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Petites enfances, migrations et diversités

de Sylvie Rayna (Éditeur de volume) Gilles Brougère (Éditeur de volume)
©2013 Collections 192 Pages

Résumé

Cet ouvrage éclaire une pluralité de petites enfances, migrations et diversités, en questionnant l’accueil des enfants dans diverses cultures préscolaires (crèche parentale, école maternelle, Kindergarten, escuola infantil) et en croisant les regards et les voix d’enfants, de parents et de professionnelles de différents pays (Allemagne, Espagne, France, Italie, USA). Il interroge les politiques et pratiques mono-, bi- et multilingues, et les modalités de participation et diversités sociales, culturelles, ethniques, territoriales.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Gilles Brougère et Sylvie Rayna
  • Appartenance et attachement en milieu préscolaire multilingue et multiethnique
  • Nacira Guenif-Souilamas
  • École maternelle et ségrégations territoriales Étude comparée de trois écoles maternelles
  • Pascale Garnier
  • Parents turcs en Allemagne et en France Des visions contrastées face à deux systèmes préscolaire
  • Fikriye Kurban
  • Les politiques linguistiques concernant les langues minorisées dans la Kita Une relation de pouvoir
  • Nathalie Thomauske
  • Le préscolaire en Catalogne Pédagogie, immigration et bilinguisme
  • Marta Ana Vingut Riggall
  • Participer et communiquer L’expérience de deux enfants de parents migrants dans une crèche italienne
  • Mariacristina Picchio, Susanna Mayer et Paola Pettenatti
  • Participation parentale, pratiques partagées et diversité
  • Gilles Brougère et Alexandra Moreau
  • La vie quotidienne à l’école maternelle Qu’en disent les enfants (de) migrants et les autres ?
  • Sylvie Rayna

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Introduction

Sylvie Rayna et Gilles Brougère

Origines de l’ouvrage : une approche plurielle

Cet ouvrage prolonge une réflexion entreprise au cours de deux publications précédentes, dans une collaboration internationale, pour repenser l’éducation des jeunes enfants (Brougère & Vandenbroeck, 2007) et les relations entre parents et professionnelles de la petite enfance (Brougère, 2010), à la recherche de nouveaux paradigmes.

Le projet est ici plus particulièrement de croiser, dans leur dimension plurielle, petite enfance, migration et « diversité ». Il s’enracine dans deux études du Programme de Recherche Transversal Petite enfance du centre de recherche Experice (Université Paris13) : d’une part, la recherche internationale Children Crosssing Borders, pilotée par Joseph Tobin1, sur l’accueil des enfants (de) migrants dans le préscolaire, et d’autre part l’étude, sollicitée par l’Accep2 (association impliquée dans les travaux du réseau européen Decet3 concernant la diversité en éducation et formation) sur les liens entre pédagogie, participation parentale et interculturalité à la crèche.

Children Crossing Borders (CCB) a réuni des chercheurs de cinq pays (Allemagne, Angleterre, Etats-Unis, France, Italie)4 pour travailler ensemble la question de l’accueil des enfants (de) migrants à l’école maternelle et dans ses équivalents (Kindergarten allemand, scuola dell infanzia italienne, nursery school anglaise, et preschool américaine). Caractérisée par une méthodologie originale (video-cued multivocal ethnography)5 qui supposait la réalisation de films de 20 minutes dans chaque pays et l’utilisation de ces films pour stimuler la parole au sein de ← 9 | 10 → focus groups d’enseignant-e-s ou de parents, cette recherche a donné lieu à un ensemble de publications dans les cinq pays concernés6 ainsi que des extensions et des répliques, dont les premiers résultats ont été présentés en 2011, lors d’une journée d’étude du Programme de Recherche Transversal Petite enfance. L’objectif de cette journée était de mettre en dialogue l’approche de CCB avec celles des travaux réalisés par d’autres chercheurs sur l’école maternelle.

C’est à la suite de cette journée d’étude qu’est né le projet du présent ouvrage, avec l’idée d’enrichir le propos par des études d’une part portant sur la crèche : parlant de petite enfance, il se devait d’inclure les enfants de moins de trois ans, leurs parents et les professionnel-le-s de cette institution, et d’autre part incluant la voix des enfants : la perspective paradigmatique adoptée plaçant en son centre la valeur et la notion de participation, le point de vue de ces acteurs de toute première ligne s’imposait.

