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Se coordonner dans un périmètre irrigué public au Maroc

Contradictio in terminis ?

de Zhour Bouzidi (Auteur)
©2016 Thèses 373 Pages
Série: EcoPolis, Volume 23

Résumé

Se coordonner dans un grand périmètre irrigué public, conçu dans l’idée même d’une coordination hiérarchique par l’État, renvoie-t-il à une contradictio in terminis ? Une question lancinante dans les débats en cours sur les périmètres irrigués de la grande hydraulique qui, en s’accordant sur les limites des modèles institutionnels et réformes successifs, restent toujours en quête d’approches pertinentes pour une bonne gestion de ces périmètres.
La réponse à cette question est a priori affirmative dans le périmètre irrigué du Gharb au Maroc, un périmètre longtemps façonné par un État s’ingérant dans les détails les plus infimes de la vie rurale. Le passage de l’eau du ciel à l’eau de l’État n’a pas marqué seulement les pratiques et le paysage agricole dans ce périmètre mais aussi les discours et les représentations collectives des agriculteurs et des agents de l’administration agricole. Alors : si on cherchait à repenser autrement cette question dans un contexte de redéploiement de l’État et d’émergence de nouvelles dynamiques ?
Tel est l’objectif de ce livre qui se propose d’appréhender la coordination de la gestion des périmètres irrigués de façon différente et originale. Différente, dans son ambition d’inverser le regard porté sur ces périmètres publics en analysant la coordination « par le bas ». Originale, dans son approche qui vise à décrypter la coordination in situ, son sens pratique, ses logiques implicites et explicites, autrement dit les grammaires d’action, en s’imprégnant des dédales des vécus locaux et des rouages de l’anodin et de l’irrégulier. Le livre s’attache à dénouer les fils de la coordination dans trois villages, fils que tissent les communautés locales dans leurs attachements divers avec la production d’agrumes, l’utilisation de l’eau pour l’irrigation et l’accès à la terre.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Préface
  • Introduction
  • Première partie - ratiques de coordination : entre volonté étatique et réalités paysannes
  • Chapitre I - Se coordonner, à la croisée d’une pluralité de logiques. Héritage mêlé de la grande hydraulique au Maroc
  • 1. Mise sur pied du secteur colonial : évolution et foisonnement de stratégies
  • 2. La grande hydraulique de l’après-indépendance : continuités et ruptures avec le Protectorat
  • Chapitre II - La coordination dans les périmètres irrigués : question ancienne et débat renouvelé
  • 1. Une analyse « marxisante » par l’école de « sociologie rurale marocaine »
  • 2. À partir des années 1980 : une lecture de la coordination en écho avec le débat international
  • 3. À partir des années 2000 : privatisation ou « makhzenisation renouvelée » ?
  • 4. Repenser la coordination comme un processus ascendant
  • Chapitre III - Se frotter au terrain pour appréhender la coordination en pratique
  • 1. Une démarche axée sur les pratiques
  • 2. Apports de la monographie pour dénouer les fils de la coordination
  • 3. Démarche de la recherche
  • Deuxième Partie - Trois villages, trois objets de coordination
  • Chapitre IV - L’eau : Douar Omarat
  • 1. Le cadre de vie : le douar et ses habitants
  • 2. L’objet de la coordination : caractérisation et histoire d’émergence
  • 3. Les pratiques de coordination autour de l’eau
  • Chapitre V - L’arbre : Coopérative Shaimia
  • 1. Le cadre de vie : la coopérative et ses habitants
  • 2. Objet de la coordination : caractérisation et histoire d’émergence
  • 3. Les pratiques de coordination autour des agrumes
  • Chapitre VI - La terre : chez les aazaba de Kchailia
  • 1. Le douar et ses habitants
  • 2. Le foncier, objet structurant pour de nombreuses pratiques de coordination
  • 3. Les pratiques de coordination
  • Troisième Partie - Interroger la Fabrique commune des pratiques de coordination : Grammaires Plurielles et défis multiples
  • Chapitre VII - Réseaux et coordination : reconfigurations des liens sociaux et nouveaux agencements
  • 1. La place des réseaux sociaux dans les dynamiques de coordination
  • 2. Caractérisation des réseaux mobilisés
  • 3. Renouveau des liens sociaux
  • Chapitre VIII - Dire son faire, faire sans dire : des pratiques de coordination sous l’emprise des mots
  • 1. Hiatus entre discours et pratiques
  • 2. La mise en mot des pratiques de coordination
  • 3. Immuabilité du discours et sémantique de l’action
  • Chapitre IX - Les grammaires locales de la coordination. Penser la régularité de la vie sociale sans mécaniser l’action
  • 1. Les rapports sociaux dans les campagnes marocaines : du segmentaire au composite
  • 2. Qualification des pratiques de coordination
  • 3. Les grammaires autour d’autres pratiques collectives
  • Conclusion générale
  • Bibliographie
  • Glossaire des termes arabes utilisés
  • Liste des sigles et acronymes
  • Liste des tableaux
  • Liste des figures
  • Liste des encadrés

