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Le Continent basket

L’Europe et le basket-ball au XXe siècle

de Fabien Archambault (Éditeur de volume) Loïc Artiaga (Éditeur de volume) Gérard Bosc (Éditeur de volume)
©2015 Collections 304 Pages
Série: Euroclio, Volume 88

Résumé

L’histoire du basket-ball s’est bâtie sur une erreur, d’ordre géographique. En effet, elle a longtemps consacré les États-Unis comme son centre unique, négligeant ce que les autres parties du monde avaient apporté à la balle au panier. Celle-ci est pourtant marquée par une diffusion planétaire, étonnamment rapide, avant les années 1920.
Ce livre réunit pour la première fois les meilleurs spécialistes de la question, et éclaire sous un jour nouveau les destinées du basket sur le Vieux Continent. C’est en Suisse que naît la Fédération internationale, en Allemagne que ce sport accède au statut olympique, dans les Pays Baltes qu’il est élevé à un haut niveau, tandis que l’ensemble des pays méditerranéens l’adopte comme une pratique majeure.
Sport par excellence des classes moyennes européennes, le basket-ball, initialement conçu comme un « anti-football » rationel et moderne, devient un des terrains privilégiés des affrontements de la Guerre froide. Dès lors, son histoire devient un outil privilégié pour saisir, en mouvement, une large part des dynamiques politiques et culturelles européennes, ainsi que la façon dont joue sur ces sociétés la référence américaine.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Préface
  • Première partie La première Europe du basket-ball
  • L’Europe au rebond
  • Les règles du basket français dans l’entre-deux-guerres, entre dimension nationale et continentale
  • Jeux de pouvoirs aux premiers temps de la Fédération internationale de basket-ball
  • « Quand les petits deviennent les maîtres ». Échanges franco-baltes, relations internationales et naissance du basket français moderne dans les années 1930 et 1950
  • Traits caractéristiques de l’évolution du basket-ball féminin en Lituanie (1920-1940)
  • Deuxième partie Les Guerres froides du basket-ball
  • Le continent suspendu
  • Du rêve révolutionnaire à la Dream Team : une brève histoire du basket-ball soviétique (1908-1992)
  • Un modèle yougoslave ? Genèse, enjeux et perspectives d’une voie spécifique de développement du basket-ball
  • Les Soviétiques, finalistes à Helsinki (1952) : anatomie et résonances d’une performance
  • Trois secondes de Guerre froide. La finale olympique de Munich en 1972
  • Troisième partie Itinéraires et imaginaires européens
  • Hauts-lieux et petites patries
  • Les relations franco-allemandes pendant le Troisième Reich Le cas de l’Alsace annexée
  • Le basket en France : une reconnaissance longue à venir…
  • L’homme de l’ombre. Raimundo Saporta et le basket espagnol et européen
  • Le basket-ball en Grèce. Histoire d’une légende nationale
  • L’Oncle Sam au pays de Pulcinella. La culture américaine dans le basket italien (1945-1992)
  • Quatrième partie La fabrique de l’histoire du basket-ball
  • Faire une histoire européenne du basket-ball
  • La numérisation du magazine Basket-Ball ou la collaboration d’une fédération sportive avec la Bibliothèque nationale de France
  • Index
  • Notices biographiques
  • Titres de la collection

Remerciements

Le Continent basket prit forme lors d’un colloque international organisé en mai 2010 à Paris au Comité national olympique et sportif français. Intitulé « L’Europe du basket-ball (1919-1992). Politiques, images, identités », ce colloque était le fruit d’un partenariat entre l’Université de Limoges (Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie – CRIHAM – et Espaces humains et interactions culturelles – EHIC), l’UMR IRICE (Institut Pierre Renouvin, Universités de Paris 1 et Paris 4), le Musée du Basket, la Fédération française de basket-ball (FFBB) et la Fédération internationale de basket-ball (FIBA). Son bon déroulement doit beaucoup à l’investissement généreux du président du Musée du Basket, Gérard Bosc, et de l’archiviste de la FFBB, Daniel Champsaur, au soutien sans failles d’Yvan Mainini, alors président de la FFBB, ainsi qu’à la participation de Robert Frank, Patrick Mignon, Borislav Stanković et Éric Vial. Le secrétaire général de la FIBA, Patrick Baumann, a accepté de nous laisser accéder aux archives de l’institution, et Geneviève Hartmann, qui en connaît tous les rouages, a partagé amicalement son savoir avec nous. Nous les remercions ici chaleureusement.

