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L’hebdomadaire «Die Zukunft» (1938-40) et ses auteurs (1899-1979) : Penser l’Europe et le monde au XXe siècle

de Annette Grohmann-Nogarède (Auteur)
©2021 Thèses 756 Pages

Résumé

Dans cet ouvrage, l’auteure présente une publication sur l’émigration antihitlérienne. On y découvre un vaste réseau transnational composé de plusieurs auteurs de différents pays dont Thomas et Heinrich Mann, H.G. Wells, Aldous Huxley, François Mauriac ou Georges Duhamel. C’est un voyage dans le temps couvrant une grande partie du XXe siècle à la découverte des personnalités hors pair : les architectes qui ont façonné le monde tel qu’il est aujourd’hui. Le sens de la responsabilité de l’intellectuel devant l’histoire et une détermination sans faille les relient. L’image de cet "intellectuel engagé" apparaît sous un jour nouveau.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Contenu
  • The magazine Die Zukunft (1938–1940) and its authors (1899–1979) : Political concepts for Europe and the world in the 20th century
  • Die Zeitschrift Die Zukunft (1938–1940) und ihre Autoren (1899–1979) : Politische Konzepte für Europa und die Welt im 20. Jahrhundert
  • Glossaire
  • Introduction
  • Première partie : Die Zukunft en amont
  • 1 Les origines de la coopération (1899–1938)
  • 1.1 Des réseaux pacifistes internationaux anciens (1899–1938)
  • 1.1.1 Le « Café du Dôme » et les réseaux pacifistes
  • 1.1.2 La SDN et les Accords de Locarno : l’apogée des mouvements pacifistes
  • 1.1.3 Le déclin de la SDN (1933–39)
  • 1.2 Des réseaux constitués par Willi Münzenberg pour le Komintern (1919–1938)
  • 1.2.1 Les réseaux créés pendant la République de Weimar (1919–1933)
  • 1.2.2 Les réseaux créés en exil (1933–1938)
  • 1.2.3 L’ouverture politique du « réseau Münzenberg » et la rupture avec le Komintern
  • 2 La confluence des réseaux au sein du Zukunft
  • 2.1 La coopération franco-allemande au sein du Zukunft et de l’UFA (1938–1940)
  • 2.1.1 Une coopération placée dans un contexte difficile
  • 2.1.2 Un « Front populaire sans les communistes ? »
  • 2.1.3 Le Zukunft comme porte-parole de l’UFA
  • 2.2 L’élargissement des réseaux en Europe
  • 2.2.1 Le Zukunft comme tribune européenne
  • 2.2.2 Les réseaux au Royaume-Uni
  • 2.2.3 Les autres pays européens : Pays-Bas, Suisse, Italie, pays scandinaves
  • 2.3 Les réseaux à l’extérieur de l’Europe
  • 2.3.1 Politiques et journalistes aux Etats-Unis et leur soutien au Zukunft
  • 2.3.2 La « Guilde Américaine pour la liberté culturelle allemande »
  • 2.3.3 Les réseaux dans les pays du « Sud » économique
  • 3 Les principales écoles de pensée représentées dans le Zukunft
  • 3.1 Les courants de gauche
  • 3.1.1 Les « renégats » communistes
  • 3.1.2 Les groupuscules socialistes et les menchéviks
  • 3.1.3 Les grandes formations politiques de gauche
  • 3.2 Les chrétiens-démocrates
  • 3.2.1 Les auteurs émigrés
  • 3.2.2 La coopération avec les chrétiens-démocrates français
  • 3.2.3 Les chrétiens-démocrates et hommes de l’Eglise d’autres pays
  • 3.3 Les libéraux et courants de droite
  • 3.3.1 Le nouveau modèle libéral
  • 3.3.2 Les conservateurs
  • 3.3.3 Les nationalistes
  • Deuxième partie : Die Zukunft en action
  • 1 Une analyse du totalitarisme nourrie par les théoriciens des années 1920/30 et complétée par les échanges intellectuels au sein du Zukunft
  • 1.1 Les piliers du totalitarisme
  • 1.1.1 Les idéologies
  • 1.1.2 Propagande, endoctrinement et terreur
  • 1.1.3 La « mise au pas » de l’économie et les faiblesses internes du régime
  • 1.2 Les fondements idéologiques de la politique étrangère allemande
  • 1.2.1 Une politique étrangère selon les préceptes de Mein Kampf
  • 1.2.2 L’espoir d’un « Front de la Paix » et le choc du pacte germano-soviétique
  • 2 Une analyse des bouleversements géopolitiques à la veille et aux débuts de la Seconde Guerre mondiale
  • 2.1 Un nouvel équilibre des puissances en Europe
  • 2.1.1 L’affaiblissement des puissances démocratiques en Europe
  • 2.1.2 La disparition de la « Mitteleuropa »
  • 2.1.3 La montée en puissance des Etats-Unis et de l’URSS
  • 2.2 La question coloniale
  • 2.2.1 La justification difficile des empires coloniaux
  • 2.2.2 Quelle nouvelle orientation pour les pays du « Sud » ?
  • 2.2.3 Les pays du « Sud » : Un champ de bataille réel et idéologique
  • 3 Les propositions pour un nouvel ordre international
  • 3.1 « Ein neues Deutschland » après la chute d’Hitler
  • 3.1.1 La question de l’existence d’un Etat allemand après Hitler
  • 3.1.2 La réorganisation économique et sociale
  • 3.2 « Ein neues Europa » : La future coopération européenne
  • 3.2.1 La réconciliation franco-allemande
  • 3.2.2 Une Europe fédérale aux limites encore indéterminées
  • 3.2.3 Le mise en commun de la production industrielle et de la défense
  • 3.3 Un nouvel ordre international
