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Exils et mémoires de l’exil dans le monde ibérique – Exilios y memorias del exilio en el mundo ibérico

(XIIe-XXIe siècles) – (siglos XII-XXI)

de Michel Boeglin (Éditeur de volume)
©2014 Collections 291 Pages

Résumé

Ce volume porte sur la question de l’exil dans le monde hispanique, sur les mécanismes d’exclusion de l’espace public et d’effacement de la mémoire, du Moyen-Âge à nos jours. Un soin particulier a été porté à analyser les représentations et à étudier la reconstruction des mémoires individuelles et collectives à travers les productions culturelles liées au déplacement/déclassement des proscrits de l’histoire espagnole. La récupération de cette part de soi cachée, tue ou niée durant des décennies, dans la société de départ ou la terre d’accueil, à travers le témoignage, l’art, le documentaire ou l’écriture révèle un rapport à l’individu et au monde sans cesse renouvelé.
Este volumen analiza la cuestión del exilio en el mundo hispánico, los mecanismos de exclusión del espacio público y de exclusión de la memoria en la época medieval, moderna y contemporánea. Se analizan más particularmente las representaciones y la reconstrucción de las memorias individuales y colectivas a través de las producciones culturales vinculadas con el exilio. La recuperación de esta parte de uno mismo, ocultada, negada o denegada durante décadas en la sociedad de salida como en la tierra de acogida, a través del arte, del testimonio, del documental o de la escritura revela una relación a sí mismo y al mundo constantemente reinventada.

Table des matières

  • Cover
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières / Índice
  • Avant-propos Prólogo
  • Exils et mémoires de l’exil dans le monde ibérique. L’exil au prisme des études culturelles (Michel Boeglin)
  • Exils et mémoires de l’exil dans la péninsule médiévale Exilios y memorias del exilio en la Península medieval
  • Retour sur les traces d’Averroès en terre d’exil. Séquences historiques sur la persécution d’un juriste musulman du XIIIe siècle (Issam Toualbi-Thaâlibî)
  • Mémoire de l’exil séfarade et exilés de la Péninsule ibérique dans le récit historique d’Imanuel Aboab (Moises Orfali)
  • Dissidences politiques, religieuses et expatriation dans l’Espagne des Habsbourgs Expatriación y disidencias políticas y religiosas en la España de los Austrias
  • Escribir en el exilio y en la persecución. Sospechas y realidades en las obras inglesas de Antonio del Corro (Ignacio J. García Pinilla)
  • Visiones críticas de una España alternativa en los gramáticos heterodoxos del español en Europa. De Antonio del Corro a Pedro Pineda (Daniel M. Sáez Rivera)
  • El ‘extrañamiento’ del exilado. Cómo se convierte un ‘natural’ en un ‘extranjero’ antes de ser expulsado: el caso de los moriscos españoles (José María Perceval)
  • Los moriscos en la historiografía reciente. Reflexiones desde el IV centenario de su expulsión (Manuel Lomas Cortés)
  • Mémoire, identité et representations chez les déplacés de la Guerre civile et leurs descendants Memoria, identidad y representación en los deplazados de la Guerra Civil y sus descendientes
  • Mémoire archivée et temps de l’histoire. L’exil des réfugiés espagnols de la Guerre civile dans le département de l’Hérault (Vincent Parello)
  • Exil, histoire et mémoire : la Retirada à l’écran (Christelle Colin)
  • Enjeux mémoriels autour de la figure du maquisard dans le cinéma espagnol de la transition (Catherine Berthet-Cahuzac)
  • Exil, mémoire et identité. La Ley de Nietos. L’exil en héritage (Magali Dumousseau Lesquer)
  • Artistes, intellectuels et philosophes dans le labyrinthe de l’exil Artistas, intelectuales y filósofos en el laberinto del exilio
  • L’exil permanent de Raoul Hausmann. Les années à Ibiza (1933-1936) (Jacques Terrasa)
  • Entre París y Toulouse. Los artistas españoles del exilio republicano en Francia (Miguel Cabañas Bravo)
  • «España peregrina». Entre sentiment d’appartenance et d’exil irrémédiable. À propos de l’attachement à la langue espagnole des philosophes de l’exil républicain de 1939 (Salomé Fœhn)
  • ¿Qué es un «filósofo español»? El segundo exilio de los filósofos españoles tras la Guerra Civil (Álvaro Castro Sánchez)
  • La danza y el estereotipo español en el exilio republicano redes e intercambios (Idoia Murga Castro)
  • Músicos en la sombra : historias desconocidas del exilio republicano español en México (Olga Picún & Consuelo Carredano)
  • Notices biographiques / Biografías de autores
  • Collection / Collección