Rien n’aurait été non plus possible sans la bienveillance de ceux qui travaillent au sein de la famille basket à en diffuser l’histoire. Parmi eux, nous souhaitons particulièrement remercier pour leurs conseils avisés et toujours pertinents : Jean-Claude Bois, Francis Dane, Guy Evrard, Pedro Ferrándiz, François Fournier, Vincent Janssen, Gérard Gimbert, Christian Misser, André Ostric, Nicole Pierre-Sanchez, Thibault Roy, Christian Tersac ainsi que le regretté Jacques Huguet.

Toute notre gratitude va enfin à Émilie Menz et David Branders du bureau bruxellois des éditions Peter Lang pour leur patience et leur confiance, ainsi qu’à Corinne Sylvestre, qui à l’Université de Limoges a supervisé une large part des aspects logistiques liés à ce travail.

Fabien Archambault, Loïc Artiaga
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Préface

José SIMIONEK

Arbitre Régional Île-de-France

Éric VIAL

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise (laboratoire AGORA)

Peut-être Fabien Archambault, Loïc Artiaga et Gérard Bosc, les responsables de ce beau volume, auraient-ils pu s’adresser, pour le préfacer, à un universitaire sinon basketteur ou d’une taille lui permettant de s’insérer dans l’aventure des « grands » hommes, pour reprendre le titre d’un de leurs précédents ouvrages1, du moins ne s’amusant pas à professer des opinions churchilliennes sur le sport ou à marmonner des choses sur les exercices qui en relèvent mais où le ballon n’est même pas ovale2 (ou qui ne nécessitent pas d’alterner skis et carabine : il est parfois question de rugby dans les pages qui suivent, même si c’est de façon incidente). Cela aurait pu éviter qu’il soit nécessaire d’associer cet historien quelque peu éloigné du sujet et un arbitre – que ses activités professionnelles amènent par ailleurs à fréquenter l’histoire et à gérer des historiens ainsi que quelques autres universitaires d’une discipline réputée circonvoisine, en regrettant peut-être parfois de ne pas disposer de la panoplie règlementaire des pénalités et des expulsions à l’encontre d’iceux, mais c’est une tout autre histoire. Il y a donc eu association entre un bavard et un compétent, ceci étant une appréciation du premier d’entre eux, pour écrire cette préface à quatre mains, ce qui n’est pas plus simple avec clavier(s) et écran(s) que naguère avec des stylos.

D’un autre côté, cet attelage est une façon d’afficher que ce livre s’adresse à la fois – et au moins – à des passionnés de basket et d’histoire du basket qui devraient fournir une part de son public, et d’autre part à d’autres lecteurs en ce qu’il touche à une histoire non pas plus légitime, ← 11 | 12 → mais plus générale. Cette dernière est abordée à travers des cas relevant de l’histoire des mentalités, des politiques intérieure et extérieure des États, de l’histoire des convergences européennes, souvent de l’histoire des relations internationales et en particulier de la Guerre froide avec, alors, une nécessaire incursion hors de l’Europe, du côté des États-Unis. Le lien entre sport et relations internationales n’est pas une absolue nouveauté pour les historiens, même si le premier a plutôt été étudié dans un cadre national (voire nationaliste, dans son objet et non dans son propos bien sûr)3. On peut citer le rôle joué voici déjà trente ans par Pierre Milza4, ainsi que quelques pierres milliaires au fil des trois décennies écoulées depuis lors5, mais s’il faut se garder des effets de perspective favorisant les dernières publications, le présent volume semble s’inscrire dans un mouvement fort récent, marqué par des synthèses pouvant apparaître comme des invitations à de nouveaux travaux au moins autant que des bilans6. Si l’on prend en compte le millésime du colloque à l’origine de ces pages, 2010, et a fortiori leur précédent colloque et publication sur le basket et les relations franco-américaines7, les responsables du dit volume peuvent même se vanter d’avoir anticipé ce mouvement. Mais ce n’est pas leur seul mérite, et l’on reviendra plus loin sur le basket comme miroir des relations internationales.

