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Paradoxes du plurilinguisme littéraire 1900

Réflexions théoriques et études de cas

de Britta Benert (Éditeur de volume)
©2015 Collections 273 Pages

Résumé

L’ouvrage s’inscrit dans un champ de recherches en pleine expansion depuis le nouveau millénaire, le plurilinguisme littéraire, et qui a pour originalité d’historiciser le propos en explorant une période charnière, la fin du XIXe siècle.
Aucun ouvrage existant n’est vraiment centré sur ce tournant du siècle, moment où la doxa de pureté de la langue et les esprits nationalistes tendent à promouvoir, voire à imposer l’idéal du monolinguisme et où, parallèlement, persiste à travers l’Europe et le monde un nombre important de situations et d’expérimentations diverses à contre-courant du monolinguisme puriste.
Fruit d’un colloque qui s’est tenu dans le cadre du XXe Congrès de l’Association Internationale de Littérature Comparée à l’Université de la Sorbonne, à l’été 2013, les 14 contributeurs du présent volume interrogent cette situation paradoxale à partir de textes littéraires et de leurs auteurs, et contribuent à éclairer les différentes strates du plurilinguisme littéraire 1900 en leur complexe et souvent ambivalent enchevêtrement politique, éthique et esthétique – dont les problématiques ne sont pas sans rappeler les paradoxes du monde actuel dans un contexte où mondialisation et repli identitaire coexistent souvent.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Table des matières
  • Introduction Paradoxes du plurilinguisme littéraire 1900. Réflexions théoriques et études de cas
  • Première partie. Pour une (nouvelle) histoire littéraire: Le plurilinguisme 1900 dans différentes aires culturelles
  • Hétéroglossie intralingue et interlingue dans le symbolisme français
  • Les poètes symbolistes russes au creuset du plurilinguisme
  • Le paradoxe Stefan George, poète cosmopolite plurilingue et prophète de la renaissance nationale allemande
  • Le « plurilinguisme occulté » dans l’oeuvre de Georges Rodenbach, écrivain flamand francophone du XIXe siècle
  • Notes on American Literary Multilingualism around 1900
  • Deuxième partie. Le plurilinguisme d’auteurs et la question de l’identité
  • Le moment biculturel de la littérature française
  • Mehrsprachigkeit, Mischsprachigkeit et tensions identitaires dans le polysystème littéraire victorien en fin de siècle. Les cas de Salomé d’Oscar Wilde et de Children of the Ghetto, A Study of a Peculiar People d’Israel Zangwill
  • Lou Andreas-Salomé et ses langues: paradoxes du cosmopolitisme 1900
  • Case Studies of Literary Multilingualism. Expressing Alterity in a Self-Referential Recourse to the Motif of the Double
  • Troisième partie. Le plurilinguisme littéraire 1900 et ses connexions théoriques et disciplinaires
  • The Who-Wolves and their Lalula: Aspects of the Interrelation between Maccaronism and Nonsense around 1900
  • Pan-américanisme amérindien et plurilinguisme dans l’Opéra au Brésil autour de 1900
  • The Subversive Politics of Multilingualism in the First International Journal of Comparative Literary Studies
  • La réception de Lafcadio Hearn par ses contemporains parisiens. Essai sur le japonisme littéraire à la Belle Époque
  • Not the Power to Judge: Conrad on “First Languages”
  • Les contributeurs
  • Titres de la collection

← 10 | 11 → Introduction
Paradoxes du plurilinguisme littéraire 1900

Réflexions théoriques et études de cas

Britta BENERT

1.Le plurilinguisme, un champ vertigineux et diffus

La thématique du plurilinguisme (littéraire) présente un caractère fuyant et volatil et les tentatives de la définir, ou du moins, de la circonscrire, se heurtent constamment à la complexité du domaine : « Une première constante du plurilinguisme littéraire serait son inconstance, quelque paradoxal que cela puisse paraître » (Grutman, 1995 : 64). Un sentiment de vertige, foncièrement moderne, n’est jamais très loin, et c’est par celui-ci que d’emblée je voudrais évoquer la dimension affective et identitaire de l’accueil réservé au plurilinguisme par la critique, depuis que cette dernière l’a découvert comme phénomène au courant du XIXe siècle.

