-Paule Poggi-Combaz (Éditeur de volume) Andrée Chauvin-Vileno (Éditeur de volume)
©2014 Collections VI, 368 Pages
Série: Transversales, Volume 34

Résumé

Dans tout lien social, l’échange entre partenaires inscrit le discours dans une interaction organisée, située, orientée, historiquement construite et régie par des normes : il vise à modifier un réel par un projet d’influence mutuellement ajusté et construit.
Cet ouvrage vise à analyser, à partir de productions langagières variées en contexte éducatif, les différents processus interactionnels de co-construction du sens lors d’une intervention à finalité éducative. Vingt-cinq chercheurs de six nationalités et de neuf champs différents sont représentés, la forte présence des Sciences du langage assurant la cohérence et la pertinence des modalités d’approche. La perspective est didactique car résolument centrée sur les savoirs, mais également sémiotique, actionnelle, culturelle et interculturelle.
Les objets de recherche sont appréhendés de façon interdisciplinaire tout en faisant varier pour l’analyse, et la focale et la nature des observations. Dans la dialectique discours-action, la diversité des pratiques éducatives questionne les conditions de leur médiation-appropriation: la spécificité du didactique en Education physique et sportive est particulièrement explorée.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières – Contents
  • Préambule
  • Introduction: Dynamique du langage et dynamique de l’activité sportive: Ecaterina Bulea et Jean-Paul Bronckart
  • Première partie: Processus interactionnels et objets culturels: Part one: Interactional Processes and Cultural Objects
  • Action, interaction, intervention: de nouveaux défis pour les chercheurs: Nathalie Wallian, Marie-Paule Poggi et Andrée Chauvin
  • L’«Entre les murs» des interactions en classe de français: univers discursifs, altérité et rencontre éducative: Andrée Chauvin, Mongi Madini et Nathalie Wallian
  • Sémio-communication et image sportive: Processus de spectacularisation médiatique du genre féminin dans les sports dits masculins: Nanta Novello Paglianti, Sinda Ayachi et Nathalie Wallian
  • «Etre et Avoir»: les limites, constituantes du Sujet. L’accès aux rapports sociaux dans une situation éducative: Bernard Couty et Sophie Mariani-Rousset
  • Deuxième partie: Les interactions langagières en Education Physique et Sportive: Part two: The Language Interactions in Physical Education and Sports
  • Configurations typiques d’interaction en classe d’E.P.S.: regard croisé de l’anthropologie cognitive et de la pragmatique du discours.: Nathalie Gal-Petitfaux, Marc Cizeron, Emmanuèle Auriac-Slusarczyk et Corinne Marlot
  • Débats d’idée et sports collectifs en Tunisie: «allez les filles!»: Zeineb Zerai Et Jean-Francis Grehaigne
  • L’interprétation croisée d’une pratique de karaté: le conflit des fondations France/Japon: Jérémie Bride, Denis Loizon, Saburo Aoki et Nathalie Wallian
  • Débat d’idées et co-construction des savoirs d’action en Basket-Ball à Taiwan: Ching-Wei Chang et Jean-Francis Grehaigne
  • Troisième partie: Pratiques professionnelles et interactions éducatives: Part three: Professional Practices and Educative Interactions
  • Interaction et expérience: dialogue autour d’une investigation psycho-phénoménologique des processus en jeu dans les interactions d’enseignement-apprentissage en natation scolaire: Yannick Lemonie et Christiane Montandon
  • Faire, apprendre et transférer. Conditions de réinvestissement des compétences acquises en formation initiale chez des éducateurs physiques et des musiciens: Marie Clerx, Ghislain Carlier et Muriel Deltand
  • Discours et pratiques professionnelles en éducation physique: la réception croisée de leçons de natation en France et en Chine: Hyai Yun Ruan, Nathalie Wallian et Marie-Paule Poggi
  • Ce qui s’enseigne en milieu difficile: approche socio-didactique: Marie-Paule Poggi et Fabienne Brière-Guenoun
  • Biographie des contributeurs
  • Titres de la collection

Préambule

L’objet de cet ouvrage consiste à analyser, à partir de situations plurimodales éducatives, les différents processus de co-construction du sens dans une perspective sémio-didactique, actionnelle et culturelle. Tout lien social, dont fait partie le partage de l’expérience et des savoirs, impose sa marque à l’échange qu’il autorise en réaménageant, à l’instar de ce qu’opère l’énonciation pour le discours, les rôles et rapports de places des partenaires de la relation. Le réaménagement négocié du contrat de communication dans son rapport à l’altérité constitue un processus de co-construction et par-delà, un jeu de médiation et d’influences conjointes. Les objets de recherche ici présentés s’organisent autour de la diversité des pratiques éducatives et/ou sportives et de leurs conditions et modalités de médiation/interprétation/ transformation.