← 12 | 13 → Exils et mémoires de l’exil dans le monde ibérique

L’exil au prisme des études culturelles

Michel BOEGLIN

IRIEC – Université Montpellier 3

Exil, expulsion, exode, déportation, déplacement, dispersion, diasporas… sont autant de termes qui rendent compte, dans les études, les récits et dans les témoignages, d’une expérience individuelle et collective de rupture, de césure des liens d’attachement à une terre. À travers la réalité de ce départ contraint, c’est le lien à un monde qui constituait jadis un univers tangible qui s’étiole et disparaît, englouti, c’est le rapport à un espace qui devient soudain le paysage dévasté d’une mémoire devenue inhabitable.

Avec la dispersion des familles et l’anéantissement des rapports de sociabilité induit par le départ, le lien entre le passé, le présent et le futur se distend et se défait dans la chaîne des générations. Le passé cesse de constituer une ressource identificatoire commune à partir de laquelle puisse se construire le sujet et à travers laquelle s’agence le roman mémoriel ou familial du groupe ou de l’individu. Se pose alors le questionnement, propre aux membres de toutes les diasporas, de la recherche des origines, de la reconstruction des identités dans un nouvel environnement et de la nature des liens conservés avec la terre et la société de départ.

L’expérience de l’exil a été intimement liée à l’existence des groupes humains, dans la péninsule ibérique comme ailleurs, sans qu’il y ait toutefois, me semble-t-il, une prédisposition particulière aux sociétés hispaniques à produire des déplacés comme par fatalité, ainsi que cela a parfois été affirmé1. Cependant, la réalité de l’exil est venue constamment, du moyen âge à l’époque contemporaine, rappeler le tribut payé par la otra España qui n’avait pas pu préserver sa place au sein de la communauté nationale, cette autre Espagne vilipendée, rejetée et expulsée que d’aucuns avaient voulu effacer de la mémoire nationale dans le cadre d’un État en gestation.

← 13 | 14 → De manière révélatrice, le castillan dispose de deux verbes pour signifier la séparation avec la patrie d’origine. Il s’agit d’exilar et de desterrar, dont les premières ocurrences apparaissent au XIIIe siècle, entre 1220 et 1250. Comme le rappelle J. M. Naharro Calderón, le verbe exilar dérivé du latin “exsilire” sauter au dehors, partir, et d’ « ex solo » quitter le sol, la terre natale, n’a guère connu une grande fortune jusqu’en 19392. L’emploi du terme exilio demeurait cantonné dans les cercles érudits jusqu’au déplacement de population majeur que constitua la Retirada : il se définit comme “destierro, en especial el impuesto a la persona de que se trata por las circunstancias du su país y más particularmente, por las persescuciones políticas3. Desterrar s’entendant comme “obligar a alguien como castigo a marcharse de su país el que manda o gobierna en él4. En effet, le terme destierro, qui évoque la séparation avec la patrie, contient également l’idée de châtiment, de peine alors que le terme exilio, tout en renvoyant à une signification proche, évoque un départ où prime le choix de l’individu. Aussi l’exil peut-il être motivé par des causes religieuses, politiques mais aussi économiques ou induit par des raisons personnelles, poussant l’individu à abandonner les terres de ses ancêtres pour rechercher la liberté, la sécurité ou la tranquillité.