En effet, d’abord et du point de vue d’un arbitre de basket, il est agréable de constater que deux centres d’intérêt qui sembleraient a priori n’avoir que très peu de points communs se retrouvent si bien racontés et commentés par une équipe aussi professionnelle que passionnée. Il apparaît que Fabien Archambault, Loïc Artiaga et Gérard Bosc ont su rassembler, sur le basket et son histoire, les meilleurs spécialistes, dont ← 12 | 13 → la réputation traverse les frontières. Et ils livrent non seulement une (re)découverte de ce sport mais aussi et surtout une analyse de son impact sur les relations intracontinentales et internationales. Ils plongent le lecteur dans la complexité de la mise en place des règlements et de leurs interprétations, qui a abouti à ce qui est aujourd’hui sifflé sur les parquets à travers une accumulation de petites modifications successives et de faits de jeu, comme par exemple la réparation après la huitième, et aujourd’hui la cinquième, faute d’équipe. Ces évolutions mériteraient sans nul doute des mises en perspectives systématiques et peut-être se raccorderaient-elles à des évolutions bien autres que celles de leur seul sport. On découvre aussi dans ces pages à quel point l’évolution s’est très souvent faite en fonction des spécificités et des ambitions nationales, voire internationales, des différents dirigeants de la « balle au panier », en particulier au cours de premier XXe siècle, puis ce que fut l’incidence de la politique sur le jeu en lui-même durant la période de la Guerre froide. Cette dernière amène des anecdotes concernant certaines rencontres, avec notamment les fameuses trois dernières secondes de la finale olympique de Munich en 1972. Le praticien peut se demander comment Eddie Viator, l’arbitre international français qui a officié lors de la dernière finale mondiale opposant les États-Unis à la Serbie en 2014, aurait aujourd’hui géré cette fin de match épique, d’autant qu’à tous niveaux, la gestion des rencontres se fait désormais bien davantage du côté purement humain que de celui règlementaire : Eddie dit toujours « soyons basket », ce qui résume le fait qu’aujourd’hui un arbitre peut expliquer à un entraîneur sa prise de décision et surtout faire abstraction du règlement stricto sensu tant que l’on reste dans l’esprit du jeu, avec la notion de no call impliquant de ne pas donner de coup de sifflet si cela permet de rester dans le dit esprit du jeu, d’où d’ailleurs l’extrême complexité d’un arbitrage, surtout bien entendu s’il est, comme ce fut le cas voici quarante-trois ans, confronté à des enjeux internationaux qui dépassent le parquet et le sport.

Par ailleurs, quel plaisir de retrouver des noms, comme ceux du Cercle Saint-Pierre, de la Dream Team, de Charles Hemmerlin, de Božidar Maljković, de Bob Kurland, de Vlade Divac, de Dražen Petrović, de Toni Kukoč ou de Raimundo Saporta. Quitte, sur cette lancée, à chercher en vain, car les sujets traités ne s’y prêtaient pas, ceux de Tony Parker ou de Jacques Monclar. Ou des Harlem Globe Trotters, certes américains mais dont les tournées de notre côté de l’Atlantique ont sans nul doute eu des effets, avec leur association entre le pur spectacle, le show, et la présence d’anciens joueurs ayant participé aux plus grandes compétitions. Ou encore des développements sur les « demoiselles de Clermont », le Clermont Université Club, plusieurs fois finalistes en Coupe d’Europe, bel et bien citées mais trop brièvement pour la subjectivité de qui s’est intéressé au basket, autrefois, d’abord à cause d’elles ou grâce à elles. ← 13 | 14 → Quitte aussi, il faut bien le reconnaître, à ce que des noms cités ne parlent pas toujours aux plus jeunes, même s’il n’y a pas de raison d’accepter qu’il n’y ait qu’au football que des gamins pas encore nés au moment des faits aient une idée de certain accrochage entre un certain Battiston et un dénommé Schumacher. Et encore une fois, en tout cas pour des gens de la génération des auteurs de ces lignes, s’ils sont passionnés par l’histoire du basket, les noms cités sont des noms marquants.

