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Les États baltes et le système européen (1985–2004)

Être Européens et le devenir

de Philippe Perchoc (Auteur)
©2014 Monographies 290 Pages

Résumé

C’est toute la question de la place et de la puissance des « sans puissance » en relations internationales qui est ici posée par l’étude de la diplomatie des États baltes après 1991. En effet, ce sont les seules anciennes républiques soviétiques à être devenues membres de l’Union européenne et de l’OTAN en 2004. L’étude de leur place dans le système européen en mutation de l’après guerre froide est donc un élément essentiel permettant de définir l’Europe par ses marges. Et ce, au moment où de nouvelles frontières durables semblent apparaitre sur le continent.
Cet ouvrage montre comment les systèmes politiques renaissants de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie des dernières années de l’URSS ont mis en actes une radicale volonté d’ancrage dans les institutions européennes et atlantiques. Malgré des héritages soviétiques complexes relatifs aux frontières et à la définition du corps citoyen, la politique étrangère a été l’un des objectifs de la transformation.
Au même moment, le modèle de sécurité en Europe évolue radicalement, permettant aux diplomaties baltes de s’insérer dans ses interstices et, par là, de contribuer à sa modification structurelle. Cette interaction entre mutations internes et insertions dans le système européen apporte une illustration concrète du fait qu’il fallait « être Européens, pour le devenir ».

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Préface
  • Introduction
  • I. Les nouveaux chemins des études baltes
  • II. Des petits pays originaux dans l’espace européen
  • III. Modèles de sécurité en Europe après 1991 et réalisme néo-classique
  • IV. Quatre modèles de sécurité en Europe après 1991
  • Première partie. « Good bye Yalta ». Des Républiques soviétiques baltes aux Républiques baltes
  • Chapitre 1. Les contraintes de la « situation » balte pendant et après la guerre froide
  • I. Le cadre international
  • II. Une diplomatie parallèle : diplomates sans État et Parlements sans pouvoir
  • Chapitre 2. La « décision » entravée. Politiques baltes de l’après-guerre froide : fabrication et mise en œuvre
  • I. De la contestation au sein du système à la conquête de l’indépendance
  • II. Consolidation des régimes et modes de décisions des grandes orientations de la politique étrangère. Les conséquences institutionnelles
  • Deuxième partie. l’impossible Versailles. Les États baltes entre volonté d’intégration internationale et construction nationale (1991-1997)
  • Chapitre 3. Quelles racines pour la politique occidentale des États baltes ?
  • Chapitre 4. Un système international défavorable
  • I. Les mutations régionales en Baltique après 1991
  • Chapitre 5. Entre Europe de Versailles et Europe de Maastricht. Vers une nouvelle OTAN
  • I. L’élargissement de l’OTAN et l’Europe centrale
  • II. Les Baltes, entre coordination et stratégies européennes
  • Troisième partie. L’intégration régionale comme réponse au dilemme de sécurité balte
  • Chapitre 6. L’émergence de la région baltique à travers un réseau d’organisations régionales
  • I. La renaissance de la coopération baltique
  • II. La coopération Balto-scandienne
  • III. Émergence d’une région baltique et nouveaux modes de coopération
  • IV. La reconnexion économique de la Baltique
  • Chapitre 7. Les projets européens et américains de stimulation régionale
  • I. OTAN : la Charte États-Unis/États baltes comme substitut à l’élargissement ?
  • II. Le lancement d’une stratégie de compensation pour les États baltes
  • Chapitre 8. Kaliningrad. Un nœud de la transformation régionale
  • Chapitre 9. L’Europe entre Vienne et « double Maastricht »
  • I. La dégradation des relations entre Moscou et Washington
  • II. Le tournant de 2001
  • Conclusion
  • Liste des entretiens
  • Liste des tableaux
  • Liste des cartes
  • Bibliographie
  • Titres de la collection

← 8 | 9 → Remerciements

Toutes les œuvres sont le fruit de rencontres. Celle-ci ne fait pas exception. Il s’agit d’abord de la rencontre d’autres Européens lors d’un séjour Erasmus à Londres en 2003. Puis de la rencontre livresque de la Baltique à Louvain-la-Neuve en 2004, et enfin de la rencontre de la Baltique elle-même pour la chaîne ARTE en 2006. Ce fut ensuite l’ouverture d’esprit de Sciences Po et de Bastien Irondelle, trop tôt parti, pour un premier projet de recherches sur la Lettonie. Ce livre est aussi le fruit d’un financement du Centre d’Études Européennes et d’un accueil au Centre d’Études des Relations Internationales de Sciences Po entre 2007 et 2010.

