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Connexions électriques

Technologies, hommes et marchés dans les relations entre la Compagnie générale d’électricité et l’État, 1898-1992

de Yves Bouvier (Auteur)
©2014 Monographies 700 Pages

Résumé

Qu’à l’occasion d’un voyage officiel d’un ministre ou du président de la République, la délégation soit composée de chefs d’entreprise et de hauts fonctionnaires n’étonne plus. Drapeau et commerce sont associés au nom de la conquête des marchés internationaux, de la sauvegarde de l’emploi et du prestige national. Cette relation étroite entre la grande entreprise et l’État, généralement considérée comme une spécificité française du fait de son intensité, s’est d’abord construite dans l’espace national au cours du XXe siècle.
Cet ouvrage présente pour la première fois une réflexion dans la durée sur la relation d’un grand groupe industriel avec l’État. Fondée en 1898, la Compagnie générale d’électricité est devenue Alcatel-Alsthom en 1991. Inflexions politiques, changements de régime et guerres ont bien évidemment eu des effets directs sur les rapports entretenus entre la CGE et l’État, mais les rythmes profonds sont toutefois liés aux temporalités des technologies, à la définition des marchés et aux stratégies personnelles des managers. Passant des concessions municipales pour les premiers réseaux urbains d’électricité à la veille de 1900 aux investissements considérables du programme nucléaire et du rattrapage téléphonique dans les années 1970, la CGE a changé d’échelle avec le déploiement des politiques publiques dans un véritable processus de co-construction.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Remerciements
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface
  • Introduction
  • Première Partie: Une Compagnie Jeune et Indépendante
  • Introduction à la première partie
  • La constitution du groupe CGE ou l’administrateur délégué au centre du système, 1898-1910
  • La direction générale ou la coordination maîtrisée des marchés de l’électricité, de 1910 au début des années 1920
  • La puissance financière au service de l’influence industrielle, du début des années 1920 au milieu des années 1930
  • Conclusion de la première partie
  • Deuxième Partie: Fournisseur De L’état: Le Charme Discret de la Rente
  • Introduction à la deuxième partie
  • L’État et la définition des cadres d’action de la CGE
  • Grandir à l’ombre des commandes publiques : l’État est le marché
  • L’entre-deux systèmes techniques et les frémissements de l’innovation
  • Conclusion de la deuxième partie
  • Troisième Partie: Les Tensions d’une Ambition Commune
  • Introduction à la troisième partie
  • La CGE d’Ambroise Roux, un État privé dans l’État ?
  • De l’équipement du pays à la conquête des marchés internationaux, l’accompagnement par l’État, 1974-1981
  • La conquête de l’autonomie par la CGE nationalisée, 1981-1992
  • Conclusion de la troisième partie
  • Conclusion générale
  • Sources
  • Indications bibliographiques
  • Index des noms de personnes
  • Index des noms de sociétés, organismes et institutions
  • Titres de la collection

← 10 | 11 → Préface

Pascal GRISET

Professeur à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV)

De nombreux a priori marquent l’approche de l’histoire des entreprises françaises lorsque celle-ci est insérée dans le débat public. Aux perspectives héroïques du temps jadis se sont superposées depuis les années 1960 de nombreuses, et parfois contrastées, reconstructions d’un passé que les analystes, experts économiques, acteurs de la sphère politique et commentateurs de toutes espèces aiment ajuster à la géométrie de leurs propres a priori.

Cette déformation est un mélange de désinvolture, d’instrumentalisation plus ou moins consciente mais également de méconnaissance d’une histoire qui n’est guère enseignée dans les établissements formant les futures élites dirigeantes et/ou médiatiques du pays. Cette situation est d’autant plus contrariante que l’historiographie a considérablement évolué dans ce domaine. Depuis les années 1970, l’histoire des entreprises s’est vigoureusement développée en France et plus globalement en Europe. Sans constituer une véritable « École » tant les approches peuvent s’avérer diverses selon les équipes la recherche française a produit un ensemble extrêmement solide. Elle a su se renouveler en fonction des avancées méthodologiques, des sources disponibles et des questionnements formulés par la société. Si beaucoup reste à faire, la vision du tissu entrepreneurial français, telle qu’elle se structurait il y a 25 ans, en est profondément renouvelée.

Le travail d’Yves Bouvier en abordant dans la longue durée l’histoire d’un grand groupe industriel à travers sa relation avec l’État en constitue une nouvelle avancée. Il confirme à quel point les clichés véhiculés trop souvent sont éloignés d’une réalité complexe et rétive aux grilles d’analyses pré-formatées et interchangeables.