Dans ces conditions, il est évident que la lecture de ce livre va intéresser un grand nombre de basketteurs, ou d’amateurs de basket. Il intéressera aussi un large public (historien ou non) en raison des différents chemins convergeant vers la balle orange. Et il serait passionnant, par la suite, après avoir suivi dans ces pages les difficultés qu’a eu ce sport pour trouver sa place dans la société européenne, ou plutôt devrait-on dire dans les sociétés européennes, d’avoir le point vue des acteurs actuels (joueurs, entraîneurs et officiels) sur l’évolution permanente du jeu en lui-même – par exemple sur les changements assez récents apportés au terrain en Europe, et qui le rapprochent beaucoup des normes américaines, avec une zone restrictive ou raquette identique à celle d’outre-Atlantique, un rapprochement pour ce qui est de la ligne de tir à trois points, ou depuis quelques années des quart-temps à la place des mi-temps, tandis que l’esprit du jeu peut rester différent avec par exemple des marchers sifflés de façon différente d’un côté et de l’autre de l’océan, et en règle générale une tendance à privilégier d’un côté le show, de l’autre le sport. Ces considérations pourraient sembler peu « européennes », mais les différences d’approches et de réaction, ou de rythme dans les réactions, d’un pays à l’autre, face à une même influence, entreraient pourtant dans les perspectives tracées. Et ce sont par ailleurs aussi des choses à travers lesquelles l’histoire interne du basket entre en résonance avec des évolutions plus globales, tant politiques que sociales. Pour ce qui est de l’histoire interne au sport, enfin, il est frappant de voir comment les grandes compétitions internationales, Jeux olympiques et Coupe du monde au premier chef, sont l’occasion d’une évolution des règles, à cause de la confrontation entre leurs interprétations locales, mais aussi et surtout de la nécessité de contrer les efforts faits un peu partout par les joueurs et les techniciens dans le but de les contourner, de jouer avec elles – c’est le cas par exemple de la faute antisportive dans les deux dernières minutes, contre tout joueur commettant une faute sur une remise en jeu, parce que des équipes ont abusé de la situation antérieure pour récupérer le ballon après un lancer franc.