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Remerciements

C’est durant ma formation d’ingénieur agronome au sein de l’école nationale d’agriculture de Meknès que j’ai été amenée à m’intéresser aux grands périmètres irrigués au Maroc, vastes territoires de par leur taille et la complexité des dynamiques sociales et techniques qu’ils renferment. Mon intérêt pour ces périmètres publics, dits de grande hydraulique, s’est renforcé après la réalisation d’un mémoire de master interdisciplinaire à Paris et surtout d’une thèse en sociologie dont cet ouvrage est issu. Le lecteur cernera, je l’espère, entre les lignes les éléments de cette double posture d’ingénieur agronome et de sociologue et, par la même, les différents ajustements et déplacements qui se sont opérés chemin faisant au long de cette expérience sociale et interdisciplinaire.

Cette entreprise de longue haleine doit son aboutissement à tous ceux qui m’ont soutenue tout au long de sa construction. Je tiens ainsi à remercier en particulier, Jean-Paul Billaud, qui a dirigé cette thèse et suivi son avancement avec tant de bienveillance et de rigueur scientifique. Mes sincères remerciements vont également à Nicolas Faysse qui a bien voulu codiriger cette thèse et suivre de près mes enquêtes de terrain. Je remercie infiniment Marcel Kuper et Mostafa Errahj pour le soutien et l’accompagnement qu’ils m’ont réservés depuis le mémoire de fin d’étude à l’ENA de Meknès.

Mes vifs remerciements s’adressent aussi aux membres du jury de ma thèse, M. Hassan Rachik, M. David Banchon, M. Thierry Ruf et M. Christian Deverres. Par leurs remarques et critiques constructives, ils ont contribué à élargir mes perspectives et à faire en sorte que la soutenance ne marque pas simplement la fin d’un parcours, mais bien le début d’une démarche de recherche qui se prolonge aujourd’hui.

Cette recherche a été réalisée dans le cadre de l’équipe pluridisciplinaire SIRMA (analyse des Systèmes irrigués au Maghreb) et de l’UMR G-EAU qui, en plus du soutien financier, m’ont permis d’enrichir mon expérience scientifique et humaine à travers différents échanges, rencontres, doctoriales, colloques, etc. La richesse de ces rencontres m’a permis d’évoluer tant sur le plan professionnel que personnel. Il m’est ainsi agréable d’exprimer mes remerciements et ma grande gratitude à toute l’équipe SIRMA : Patrick Caron, Sami Bouarfa, Patrice Garin, Amar Imache, Hassan Kemmoun, Jean-Yves Jamin et d’autres pour tout le soutien apporté durant ma thèse. ← 11 | 12 →

Pour leurs suggestions et leurs conseils, je remercie Marcel Jollivet, Daniel Cefai, Jean Loussouarn, Augustin Berque et Cyril Lemieux.