Au Moyen Âge, le pluriel Las Españas avait désigné le cadre de convivencia, de coexistence en bonne intelligence, bon an mal an, entre les trois cultures maure, juive et chrétienne, parfois parsemée de conflits. Se souviendra-t-on que ce fut un exilé, Abderrahmane, qui, fuyant les massacres contre sa famille omeyyade en Orient, jeta à Cordoue les fondations d’une des sociétés les plus lumineuses de l’Europe médiévale ? Cet islam d’Occident, véritable phare de culture et maillon clé dans l’avènement de la modernité en Europe, constitua un modèle inégalé de dialogue entre les communautés du Livre en faisant de la collaboration entre celles-ci un élément clé des réalisations culturelles et scientifiques du califat. Toutefois, l’éclatement de la société d’El Andalus en des multiples principautés, les taifas, avec son cortège de déplacements de populations induits par les guerres et les persécutions de population, mit à bas ce modèle de tolérance qui, s’il ne s’assimilait pas au pluralisme religieux, montrait une collaboration active des membres des trois communautés dans les affaires de la cité et dans les sciences.

La naissance des structures de l’Etat moderne en Occident produisit dans son sillage ses cortèges d’exilés. En 1492, était publié le décret ← 14 | 15 → d’expulsion des juifs de Castille et d’Aragon, pudiquement qualifié de décret de conversion, au moment où l’État espagnol prenait racine puis, dix ans plus tard, c’était au tour des musulmans de la péninsule, les Mudéjares, de devoir choisir entre le baptême ou l’exil. Ces ordonnances signalaient l’irruption violente du religieux dans l’arène politique, dans le cadre du projet de purification et d’homogénéisation religieuses des territoires défendu par les monarques de la péninsule. À l’âge des Réformes, l’expression d’une sensibilité religieuse originale, fût-elle influencée par le judaïsme ou par les écrits des Réformateurs allemands et français, n’eut souvent d’autre épilogue que l’exil comme moyen d’échapper à l’emprise des tribunaux inquisitoriaux de la péninsule. Les cas des humanistes Luis Vives ou de Francisco de Enzinas contraints de vivre hors de la péninsule suffisent à en témoigner. L’expulsion des morisques, ou plutôt les trois vagues d’expulsions qui furent mises en œuvre entre 1609 et 1613 à l’encontre de ces descendants des Maures d’Espagne, inaugurait une nouvelle modalité dans l’ignoble ; désormais les décrets d’expulsion ne visaient plus uniquement le pratiquant d’une autre confession mais les propres vassaux du roi, ses sujets morisques : ceux-ci s’étaient convertis au christianisme, certes, mais leur la loyauté et la sincérité de leur sentiment religieux étaient mises en doute dans certains cercles influents de la cour. La quasi-totalité d’entre eux furent jetés sur les chemins de l’exil. Enfin, les projets plusieurs fois présentés au conseil royal d’expulser les Gitans d’Espagne jusqu’au XVIIIe siècle rendaient là encore compte de la difficulté de gérer la diversité dans le cadre de la monarchie ibérique. Indéniablement, au travers de cette histoire convulsionnée des cultures minoritaires de la péninsule transparaît le lien organique du religieux comme ferment d’unité des territoires de la péninsule tel qu’il fut voulu par les monarques espagnols.

Plusieurs contributions s’attachent à dépeindre les différents avatars de l’identité hispanique telle qu’elle se révéla à travers ces vagues d’exils. Issam Touâlbi vient rappeler courageusement la liberté d’esprit et le prix que dut payer pour sa fidélité à une pensée non contrainte Ibn Rushd, connu comme Averroès dans l’Europe de la Renaissance, et l’actualité de sa posture philosophique ; l’exil d’Averroès à la fin du XIIe siècle à Lucena et l’influence de cette expérience sur la pensée du qadi-philosophe, jette une nouvelle lumière sur les liens de son système de pensée avec la pensée juive, comme le rappelle l’enseignant-chercheur d’Alger. Pour sa part, revenant sur le périple des juifs de la péninsule, Moises Orfali, reprenant l’un des premiers ouvrages d’historiographie des Juifs exilés d’Espagne, revient précisément sur le rôle de la Tradition dans la configuration de l’identité des groupes de la diaspora séfarade et apporte, à travers le témoignage d’Immanuel Aboab, un éclairage nouveau sur plusieurs aspects de l’exode des israélites de la péninsule et les ← 15 | 16 → départs des juifs convertis dans les décennies qui suivirent les décrets d’expulsion.