Créée en 1898 la Compagnie générale d’électricité connaît un développement profondément marqué par l’organisation du marché de l’électricité et définit ses premiers espaces en fonction des stratégies de la puissance publique. Construite sur un modèle intégrant la fabrication ← 11 | 12 → des équipements et la production d’électricité, le groupe connaît une première phase de développement avant la Seconde Guerre mondiale. La nationalisation de la production d’électricité et la création d’EDF change totalement son modèle économique au lendemain du conflit. La montée des technologies liées à l’électronique et aux télécommunications constitue un second tournant à partir des années 1960. Sous la présidence d’Ambroise Roux, le groupe s’engage dans une consolidation de ses activités dans le matériel électrique et dans une diversification vers les « courants faibles ». Georges Pébereau, aux côtés d’Ambroise Roux puis à la tête de l’entreprise transforme l’ensemble en une entreprise structurée sur ses métiers forts et internationalisée. Yves Bouvier nous permet de comprendre ces logiques. Il évoque également une partie de l’écheveau politique qui s’est créé dans l’environnement d’une entreprise dont une large part de l’activité était liée aux commandes publiques. Les convergences entre l’ambition de l’entreprise et la volonté de l’État de développer une industrie de haute technologie permettent de mettre en place des programmes qui donneront à la France quelques belles réussites comme la commutation électronique ou le TGV.

Sur la base d’un travail de très grande ampleur, mobilisant un corpus de source très large malgré les lacunes liées au manque de préservation des archives de l’entreprise, Yves Bouvier a réussi une gageure en analysant une organisation dont les structures changèrent considérablement en un peu moins d’un siècle. En articulant les sphères économique, technique et politique, il démontre que les questionnements déployés par l’historien, sans se couper des interrogations contemporaines, doivent être larges, s’affranchir des modes et embrasser des problématiques amples.

Alors qu’il était au cœur de son travail Yves Bouvier pouvait en effet lire dans la presse les déclarations d’un Serge Tchuruk rêvant d’une entreprise sans usine… ultime rebond d’une stratégie de dépendance aux marchés financiers qui a fragilisé plusieurs décennies d’efforts. Le groupe florissant du début des années 1990, qui voyait Alcatel devenir le numéro un mondial des télécommunications et Alstom emporter de nombreux marchés a en effet connu depuis de sérieux revers. L’approche qui nous est proposée n’en est que plus pertinente à l’heure où l’action de l’État, considérée depuis la fin des années 1980 comme un archaïsme à ranger avec Colbert au rang des souvenirs, redevient une option. L’expression « politique industrielle » ne serait plus tout à fait incongrue… Loin d’évoquer un âge d’or, c’est bien en prenant pleinement en compte l’extrême complexité de questions où s’entrelacent dossiers financiers et politiques, questions de souveraineté et enjeux territoriaux que l’ouvrage d’Yves Bouvier permet d’approcher les défis des années 2010 avec des repères qui s’avéreront sans aucun doute particulièrement précieux.

← 12 | 13 → Introduction

Dans le temps qui s’écoule, rien ne se perd. Mais, petit à petit, tout pâlit, comme ces très vieilles photographies faites sur une plaque métallique. La lumière et le temps effacent leurs traits nets et caractéristiques. Pour reconnaître par la suite le portrait sur la surface devenue floue, il faut le placer sous un certain angle de réflexion. Cependant, un jour, la lumière tombe par hasard sous l’angle voulu et nous retrouvons soudain le visage effacé.

Sandor Maraí, Les Braises

Il n’importe pas seulement qu’on voye la chose, mais comment on la voye.

Montaigne, Les Essais, ch. XIV

Le promeneur parisien qui, après avoir flâné dans les allées ombragées du parc Monceau, rejoindrait les Champs-Élysées au niveau de la place de la Concorde remarquera peut-être, au 54 de la rue La Boétie, l’arc surplombant l’entrée d’un bel immeuble, sur lequel il pourra lire « Compagnie Générale d’Électricité ». Si ses arrêts pour admirer les ouvrages anciens exposés dans les vitrines des librairies du boulevard Haussmann ne l’ont pas mis trop en retard, ou s’il n’est pas trop impatient de consulter le programme de la salle Gaveau qu’il aperçoit déjà à l’angle de l’avenue Percier, peut-être remarquera-t-il, grâce à la transparence des vitres qui ont remplacé depuis longtemps les devantures des commerçants, que l’immeuble n’est pas large et que l’on devine une première cour intérieure. Intrigué, il verra même se profiler une seconde cour et comprendra qu’il est possible de rejoindre ainsi la rue de la Baume, voie parallèle qu’il avait pris soin d’éviter car plus étroite, plus sombre, moins animée que la rue La Boétie.

Peut-être ce promeneur ne verra-t-il même pas l’inscription en fer forgé et, soit que son regard ait été attiré par les affiches colorées claquant au vent de l’autre côté de la rue, soit qu’il ait déjà à l’esprit la majesté de l’obélisque de Louxor, il passera encore une fois à côté de l’un des hauts lieux de la nation. Certes, le siège social de la Compagnie générale d’électricité n’a pas la force politique et symbolique du palais de l’Élysée que le promeneur va longer à quelques rues de là. Pourtant, c’est derrière cette façade presque anonyme que s’est construite l’une des plus puissantes entreprises industrielles françaises.

← 13 | 14 → La Compagnie générale d’électricité, un objet historique déjà étudié

Aborder l’histoire de la Compagnie générale d’électricité n’est pas entrer dans un champ à défricher. Si les publications universitaires sont finalement assez rares, les principaux événements de la vie du groupe sont assez bien connus grâce à l’ouvrage publié au début des années 1990 sous la responsabilité de Jacques Marseille et à l’initiative de la direction de la communication du groupe : Alcatel-Alsthom, Histoire de la Compagnie Générale d’Électricité1.