Là, mon directeur de thèse, Georges Mink, a su me donner les pistes, le soutien à mon profil atypique et à mon sujet septentrional, et sa patience à mon impatience. Il a été d’une grande disponibilité et de bon conseil dans les premières étapes de la vie d’un chercheur. Il m’a aussi ouvert de nouvelles portes et perspectives de recherches, notamment sur la mémoire des Européens. Dominique Colas m’a donné des conseils dont il ne se souvient peut-être pas, mais qui ont eu un impact durable. Notamment celui de choisir un auteur important et de le lire en entier. Il aura fallu des mois de lecture de Raymond Aron pour trouver une considération sur les États baltes. Mais, j’espère que ce livre montre que ce n’était pas en vain, tant son approche nous permet de mieux comprendre la place de ces trois pays dans le système européen à la fin de la Guerre Froide.

Sciences Po m’a aussi offert la chance de rencontrer et de travailler avec des chercheurs exceptionnels que je lisais pendant mes années d’étudiant. Le CERI est un lieu où le mot communauté académique a un sens, et je pense notamment à Christian Lequesne, à Jacques Rupnik, à Samy Cohen, à Riva Kastoryano ou à Anne-Marie le Gloannec. C’est aussi un lieu où se forgent des amitiés intellectuelles durables avec d’autres jeunes chercheurs, comme Adrien Fauve, Zbigniew Truchlewski, Filip Kostelka, Una Bergmane, Samuel Faure, Anna Barsukova et tant d’autres.

Dans les États baltes, j’ai bénéficié d’éclaireurs amicaux et de l’intérêt des diplomates baltes eux-mêmes pour ma recherche. J’ai la chance d’avoir toujours trouvé la porte ouverte, sur place, à l’Université Romeris, l’Université Vytautas Magnus ou à l’Université de Lettonie, et ← 9 | 10 → à Paris, auprès de la dynamique communauté des chercheurs intéressés par la Baltique, comme Yves Plasseraud ou Céline Bayou.

Le sens de cette thèse, c’est largement mon accueil à l’Université Catholique de Louvain depuis un an, là où tout avait commencé, qui m’a permis de le comprendre. C’est grâce au contact de l’équipe de chercheurs en science politique, notamment à Tanguy de Wilde et Valérie Rosoux que cela s’est précisé, dans un esprit d’ouverture disciplinaire stimulant pour les esprits curieux.

Je n’oublie pas aussi de remercier les étudiants que j’ai eu la chance de rencontrer depuis 2009. Auprès d’eux, à Sciences Po, à Paris III Sorbonne Nouvelle, à l’Université Saint-Louis et au Collège d’Europe, j’ai eu la joie de découvrir ma vocation et de me voir perpétuellement poussé à reformuler, à repenser mes premières idées. Et pour cela, je les remercie.

C’est à Louvain et auprès des étudiants que j’ai compris ce que ce livre pourrait être : un livre sur la place des États baltes dans le système européen qu’ils participent à définir. Au moment où la Lituanie assure la Présidence tournante du Conseil de l’Union européenne et où l’Ukraine tourne le dos à l’Europe, cela a du sens.

Un livre est toujours l’aboutissement d’un voyage, parfois commencé par d’autres. Celui-ci débute par un carnet de marin portant la mention « payé à Memel. 30 janvier 1923 ». 15 jours plus tôt, la Lituanie a pris le contrôle de la ville sous administration française et l’a renommée Klaïpeda. C’est seulement après avoir terminé ma thèse de doctorat que Pierre Perchoc, hydrographe, grand-père et conteur né, m’a confié ce carnet de famille, rescapé du bateau « la Sénégalaise » et appartenant à Jean Pilven, mon aïeul. 90 ans plus tard, Pierre m’a raconté sa dernière histoire, et je le remercie de m’avoir donné le goût de l’Histoire.

← 10 | 11 → Préface

Le très beau livre que le lecteur tient entre ses mains a une histoire.