Tous ces travaux, et d’autres auparavant (Brougère & Rayna, 1999 ; Rayna & Brougère, 2000, 2005, 2010), nous ont conduit à penser la pluralité des expériences des jeunes enfants dans leurs différents contextes de vie comme des expériences migratoires des familles de certains d’entre eux, sans parler des diversités. Petites enfances, migrations et diversités, qui propose donc quelques prolongements de CCB et enrichit le questionnement à d’autres institutions de la petite enfance et aux diversités en général, se décline sous le signe de cette pluralité, également présente dans l’approche plurielle des conceptualisations mobilisées par les auteurs de ce livre. Avec, tout particulièrement les conceptualisations de la participation et de la construction de communauté de pratique, en référence à Stephen Billett, Jean Lave, Barbara Rogoff ou Etienne Wenger, mais aussi des diversités, avec Michel Vandenbroeck, de l’hospitalité, avec Jacques Derrida et Emmanuel Lévinas, du care, avec Joan Tronto, des critical whiteness studies, et d’autres encore. Cette pluralité des voix sous-tend les analyses présentées au fil des contributions à ce livre, avec un dénominateur commun : la stimulation et l’analyse des voix, « subalternes » (Spivak, 1988), des professionnelles de la petite enfance, des parents (notamment migrants) et des jeunes enfants.

En ce qui concerne l’approche CCB, elle vient de faire l’objet d’une publication concernant la partie de la recherche américaine (Tobin, Arzubiaga & Adair, 2013). Étant donné l’importance de cette recherche dans la genèse du livre et le rôle joué par le terrain américain qui avec l’exemple anglais constituent les deux pays qui s’interrogent tout particulièrement sur prise en compte de la spécificité d’enfants (de) migrants, il nous a semblé qu’il était important de présenter quelques uns de ses résultats.

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CCB : les enseignements de la recherche américaine

Les États-Unis, pays d’immigration par excellence, ne peuvent qu’être concernés par la question de la diversité et de la migration en relation avec la petite enfance. N’oublions pas que les premiers développements importants de structures préscolaires inspirées du modèle fröbélien du Kindergarten (nom d’ailleurs conservé aujourd’hui pour les structures qui accueillent au sein des écoles primaires les enfants de six ans) du fait de l’importante population d’origine allemande, avaient pour objectif d’intégrer les enfants (de) migrants dans la société américaine (Beatty, 1997). Aujourd’hui un quart des enfants de moins de six ans a au moins un parent immigrant et parle à la maison une autre langue que l’anglais (Capps et al., 2005, cité par Tobin, Arzubiaga & Adair, 2013, p. 2).

En l’absence de véritables programmes pour faire le pont entre les mondes de la maison et de l’école, les parents nouveaux immigrants doivent se battre pour comprendre ce qui est attendu d’eux, le rôle qu’ils peuvent jouer le cas échéant au sein des structures préscolaires de leurs enfants, et comment ils peuvent exprimer leurs souhaits et leurs préoccupations. Ainsi on laisse aux enfants de trois ou quatre ans le soin d’être des passeurs de frontière – évoluant chaque jour entre les mondes culturels souvent discordants de la maison et de l’école (Tobin, Arzubiaga & Adair, 2013, p. 2, notre traduction)

Cette tension se retrouve dans la société américaine entre d’une part l’intégration, l’américanisation des jeunes enfants, et d’autre part la valorisation de la diversité et la volonté de maintenir l’héritage culturel de chacun. C’est également cette tension qui a pu se retrouver dans chacun des autres pays qui peut conduire à placer le balancier plutôt d’un côté ou à tenter une position d’équilibre. On retrouve cette question à travers les trois thématiques mises en avant à partir de l’analyse de données recueillies (les entretiens collectifs avec des parents et des enseignant(e)s à partir de films réalisés dans le pays et dans deux pays étrangers parmi les quatre autres de la recherche) : le curriculum ou les objectifs éducatifs, la question de la langue ou la place réciproque de la langue de l’école et de celle de la maison, et l’identité que chacun construit dans ce cadre. Ces différentes dimensions, même si elles peuvent trouver des échos dans les cinq pays, sont aussi liées au contexte culturel, celui de l’immigration et de sa signification au sein de la société comme celui de la préscolarisation.