Lié à cette difficulté définitionnelle est ce que Georg Kremnitz et Monika Schmitz-Emans ont souligné et qui est peut-être encore davantage valable de nos jours (Kremnitz, 2004 : 10 ; Schmitz-Emans, 2004 : 21) : la thématique du plurilinguisme est diffuse, trait distinctif qu’il convient de comprendre de deux façons. D’une part, j’entends diffusion dans le sens où la thématique relève de champs aussi divers que la linguistique, la sociolinguistique, les sciences politiques, la philosophie, la psychologie, la psycholinguistique, la didactique,… ce qui explique la grande diversité des approches et les multiples perspectives. D’autre part, le caractère diffus renvoie à l’extraordinaire prolixité de la recherche actuelle dans le domaine du plurilinguisme : depuis le nouveau millénaire, on peut en effet observer un engouement toujours croissant. Le nombre important de colloques, journées d’études et publications sur ce thème témoigne de cette profusion en lien évident avec le contexte de mondialisation et les questionnements notamment identitaires qu’il soulève, comme le souligne Skulj (2002).

Si certaines de ces manifestations peuvent sembler assez éloignées des préoccupations littéraires, tout simplement parce que le texte littéraire en est absent, c’est pourtant la diffusion même du plurilinguisme qui rend celui-ci si pertinent comme objet d’étude de la littérature comparée et qui explique, parallèlement, l’importance que l’étude du plurilinguisme littéraire a ← 11 | 12 → prise en son sein. Celle-ci s’est développée, en effet, en tant que branche de recherche autonome : au croisement d’une multitude de disciplines, la réflexion autour du plurilinguisme littéraire ne peut guère se passer de la transdisciplinarité, elle doit être transdisciplinaire si elle veut faire sens – pour, par ce fait, rejoindre l’une des clés méthodologiques de la littérature comparée, discipline de « carrefour », « perceuse de frontières » (également disciplinaires)1. Aussi, bien que cela puisse paraître banal dans le cadre comparatiste qu’offre la présente collection, il importe de souligner ces premiers points qui réunissent les présentes contributions (fruits d’un atelier presque éponyme tenu lors du XXe Congrès de l’AILC à Paris, en été 2013) : les auteurs dans leur ensemble partent de textes littéraires et/ou de leurs auteurs pour analyser les différentes facettes du plurilinguisme à une période donnée, et pour ce faire, autre point de convergence, s’inspirent tous d’autres domaines de connaissance. C’est donc bien le plurilinguisme littéraire qui sera au centre du présent ouvrage, abordé dans ses diverses ramifications disciplinaires.

C’est Daniel-Henri Pageaux qui, tournant l’expression en bon mot a qualifié la littérature comparée de discipline de « carrefour », rappelant qu’un carrefour est aussi un lieu dangereux où le risque de se faire écraser est une réalité. Consciente du péril et persuadée de son bien-fondé méthodologique, je voudrais insister un instant encore sur la Babel en littérature comme très vaste et très vertigineux champ, et donc sur le caractère diffus du sujet, et m’engager dans ce qui s’apparente à un détour qui passe par les marques commerciales d’une enseigne discount de la grande distribution allemande

goody cao/extra schokoladig ; Master Crumble/Knusper-Müsli ; Golden Sun/ /Premium Langkorn Reis ; Maribel/Waldfrucht ; Combino/Original italienische Fussilli ; Crusty Croc/Teddy’s Hit ; GRANAROM/entkoffeiniert ; Harvin/Apfelmus ; Vitakrone ; Vitafit, Milbona ; Yogasan ; Gelatelli […]

Je citerai, encore, coquette/Tomatensuppe. Ce produit, combinant le français et l’allemand, est un autre exemple plurilingue qui permet de supposer que les spécialistes marketing, dans leur quête de noms valorisants pour leurs marques maison, peuvent produire un effet comique probablement involontaire… Mais que déduire plus précisément de cette petite liste de courses sinon que le plurilinguisme peut poursuivre le chercheur ← 12 | 13 → jusque dans les rayons d’un supermarché ? Si elle est le témoin incontestable de l’expansion du plurilinguisme que nous évoquions – on peut imaginer qu’elle constitue une véritable manne pour le champ de recherches émergeant des « linguistic landscapes ». Ce qu’il convient de noter, et qui me semble justifier ce détour, c’est le fait que la grande surface et ses marques plurilingues permettent d’en venir à des préoccupations plus littéraires. À ce titre, la belle dimension argotique inhérente à la dénomination bilingue coquette/Tomatensuppe a en effet pu nous mettre sur la voie, tout comme, bien sûr, le recours artistique à la publicité renvoie aux mouvements avant-gardistes mais aussi à la critique littéraire, si l’on pense à Leo Spitzer, pionnier dans notre domaine, qui avait appliqué à la langue publicitaire américaine la technique de l’explication stylistique (cf. Starobinski, 1970 : 10). Je retiendrai ici deux éléments qui me serviront à penser certaines des problématiques du plurilinguisme littéraire.