Son auteur, Philippe Perchoc a soutenu sa thèse pour le titre de docteur en science politique en 2011. Puis il s’est conformé à la tradition, lorsqu’il s’agit des thèses de qualité et originales, en entreprenant sa publication. Cette démarche est souvent vue par les éditeurs avec suspicion. Encore un pavé illisible qui encombrera les stocks. Le livre de Philippe Perchoc issu de ce travail d’adaptation ne peut que faire mentir cette appréhension. En fait l’ouvrage qui nous est proposé, d’une élégante écriture et d’une clarté de la démonstration, se lit de bout en bout aisément et sans que diminue, à un quelconque moment, l’intérêt du lecteur pour son propos. Certes il intéressera d’abord les spécialistes de la région, de l’Union européenne ou des effets du postcommunisme. Mais il pourrait rapidement devenir aussi une référence pour tous ceux qui s’intéressent à la place des petits pays dans le jeu géopolitique mondial. L’auteur a eu le courage de s’attaquer à une niche inexploitée par les travaux sur les relations internationales, celle de la relation politique des petits États, que sont les pays baltes, au monde environnant. Au passage, Philippe Perchoc contribue à sortir ces pays européens de leur posture exotique.

C’est un travail de recherche au sens noble de ce terme. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’auteur aurait pu limiter son ambition à nous décrire l’évolution des politiques étrangères de ces pays faisant déjà ainsi une contribution non négligeable à la connaissance. Mais Philippe Perchoc opte pour un enjeu théorique bien plus ambitieux qui est de confronter ses hypothèses à l’approche analytique de Raymond Aron, appliquée aux relations internationales. Replacer à l’aune de débats théoriques d’aujourd’hui son examen l’autorise à prendre position dans les débats très récents sur les différentes approches et écoles en Relations Internationales qu’il s’agisse des réalistes et des néoréalistes, des libéraux et des constructivistes. Cette démarche lui permet, grâce à l’analyse d’un corpus empirique de données très variées, allant de l’analyse du contenu de la presse et de documents diplomatiques déclassifiés jusqu’à une quarantaine d’entretiens avec des diplomates ou des décideurs politiques, souvent de tout premier plan, de reconstruire un certain nombre de variables cachées qui expliquent ce qu’il appelle la « révolution balte ». En effet, en utilisant les concepts aroniens, comme la situation et la décision, il parvient d’une part à rendre tout à fait ← 11 | 12 → compréhensible le retournement géopolitique qui s’est traduit par l’arrachement de trois pays baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie) à la domination soviéto-russe et, d’autre part, leur retrouvaille avec les institutions régionales, européennes et euro-atlantiques. Revenir à Raymond Aron aujourd’hui constitue de la part d’un très jeune chercheur un acte de courage. Les travaux d’Aron n’ont plus la cote, leur souvenir s’efface inexorablement. Philippe Perchoc éveille en lecteur le désir de reprendre la lecture de celui qui a eu une énorme influence intellectuelle sur la sociologie pendant plusieurs décennies du 20e siècle en remettant au goût du jour, du moins en France, Max Weber. Son influence sur la réflexion concernant la Puissance et les Relations Internationales, ses analyses des paradoxes de la guerre froide, mais aussi sa contribution à l’école démocratique antitotalitaire, sa posture de « spectateur engagé », bref l’immensité de son œuvre sont en passe d’être oubliés. Philippe Perchoc nous montre qu’en sciences sociales on peut pratiquer le principe cumulatif, qu’il ne faut pas forcément comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, oublier les acquis des Anciens, au nom d’une obligatoire rupture théorique. Bien au contraire il nous montre, qu’à condition de procéder scrupuleusement à la démonstration de la preuve, avec des aménagements, on peut utiliser aujourd’hui également certaines valeurs heuristiques d’une démarche peu dogmatique. Ainsi, on peut sortir l’analyse aronienne de sa détermination contextuelle qui était la période de la Guerre Froide, puis accommoder son orientation privilégiée sur les acteurs étatiques, en se penchant sur la multiplicité d’acteurs internes, externes et internationaux, pour la compléter utilement. Ce faisant Philippe Perchoc ne tombe jamais dans l’illusion de l’homogénéité balte mais nous montre plutôt qu’à travers un système complexe d’interaction, de ressources et de contraintes les trois pays obéissent aux logiques géopolitiques similaires. C’est partant de cette inspiration que la réflexion de Philippe Perchoc apporte du nouveau et nous fait découvrir les phénomènes de la trans -nationalisation des rapports autour de la Baltique, et au-delà, la manière dont a été anesthésié l’atavisme belliqueux de la Russie sur ses anciens vassaux (mais pour combien de temps ?) grâce à son insertion dans le partenariat économique ou environnemental, ce qui desserre l’étau russe sur les pays baltes. On voit bien là à propos du modèle analytique aronien qu’en son temps les relations internationales ressemblaient, à un « jeu de billard » alors qu’aujourd’hui l’image serait plutôt celle d’une « toile d’araignée ». Cette modernité de l’analyse de l’auteur est facilitée par son point fort méthodologique à savoir un souci d’équilibre comparatif, les trois pays étudiés bénéficient des mêmes éclairages, on voit bien se dessiner les traits communs et les différences grâce à des unités de comparaison de poids égal. C’est aussi un véritable travail interdisciplinaire car même si on sent la prépondérance de la formation d’historien de Philippe Perchoc, ← 12 | 13 → il joue avec la même aisance avec la science politique, l’économie et la géopolitique.