Ainsi confrontés à un système préscolaire qui se veut spécifique par rapport au primaire, en particulier autour de l’idée d’une adaptation au développement de l’enfant avec des pratiques telles que le jeu qui traduisent cette volonté de suivre l’enfant, nombre de parents immigrés aux États-Unis, tout en reconnaissant la qualité de l’accueil et l’attention portée à leur enfant, souhaiteraient une pratique plus scolaire, plus ← 11 | 12 → orientée vers l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, plus conforme à l’idée qu’ils se font de l’enseignement, à ce qu’ils ont connu dans leur pays (ou à l’idée qu’ils s’en font) mais aussi considéré comme plus efficace pour préparer leurs enfants au primaire et à ses attentes. Il y a là un nœud difficile à délier tant les enseignant-e-s américain-e-s du préscolaire ont construit leur identité sur cette modalité pédagogique. L’école maternelle française, marquée par une pédagogie plus scolaire, plus centrée sur l’enseignant(e), ne se trouve pas dans la même situation et peut bénéficier d’une acceptation plus forte de la part des parents quant à son programme.

Nous suggérons que la préférence de nombre de parents immigrants pour plus de scolaire et d’acquisitions relatives à l’anglais est moins fondée sur une théorie de l’apprentissage que sur une vision pragmatique quant à la préparation de leur enfant au Kindergarten et aux risques d’être laissé pour compte. […] Par exemple dans un entretien collectif à Phœnix (Arizona), des parents mexicains nous ont dit qu’ils ne se sentaient pas capables de lire des livres en anglais à leurs enfants et qu’ils souhaitaient que le préscolaire compense leur incapacité à enseigner à leurs enfants à parler, lire et écrire dans une nouvelle langue. Estimant qu’il font un meilleur travail en matière d’éducation sociale et morale qu’ils ne peuvent le faire en matière de langue et de préparation scolaire, les parents immigrants attendent de l’école qu’elle fasse ce qu’ils ne peuvent faire eux-mêmes. (Tobin, Arzubiaga & Adair, 2013, p. 41, notre traduction)

Il en résulte un dialogue difficile entre parents et enseignant-e-s. En effet si ceux-ci considèrent comme respectables et négociables les croyances culturelles telles que celles relatives à la nourriture, la religion, le vêtement, leurs représentations en matière d’enseignement sont vues comme des erreurs à corriger (p. 53). D’autant plus que ce qui concerne la pédagogie renvoie au professionnalisme des enseignant-e-s qu’ils ou elles ne veulent, ne peuvent mettre en question. Il est à noter que les enseignant-e-s, souvent des assistant-e-s, ayant les mêmes origines, avec le zèle de nouveaux convertis (p. 56) mettent également en avant l’importance pour les parents d’accepter la supériorité de cette approche pédagogique sur celles dont ils peuvent se faire les défenseurs.

De façon corrélative, le rôle de l’école est perçu comme devant soutenir l’usage de la nouvelle langue et non participer à la préservation de la langue de la famille. De cela les parents disent que ce rôle leur revient et qu’il ne relève pas de l’école. Là encore on trouve du pragmatisme, mais aussi l’idée que ce que l’on voit chez d’autres, la perte par les enfants de la langue de leurs parents, ne peut arriver chez soi. Les mêmes parents capables de donner de nombreux exemples de cette perte pensent qu’elle ne les concernera pas, qu’ils sauront faire en sorte que leurs enfants maintiennent le lien avec la langue et la culture de leur famille :

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La perte de la langue parlée à la maison paraît comme un risque moins immédiat que celui de l’échec dans la maîtrise de la langue seconde dans le peu de temps qui les sépare de l’entrée à l’école primaire (Tobin, Arzubiaga & Adair, 2013, p. 7, notre traduction)

Il en résulte une demande faible de programmes bilingues mais un intérêt pour un personnel parlant leur langue, ce qui les assure que leur enfant pourra se faire comprendre mais qu’eux aussi trouveront des interlocuteurs capables de les entendre quelle que soit leur maîtrise de l’anglais.