Premièrement, il est clair que l’enseigne recourt à l’hybridité linguistique – on reviendra sur la terminologie de notre domaine plus loin – parce qu’elle présuppose que ce plurilinguisme véhicule des connotations positives, propices au désir d’achat. La stratégie commerciale déployée se fonde donc sur des représentations linguistiques supposées communes, ou du moins majoritaires, parmi la clientèle. Or, ce qui est sous-jacent ici, l’idée selon laquelle telle langue se prêterait davantage à telle ou telle circonstance, est directement transposable au fait littéraire :

Zum Singen ist die italienische Sprache, / etwas zu sagen : die deutsche, / darzustellen : die griechische, / zu reden : die lateinische, / zu schwatzen : die französische / für Verliebte : die spanische / und für Grobiane : die englische

Avec ces célèbres vers, Grillparzer revisite l’idée de la langue comme outil ou encore sa conception générique nous rappelant en cela les exigences de l’aptum de la rhétorique classique, ce « plurilinguisme par genres littéraires » (Elwert, 1960 : 410) qui est l’une de ses principales raisons d’être jusqu’à la fin des poétiques régulatrices au XVIIIe siècle. On voit cette conception faire ici son apparition dans le langage publicitaire, instrumentalisant la langue dans un but que nous stipulons comme purement commercial dans le cadre du supermarché en question, c’est-à-dire sans intention artistique, raison pour laquelle ces noms plurilingues et/ou aux langues inventées s’opposent radicalement aux exemples plurilingues des (premières) affiches publicitaires des futuristes ou simultanéistes mentionnées à l’instant2.

Le point de vue poétologique permet d’entrevoir que le plurilinguisme littéraire connaît des modifications majeures dans l’histoire. Venons-en ← 13 | 14 → au deuxième élément plus littéraire que m’inspirent les produits de cette grande chaîne de discount que certains auront reconnus : le fait que la Mischsprachigkeit de notre supermarché (goody cao/Kakao, coquette/Tomatensuppe, etc.) censée servir la (seule) cause commerciale, n’empêche pas la présence de tel produit au nom composé, en cela bien allemand (aucune occurrence plurilingue sur l’emballage du fromage blanc sur fruits en question) : Obstgarten. Obstgärten/vergers. Voilà que surgit le cas de Rainer Maria Rilke qui, rappelons-nous, aimait souligner combien il préférait les sonorités du mot français, et qui nous transporte du plurilinguisme contemporain des supermarchés discount et de ses produits vers le cœur de notre thématique, le plurilinguisme littéraire :

Vergers I

Peut-être que si j’ai osé t’écrire,

langue prêtée, c’était pour employer

ce nom rustique dont l’unique empire

me tourmentait depuis toujours : Verger.

Le choix linguistique du poète, différent donc, s’opère en faveur du mot autre/étranger3, soulignant encore l’écart entre le monde rilkéen et celui du discount alimentaire. Et pourtant, dans les deux cas, il est question du rapport entre les hommes et les langues. Les choix linguistiques du LIDL n’incarnent-ils pas cette « nouvelle doxa de la polyphonie généralisée, du brassage universel des langues, de la valorisation inconditionnelle » dénoncée déjà par Todorov dans les années 1980 (Todorov, 1985 : 13), qui, sous couvert d’ouverture à autrui défendrait en réalité une vision du monde des plus agressives où l’homme est réduit à entretenir la seule loi marchande ? Et Rilke ? Auteur plurilingue qui se situe entre les langues, il n’en a pas moins parallèlement pesté contre la « dumme österreichische Mehrsprachigkeit » (Michaud, 2002 : 202).

Ce qui rend si complexe, si diffuse, voire paradoxale, l’étude du plurilinguisme littéraire depuis l’entrée dans l’ère moderne, c’est que s’y trouvent entremêlées de multiples strates : des strates économiques, affectives, politiques, esthétiques qui se trouvent désormais souvent couplées à des questionnements identitaires de l’auteur. C’est cet enchevêtrement, complexifié par la place nouvelle qu’acquiert, avec la modernité, la dimension identitaire que rappelle le nom de Rilke. Ce dernier nous permet d’ailleurs d’inscrire le présent ouvrage dans un cadre chronologique et de retenir une perspective centrée principalement sur les littératures européennes.