Je ne peux qu’encourager le lecteur à se plonger dans cet ouvrage où, d’une certaine manière, Philippe Perchoc, qui représente la nouvelle et très talentueuse génération en science politique, rafraichit notre regard sur le désir des petits pays, à rester eux mêmes dans le tumulte du monde tout en participant à l’œuvre de la construction européenne et internationale.

Georges Mink,
Directeur de Recherche émérite au CNRS ← 13 | 14 →

← 14 | 15 → Introduction

L’Europe se découvre par ses marges. La multiplication des débats sur la Turquie, sur les Balkans ou l’Ukraine est un indicateur de cette manière que nous avons de définir l’Europe en discutant de ce qu’elle est et de ce qu’elle n’est pas. Dans le débat public, les contours sont privilégiés sur la substance ; l’être est préféré au faire. 30 ans après la chute du mur de Berlin, la tentation est aujourd’hui de définir l’Europe par ce qu’elle est, plutôt que par ce qu’elle fait. Voilà l’un des signes persistants d’une inquiétude européenne grandissante.

Les traités européens disposent que «tout pays européen peut demander à devenir membre de l’Union ». Paradoxalement, il faut alors être européen pour le devenir. C’est tout le dilemme qui a été celui de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les difficultés qu’elles eurent à faire reconnaître leur indépendance en 1919-1921 et leur entrée à la Société des Nations sont à l’image de leur combat pour faire reconnaître leur indépendance en 1990-1991 et entrer dans les instances internationales et régionales (Union européenne, OTAN).

Tout comme les débats sur les marges méridionales de l’Europe concernent la nature de l’Europe, le retour sur cette expérience balte de la fin du XXe siècle est aussi une contribution à la manière dont trois petits États peuvent transformer leur sentiment d’appartenance culturel à l’Europe en réalité politique. Par contraste, les voisins de la Lituanie, comme la Biélorussie et l’Ukraine, partagent en grande partie ce sentiment européen, sans avoir voulu ou réussi à devenir membres de l’Union européenne et de l’OTAN.

Or, cette « révolution géopolitique » balte, de l’URSS à l’Union européenne, peut se lire à la fois comme une contribution à l’étude de la place des petits États dans les relations internationales, mais aussi comme un élément permettant de mieux comprendre la nature des relations entre l’Europe occidentale, l’Europe centrale et l’Europe orientale. Au lieu de considérer ici les États baltes comme une marge de l’Union européenne, considérons-les comme un centre du continent européen pour voir ce que cela nous permet de comprendre de ses mutations dans l’après-guerre froide.

← 15 | 16 → Un centre qui est pourtant peu connu. « La Courlande, c’est un pays qu’on peut peupler à sa guise »1. Jean-Paul Kauffmann résume ainsi un sentiment qu’un lecteur francophone peut éprouver en parcourant la littérature qui choisit la Baltique comme unité de lieu. En 1904, Jules Verne relate un fait divers « exotique » dans son Drame en Livonie. Les Lettons – ou Lettes – sont pratiquement absents du roman qui se passe à Riga « Après tout, notre ville ne compte que quarante-quatre mille Allemands contre vingt-six mille Russes et vingt-quatre mille Lettes… Les Slaves y sont en majorité »2. Trente ans plus tard, Marguerite Yourcenar3 fait le même choix pour le « Coup de Grâce » écrit en une année sombre, 1939, sur une autre période trouble, 1918-1921. Cette époque est celle des guerres entre troupes russes blanches, bolcheviques, corps francs allemands et troupes indépendantistes dans les pays baltes après la Première Guerre mondiale. Enfin, Romain Gary, lui-même né à Vilnius, choisit, dans son premier roman publié, de raconter l’histoire de la guérilla lituanienne et polonaise contre les troupes de l’Armée rouge dans l’immédiate après Seconde Guerre mondiale4. On pourrait ainsi multiplier les exemples littéraires qui font de la Baltique orientale une région un peu mystérieuse ; Et il n’y a de la littérature à la politique qu’un pas puisque la Lituanie avait fait une irruption tonitruante dans la campagne référendaire de 2005 en France par une remarque devenue célèbre de Jean-Luc Mélenchon sur les Lituaniens, « que personne ne connaissait »5.