Les parents immigrants rencontrés sont également pris dans une tension que les enfants doivent ressentir entre leur volonté que ceux-ci réussissent leur scolarité, d’une certaine façon s’intègrent à la société américaine en commençant par en maîtriser la langue et la culture scolaire, et leurs réserves par rapport à certaines dimensions de cette société face auxquelles ils peuvent estimer que les valeurs auxquelles ils adhérent sont supérieures. Cela peut concerner l’attente d’une différenciation entre filles et garçons dont ils n’apprécient pas toujours qu’ils soient, selon eux, traités de la même façon. Ils peuvent donner également de l’importance à l’éducation religieuse et au respect de l’autorité de l’adulte. Ils sont pris entre l’idéalisation de la société américaine et celle de leur pays d’origine, entre le deuil et la nostalgie de celui-ci. Ils vivent également racisme et préjugés et il n’est pas facile d’être un américain à trait d’union (mexican-american par exemple).

Ces résultats ainsi que ceux obtenus dans les quatre autres pays montrent la complexité de la situation des parents immigrants par rapport à leurs enfants dont ils souhaitent à la fois qu’ils héritent de leur culture, qu’ils s’inscrivent dans les pratiques culturelles de leur famille et en respecte les valeurs tout en réussissant dans le pays d’accueil, à commencer par en maîtriser la langue. L’un de nous se souvient encore de l’angoisse et des souhaits de cette mère originaire du Sénégal et participant à un entretien collectif en français, réalisé dans une structure préscolaire de Harlem à New York. Elle avait le sentiment que son enfant était déjà en retard, en train d’échouer et qu’on ne le lui disait pas pour la ménager. Cela ne l’empêchait pas d’avoir les plus grands espoirs pour un enfant qui, parlant Wolof à la maison, devait maîtriser l’anglais et le français (cette dernière langue indispensable pour rendre possible un retour au Sénégal). Elle appréciait le fait que la directrice parle français, trouvait l’école très accueillante mais regrettait comme d’autres le manque de scolaire, appréciant le film français tout en trouvant l’enseignante moins accueillante que celle de la structure préscolaire où se trouvaient ses enfants. Il nous semble que l’enjeu de ces familles, même si cela n’est pas dit ainsi, n’est pas de s’intégrer, ce qui est vécu comme une perte de ← 13 | 14 → leur origine, mais d’intégrer la culture du pays d’accueil et surtout de faire en sorte que leur enfant l’intègre. Ceci renvoie ici à la conception de la sensibilité interculturelle selon Milton Bennett (1993) pour lequel le plus haut niveau renvoie à la capacité d’intégrer une autre ou d’autres cultures à sa culture d’origine, ce qui permet de circuler dans les deux cultures sans pour autant en renier une. Cela peut être également énoncé comme le fait Barbara Rogoff (Rogoff et al., 2007) en termes de répertoire de pratiques. Il s’agirait non pas de renier un répertoire de pratiques, pratiques linguistiques, culturelles, quotidiennes, mais d’être capable de maîtriser d’autres répertoires et d’élargir ainsi ceux dont on dispose déjà.

Résumé des informations

Pages
192
Année
2013
ISBN (PDF)
9783035264401
ISBN (ePUB)
9783035295931
ISBN (MOBI)
9783035295924
ISBN (Broché)
9782875741646
DOI
10.3726/978-3-0352-6440-1
Langue
français
Date de parution
2014 (Juillet)
Mots clés
cultures préscolaires enfants parents pratiques politiques
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2013. 192 p., 1 ill., 2 tabl.

Notes biographiques

Sylvie Rayna (Éditeur de volume) Gilles Brougère (Éditeur de volume)

Sylvie Rayna, maître de conférences en sciences de l’éducation (IFE/ENS de Lyon-EXPERICE/Université Paris 13), a étudié le développement cogntif et les interactions entre enfants en crèche, mené des recherches pédagogiques et analysé la mise en œuvre de politiques de la petite enfance. Elle est impliquée dans des études en éducation (pré)scolaire comparée qui explorent de nouveaux paradigmes et méthodologies. Gilles Brougère, professeur en sciences de l’éducation (EXPERICE/Université Paris 13) et directeur de l’école doctorale Erasme a développé des travaux sur le jeu, l’éducation préscolaire comparée, le jouet, les apprentissages informels, la sociologie de l’enfance.

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