Il convient de signaler, parmi les travaux universitaires, la thèse de Jules Rapp qui traite de l’histoire de la CGE de 1898 à 19392. Cette monographie suit un plan chronologique, présentant, dans un premier temps, l’histoire de « la CGE jusqu’à la Première Guerre mondiale » en onze chapitres. Suivent trois chapitres sur « les effets des hostilités ». Une troisième partie, en cinq chapitres, étudie les « problèmes entre les deux guerres ». Le travail est utile pour les indications chronologiques et les statistiques constituées et, à défaut d’une publication du travail intégral, les quelques articles qui en ont été tirés ont permis une meilleure connaissance, depuis vingt ans, de l’histoire de la CGE3.

Les autres publications universitaires traitant de la CGE sont des articles épars4, mettant en scène soit la CGE elle-même soit l’une de ses filiales. Certaines de ces filiales, notamment la Société générale d’entreprises, la Compagnie industrielle des télécommunications mais surtout ← 14 | 15 → Alsthom5, ont suscité davantage d’intérêts en raison de leur taille et de leur rôle dans leurs secteurs respectifs. En revanche, certaines filiales importantes, comme les Établissements métallurgiques de Rai-Tillières, les Câbles de Lyon, la Compagnie lorraine d’électricité ou l’Électricité de Marseille, n’ont pas été l’objet d’études, sauf superficielles.

Les relations de la CGE et de l’État comme objet historique

Saisir un groupe industriel et financier de l’ampleur de celui de la Compagnie générale d’électricité, qui a compté, à la fin de la période étudiée, jusqu’à 220 000 salariés, pouvait passer par une étude détaillée de chacune des activités du groupe. Il aurait été possible de juxtaposer les évolutions des différentes filiales en cherchant à mettre en évidence leurs liens. À l’inverse de cette approche internaliste, nous avons privilégié une approche d’emblée globale au cours de laquelle l’entreprise ne se révéla pas un monstre protéiforme mais un objet aux multiples facettes interactives6. Non seulement les actions économiques, financières, industrielles, sociales, politiques et culturelles sont en interaction constante mais ces différents pans de l’activité de l’entreprise s’inscrivent dans un environnement qu’elle ne fait pas que subir mais avec lequel elle interagit7. En multipliant les angles d’approche, il devient finalement possible de percevoir la complexité d’un groupe qu’une approche détaillée interne n’aurait probablement pas permis d’atteindre.

Pourtant, l’objectif de cette recherche n’est pas d’écrire une monographie de la CGE mais de retracer l’histoire de ce groupe industriel et financier dans ses relations avec les pouvoirs publics. Plus précisément, le projet de recherche consiste à identifier comment les innovations, aussi bien dans les technologies que dans l’organisation du groupe ou dans la perception des marchés, ont pu jouer un rôle, notamment par la lente construction de l’un des fleurons de l’industrie nationale dans ses ← 15 | 16 → interactions avec les différentes administrations et niveaux politiques de décision. Un certain nombre de concepts émergent de façon pratiquement évidente : stratégies, structures, innovation, système technique, organisation, groupe industriel, haute technologie… Pour les définir, il est nécessaire de les replacer dans les courants auxquels ils appartiennent et dont s’inspire ce travail. Ces concepts seront interrogés, évalués, remis en cause parfois, au fil des pages qui suivent.

Une histoire des systèmes techniques

L’histoire des techniques que Lucien Febvre appelait de ses vœux8 a pris place, grâce à l’action de François Caron, au cœur de l’histoire économique et sociale9. Prolongeant les travaux de Bertrand Gille sur le « système technique », François Caron a montré le rôle des innovations et des innovateurs dans la dynamique de ces systèmes globaux. À sa suite, de nombreux historiens ont étudié les interactions entre technologie et société, technologie et industrie, technologie et politique10. Défini comme l’ensemble des solidarités des filières techniques à une époque donnée11, le système technique était par nature instable, du fait des zones de « forte inadéquation entre les techniques utilisées et les besoins auxquels elles doivent répondre »12.

Les conceptions du rapport entre la technologie et la société oscillent, à des degrés divers, entre le déterminisme technologique (qui s’apparente dans une large mesure à une conception de l’évolution technique autonome) et la construction sociale des technologies selon laquelle la technique est avant tout une action humaine, s’insérant dans un contexte complexe, social, politique, économique et culturel13. Thomas P. Hughes, dont les ← 16 | 17 → écrits s’inscrivent dans le courant de la construction sociale des technologies, confère également un rôle éminent aux system builders14. Proche des réflexions de Lewis Mumford qui adopta une vision nuancée de la technologie, mettant en avant aussi bien sa capacité créatrice que destructrice15, les tenants de la construction sociale des techniques soulignent que celles-ci s’inscrivent non seulement dans des rapports sociaux qu’elles contribuent à remodeler, mais qu’elles sont elles-mêmes le produit d’une configuration sociale. Toutefois, Thomas P. Hughes a pris quelques distances avec cette vision en réintroduisant une dimension temporelle et dynamique dans les rapports entre technologie et société. Son concept de technological momentum, défini à de multiples reprises16, le conduit à distinguer la phase de construction du système technique, au cours de laquelle la société a une influence prépondérante, et la phase de maturité du système technique qui voit, au contraire, la technologie s’imposer largement à la société.