Les éclairages épistémologiques s’articulent autour du statut épistémique du sujet en devenir, des interprétations croisées à partager et à co-construire et des effets du langage en termes d’acquisition, de transformation ou d’influence. Ces éclairages optent ici, dans une perspective heuristique et généralement par une démarche inductive non prescriptive, pour une construction dynamique des objets scientifiques: les concepts (sujet, parole, interactions, action, genre, etc.) sont mis à l’épreuve dans et par les contextes discursifs et en référence aux conceptualisations issues du domaine didactique (altérité, médiation des savoirs, appropriation, interprétation, action conjointe, etc.). L’ouvrage, tout en s’inscrivant résolument dans le champ croisé des sciences du langage et des sciences de l’intervention éducative, revendique la spécificité de la didactique de l’Education physique et Sportive et des Activités Physiques et Sportives. La relation d’interdépendance entre concepts et contextes appelle une approche capable de répondre à la fois aux exigences scientifiques académiques et à la complexité des phénomènes étudiés. ← 1 | 2 →

Cinq focales ou unités d’analyse ont été retenues pour cet ouvrage: les usages de la langue et du discours « en société éducative », la variété de leurs formes en contexte, l’intrication des différentes modalités écrite/orale et verbo-gestuelles, les variations en contexte social normé et normalisateur et enfin les projets d’influence des protagonistes pour (inter)agir, travailler, produire et in fine (faire)apprendre. Ces cinq focales sont investiguées de façon dissociée ou simultanée et donnent un relief particulier à ces capacités d’écoute-interprétation que portent les métiers d’intervenant-acteur et d’interprétant-auteur.

L’enjeu de cet ouvrage est de profiler les contours d’une recherche en éducation qui porte sur l’étude des interactions langagières en présentant une cohérence théorique vivifiée autour des dimensions pragmatique, interactionniste et socio-discursive. Loin de proposer une approche close et totalement unifiée, il s’agit d’ouvrir les perpectives par un croisement des approches sur un objet ou un corpus commun.

L’originalité de l’ouvrage réside dans son approche résolument pluridisciplinaire autour d’un objet ou d’un corpus commun; cinq sections du Conseil National des Universités français (CNU1) y sont représentées par vingt-cinq chercheurs de sept nationalités et de dix-neuf universités différentes, la forte présence des sciences du langage assurant la cohérence et la pertinence des modalités d’approche du didactique autour des questions du langage, de l’action et de l’intervention. Cette parution sous expertise scientifique fait suite au Séminaire International de l’AIESEP (Association Internationale des Ecoles Supérieures d’Education Physique) sur le thème «Action située, pratique réflexive et construction des connaissances en éducation physique» qui s’est tenu en mai 2009 à Besançon.

Le public de lecteurs concernés vise tant 1° les chercheurs en Sciences de l’Intervention par les Activités Physiques et Sportives que ceux de Sciences du Langage intéressés par les phénomènes éducatifs, 2° ← 2 | 3 → les formateurs d’enseignants et plus particulièrement en Education Physique et Sportive, notamment dans le cadre de la réforme de mastérisation des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation ainsi que 3° tout étudiant en Master ès sciences du sport, sciences du langage, sciences de l’information et de la communication et bien sûr sciences de l’éducation. Le lecteur y trouvera des éléments pour relier la recherche en formation et la formation à/par la recherche dans une perspective de mise en dialogue des connaissances académiques et de la construction des expertises professionnelles.