En écrivant cela, un arbitre ne doute pas que la dream team à l’origine des présentes études se penchera bientôt, et fera se pencher d’autres chercheurs, sur ces aspects de l’histoire du basket et sur d’autres encore. De son côté, un historien béotien en la matière ne doute pas non plus que ← 14 | 15 → les passionnés de ce sport se repaîtront des noms que lui-même découvre à la lecture. Certes, il avait déjà entendu parler du Cercle Saint-Pierre, d’« une équipe [américaine] qui restera à jamais la seule véritable Dream Team », celle victorieuse des Jeux olympiques de Barcelone en 1992, et même du Partizan de Belgrade ou de l’Olympiakós d’Athènes. Mais d’autres noms lui étaient totalement inconnus, comme celui du pasteur canadien James Naismith, plusieurs fois cité, inventeur de ce sport en 1891 dans l’une des 34 villes des États-Unis à s’appeler Springfield, 35 avec celle des Simpson de Matt Groening, et en l’occurrence dans celle relevant du Massachusetts, mais ce n’est qu’un exemple auquel il faudrait ajouter l’essentiel des noms cités précédemment, et d’autres. Et il aurait été bien en peine de dire d’où venait le nom de la coupe Saporta, même s’il se doutait qu’elle n’avait guère de rapports avec Gaston de Saporta, paléobotaniste méridional du XIXe siècle ayant donné son nom à l’une des principales rues d’Aix-en-Provence, ce qui ne rapprocherait pas vraiment du sujet. Sans parler d’événements comme les finales olympiques à Helsinki en 1952 et à Munich vingt ans plus tard, dont il doit bien avouer qu’ils ne l’avaient pas frappé. Ou a fortiori de l’évolution des règles. Ce qui n’empêche pas de penser que les passionnés auront bien raison de s’en repaître, y compris quand, faute de souvenirs personnels directs, ils découvriront eux aussi une partie de l’arbre généalogique de leur sport préféré (ou d’un de leurs sports préférés, il ne faut pas être limitatif). Eux lui pardonneront sans doute de s’intéresser à autre chose qu’à ce que les éditeurs du volume définissent comme « une mémoire et une histoire du basket-ball européen, qui s’incarnent dans des figures, des clubs et des compétitions », voire « un récit uniquement centré sur un répertoire limité d’exploits sportifs et de grands joueurs et joueuses » et mené dans une démarche où, comme le note Daniel Champsaur, le « passé est scruté à la recherche de valeurs à mettre en exergue ou à l’occasion de commémorations », même si en pratique ceci a aussi sa place : les éditeurs regrettent d’ailleurs de façon explicite que n’ait pu être développée « l’analyse des évolutions techniques et tactiques du jeu », ce qui relèverait de cette histoire interne, même si ce peut être aussi avec d’autres résonances, et pourrait être approfondi dans l’avenir.

L’histoire des mentalités, des représentations et de leurs traductions concrètes a des choses à glaner sur les parquets de basket. D’abord sous sa forme la plus ancienne et longtemps la plus acceptée, l’histoire des religions. Ceci même si les responsables du volume, en plus du regret rappelé quelques lignes plus haut, ont celui de voir que « les multiples métamorphoses et adaptations de l’emprise exercée par le monde catholique » ont été laissées « en suspens ». En fait, quelques indications sont données en ce domaine, comme dans les deux précédents volumes, ← 15 | 16 → avec le rôle des YMCA8 évoqués aussi ici. On peut imaginer qu’elles le seront davantage un jour, dans un futur colloque et un futur ouvrage. Elles permettent d’ores et déjà de supposer par exemple qu’il y aurait à chercher du côté des hostilités entre catholicisme et protestantisme avant le changement induit en France par la Grande Guerre9, et du côté de l’antiaméricanisme conservateur10. Des pistes plus nombreuses touchent aux « représentations de genre dans la pratique en Europe », qu’il s’agisse de l’insistance soviétique sur le sport féminin, rappelée par Robert Edelman ou, en pays latin, du virilisme et de modèles de masculinité qui firent parler un temps certains commentateurs français d’un « jeu de demoiselles » comme le rappelle Gérard Bosc, et suscitèrent la perplexité du public italien face aux joueurs américains selon Saverio Battente et Tito Menzani, ou encore, de façon très différente, de la chronologie de l’intérêt lituanien pour le basket féminin liée aux victoires de la fin des années 1930, indiquée par Daiva Majauskiene, Vilma Čingienė et Mindaugas Gobikas comme par Julien Gueslin.