Je ne manquerai pas ici d’exprimer mes vifs remerciements à toute l’équipe du LADYSS pour l’accueil chaleureux, les échanges riches et l’environnement de travail confortable et serein dont j’ai bénéficié pendant toutes ces années et qui compte pour beaucoup dans la concrétisation de ce travail. Que soient remerciés ici Blandine, Artan, Florence, Sylvie, Bassem, Anne-Marie, Swarna, Diouldé, Michel, Raouf, Mustapha, Faiza, Kenza et un grand merci à Béatrice Moellic pour son accueil, sa présence et son soutien indéfectibles.

Tous mes remerciements vont également à mes amis, Mathilde, Veronica, Ornella et Kévin du réseau eau de l’université Paris 10 (rés_EAU P10) pour l’initiation et le partage de cette expérience passionnante autour de l’eau. Elle marquera nos parcours et continuera, j’espère, à nous réunir autour d’activités scientifiques, de séminaires et d’apér-EAU scientifiques.

Cette recherche est essentiellement le résultat de rencontres et de dialogues. Sur le terrain, nombreux sont les gens qui m’ont accueillie à bras ouverts, hébergée, écoutée, et qui ont partagé leurs histoires avec tant de sincérité et d’ouverture en rendant mes passages fréquents et mes longs séjours légers, agréables et fructueux. La liste est longue, mais je cite en particulier : Mohamed, Oussama, Khadidja, Abdelatif, Ammou, Abdelkader, Ahmed, Fatna, Jamal, Safa, Manal…Que tous ceux et toutes celles qui m’ont aidée pour ce travail de terrain soient ici chaleureusement remerciés. Je ne manquerai pas de remercier et par la même dédier ce travail à tous mes étudiants.

Je tiens finalement à remercier mes chers parents pour leur patience, leur engagement, leur encouragement indéfectible et pour avoir toujours cru en moi. Aucun mot ne saurait les remercier à leur juste valeur. Je remercie aussi ma chère sœur Nora, ma belle-sœur Meriem, mes frères Said, Hakim, Hicham, Abdelkarim, Mohamed, mes nièces et neveux, ma cousine Assia, mon cousin Amal et toute ma grande famille.

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Préface

L’ouvrage que présente Zhour Bouzidi est tiré d’une thèse en sociologie que j’ai eu le plaisir de diriger. Cette publication qui en est issue est en soi une reconnaissance de la qualité du travail académique, reconnaissance qui lui a valu en 2013 le prix Pierre Massé1. Même s’il n’en restitue pas toutes les facettes, en particulier la trajectoire qui la sous-tend puisque Zhour Bouzidi vient des sciences de l’ingénieur, cet ouvrage porte la trace d’une pluridisciplinarité maîtrisée. Membre du réseau SIRMA, lieu d’incubation de jeunes talents, qu’animent Marcel Kuper et Nicolas Faysse, Zhour Bouzidi a su conjuguer avec bonheur et modestie, sa compétence technique initiale et la découverte des sciences humaines et sociales, son savoir-faire de l’ingénieur et la réflexivité qu’entraîne pour tout chercheur la tentative, pour reprendre la belle caractérisation d’Isabelle Stengers dans L’invention des sciences modernes, de réduire « l’incertitude irréductible (qui) est la marque des sciences de terrain ».