Puisse le lecteur puiser dans cet ouvrage source d’inspiration et de créativité en regard de ses préoccupations et objets d’études. ← 3 | 4 → ← 4 | 5 →

1En France, le Conseil National des Universités regroupe les disciplines par sections. Celles qui sont représentées dans cet ouvrage sont les suivantes: 7 (sciences du langage: linguistique et phonétique générales); 16 (psychologie, psychologie clinique, psychologie sociale); 19 (sociologie, démographie); 70 (sciences de l’éducation); 71 (sciences de l’information et de la communication); 74 (sciences et techniques des activités physiques et sportives)

ECATERINA BULEA ET JEAN-PAUL BRONCKART

Introduction: Dynamique du langage et dynamique de l’activité sportive

L’ouvrage que nous avons le privilège d’introduire rassemble douze contributions particulièrement denses dans lesquelles sont présentées et analysées des données empiriques consistant (à l’exception d’un chapitre) en interactions se déployant dans le cadre d’activités et/ou de dispositifs à visée formative. Un premier principe adopté par les concepteurs de l’ouvrage est d’examiner ces interactions «sous toutes leurs coutures», c’est-à-dire de tenter de prendre en considération aussi bien leurs propriétés langagières et didactiques “premières”, que leurs dimensions d’arrière-fond, d’ordre social, culturel ou proprement psychologique. Un second principe, en partie annoncé par le titre de l’ouvrage, est d’accorder un rôle central aux productions verbales, à la fois comme témoins des conceptions, représentations ou intentions des protagonistes des interactions, et comme guides et ferments des transformations développementales visées par les dispositifs de formation. Double principe qui s’est concrétisé en une attention particulière accordée aux usages sémiotiques effectifs en situation éducative, avec les variations de leur forme et leur modalité en fonction des contextes, et avec la diversité de leurs effets perlocutoires d’ordre éducatif ou didactique.

L’ouvrage est organisé en trois parties principalement centrées, pour la première sur des problématiques épistémologiques et méthodologiques (choix des cadres théoriques de référence; conditions d’interprétation des données verbales; place respective à accorder aux représentations collectives et aux représentations individuelles), pour la deuxième sur des recherches portant spécifiquement sur les interactions verbales en classe d’Education Physique et Sportive, et pour la troisième sur des aspects plus globaux des pratiques formatives (avec notamment une approche du métier de formateur en ce domaine et de ses variantes stylistiques cultu ← 5 | 6 → relles, ainsi qu’un examen des processus éducatifs adaptés à différents types d’apprenants).

Imposant par sa taille, l’ouvrage l’est aussi et surtout par son audacieuse ambition. En premier lieu, il prend le singulier pari d’aborder un domaine d’activité à première vue en essence “physique”, par le biais majeur des discours qui s’y tiennent, et d’attribuer ce faisant un rôle décisif aux représentations qui y circulent, qui s’y construisent et s’y défont. Il a ensuite le mérite de tirer les conséquences méthodologiques de cette option, en mobilisant les instruments requis pour une analyse spécifiquement linguistique des verbalisations, en tant que première étape et condition de déploiement d’une interprétation solidement fondée. Il témoigne enfin de la volonté d’articuler, dans les analyses scientifiques aussi bien que dans les propositions didactiques, l’ensemble des facteurs susceptibles de contribuer à la signification des données recueillies: facteurs allant de l’ordre du culturel/sociologique à celui du personnel/psychologique, en passant par celui des divers contextes enchevêtrés en toutes les situations formatives.

Mais l’audace comporte par définition une part de difficulté ou de risque, qui concerne plus particulièrement ici le souci d’intégration des facteurs constitutifs de l’humain. Si elle est d’une intrinsèque pertinence, cette volonté est néanmoins confrontée à l’état actuel des disciplines concernées, qui se caractérise par un hyper-fractionnement des courants et par l’hétérogénéité des cadres théoriques qui y circulent; et cet état génère régulièrement une manière de désordre épistémologique sur le danger duquel nous reviendrons.