La dynamique des systèmes techniques a été appréhendée par le recours à de nombreux concepts. L’attitude des sociétés, les tensions créées par l’innovation, la réception des nouveaux produits, les recompositions socio-culturelles sont autant d’éléments étudiés par les historiens des techniques17. Goulots d’étranglement, pression de la demande, poussée de la technologie sont des concepts qui cherchent à établir un lien ← 17 | 18 → entre techniques et sociétés. Complétés par la dépendance du chemin18, les « socio-technological complex » ou celui de « technopolitics »19, ils s’inscrivent dans une approche d’une construction sociale, voire culturelle, des techniques.

Une mention particulière doit être faite à l’approche par les « large technical systems », ces grands réseaux techniques qui sont tout à la fois constructeur d’un nouvel espace et enjeux stratégiques et politiques20. Pascal Griset a montré les relations étroites entre les technologies des télécommunications et les relations internationales21. Les réseaux électriques et de télécommunications auxquels participe, à différents niveaux, la CGE s’inscrivent également dans cette filiation conceptuelle22.

Il ne s’agit pas d’adopter ici, on l’aura compris, le point de vue d’une autonomie de la technique. Si l’historien se doit d’interroger de façon critique les concepts qu’il utilise, il lui est tout de même difficile d’adopter pour autant les critiques a priori qui ont été popularisées autour de la dénonciation des rôles politiques de la technologie ou d’une aliénation propre à des « sociétés techniciennes »23. L’histoire des techniques est donc ici une histoire de l’innovation, nécessairement inscrite dans une histoire globale24.

← 18 | 19 → Une histoire des entreprises comme organisations

Dans le domaine universitaire, les travaux pionniers de Bertrand Gille, Jean Bouvier et surtout François Caron25 ont contribué à montrer l’intérêt de l’étude des grandes entreprises, qu’elles soient bancaires ou industrielles. Depuis le milieu des années 1980, de nombreux travaux, thèses, numéros de revues et livres sont venus confirmer la valeur heuristique de cette perspective26. Nul n’a plus besoin, aujourd’hui, de justifier l’entreprise comme sujet d’étude, comme objet d’histoire.

En intégrant l’histoire des entreprises à l’histoire des organisations, Alfred D. Chandler Jr a fait faire un pas décisif à l’analyse des systèmes complexes27. Toutefois, son approche des managers laisse de côté les ingénieurs du secteur public, si importants en France. Même dans Organisation et performance des entreprises, l’État paraît en retrait. La « Business History » française, animée notamment par les écrits de Patrick Fridenson28, bénéficie d’une publication de qualité avec la revue Entreprises et Histoire. Désormais, les organisations aussi ont une histoire et peuvent s’ouvrir aux analyses stratégiques développées, par exemple, par Michel Crozier et Erhard Friedberg29. Dans cette perspective, l’entreprise est, comme n’importe quelle organisation, le théâtre de tensions ← 19 | 20 → entre acteurs, de rivalités latentes (entre actionnaires et managers, par exemple), de conflits qui rythment la régulation de l’organisation30. La structure même du groupe (organisation multifonctionnelle ou multidivisionnelle, groupe intégré ou holding…) se révèle un enjeu stratégique pour les acteurs.

Si les dirigeants industriels commencent à être bien connus pour le XIXe siècle, les travaux portant sur le XXe siècle tendaient à privilégier les scandales et les relations de corruption31 même si certaines thèses sortent fort heureusement de ce travers32. Des publications majeures ont récemment apporté les synthèses attendues sur ce sujet33. Les travaux sur la bourgeoisie française34 ou les monographies sur certaines élites régionales35 ont aussi contribué à enrichir notre réflexion.

L’histoire industrielle, enfin, fut l’objet de plusieurs publications majeures depuis les années 199036. Décrire les recherches des différents secteurs industriels serait trop long. Mentionnons simplement, pour l’industrie électrique, les thèses stimulantes d’Alain Beltran, François Bernard, Christophe Bouneau, Gabrielle Hecht, Joseph Kennet, Pierre Lanthier, Serge Paquier, Catherine Vuillermot et Denis Varaschin37 ← 20 | 21 → ainsi que l’ensemble des publications de l’AHEF (Association pour l’histoire de l’électricité en France)38, dont l’Histoire de l’électricité en France39, puis du Comité pour l’histoire de l’électricité de la Fondation EDF. L’histoire des télécommunications n’a pas, jusqu’à présent, bénéficié d’un semblable engouement. Nous pouvons toutefois mentionner quelques ouvrages40 ainsi que les travaux de l’AHTI (Association pour l’histoire des télécommunications et de l’informatique) qui témoignent que cette industrie majeure du XXe siècle n’a pas été laissée complètement à l’abandon.