L’incertitude réside ici dans une énigme, à savoir l’idée partagée par les ingénieurs et par les fellahs eux-mêmes que le Ghrab de la grande hydraulique est un monde atomisé du « chacun pour soi ». Partant d’observations faites dans des travaux antérieurs (le master lui avait permis de se familiariser avec cette région particulière qu’est le Ghrab), Zhour Bouzidi y a vu plutôt la trace d’un refoulement des pratiques de coordination car celles-ci parsèment le quotidien de la vie dans le douar. Encore fallait-il les identifier, les circonscrire, en cerner les conditions d’exercice, en dévoiler les formes, parfois les traces et, à partir d’un tel inventaire, tenter de comprendre pourquoi elles semblent victimes d’un ostracisme généralisé. Tel est l’objectif de cet ouvrage qui, partant du quotidien des acteurs, pose des problèmes plus généraux sur ce que veut dire « se coordonner » entre humains certes, mais aussi avec les objets qui les entourent.

Il y en a trois dans cet ouvrage, chacun d’eux étant situé dans une configuration sociale particulière, le douar, qu’après réflexion elle a jugée pertinente pour mener ses enquêtes. Une pertinence qui renvoie ← 13 | 14 → à la complexité de l’acte de se coordonner, dans la mesure où celui-ci se joue certes dans les réseaux sociotechniques que génère la grande hydraulique, mais où il emprunte également les chemins buissonniers qu’offre la vie quotidienne, du café à la mosquée, du voisinage à l’espace domestique.

Par une enquête minutieuse, mobilisant l’observation comme les entretiens, Zhour Bouzidi a accumulé des matériaux ethnographiques particulièrement riches pour comprendre, à partir de ses questions initiales, les processus de transformation des sociétés rurales du Maghreb. En partant du bas, dans le contexte marocain qu’elle a su reconstituer en s’attachant à ne pas perdre le fil rouge de sa démonstration, elle a mis à jour, mis en lumière de l’anodin, de l’éphémère, auquel elle a su donner du sens. Cela n’a été possible qu’au prix d’une immersion radicale de deux ans, certes pas en continu, mais cette démarche que connaissent bien les anthropologues lui a permis d’entrer en confiance avec tous les acteurs, le notable comme les jeunes ou les femmes, de tester la pertinence de l’échelle du douar, de débusquer en quelque sorte ces pratiques de coordination niées ou ignorées par ceux qui détiennent quelque parcelle de pouvoir, occultées ou refoulées par ceux-là même qui les expérimentent. Il fallait donc du temps, de la présence attentive aux faits et gestes du quotidien. Ce choix d’une immersion totalement ouverte ne procédait pas d’une ignorance de la configuration des trois douars qu’il aurait fallu combler, mais il s’imposait parce que le refoulé de la coordination et la nécessité de ne pas être prisonnier du grand récit de la grande hydraulique nécessitaient d’aller au bout d’une démarche inductive qui laisse en quelque sorte le terrain, les expériences des acteurs désigner ce qui compte pour eux quand ils décident – ou sont contraints – de se coordonner.

Autrement dit, s’en tenir aux effets de la domination comme à ceux des mécanismes, ici apparemment grippés, de la solidarité était insuffisant pour épuiser le sens de ces bricolages de la coordination qu’elle repérait, l’objectif étant alors de comprendre pourquoi, dans un tel contexte, leur institutionnalisation semblait interdite, renvoyant en cela à la complexité d’un rapport à l’État qui ne relève, chez les fellahs, ni de la sujétion ni de l’indifférence.

On retrouvera dans cet ouvrage des analyses qui entrent en résonance avec de nombreux travaux menés sur la grande hydraulique au niveau mondial. Les grands périmètres irrigués ont été au cœur de l’action publique sur tous les continents, représentant en cela pour les États un modèle d’action d’inspiration colonisatrice, des peuples comme de la nature. De la captation des ressources (l’expression de Lyautey « pas une goutte à la mer » est judicieusement rappelée ici) à la volonté de créer ← 14 | 15 → une « nouvelle Californie » en passant par la création des associations d’irrigants pour pallier la libéralisation du marché du foncier et de l’eau, tous ces épisodes sont resitués dans le contexte marocain par Zhour Bouzidi. Mais, au travers de ces trois objets de nature dont elle explore en quoi ils catalysent des pratiques de coordination, elle cerne aussi les failles du modèle : le système d’attribution de l’eau en contradiction avec les règles de la solidarité villageoise ; le défi lancé à l’Office et à son modèle autoritaire de production en grande hydraulique par les planteurs d’arbres fruitiers ; le combat pour la terre des ouvriers agricoles injustement privés de leurs droits. Tantôt, c’est au cœur de la société « traditionnelle » que le changement opère ; ou bien, c’est au prix de l’initiative individuelle ou familiale dans un esprit de rupture avec l’ordre établi ; ailleurs, c’est par un évènement fondateur basé sur des valeurs partagées. Autant de situations où se mêlent résistance et esprit d’innovation et qui manifestent une volonté farouche de créer du lien. C’est dans cette création que se nichent les pratiques de coordination.