Même si les chapitres de l’ouvrage ne comportent que de rares références explicites à l’interactionnisme social et à sa figure de proue, Vygotski (voir néanmoins les références aux conceptions vygotskiennes du langage et du développement dans la contribution de Wallian, Poggi & Chauvin, pp. 12-28), il nous semble que l’ensemble des démarches de recherche présentées dans ce qui suit s’inscrivent de fait dans les perspectives qu’avaient esquissées les fondateurs historiques de ce courant, à savoir, outre le précité, Mead (1934), Dewey (1925) et Wallon (1938). Cet interactionnisme social se caractérise notamment par l’adhésion –implicite ou explicite – aux trois principes qui suivent. ← 6 | 7 →

Le premier principe consiste en un appel à une science générale de l’humain, qui ne s’opposerait nullement aux démarches et aux acquis des grandes disciplines ayant émergé depuis la fin du XIXe (histoire, sociologie, linguistique, psychologie, sciences de l’éducation), mais qui viserait à mettre en évidence et à conceptualiser toutes les formes d’interaction et d’interdépendance existant entre les objets et les règles de fonctionnement mis en évidence dans chaque discipline particulière. Et la nécessité de cette science faîtière et transversale tient à ce que les capacités spécifiquement humaines sont essentiellement des produits des interactions entre dimensions biologiques, psychologiques, sociologiques et langagières des conduites; cette nécessité découle en d’autres termes de la conviction selon laquelle ce sont ces interactions, et non les dimensions particulières en elles-mêmes, qui sont constitutives de l’humain. Les recherches relatées par Ruan, Wallian & Poggi (pp. 317-336), ainsi que par Poggi & Brière-Guenoun (pp. 337-370) nous paraissent en phase avec ce premier principe, la seconde étude proposant une remarquable progression allant d’analyses des données relevant respectivement de la didactique et de la sociologie, à une synthèse interprétative portant sur des propriétés transcendant les deux champs.

Le deuxième principe, particulièrement mis en évidence dans l’ouvrage fondamental de Vygotski (1934/1997), est que les unités d’analyse du domaine spécifiquement humain sont toujours signifiantes, qu’il s’agisse des actions, des interactions ou des notions/concepts, et ce quel que soit le type de support de ces manifestations de la sémiose. Il découle alors de ce principe que l’émergence du langage et l’histoire sociale sont les deux facteurs déterminants de la constitution et du développement des capacités psychologiques individuelles d’une part, des mondes collectifs d’œuvres et de culture (au sens de Dilthey, 1883/1992) d’autre part.

Le troisième principe est d’attribuer un caractère nodal aux faits d’éducation/formation, ce qui revient à attribuer une position centrale aux disciplines scientifiques s’adressant à ces mêmes faits. S’il a été d’abord – et continue d’être – adossé à un engagement sociopolitique requérant que la visée majeure des sciences humaines soit le progrès et l’utilité sociale, ce statut privilégié accordé aux sciences de l’éducation tient aussi à ce que les contenus et dispositifs de formation sont sans ← 7 | 8 → doute les révélateurs les plus “authentiques” (ou les plus “concrets”) des représentations qu’une société se fait de son avenir, et partant, d’elle-même; il tient également, comme les contributions à cet ouvrage le confirment puissamment, à ce que le champ éducatif est de fait le lieu privilégié des interactions constitutives évoquées plus haut, ou encore le champ dans lequel les approches fractionnées des disciplines classiques se révèlent quasi toujours inopérantes.

S’agissant de la centralité du langage, les contributeurs du présent ouvrage ne se bornent pas, comme c’est parfois le cas, à la “déclarer” simplement, mais font deux pas supplémentaires, à nos yeux indispensables; le premier est d’engager une réflexion sur le statut même du langagier et d’adopter à ce propos une position claire et ferme; le second, déjà évoqué, est de se doter des moyens techniques permettant une analyse des propriétés et des régularités des corpus d’énoncés constitués dans les recherches.

En partie explicitée dans la contribution de Wallian, Poggi & Chauvin (pp. 12-28), la conception du langage qui sous-tend de fait les recherches présentées notamment par Chauvin, Madini & Wallian (pp. 29-66), par Gal-Petitfaux, Cizeron, Auriac-Slusarczyk & Marlot (pp. 153-178), par Zerai & Gréhaigne (pp. 179-202) ainsi que par Chang & Gréhaigne (pp. 225-256), peut être qualifiée de praxéologique, dynamique et sociale, dans l’ordre qu’on voudra. Elle est praxéologique dans la mesure où tous les corpus analysés sont saisis dans leur dimension de pratiques verbales articulées à des contextes communicatifs spécifiques, ou encore en tant qu’exemplaires de genres textuels adaptés aux contextes formatifs analysés. Et même si cette notion de genre (textuel!) n’est explicitement développée que par Chang & Gréhaigne (cf. p. 235) qui, s’appuyant sur le modèle de l’interactionnisme socio-discursif (ISD), posent que la situation de débat d’idées (SDI) constitue un genre spécifique, la plupart des recherches présentées portent sur des corpus relevant d’un genre déterminé, à savoir notamment la “conversation formative”, l’entretien de recherche et l’auto-confrontation.