Il convient, par précaution, de rappeler que l’histoire des entreprises à laquelle nous aspirons n’a que peu à voir avec l’abondante littérature mettant en scène de médiatiques capitaines d’industrie, pourfendant les collusions, clouant au pilori ou portant aux nues tel ou tel patron. Comme jadis les armées royales ou impériales, les entreprises ont aujourd’hui leurs chroniqueurs. Comme les généraux, les maréchaux et les monarques, les ← 21 | 22 → entrepreneurs et grands patrons ont désormais leurs biographes et leurs thuriféraires… mais également leurs pamphlétaires. Ni les libelles élogieux, ni les mazarinades n’ont tout à fait disparu. Ils se sont simplement adaptés aux nouvelles formes de pouvoir. Outre le fait de n’avoir comme objectif que la valorisation du commanditaire, ces réalisations éludent, gomment, obèrent et finissent par reléguer dans l’oubli les tensions, les conflits et parfois même les choix décisifs. En un mot, elles aplanissent là où il faut creuser, présentant une histoire lissée, polie comme un galet, au lieu de rendre compte des aspérités, des anfractuosités et des brèches dans lesquelles s’engouffre l’historien. L’histoire des entreprises faite par les entreprises répond légitimement à une demande sociale, correspond à un besoin de communication de ces entreprises tout autant qu’à un besoin de connaissance de la culture de l’entreprise. Cette histoire économique – bataille, si elle ne satisfait par les exigences intellectuelles du chercheur, doit aussi être consultée car elle a l’avantage de dégager des chronologies, de dresser les portraits des capitaines d’industrie et d’observer les campagnes d’expansion ou de repli stratégique, le plus souvent à partir d’archives inaccessibles au chercheur. Au final, ces chroniques constituent davantage des objets d’étude qu’un corpus de références, même si les informations collectées peuvent être utiles au chercheur.

L’histoire-bataille des entreprises n’a pas à être reléguée, par principe, hors des sources de l’historien mais elle ne peut en aucun cas se substituer aux analyses qui définissent les travaux universitaires, aux concepts qui structurent une réflexion, aux conclusions qui ne sauraient être que provisoires. De nombreux et réels progrès ont été faits en ce domaine dans les années 1980. Le contraste est flagrant entre l’ouvrage réalisé en 1973 pour les 75 ans de la CGE41 et celui de 1992, commandé à la société Public Histoire et écrit par un groupe d’historiens42. Dans le premier, ouvrage de prestige, les textes sont volontiers emphatiques et le récit historique consiste bien davantage en une énumération des moments glorieux de la vie du personnel en activité qu’en une quelconque mise en perspective historique. Dans le second, ouvrage de communication confié à des professionnels, les textes respectent les critères minima du récit historique en étant fondés sur un grand nombre de données et de faits. Les ouvrages de cette histoire économique-bataille, bien qu’étant fondamentalement des produits de communication, constituent la partie ← 22 | 23 → visible d’un travail universitaire qui a profondément modifié notre perception de l’histoire des entreprises.

Questionnements

De la lecture des ouvrages cités et de l’analyse des archives émergèrent progressivement des interrogations multiples, foisonnantes et disparates qu’il fallait avant tout organiser, structurer, hiérarchiser. Technologies, hommes et marchés, ce triptyque qui a structuré notre travail correspond aux trois piliers de la relation entre la CGE et l’État.

De l’électricité aux technologies de l’information

La CGE fut portée sur les fonts baptismaux comme une entreprise d’électricité. Un siècle plus tard, elle était le leader mondial des télécommunications. La succession des deux systèmes techniques, celui de l’électricité et celui des technologies de l’information, est la clé de ce basculement. Comment un groupe industriel engagé dans les fabrications d’un système technique donné se réoriente-t-il dans les technologies émergentes d’un autre système technique ? Ce passage suppose des ruptures stratégiques mais s’accompagnent-elles de changements de personnes, voire d’un changement de génération de managers ? Comment coexistent des fabrications relevant de maturités techniques différentes ? Par la formation des scientifiques, des techniciens, des ingénieurs, l’État fut toujours un acteur de l’innovation. Selon quels dispositifs l’innovation s’inscrit-elle dans les rapports de l’État et des entreprises ?

La place de la technologie dans le développement de l’entreprise suscite aussi de nombreuses questions. L’internationalisation de l’économie43 et des technologies nous invite à replacer les activités de la CGE dans l’environnement concurrentiel qu’ont dû affronter ses produits. Comment, alors que les équipementiers du secteur électrique étaient déjà puissants, la CGE s’est-elle imposée comme fabricant de matériels au cours des années 1920 ? De même, comment, dans les télécommunications, est-elle passée, en quelques années, d’un rôle subalterne (constructeur sous licence Ericsson) à celui de leader mondial de la commutation temporelle ? Peut-on observer des ententes, des concurrences ou des partages d’influence avec ses principaux homologues ? Quelles sont les dynamiques des alliances et des transferts de technologie ? À quel moment interviennent les innovations ? Dans quels domaines apparaissent-elles ← 23 | 24 → déterminantes : est-ce dans l’arrivée d’un ingénieur, dans la recomposition des filiales, dans l’aboutissement d’un cheminement technologique ?