Pour les identifier et en saisir les processus, Zhour Bouzidi s’est dotée d’outils théoriques susceptibles de les instruire comme pratiques situées, par leur inscription aussi bien dans une histoire particulière que dans des problèmes à résoudre bien différents selon les douars. À bon escient, cette analyse s’inscrit dans la sociologie marocaine, en particulier celle de Paul Pascon avec lequel Zhour Bouzidi ouvre la discussion par l’incorporation critique de son travail dans sa double vision d’une société segmentaire ou d’une société composite. Il s’agit là d’une montée en généralité réussie qui, proposant l’hypothèse d’une coexistence de ces deux modèles, devrait enrichir les débats au sein de la communauté des sociologues marocains.

Mais, en proposant de recourir à la problématique des « grammaires », Zhour Bouzidi a aussi fait preuve d’audace sur le plan théorique et, par là même, pris un risque. L’enjeu est de pouvoir décrire l’agir, plus précisément ici une grammaire de l’action des praticiens de la coordination, constituée des mots et des propositions qu’ils utilisent pour décrire l’action ou plutôt pour décrire certaines possibilités d’actions. Ceux qui se coordonnent ici ne rêvent pas d’action collective, mais ils mettent des mots sur leurs expériences, et même ils les mettent en mots, construisant ainsi de nouvelles figures de la coopération dont la diversité tient davantage aux grammaires mobilisées qu’aux formats des réseaux qui les sous-tendent. Choix particulièrement pertinent qui révèle d’autant plus clairement le hiatus, ainsi qu’elle le caractérise, entre d’un côté des discours construisant, dans une complicité latente entre l’administration et les élites, l’image de sociétés éclatées et de l’autre des pratiques sociales que l’esprit de la coordination habite. ← 15 | 16 →

L’ouvrage présenté par Zhour Bouzidi informe et instruit. Il est donc utile pour le scientifique qui cherche à comprendre les trajectoires des sociétés contemporaines, mais aussi pour le citoyen en quête d’expériences ordinaires qui, somme toute, sont aussi des expérimentations de ce qui fait bien commun.

Jean-Paul Billaud

Directeur de recherche au CNRS


1 Co-Lauréate du Prix Pierre Massé ou Prix eau et société 2013, décernée ex-aequo à Zhour Bouzidi et Louise Purdue : la Société hydrotechnique de France décerne chaque année le prix Pierre Massé, destiné à encourager toute personne ayant récemment soutenu une thèse ou ayant publié des travaux innovants concernant les sciences humaines et sociales appliquées aux domaines de l’eau.

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Introduction

« Peut-on continuer toujours d’admettre que ce qui doit s’adapter c’est toujours la société (variable dépendante), jamais la technique (variable indépendante), ou, au contraire, s’autoriser à penser que la relation n’est pas aussi univoque qu’on voudrait bien le dire » (Marié, 1984).