← 14 | 15 → 2.Focale sur la Belle Époque

C’est en effet autour de Rilke que Leonard Forster a bâti le chapitre qu’il a consacré à la période qui nous intéresse. Gerald Bär prendra ici le relais pour réfléchir au poète et à son lien avec le motif du double : difficile en effet d’envisager un volume consacré au plurilinguisme littéraire 1900 sans la référence rilkéenne. Il m’importe ici de dire ma dette envers l’ouvrage de Forster. Impossible de suffisamment insister sur l’importance et le mérite du travail de Forster, ni de souligner assez le caractère absolument pionnier que revêt pour notre domaine The Poet’s Tongues paru en 1970. Référence incontournable, l’ouvrage vient enfin d’être réédité (Presses universitaires de Cambridge, 2009). Forster est en effet longtemps resté le seul à penser le plurilinguisme littéraire dans une perspective générale, en proposant une entrée globale à travers l’histoire. Tout en mettant en évidence la continuité du phénomène à travers les siècles, l’ouvrage de Forster est parmi les premiers à envisager le plurilinguisme selon ses deux expressions majeures, qu’il appartiendra à Alfons Knauth de saisir dans leur pertinence pour l’histoire littéraire du plurilinguisme, celle du plurilinguisme intratextuel, soit le mélange des langues à l’intérieur d’un seul texte (Mischsprachigkeit), et celle du plurilinguisme intertextuel, focalisant sur le changement de langues qu’opèrent les auteurs d’un texte à l’autre (Knauth, 2004b : 270). Il s’agit là d’un important élargissement de la réflexion sur le plurilinguisme littéraire, après que la critique littéraire se soit surtout intéressée aux phénomènes plurilingues au sein d’un seul texte (Genthe, 1829 ; Spitzer, 1923 ; Bakhtine, 19784 ; Elwert, 1960).

En ce qui concerne le tournant du siècle, des études majeures ont été publiées (outre les divers travaux des auteurs ayant participé au présent volume, on citera ceux de Bier, 1989 ; 1995 ; de Block de Behar, 2004 et de Michaud, 2002). Mais à ce jour, aucun ouvrage consacré exclusivement au dernier quart du XIXe siècle, jusqu’à la percée des littératures d’avant-garde, n’a paru. Apollinaire est certainement le plus représentatif de ces dernières, affirmativement plurilingues (cf. Knauth, 1999 ; 2004a ; 2004b ; Bruera et Meazzi, 2011). Aussi, l’un de nos objectifs est tout simplement (et sans évidemment prétendre à l’exhaustivité) de rassembler ← 15 | 16 → des études d’une même période qu’il s’agira d’aborder dans sa remarquable richesse à l’endroit de l’expression littéraire du plurilinguisme.

C’est un peu comme si l’intitulé de l’ouvrage de Forster – The Poet’s Tongues – avait déjà porté en germe la nouvelle priorité qui n’a cessé de s’affirmer au sein de la réflexion critique sur le plurilinguisme littéraire : l’intérêt porté aux auteurs plurilingues, et dont l’ampleur pourrait se lire, par exemple, à travers le Dictionnaire des écrivains migrants de langue française (Mathis-Moser et Mertz-Baumgartner, 2012). Dans cet ouvrage consacré à la seule période 1981-2011, parmi les presque 300 entrées qu’il contient, bon nombre d’auteurs sont – ou seraient susceptibles d’être – envisagés sous le prisme du plurilinguisme. On en déduira, au sujet de la bibliographie sur le plurilinguisme (littéraire), sa double caractéristique en ce qu’elle est à la fois restrictive (peu d’approches globales du phénomène) et foisonnante, si l’on considère le nombre croissant de travaux qui s’intéressent au plurilinguisme d’auteurs contemporains – la focale portée ici sur leurs aînés doit être comprise comme une potentielle interrogation de l’héritage de ces premiers plurilingues modernes.