Les politiques intérieures sont davantage représentées. Lampros Filouris note à partir de l’exemple de la Grèce que le rôle du sport dans la vie publique correspond à la fois à des logiques sportives, à des choix politiques et à des réactions aux événements locaux. Et c’est aussi un miroir. On trouvera ainsi dans ces pages des indications marginales mais très intéressantes sur le fonctionnement d’une dictature, le franquisme en l’espèce, tel que le présente Juan Antonio Simón avec les mécanismes de la carrière et du réseau de Raimundo Saporta, menus cadeaux et petites corruptions y compris, et aussi l’étonnante faiblesse des informations sur ce qui est rhétoriquement l’ennemi numéro un pour le régime, au point que cinq pages seulement de notes sur les sujets les plus divers, rapportées d’URSS, semblent précieuses au dit régime ; mais on rejoint là les relations internationales. L’histoire intérieure des États et a fortiori leur sort global pèse sur la pratique du basket et se traduit dans celle-ci comme dans l’essentiel des autres activités humaines, et l’on touche à nouveau plus ou moins aux relations internationales puisque l’on peut évoquer des effets, certes pas les plus importants mais fort illustratifs, par exemple de l’antisémitisme des années 1930, en l’occurrence en Grèce, ou de l’invasion des Pays Baltes par l’URSS après le pacte germano-soviétique. En Grèce encore, on perçoit aussi l’usage du sport comme ← 16 | 17 → dérivatif politique par le PASOK au temps de sa splendeur, et aussi les effets de la crise actuelle. Et juste au nord, Loïc Trégourès met en lumière la traduction de l’éclatement de la Yougoslavie avec les chemins divergents de la Croatie dont les choix en la matière rappellent l’Allemagne, et de la Serbie se posant en héritière de l’ancien État, avec tout de même des matchs entre les nouveaux « États successeurs » au sein de la Ligue adriatique, dernier écho de ce que fut le pays.

Le basket est d’autre part une des occasions de mise en scène de valeurs nationales, avec une affirmation de la nation même, à usage externe mais avant tout interne. L’exploitation du basket-ball féminin lituanien a déjà été évoquée, avec son utilisation pour affirmer l’existence du pays sur le plan international aux lendemains de son indépendance, puis au sein de (et contre) l’URSS après sa ré-annexion, ceci sur le plan symbolique mais aussi pratique puisque des matchs ont servi de lieu de réunion et de manifestation11. Il joue aussi, comme les autres sports de masse, un grand rôle dans l’encadrement de la jeunesse par des régimes autoritaires, comme de nouveau l’Espagne franquiste, ou offre un moyen de mimer la normalité jusqu’en temps de guerre et sous régime totalitaire, comme dans l’Alsace annexée par l’Allemagne nazie décrite par Hans-Dieter Krebs. Mais il peut aussi devenir révélateur involontaire de réalités politiques, et faire apparaître des réalités loin d’être mises en scène et affichées, comme en URSS les rivalités entre Moscou et Leningrad ou entre les clubs civils d’une part, ceux de l’armée et de la police d’autre part, voire en France les tensions entre périphérie et centre, ou entre patronages et Paris, évoquées par Sabine Chavinier-Réla et dont il faudrait voir si elles ont leurs équivalents ailleurs pour un sport dont il est rappelé que la géographie n’est pas celle de l’Europe des métropoles – même si les cas grec et espagnol au moins vont en sens contraire et si en France l’émergence emblématique du Cercle Saint-Pierre de Limoges au tout premier plan est plus récente que ne nous le disent nos mémoires. Il faudrait voir aussi si relève de ces réalités sous-jacentes le lien entre basket et pluralisme culturel, religieux ou national, souligné dans plusieurs articles, en URSS par opposition au football spécifiquement russe, en Grèce dans l’entre-deux-guerres avec le cosmopolitisme de Salonique et l’importance des joueurs juifs, peut-être en France malgré des doutes possibles, en tout cas dans la Yougoslavie titiste, mais là avec une nette mise en scène ← 17 | 18 → idéologico-identitaire jouant de façon très volontaire sur un parallèle avec les structures de défense militaires du pays et sur l’esprit d’équipe – de façon assez comparable à ce que l’on retrouvait dans la feue URSS avec le discours de la « socialisation » et de la « coopération », qu’il s’agisse de modèles idéologiques opératoires ou de simple adaptation de slogans obligés. Et même si l’on suppose que le processus n’y fut pas concerté mais spontané, on a aussi outre-Atlantique une mise en scène de valeurs dont on ne saurait faire l’économie même en ne traitant en théorie que de l’Europe, tant on les y retrouve. C’est en effet à propos de l’Italie (les relations internationales ne sont encore une fois pas très loin) qu’est indiquée la façon dont le basket américain porte une accumulation de valeurs fondamentales ou fondatrices, esprit pionnier, combat pour la liberté, morale du travail et de la réussite, affirmation individuelle, etc., adoptées ou adaptées par les Noirs américains y compris dans leur combat pour les droits civils, et se traduisant par la juxtaposition de personnalités fortes au sein d’une équipe.