L’organisation du groupe industriel

Dans l’organisation des entreprises, Alfred D. Chandler Jr a montré le rôle des managers et l’avènement des structures multidivisionnelles. Mais, avec la croissance d’une entreprise comme la CGE, il faut aussi se pencher sur le fonctionnement du « Big Business ». Nous observons le passage de l’homme (l’administrateur délégué) à la Direction générale comme instance de coordination des activités de l’entreprise, du fait de sa croissance. Peut-on observer une recomposition parallèle des instances de décision ? Par ailleurs, le rapport des stratégies aux structures ne peut s’affranchir, comme semble le faire parfois Alfred D. Chandler Jr44, des personnalités des dirigeants et des enjeux de pouvoir. Selon quelles modalités et dans quels objectifs constate-t-on une instrumentalisation des structures par les dirigeants ? Cette question ne se pose pas seulement pour les rapports entre actionnaires (propriétaires) et managers (gestionnaires) mais aussi pour les rivalités internes entre dirigeants.

Pas plus que les entreprises, l’État n’est un bloc monolithique. La variété des acteurs (différents ministères eux-mêmes divisés en services parfois concurrents, collectivités locales, cabinets du Premier ministre ou de la Présidence de la République…), la diversité des enjeux (économiques, sociaux, politiques, diplomatiques) et l’éventail des politiques publiques (subventions, libéralisme, nationalisation…) suffisent à démontrer qu’il est nécessaire d’appliquer aux institutions publiques une analyse en termes d’organisation. Si notre thèse ne pouvait prétendre à une étude de l’État en France au cours du XXe siècle, de nombreux travaux45 nous ont donné des repères dans ce domaine. Peut-on, dès lors, établir des correspondances entre les organisations publiques et l’organisation d’un groupe industriel ? À quels niveaux se placent les relations entre la CGE et l’État ? Qui sont les interlocuteurs ? Comment la CGE put-elle jouer des antagonismes entre institutions publiques, voire même parfois, des conflits hiérarchiques au sein d’un même organisme ? Plus fondamentalement, l’État a-t-il été à l’écoute de la CGE ou a-t-il cherché à lui imposer sa volonté ? N’est-ce pas, aussi, la CGE qui a sollicité, suscité, ← 24 | 25 → voire organisé, l’action publique ? L’intérêt national fut-il un élément de convergence des dirigeants de la CGE et des dirigeants politiques ? Dans l’analyse économique classique, la structuration en groupe industriel serait une alternative au marché. Chandler élude, peut-être parce qu’il ne prend pas en compte le cas de la France46, les préoccupations politiques. Dès lors, un groupe comme celui de la CGE relève aussi bien de l’analyse industrielle et financière que de l’analyse des politiques publiques.

État et groupe industriel, destins croisés

La montée en puissance de l’État dans l’économie française, comme acteur et comme organisateur, ne saurait occulter l’importance des entreprises nationales au cours de cette même période. Accélérée par les deux guerres mondiales, la prééminence progressive de l’État doit être mise en regard avec la prééminence parallèle, organiquement liée, des grandes entreprises. La Compagnie générale d’électricité, au même titre que Renault, Pechiney, Thomson, Saint-Gobain, Suez ou la Compagnie générale des eaux, est devenue, en un siècle, l’un des piliers de l’économie nationale. Si les produits commercialisés sous la marque « Alcatel » n’ont pas le prestige des Chanel, Christofle et autres Dior, ils sont connus dans le monde entier et participent, eux aussi, au rayonnement de la France. Alors que de nombreux travaux ont présenté et analysé les politiques publiques47, considérer le XXe siècle comme étant, aussi, celui des entreprises revient à quitter le champ d’étude des politiques économiques pour proposer un travail d’économie politique. Partir de l’entreprise pour comprendre le système économique mis en place sous l’égide de l’État ne relève pas d’une inversion provocatrice des équations économiques ou politiques, mais, au contraire, d’une tentative pour percevoir différemment ← 25 | 26 → la construction des structures économiques actuelles tout en redonnant une place centrale aux acteurs que furent les dirigeants des grandes entreprises. C’est pourquoi notre démarche ne passe pas par une nouvelle analyse macro-économique des rapports entre État et entreprises mais par une réintroduction du politique dans la théorie de l’entreprise. Dans la conquête des marchés comme dans l’élaboration des technologies, le facteur politique est un élément essentiel de son action. Ce facteur ne se résume pas, dans l’action des entreprises, à une simple instrumentalisation des relations personnelles ou des clivages partisans mais constitue une des variables des prises de décision voire un des éléments structurants de chacune de ses actions. Les stratégies des entreprises, parce qu’elles sont le fait d’hommes insérés dans des réseaux d’amitiés et de connaissances autant que le produit des structures déjà établies, sont, par nature, et politiques et économiques.

Tout à la fois client, législateur et planificateur, l’État est une construction socio-politique au même titre qu’un groupe industriel. Naturellement, certaines caractéristiques l’en distinguent, comme le rôle central du système électoral. Toutefois, bien des passerelles peuvent être perçues entre l’évolution de la structure étatique et celle de la CGE. Le recrutement des dirigeants dans les mêmes viviers, la recherche de la rationalisation des structures industrielles par la concentration, l’internationalisation des marchés et des décisions stratégiques en sont les éléments les plus notables. Là encore, la place des hommes a souvent été mise en avant pour évoquer l’intrication des pouvoirs politiques et économiques. N’est-il pas possible de voir, dans cet indéniable « pantouflage », un échange de compétences et la création d’une solidarité privé-public qui est l’une des forces de l’industrie française ? Ces managers issus des plus prestigieuses filières de formation ne sont-ils pas les premiers acteurs de la co-construction de l’État et des groupes industriels ?