Dans de nombreux pays en développement, l’irrigation fut placée comme un axe central du développement social et économique (Mollinga et Bolding, 2004). Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, la conception et le développement des grands périmètres irrigués furent confiés à des « corps d’ingénieurs bâtisseurs » dans un contexte de coordination fortement centralisée (Kuper, 2011). Les schémas d’aménagement adoptés sont hérités de la période coloniale. Bien que l’environnement de l’irrigation ait beaucoup changé, les pratiques postcoloniales restèrent largement influencées par les approches coloniales (Ertsen, 2007).

Après les indépendances, des objectifs multiples et fort ambitieux furent associés aux prouesses de la grande hydraulique : accroître la productivité agricole, atteindre la sécurité alimentaire et améliorer les revenus des agriculteurs. L’objectif de modernisation de l’agriculture irriguée fut soutenu par d’importants aménagements structurels des territoires (irrigation, drainage, remembrements) (Deverre, 2004). Des budgets conséquents furent ainsi investis dans le cadre des politiques hydro-agricoles et furent couplés à un arsenal de mesures réglementaires, juridiques et incitatives. Il était supposé que les gains financiers issus de l’amélioration de la productivité allaient permettre à l’État et aux usagers d’assumer les coûts d’opération et de maintenance des systèmes. Cependant, après plusieurs années d’expérience, les systèmes d’irrigation dans les pays en développement ont rarement atteint leur potentiel de conception et plusieurs schémas n’ont pas pu produire des résultats correspondant aux aspirations initiales (Shah, 2002).

Au Maroc, l’État a consacré entre un tiers et un quart de l’investissement public à des projets impliquant l’hydraulique à grande échelle, entre la moitié et les deux tiers de ceux-ci visant le secteur agricole (Akesbi et Guerraoui, 1991). La grande hydraulique fait référence à un modèle, planifié et centralisateur, d’action d’aménagement par l’irrigation, distingué par de grands équipements hydrauliques modernes, garantissant ← 17 | 18 → un service régulier de l’eau à des périmètres de grande taille1 (Bouderbala et al., 1986). Le modèle fut caractérisé par ses ambitions de maîtrise des ressources, des facteurs de production et par là même des populations (Pascon, 1980). L’État ne se chargeait pas uniquement de l’équipement externe (remembrement agricole, canaux d’irrigation et d’assainissement, infrastructure d’adduction et d’écoulement d’eau, etc.) mais s’occupait aussi de l’équipement interne des parcelles (défrichement, drainage, nivellement). De plus, il décidait des types de cultures en imposant un assolement obligatoire basé sur des cultures industrielles (betterave à sucre, canne à sucre, coton) transformées dans des usines étatiques. Pour leur part, les agriculteurs devaient payer une redevance d’eau et suivre les plans d’assolements fixés. Le non-respect de ces assolements pouvait engendrer des sanctions rigides allant parfois jusqu’à l’expropriation des terres lorsqu’elles avaient été attribuées par l’État.

Résumé des informations

Pages
373
Année
2016
ISBN (PDF)
9783035265606
ISBN (ePUB)
9783035298956
ISBN (MOBI)
9783035298949
ISBN (Broché)
9782875742414
DOI
10.3726/978-3-0352-6560-6
Langue
français
Date de parution
2015 (Décembre)
Mots clés
agriculture familiale Gestion de l'eau grammaires locales Gestion des périmètres irrigués Maroc le Gharb Action collective grande hydraulique Redéploiement de l'État
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 373 p., 42 fig., 12 tabl.

Notes biographiques

Zhour Bouzidi (Auteur)

Zhour Bouzidi est docteure en sociologie de l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense. Elle est enseignante chercheure au département de sociologie de l’Université de Meknès et chercheure associée au Laboratoire des dynamiques sociales et recomposition des espaces (LADYSS) à l’Université Paris Ouest. Membre du réseau SIRMA, ses recherches portent sur la gestion de l’eau, l’environnement, les jeunes ruraux, le genre et l’action collective. La recherche présentée dans le présent ouvrage a reçu ex-aequo le prix Pierre Massé, eau et société 2013, décerné par la Société Hydrotechnique de France (SHF).

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