Si les relations internationales ne sont pas loin, c’est que le sport en général est, ou est devenu, une réalité internationale – c’est une évidence, voire une banalité. Et l’on voit ainsi intervenir des réseaux transnationaux, humanitaires, religieux ou bien entendu sportifs, entre fédération spécifique et mouvement olympique. Et un phénomène général comme les migrations humaines, ou des évolutions globales comme la convergence relative entre pays européens mais aussi une mondialisation plus ancienne que ne le disent les discours de l’immédiateté politico-journalistique. Les migrations, autre thème dont les responsables du volume regrettent qu’il ne puisse faire l’objet d’une « étude serrée », apparaissent ainsi à propos d’émigrants revenant dans les Pays Baltes depuis l’Amérique, l’Europe occidentale ou la Russie, puis de joueurs des mêmes pays absorbés par les équipes soviétiques après l’annexion, migrants internes d’une certaine façon, ou au contraire fuyant d’abord en France avant que les États-Unis ne s’ouvrent à eux. Et ces mêmes migrations apparaissent avec le « million de Grecs de l’autre côté de l’Atlantique », sans doute les Italo-américains même s’ils sont à peine évoqués, et après 1989 les ex-Yougoslaves. Et auparavant, même s’il s’agit de migrations temporaires, spécifiques, pas assez perçues comme telles, avec les séjours en Europe de militaires américains, et plus tard la circulation d’athlètes professionnels quand les championnats nationaux s’ouvrent aux joueurs étrangers, comme en Italie après le milieu des années 1960. Cette variété pourrait offrir une piste pour de futures rencontre et publication. D’un autre côté, la convergence entre pays européens, dans le domaine spécifique du basket, peut naître de ces mêmes circulations volontaires ou forcées. Mais elle correspond surtout à un phénomène global qu’elle illustre, lié à l’enrichissement lors de ce que l’on a appelé en France les Trente Glorieuses, même là où ce ← 18 | 19 → n’est que relatif, aussi bien en URSS qu’en Grèce, avec le développement des classes moyennes portant ce sport dès ses origines, d’où d’ailleurs le caractère populiste de réactions initiales contre le jeu lui-même, tenu pour un luxe inutile dans la Lituanie rurale, puis contre son évolution sous l’influence américaine en France après 1945 – et cette fois, en sens inverse, l’on passe des relations internationales ou des phénomènes transnationaux aux questions intérieures.

Résumé des informations

Pages
304
Année
2015
ISBN (PDF)
9783035265347
ISBN (ePUB)
9783035298598
ISBN (MOBI)
9783035298581
ISBN (Broché)
9782875742629
DOI
10.3726/978-3-0352-6534-7
Langue
français
Date de parution
2015 (Juin)
Mots clés
Histoire politique social europe basket ball
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 304 p., 15 ill., 4 tabl.

Notes biographiques

Fabien Archambault (Éditeur de volume) Loïc Artiaga (Éditeur de volume) Gérard Bosc (Éditeur de volume)

Fabien Archambault, agrégé d’histoire et ancien membre de l’École française de Rome, est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Limoges. Ses recherches portent notamment sur l’histoire du football et du basket-ball. Loïc Artiaga est maître de conférences en histoire culturelle à l’Université de Limoges, où il dirige le master Création contemporaine et industries culturelles. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur la culture médiatique. Gérard Bosc, ancien professeur d’éducation physique, ancien entraîneur, en club ou de sélection, ancien directeur technique national, il a co-fondé en 1984 le Musée du Basket, dont il est toujours le président. Ses travaux pionniers sur l’histoire du basket-ball en France constituent une référence dans le monde du basket.

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Titre: Le Continent basket
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