Itinéraire proposé

La démarche de l’historien est tributaire de son parcours dans les fonds d’archives et l’itinéraire proposé au lecteur ne saurait être totalement indépendant des déambulations du chercheur. Nous avons bénéficié, dans le cadre de notre recherche, d’un accès privilégié à certaines archives de la CGE (procès-verbaux des conseils d’administration). Celles-ci, conservées au siège social d’Alcatel, n’avaient jamais été consultées puisque Jules Rapp, il y a plus de dix ans, n’avaient vu que quelques extraits de ces documents. Ce fonds inédit constitue le cœur de notre travail et les informations que nous en avons dégagées ont été croisées avec des archives publiques, des archives privées et les sources publiées.

Les sources du groupe CGE sont principalement constituées des procès-verbaux des conseils d’administration (vus au siège d’Alcatel), des assemblées générales (consultés en grande partie aux Archives du Crédit lyonnais mais également au siège d’Alcatel), et des archives des anciennes sociétés d’électricité (consultées au centre des archives historiques d’EDF à Blois). Parallèlement, les archives publiques consultées ← 26 | 27 → correspondent aux fonds de divers ministères (ministère de l’Industrie, du Commerce, des Postes et Télécommunications, des Finances) mais également aux fonds des entreprises publiques EDF, France Télécom et de l’organisme de recherche du CNET (devenu Orange Labs). Diverses autres sources ont joué un rôle important pour ce travail : les carnets de François de Laage de Meux, les documents de Georges Pébereau, Christian Fayard et Pierre Le Roux, les entretiens48 réalisés avec plusieurs anciens ingénieurs ou responsables de la CGE et de l’administration.

Pour répondre aux questions qui précèdent sur la base des documents consultés, nous avons organisé notre parcours autour d’une périodisation en trois temps. Une première partie, allant de 1898 à 1936, marque la prééminence donnée à la croissance du groupe dans tous les domaines : conquête des marchés, développement des technologies, croissance de l’influence… C’est au cours de cette période que se tissèrent, concrètement, les stratégies politiques visant à obtenir des marchés par la proximité avec les autorités publiques, qu’elles soient municipales ou nationales. Les liens établis avec l’État constituèrent une trame serrée pour toutes les activités entre 1936 et 1965, bornes chronologiques de notre seconde partie. Ce fut pourtant par l’impulsion des pouvoirs publics mais en cherchant à conquérir une autonomie industrielle que la CGE s’internationalisa et s’imposa sur les marchés mondiaux jusqu’au point d’orgue de 1992, terme de notre étude. ← 27 | 28 →

__________

1Jacques Marseille, Albert Broder, Félix Torrès, Alcatel-Alsthom, Histoire de la Compagnie Générale d’Électricité, Paris, Larousse, 1992, 479 p.

2Jules Rapp, Histoire d’une entreprise d’électricité : la Compagnie Générale d’Électricité, thèse pour le doctorat de 3e cycle sous la direction de M. Lévy-Leboyer, Université Paris X-Nanterre, 1985, 353 p.

3Jules Rapp, « Aux origines de la Compagnie générale d’électricité », Bulletin d’histoire de l’électricité, n° 6, décembre 1985, p. 103-119 ; Jules Rapp, « CGE et télécommunications : les premiers pas », Revue française des télécommunications, n° 59, juillet 1986, p. 54-65.

4On peut néanmoins citer les articles de Philippe Bernard, « Les fondements de l’expansion de la Compagnie générale d’électricité dans les années 60-70 », in J. Marseille (dir.), Les performances des entreprises françaises au XXe siècle, Paris, Le Monde Éditions, 1995, p. 163-175 ; Laurent Citti, « Un grand groupe industriel et l’innovation : Alcatel Alsthom », in Philippe Bernard et Jean-Pierre Daviet (coord.), Culture d’entreprise et innovation, Paris, Presses du CNRS, 1992, p. 137-144 ; Dominique Barjot, « Trois groupes face à la nationalisation : Empain, Giros-Huvelin et Compagnie générale d’électricité », in La nationalisation de l’électricité en France. Nécessité technique ou logique politique ?, Actes du 11e colloque de l’AHEF (3-5 avril 1996), textes réunis et édités par Laurence Badel, Paris, AHEF-PUF, 1996, p. 281-296.

5Joseph Kennet, Belfort – Alsthom, 1869-1970 : hommes et technologie chez un grand constructeur, thèse de doctorat sous la direction du Pr. R. Girault, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 1993 ; Histoire d’Alsthom à Belfort. De la SACM à GEC-Alsthom, Mulhouse, Grand Bleu, 200 p. ; Françoise Nieto, MW & km/h. Une histoire d’Alstom, Spezet, Coop Breizh, 2010, 304 p. ; Robert Belot, Pierre Lamard (dir.), Alstom à Belfort. 130 ans d’aventure industrielle, Boulogne-Billancourt, ETAI, 2009, 384 p.