La conception du langage adoptée dans l’ouvrage est dynamique en ce qu’elle prend explicitement ses distances avec les approches structurales ou générativistes (centrées sur les seules propriétés formelles de la ← 8 | 9 → langue hors de son contexte d’utilisation), tout autant qu’avec les conceptions de l’interaction verbale issues du schéma de la communication (qui figent les rôles et les actes possibles des interactants). Cette mise en évidence de la dynamique langagière fait écho à l’analyse magistrale qu’avait développée Saussure dans un texte vraisemblablement rédigé en 1894 (cf. 2012), selon laquelle la dynamicité est l’une des propriétés fondamentales du langage humain, indissociable du caractère à la fois arbitraire et social des signes verbaux: dans la mesure où ils sont dans une relation d’indépendance totale eu égard aux entités mondaines ou idéelles auxquelles ils réfèrent (arbitraire), les signes des langues ne relèvent que des accords sociaux qui s’établissent et se renouvellent (ou se transforment) en permanence au cours des interactions concrètes; les signes sont dès lors en essence des entités dynamiques en ce qu’ils n’existent que pour être socialement transmis, et parce qu’ils sont socialement transmis.

Au plan méthodologique, les auteurs de la plupart des contributions ont, dans le traitement de leurs corpus verbaux, procédé à l’identification de phénomènes linguistiques relevant essentiellement de la distribution des voix et de la prise en charge énonciative, processus d’organisation textuelle qui sont révélateurs des positions vécues par les protagonistes des interactions formatives, que ces positions découlent de la distribution didactique des rôles ou de facteurs identitaires plus larges, d’ordre psychologique ou culturel, comme le montrent en particulier les recherches présentées par Couty & Mariani-Rousset (pp. 109-147) ainsi que par Bride, Loizon, Aoki & Wallian (pp. 203-284).

Les diverses formes de mobilisation du langage qui sont analysées dans cet ouvrage sont censées produire un certain degré de développement des formés, et cet effet potentiel est explicitement analysé dans les recherches de Chang & Gréhaigne (pp. 225-256) s’agissant de sportifs en apprentissage, et de Clerx, Carlier & Deltand s’agissant d’éducateurs physiques (et de musiciens) en formation initiale (pp. 289-316).

En ce domaine, comme l’un de nous l’a soutenu récemment (cf. Bronckart, 2013), il convient de distinguer deux acceptions radicalement différentes de ce que l’on qualifie de développement humain. La première, qui peut être qualifiée de développement naturel, désigne la con ← 9 | 10 → tinuité caractérisant l’évolution de tout organisme vivant, qui relève d’un processus biologique se présentant comme l’actualisation d’un programme de type embryologique. La seconde acception a trait à la rupture humaine consécutive à l’intériorisation des signes et de leurs valeurs signifiantes; rupture qui est à l’origine d’un développement que l’on peut qualifier de sociohistorique et qui se présente sous la forme de constructions psychiques dynamiques et signifiantes, susceptibles de donner lieu à de permanentes généralisations.