Au-delà de ce constat d’une banale étrangeté des États baltes pour les Français, il faut noter tout l’enjeu qu’il y a à mieux comprendre l’histoire et les sociétés baltes aux XXe et XXIe siècles. En effet, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont les seules anciennes Républiques soviétiques à être devenues des États membres de l’UE et de l’OTAN. Elles sont même mieux intégrées au système européen que nombre d’autres États du continent : les trois États font partie de l’espace Schengen6 et l’Estonie a adopté l’euro en 2011. Ce rappel n’est pas sans intérêt quand la Lituanie préside le Conseil de l’Union européenne au second semestre 2013 et que la Lettonie adopte l’euro au 1er janvier 2014 : voilà une Europe qui revient de loin et qui s’intègre au ← 16 | 17 → cœur du système, tout en occupant sa marge géographique. Aujourd’hui, il suffit de comparer la situation de la Lettonie et celle de la Moldavie pour mesurer le chemin parcouru par les États baltes hors de l’espace post-soviétique : recréation d’un État indépendant, consolidation démocratique, économie de marché. Certes la transition est encore fragile, mais ne l’est-elle pas dans des pays d’Europe centrale mieux préparés comme la Hongrie ?

Occupés puis annexés par l’URSS (1941), occupés par l’Allemagne nazie (1941-1945) et réannexés par l’URSS (1945-1991), l’histoire de ces trois pays est révélatrice d’un pan oublié de la longue « guerre civile européenne ». « Pour nous, la Seconde Guerre mondiale ne s’est pas terminée en 1945, mais en 19917 ou 19948 » affirme ainsi un diplomate estonien9. Paradoxalement, cette région peu connue est révélatrice de la physionomie stratégique et identitaire du continent européen et de l’état des relations entre Europe et Russie. La façade baltique était au XVIIIe siècle, la « fenêtre de la Russie sur l’Europe ». Au début du XXIe siècle, elle en devient peut-être la porte. Pour cela, il faut déplacer notre regard qui fait de ses trois États une périphérie pour les replacer au cœur d’un espace euro-russe.

Ce mouvement n’est pas habituel car, dans le champ des études internationales, les États baltes cumulent les caractéristiques qui leur font échapper à l’intérêt des universitaires. Pour les spécialistes des aires culturelles, ils sont perdus en haut à gauche d’une carte de l’ex-URSS ou perdus en haut à droite d’une carte de l’Union européenne. Pour les universitaires s’intéressant aux théories des relations internationales, voilà trois petits pays. Or, on sait à quel point les petits États intéressent peu les internationalistes.

Néanmoins, la conjonction de ces trois positions d’États petits, postsoviétiques, nouvellement intégrés à l’Union européenne, sont autant de raisons pour lesquelles il faudrait mieux comprendre la place des États baltes dans les relations paneuropéennes, au cœur des ajustements consécutifs au troisième conflit mondial (la guerre froide). En effet, après 1991, l’Europe a été l’objet de sa troisième grande mutation du XXe siècle. Or, la place de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie permet d’illustrer les logiques de cette transformation. Et d’illustrer le « pouvoir des sans pouvoirs » en relations internationales.

← 17 | 18 → I. Les nouveaux chemins des études baltes

Résumé des informations

Pages
290
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035263749
ISBN (ePUB)
9783035296532
ISBN (MOBI)
9783035296525
ISBN (Broché)
9782875741325
DOI
10.3726/978-3-0352-6374-9
Langue
français
Date de parution
2014 (Avril)
Mots clés
Relation internationale Diplomatie République soviétique Sécurité européenne
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 290 p., 4 ill., 6 tabl.

Notes biographiques

Philippe Perchoc (Auteur)

Philippe Perchoc est chercheur postdoctoral à l’Université catholique de Louvain (ISPOLE/CECRI). Il a soutenu une thèse en science politique sur la politique étrangère des États baltes à Sciences Po Paris (CERI) en 2010 et consacre ses recherches à l’histoire comme un enjeu de la politique européenne. Il enseigne les questions européennes au Collège d’Europe (Bruges), à Sciences Po (Paris) et à l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle.

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