6L’objet d’étude peut bien « être taillé à facettes par la diversité de ses contacts avec le milieu ; mais c’est lui qui transparaît derrière ». Cette phrase d’Armand Wallon, citée par Lucien Febvre dans Combats pour l’histoire, s’applique aussi bien aux biographies qu’aux monographies d’entreprise.

7Pap NDiaye, Du nylon et des bombes. Du Pont de Nemours, le marché et l’État américain, 1900-1970, Paris, Belin, 2001, p. 23.

8« Histoire des techniques : une de ces nombreuses disciplines qui sont tout entières à créer – ou presque ». Lucien Febvre, « Réflexions sur l’histoire des techniques », Annales, 1935, p. 532-535.

9François Caron, Les deux révolutions industrielles du XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1997, 525 p. ; François Caron, La dynamique de l’innovation. Changement technique et changement social (XVIe-XXe siècle), Paris, Gallimard, 2010, 469 p.

10Nous renvoyons ici aux thèses de Dominique Barjot, Alain Beltran, Christophe Bouneau, Sophie Chauveau, Marc de Ferrière le Vayer, Pascal Griset, Florence Hachez, Bruno Marnot, Michèle Merger, Muriel Le Roux, Jean-Pierre Williot.

11Bertrand Gille, Histoire des techniques, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1978, p. 19.

12François Caron, Le résistible déclin des sociétés industrielles, Paris, Perrin, 1985, p. 155.

13Leo Marx et Merritt Roe Smith (ed.), Does Technology Drive History ? The Dilemma of Technological Determinism, Cambridge (Mass.) – Londres, MIT Press, 1994, 280 p. Voir en particulier l’introduction dans laquelle Leo Marx et Merritt Roe Smith distinguent un « hard determinism » pour lequel la technologie s’impose à la société et la façonne à un « soft determinism » qui souligne les conditions sociales nécessaires à l’apparition et au développement d’une technologie.

14Thomas P. Hughes, Networks of Power. Electrification in Western Society, 1880-1930, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1983, 474 p. ; Wiebe E. Bijker, Thomas P. Hughes, Trevor J. Pinch (ed.), The Social Construction of Technological System : New Directions in the Sociology and History of Technology, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1993, 405 p. Thomas P. Hughes y définit cette approche : « Parce qu’ils sont inventés et développés par des bâtisseurs de système et leurs associés, les composants des systèmes techniques sont les produits de constructions sociales. […] Une des premières caractéristiques d’un bâtisseur de système est sa capacité à construire ou à forcer l’unité à partir de la diversité, la centralisation à partir du pluralisme, la cohérence à partir du chaos. Cette construction implique souvent la destruction des systèmes alternatifs » (p. 52).

15Lewis Mumford, Technique et civilisation, Paris, Seuil, 1950, 415 p. Voir également Rosalind Williams, « Lewis Mumford as a Historian of Technology in Technics and Civilization », in Thomas P. and Agatha C. Hughes, Lewis Mumford. Public Intellectual, New York, Oxford University Press, 1990, p. 43-65.

16« Un système technique peut être à la fois cause et effet, il peut organiser ou être organisé par la société. À mesure qu’ils deviennent plus importants et plus complexes, les systèmes tendent à être plus structurants de la société que structurés par elle. Ainsi, le momentum des systèmes techniques est un concept situé quelque part entre les pôles que sont le déterminisme technologique et la construction par la société ». Thomas P. Hughes, « Technological momentum », in Leo Marx et Merritt Roe Smith, Does Technology Drive History ?, op. cit., p. 112.

17L’un des travaux les plus stimulants est sans conteste celui de Carolyn Marvin, When Old Technologies Were New. Thinking about Electric Communication in the Late Nineteenth Century, New York – Oxford, Oxford University Press, 1988, 269 p.

18Ce concept qui a connu un grand succès a été défini par Paul A. David, « Clio and the Economics of QWERTY », American Economic Review, vol. 75, mai 1985, p. 332-337.

19Gabrielle Hecht, « Technology, Politics, and National Identity in France », in Michael T. Allen and Gabrielle Hecht (ed.), Technologies of Power. Essays in Honor of Thomas Parke Hughes and Agatha Chipley Hughes, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 254.

Résumé des informations

Pages
700
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035264982
ISBN (ePUB)
9783035299229
ISBN (MOBI)
9783035299212
ISBN (Broché)
9782875742261
DOI
10.3726/978-3-0352-6498-2
Langue
français
Date de parution
2014 (Décembre)
Mots clés
Électricité Industrie Marché international Entreprise Emploi
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 700 p., 2 graph, 57 tabl.

Notes biographiques

Yves Bouvier (Auteur)

Yves Bouvier est agrégé et docteur en histoire. Il est actuellement maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), rattaché à l’UMR Irice. Ses recherches portent principalement sur l’histoire de l’énergie et des télécommunications, sous l’angle des politiques industrielles et des transformations sociales.

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Titre: Connexions électriques
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