Privilégier une perspective française, comme c’est le cas dans ce qui précède, permet de souligner les liens étroits entre plurilinguisme littéraire et politiques linguistiques. À cet égard, il est à noter que l’ouvrage de Leonard Forster reste à ce jour inaccessible aux « impatriés » monolingues français (Huston, 1999 : 19) : il n’existe pas de traduction française. Grande est la tentation de lire dans ce rendez-vous manqué l’indice de la difficulté qu’éprouve un pays foncièrement ancré dans le monolinguisme à accueillir et donc à penser le plurilinguisme (Kristeva (1988), 2007 : 58). Cette absence de traduction semblerait ainsi consolider la thèse selon laquelle l’affirmation du monolinguisme fonde l’identité nationale des Français, de telle sorte que les situations plurilingues les plus évidentes s’éclipsent d’elles-mêmes, et/ou sont passées sous silence, ou encore sont présentées comme un phénomène hors-norme. Rainier Grutman a en ce dernier sens interprété pour le déplorer, le fait que la critique (française) se soit concentrée sur quelques grands noms du plurilinguisme d’auteur (Beckett, Borges, Pessoa), laissant entendre que l’écriture en plusieurs langues serait une pratique absolument singulière, exceptionnelle et tout compte fait seulement réservée à quelques grands génies, alors que l’histoire littéraire du plurilinguisme montrerait le contraire : le plurilinguisme littéraire comme règle plutôt que comme exception (Grutman, 1995 : 53 ; 2007 : 35).

Aussi, dans le domaine du plurilinguisme, le rapport qui lie les maîtres-penseurs (Derrida au premier plan) à la France est-il ambivalent. De même, le point commun entre les travaux publiés en langue française dans le domaine du plurilinguisme littéraire, c’est qu’ils proviennent ← 16 | 17 → de l’extérieur, de la périphérie. C’est le cas de ceux qui sont consacrés au monde postcolonial; c’est le cas également de ceux issus de la littérature comparée5, discipline qui continue à lutter pour une (re) valorisation de la place souvent minorée qu’elle occupe dans les cursus nationaux d’études littéraires. En France, le plurilinguisme littéraire reste une thématique traitée à la marge, elle ne correspond guère au canon officiel6. Sous-jacente à cette esquisse de la réception française du plurilinguisme littéraire, réside l’idée d’un lien très étroit entre les processus historiques (et donc aussi politiques) et les processus spécifiquement littéraires.

L’aspect qui nous ramène à Leonard Forster et à son analyse du plurilinguisme littéraire à la fin du XIXe siècle est politique et/ou affectif. Car c’est cet aspect qui selon le germaniste, déterminerait désormais le choix linguistique des auteurs. Sa présentation tend clairement à comprendre la période qui nous intéresse comme période charnière dans l’histoire de la perception du plurilinguisme littéraire. En ce sens, la confrontation qui suit est cruciale :

In 1784 William Beckford wrote his oriental fantasy Vathek in French. No one thought that there was anything odd in an English merchant turned country gentleman writing a novel in French, least of all anything disgraceful […]. In 1894 Oscar Wilde wrote Salomé in French; this was thought to be a scandal. Language loyality had supervened. (Forster (1970) 2009 : 54)7

Le mouvement décrit va de l’indifférence au « scandale », scandalon, mouvement qui renvoie à une transformation fondamentale dans la perception du plurilinguisme, et conséquemment, à un véritable renversement des attitudes dans l’appréciation de l’individu polyglotte : désormais, celui qui n’écrit pas dans sa langue se situe hors-norme et va à l’encontre de l’ordre établi. Le plurilinguisme (des auteurs), auparavant non-événement (Beckford écrivant en français ; la diglossie langue(s) vernaculaire(s)/langue latine banale durant des siècles), s’est muée soit ← 17 | 18 → en phénomène suspect et repoussant dans le cas de Wilde, soit en phénomène attirant dans d’autres cas – ce même type d’accueil positif du plurilinguisme, qu’un Joseph Conrad, par exemple, rejetait (dans un humour très british) : « I have always felt myself looked upon somewhat in the light of a phenomenon, a position which outside the circus world cannot be regarded as desirable » (Conrad (1919), 2005 : V).

Résumé des informations

Pages
273
Année
2015
ISBN (PDF)
9783035265415
ISBN (ePUB)
9783035298499
ISBN (MOBI)
9783035298482
ISBN (Broché)
9782875742674
DOI
10.3726/978-3-0352-6541-5
Langue
français
Date de parution
2015 (Juillet)
Mots clés
bilinguisme des auteurs, hétéroglossie diglossie maccaronisme cosmopolitisme relation entre littérature et politiques linguistiques, l'hybridité textuelle idéologie du monolinguisme
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 275 p., 1 graph., 2 tabl.

Notes biographiques

Britta Benert (Éditeur de volume)

Brit ta Benert est maître de conférences en langue et littérature allemandes, habilitée en littérature générale et comparée. Spécialiste des littératures européennes du XIXe siècle à aujourd’hui, elle s’intéresse au phénomène du plurilinguisme littéraire, ainsi qu’à la question de l’altérité linguistique dans l’apprentissage/l’enseignement des langues et à la littérature de jeunesse. Elle enseigne à l’Université de Strasbourg.

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