En ce quatre centième anniversaire de l’expulsion des descendants de Maures d’Espagne, la réalité morisque a retenu tout notre intérêt. D’une part à travers l’analyse de José María Pervecal qui se propose, plutôt que d’analyser les modalités de l’expulsion comme nombre de contributions s’y sont attachées ces dernières années, de revenir sur les entreprises de déclassement et de dénigrement dont furent l’objet les morisques d’Espagne en amont, c’est-à-dire avant l’expulsion de 1609 : des campagnes menées auprès de l’opinion afin de faire de cette composante essentielle des peuples de la péninsule à l’époque moderne un élément étranger, lointain et inassimilable, dénué de toute prétention et de tout droit à demeurer sur les terres du roi catholique. À ses côtés, Manuel Lomas Cortés s’attache précisément à décrypter les lignes fortes des parutions publiées ces dernières années dans le cadre de la commémoration de cet événement, en mettant en valeur aussi bien les acquis de l’historiographie que les zones d’ombre et les aspects de la réalité morisque encore insuffisamment explorés.

À l’âge de la confrontation violente des États confessionnels, c’est tout naturellement que les sujets du roi d’Espagne séduits par les doctrines réformées abandonnèrent l’Espagne pour s’en aller réfugier en France ou en Angleterre. Le cas d’Antonio del Corro, connu comme Antoine Corran, alias Bellerive, en France et à Genève, est d’une certaine façon paradigmatique et illustre le destin de ces Espagnols poussés au départ. Corran constitue une des figures les plus hardies de la libre-pensée, comme analyse José. I. García Pinilla, et figure, en outre, parmi les premiers grammairiens de l’espagnol langue étrangère et Daniel M. Sáez Rivera retrace le parcours de ce Castillan aux côtés d’autres hétérodoxes conduits au départ de leur patrie pour voir respectée la liberté de conscience et qui devinrent, poussés par la nécessité, précepteurs d’espagnol pour étrangers. Ces hommes nous ont légué les premiers ouvrages de grammaire contrastive aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

À l’époque contemporaine, les luttes idéologiques ont pris le relais comme élément moteur de l’ostracisme poussant populations, artistes ou intellectuels à quitter leur terre. Pourtant le même soin sera porté par les exilés, à travers le temps, à maintenir vif le témoignage du combat mené pour la liberté, fût-elle religieuse ou politique. Or, inhérente même au groupe et à l’individu qui a abandonné sa patrie, se pose la question de la mémoire et de sa transmission aux générations futures. Par le discours, par les figurations et par les représentations, cette même réalité d’un espace déshabité s’agence, se reconstruit, s’énonce en un mot, pour rendre compte de cette absence et surmonter le lourd silence dont est empreint le passé. L’art, les lettres, mais aussi le témoignage, décliné sous ← 16 | 17 → diverses formes, ont été les moyens de se réapproprier cette mémoire confisquée et la critique littéraire tout comme l’analyse historique ont été les instruments idoines pour déconstruire patiemment les discours et les mécanismes de domination et de déclassement des groupes minoritaires et minorés.

Nombre de contributions s’attachent à analyser le sort de ces déclassés de l’histoire et à examiner la place qui leur fut réservée dans les sociétés d’accueil. L’exil vécu par le photographe Raoul Hausmann, tel qu’il est retracé par Jacques Terrasa, témoigne de la la façon dont cette exprience a été ressentie et sublimée à travers l’art. Par-delà les parcours individuels, toujours instructifs, c’est également les réseaux de sociabilité et d’entraide qu’illustre le sort des déplacés. Le parcours du peintre Lamolla qu’évoque Miguel Cabañas montre combien l’aide de personnalités espagnoles installées en Fance, comme Pablo Picasso, fut centrale pour améliorer le sort des artistes et intellectuels internés dans les camps du sud de la France mais il éclaire aussi comment s’organisèrent les réseaux d’entraide qui se mirent en place, à Paris et à Toulouse tout particulièrement. Vincent Parello, quant à lui, dépeint le parcours des fugitifs de la Retirada en 1939 dans le département de l’Hérault et le sort qui fut dévolu à ces déplacés, sous la République, dans un premier temps, puis sous Vichy.