Même si les situations didactiques analysées concernent la formation à des capacités largement physiques, les formes de développement qui sont postulées ou observées relèvent manifestement de l’ordre sociohistorique, et la question qui se pose à ce niveau est celle des critères permettant d’attester qu’il y a eu, chez les formés, des changements ou progrès justifiant l’appellation de développement. Des éléments de réponse à cette question ont émergé des résultats d’un programme de recherche (cf. Bronckart & Groupe LAF, 2004), dans le cadre duquel des travailleurs avaient à commenter un épisode de leur activité professionnelle. L’analyse de ces entretiens a notamment montré que les interviewés re-saisissaient leur activité selon des modalités différentes (à la fois au plan des thèmes évoqués et à celui des formes discursives mobilisées pour ces évocations), modalités qui ont été analysées et conceptualisées par l’une de nous (cf. Bulea, 2007; 2009) en termes de figures d’action. Ces figures se présentent comme des reformulations des diverses conceptions qui coexistent chez les professionnels, concernant la signification de leur métier et les conditions de sa réalisation; elles traduisent en d’autres termes les différentes “lectures” du métier qui sont en débat dans une profession donnée. L’analyse de ces entretiens a également montré que si certains travailleurs ne pouvaient construire qu’une part des figures d’action, d’autres les ont successivement construites toutes, ce qui a donc débouché chez eux sur la prise de conscience des différentes positions en présence dans le débat social concernant leur profession (cf. Bronckart, 2008; Bulea & Bronckart, 2008). C’est ce type de prise de conscience qui nous parait constituer la condition nécessaire au déclenchement d’une phase de développement sociohistorique, en l’occurrence d’un processus de restructuration positive des représentations d’une personne se traduisant par l’attribution de nouvelles signifi ← 10 | 11 → cations à ses actes propres et au travail dont ils relèvent; processus dont la contribution de Lemonie & Montandon (pp. 257-288) fournit quelques exemples précis.

Pour clore sur une note de critique constructive, on mentionnera qu’un quatrième principe de l’interactionnisme social convoqué au début de cette préface est que toute démarche en sciences humaines doit s’adosser à un cadre de référence épistémologique ferme et exigeant, celui choisi par les fondateurs du mouvement émanant des œuvres de Spinoza (1667/1954), Hegel (1807/1947) et Marx & Engels (1846/1968).

Si, comme nous l’avons relevé, une large part des travaux présentés en cet ouvrage s’inscrivent – au moins implicitement – dans ce paradigme, on relève aussi des occurrences d’associations de cadres théoriques qui nous paraissent problématiques; à titre d’exemple, les fondements épistémologiques de la phénoménologie (dans la version qu’en propose Vermersch – cf. la contribution de Lemonie et Montandon) sont radicalement incompatibles avec ceux de l’interactionnisme vygotskien, ou encore le paradigme de l’enaction ne nous paraît guère associable à l’interactionnisme socio-discursif, comme le proposent de fait Chang & Gréhaigne.

A cela s’ajoute encore le problème – redoutable en soi – du type de référence adoptée dans le domaine sémiologique; nous adhérons pour notre part à la sémiologie proprement saussurienne qui pose une distinction nette entre le système langagier et les autres systèmes, et sur la base de laquelle il n’est guère approprié de considérer, à l’instar de Ricœur pourtant, que l’action équivaut à un texte, ou encore que la photographie pourrait constituer «un genre discursif particulier» comme le soutiennent Paglianti, Ayachi & Wallian (cf. pp. 67-110).

Mais il s’agit là de questions qui demeurent complexes et largement ouvertes, et c’est un apport supplémentaire de ce stimulant ouvrage que de les avoir réalimentées. ← 11 | 12 →

Bibliographie

Résumé des informations

Pages
VI, 368
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035199635
ISBN (PDF)
9783035202397
ISBN (MOBI)
9783035199628
ISBN (Broché)
9783034311366
DOI
10.3726/978-3-0352-0239-7
Langue
français
Date de parution
2014 (Février)
Mots clés
Norme Production langagière Sens Sémiotique Pratique éducative
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 368 p.

Notes biographiques

Nathalie Wallian (Éditeur de volume) Marie-Paule Poggi-Combaz (Éditeur de volume) Andrée Chauvin-Vileno (Éditeur de volume)

Nathalie Wallian est Professeure des Universités en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives à l’université de Franche Comté, Besancon. Elle s’intéresse à l’analyse des interactions langagières en didactique et dirige l’équipe « Didactiques » (EA 4661). Marie-Paule Poggi est Habilitée à Diriger des Recherches en sociologie de l’éducation à l’université des Antilles et de la Guyane, Pointe-à-Pitre (CRREF, EA 4538). Elle travaille sur la construction des inégalités dans l’accès aux savoirs en éducation physique et dirige la revue électronique eJrieps. Andrée Chauvin-Vileno est Professeure des Universités en Sciences du langage à l’université de Franche Comté, Besancon (UR ELLIADD-LLC). Elle s’intéresse à la sémiotique des discours et dirige la revue Semen.

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