Or, cette mémoire atrophiée par la Guerre civile de 1936-1939 et la reconstruction de ce passé a fait l’objet, aussi bien dans le champ philosophique que dans le champ culturel, d’un débat crucial pour récupérer cette part de soi. La fracture laissée par le conflit dans l’école de philosophie espagnole qui s’était construite sous la Seconde république, dans le sillage d’Ortega y Gasset, est analysée à travers un état des lieux de la situation avant et après la Guerre civile par Alvaro Castro Sanchez, conduisant à interroger la définition même du ser filósofo dans l’Espagne d’après-guerre alors que Salomé Fœhn dépeint le sort dévolu aux philosophes dans l’exil, qui se retrouvèrent dans cette “Espagne pérégrine” (España peregina) où l’idée d’errance et de vagabondage était consubstantielle à la pensée de ces hommes et de ces femmes qui ne trouvaient plus leur place au sein d’une Espagne franquiste.

La récupération de cette part de soi, bâillonnée durant les années de la dictature et mise en sourdine y compris durant celles de la transition, sont parfaitement analysables à travers le cinéma. Aussi bien le documentaire que le film de fiction sont devenus l’enjeu d’une entreprise mémorielle de recouvrement d’un passé que les vainqueurs avaient voulu enterrer à jamais. L’analyse de Christelle Colin de la production, dans la France des années quatre-vingt-dix, de films et de documentaires sur la Guerre civile comme l’étude de Catherine Berthet-Cahuzac des mutations de la figure du maquisard dans le cinéma de l’après-dictature rendent compte ← 17 | 18 → des liens ténus entre mémoire et politique à l’époque contemporaine. Cette réappropriation du passé par les nouvelles générations participe de la reconstruction de la mémoire et constitue le prolongement des revendications politiques et sociales pour réparer l’outrage vécu. La “ley de nietos” qui réintègre dans la nationalité nombre de petits enfants de Républicains qui avaient fui lors de la Retirada de 1939 en témoigne amplement comme le démontre l’article de Magali Dumousseau et révèle la réparation tardive reconnue à cette otra España, réintégrée une à deux générations plus tard seulement, dans son droit à être espagnole.

***

Il était important que les Études culturelles s’emparent de ce champ dans le monde hispanique et latino-américain, tant du point de vue des productions artistiques liées à l’exil que de celui de la perception et de la représentation des groupes victimes de ces déplacements massifs.

Si la question de l’exil dans les mondes hispaniques a été maintes fois évoquée à l’occasion des différentes commémorations, au terme de plusieurs journées d’études consacrées à la question dans le cadre de l’Institut de Recherches Intersite d’Études Culturelles (I.R.I.E.C.) au cours de ces dernières années, il était apparu crucial de favoriser l’émergence d’un axe d’étude s’inscrivant dans le prolongement des travaux d’Edward Saïd et prolongées par les études postcoloniales pour analyser les phénomènes de domination qui informent les représentations et conditionnent la transmission de la mémoire, des groupes dominés comme celle des groupes dominants. Il était essentiel que les Études culturelles investissent ce champ. En premier lieu, parce que l’intérêt des Cultural Studies pour la représentation et les projections dans l’imaginaire rendait crucial de proposer, par-delà les accidents historiques ou les figurations ponctuelles, une grille d’analyse. Ainsi, à la chute de la République, le stérétoype de “lo español” est façonné dans l’exil sous un jour nouveau, en contraste avec l’image diffusée par le régime franquiste et c’est ce que s’attache à étudier Idoia Murga Castro, dans une analyse des représentations qui mêle brillamment les créations des troupes, les réseaux et les stratégies politiques qui promurent un certain idéal de l’Espagne à travers la danse à l’étranger. En second lieu, il était opportun d’observer la récupération dans le champ artistique et littéraire de cette mémoire historique, confisquée et bâillonnée, mais qui n’a cessé de se perpétuer à travers les témoignages, les œuvres, les films et les documentaires récemment, tant en Espagne qu’à l’étranger.

En troisième lieu, les Études culturelles demeurent centrales pour interroger les témoignages des artistes et des penseurs depuis le moyen âge jusqu’à l’époque contemporaine. Elles permettent également de redonner toute leur place à des arts dits seconds ou en marge de l’académie, comme la musique populaire, par exemple, qu’analysent dans l’exil ← 18 | 19 → républicain à Mexico les anthropologues mexicaine et uruguayenne de la Universidad Autónoma de México, Lisa Carredano et Olga Picún.

Enfin, l’outillage méthodologique des Cultural studies constitue un élément essentiel pour analyser et déconstruire les phénomènes d’hégémonismes sous-jacents à toute forme d’expression chez l’exilé comme tout groupe déclassé. Dans un monde de migrations croissantes où les identités sont entremêlées, il était d’autant plus urgent d’analyser les phénomènes d’hybridation au cœur même de l’expérience de l’exil et de ses manifestations culturelles que, précisément, ces cultures en contact, induites par l’exil sont elles-mêmes un champ fécond d’analyse.

Car, au demeurant, l’expérience des exilés rejoint celle des diasporas, dont l’étymologie (du grec dispersion), ne fait pas référence à des tribus éparpillées et dont l’identité ne pourrait être assurée que par rapport à une patrie sacrée, vers laquelle il leur faudrait à tout prix faire retour, même si cela signifie qu’il faudrait jeter, pour cela, d’autres peuples à la mer. C’est là la forme ancienne de l’impérialisme hégémonique de l’ethnicité. Toutefois, il est une autre définition de la diaspora, celle que défend Stuart Hall, d’une identité qui passe non « par son essence ou sa pureté mais par la connaissance d’une nécessaire hétérogénéité et diversité ; par une conception de l’identité qui se vit dans et à travers, et non pas malgré, la différence : en un mot par l’hybridité5 ». Or, inhérent au phénomène de l’exil, se trouve précisément cette expérience de l’entre-deux culturel, trop souvent oubliée ou balayée d’un trait de l’esprit, comme si l’expérience de communication dans l’exil en faisait l’économie. En effet, il y a derrière l’exil un cheminement, une pérégrination mais aussi un renouveau par l’ouverture contrainte à un autre horizon culturel. En définitive, comme le déclarait l’écrivaine canadienne Nancy Huston, l’exil demeure un déboussolement, une perte des repères dans un nouvel espace, dans lequel l’accent dénonce l’étranger et, inévitablement, la voix de l’exil s’inscrit dans l’incertitude, dans l’errance d’un vocabulaire d’emprunt et dans un entre-deux culturel6← 19 | 20 → .

Résumé des informations

Pages
291
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035264319
ISBN (ePUB)
9783035296358
ISBN (MOBI)
9783035296341
ISBN (Broché)
9782875741424
DOI
10.3726/978-3-0352-6431-9
Langue
français
Date de parution
2014 (Août)
Mots clés
Exclusion Proscrit Documentaire Minorité culturelle Art
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 291 p., 3 ill., 1 tabl.

Notes biographiques

Michel Boeglin (Éditeur de volume)

Michel Boeglin est maître de conférences à l’Université Montpellier 3. Ses recherches portent l’histoire des minorités culturelles et religieuses en Castille au temps des Habsbourgs. Il a notamment publié L’Inquisition espagnole au lendemain du concile de Trente (2002), Entre la Cruz y el Corán. Los moriscos en Sevilla (1570-1613) (2010) et, en coll. avec Vincent Parello, le Lexique de l’Espagne moderne (1478-1808) (2010).

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