  • 3.3.1 Le rôle des auteurs britanniques
  • 3.3.2 Les propositions des auteurs émigrés
  • Troisième partie : Die Zukunft en aval
  • 1 Les auteurs pendant la guerre (1940–1944/45)
  • 1.1 Les actions en faveur de la Résistance en Europe
  • 1.1.1 La coopération des auteurs du Zukunft avec le CGI de Jean Giraudoux
  • 1.1.2 L’engagement des auteurs émigrés (Résistance et services secrets)
  • 1.1.3 L’engagement des auteurs français
  • 1.2 La recherche d’influence au Royaume-Uni et aux Etats-Unis
  • 1.2.1 Les réseaux des auteurs du Zukunft
  • 1.2.3 Les prises de position des émigrés dans les médias et l’influence par l’éducation
  • 1.3 La préparation de l’après-guerre
  • 1.3.1 Les tentatives de créer une représentation allemande en exil
  • 1.3.2 Le soutien des anciens auteurs britanniques du Zukunft au général de Gaulle
  • 1.3.3 La promotion d’une Europe forte face aux Etats-Unis et à l’URSS
  • 2 La mise en place d’un nouvel ordre européen et mondial (1944/45–1954)
  • 2.1 Les réformes économiques et sociales en Europe occidentale
  • 2.1.1 Les réformes dans les pays scandinaves : l’exemple de la Suède
  • 2.1.2 La reconstruction politique, culturelle et économique de la France
  • 2.1.3 Les réformes en Grande-Bretagne
  • 2.2 La création des premières institutions internationales et européennes
  • 2.2.1 Les plans en faveur d’une intégration internationale et européenne
  • 2.2.2 Les débuts de la coopération internationale et européenne (1944/45–1949)
  • 2.2.3 L’intégration européenne de 1949 à 1957
  • 2.3 L’organisation de l’Allemagne dans ce nouveau contexte international
  • 2.3.1 Rémigration et rééducation
  • 2.3.2 La reconstruction culturelle, économique et politique en RFA
  • 2.3.3 Les grandes orientations de la RFA en politique étrangère
  • 3 Le débat doctrinal et les relations internationales, de la constitution des blocs à la Révolte hongroise (1949–1956)
  • 3.1 La participation des auteurs au débat économique et politique (1949–56)
  • 3.1.1 Le Congress for Cultural Freedom (CCF) et le « modèle occidental »
  • 3.1.2 Les autres courants de la vie intellectuelle et politique
  • 3.1.3 Le « choc hongrois » de 1956
  • 3.2 La contribution des auteurs du Zukunft à l’évolution politique en Europe et à la décolonisation (1955/56–1969)
  • 3.2.1 La tentative européenne de Harold Macmillan
  • 3.2.2 L’action des auteurs du Zukunft dans le cadre de la décolonisation
  • 3.2.3 Le rapprochement des grands partis en Europe de l’Ouest et la crise de mai 1968
  • 3.3 L’apogée des projets défendus par Die Zukunft (1969–79)
  • 3.3.1 De la « détente » à un nouveau consensus « antitotalitaire »
  • 3.3.2 Réussites et remises en cause du « modèle occidental »
  • 3.3.3 Le discours de Louise Weiss au Parlement européen en 1979
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • I Sources non-publiées
  • II Ecrits et témoignages des auteurs et de leurs contemporains
  • 1 Ouvrages des auteurs du journal
  • 2 Ouvrages de personnes ayant un lien avec l’hebdomadaire et ses auteurs
  • 3 Recueils de sources éditées
  • III Littérature sécondaire
  • 1 Manuels
  • 2 Monographies et ouvrages collectifs
  • 3 Articles scientifiques
  • 4 Colloques
  • IV Titres de presse
  • 1 Titres de presse de l’émigration
  • 2 Autres titres
  • V Sites internet
  • Annexes
  • I Liste des articles de l’hebdomadaire classés par auteur
  • II Liste alphabétique des auteurs
  • III Statistiques concernant les auteurs
  • 1 Les générations du
  • 2 Nationalités des auteurs
  • 3 Pays ou région de décès des auteurs allemands
  • IV Listes des membres de l’UFA/DFU (
  • V Federal Fellowships (28 juillet 1939)
  • VI Les auteurs s’expriment
  • 1 Heinrich Mann, An Mr. Winston Churchill (25 novembre 1938)
  • 2 H.G. Wells, La rationalisation ou le naufrage (Rationalisierung oder Untergang), 2 juin 1939
  • 3 Werner Thormann, Une tâche européenne (Eine europäische Aufgabe), 3 mai 1940
  • Titres de la collection

The magazine Die Zukunft (1938–1940) and its authors (1899–1979) : Political concepts for Europe and the world in the 20th century

Die Zukunft was a publication of antifascist émigrés in Paris which came out in 83 issues between 1938 and 1940, among them some special bilingual editions : « England-Germany » (« England-Deutschland »), « Sweden-Germany » (« Schweden-Deutschland ») or « France-Germany » (« Frankreich-Deutschland »). The magazine was created by a former key figure of the Comintern, Willi Münzenberg, after his breakoff with stalinism in 1938.

It allows to discover an impressive transnational network of 332 authors from 25 countries and distinguishes itself by the implication of well-known intellectuals and politicians, such as Heinrich, Thomas, Klaus and Erika Mann, Alfred Döblin, Lion Feuchtwanger, H.G. Wells, Aldous Huxley, Harold Macmillan, Clement Attlee, Édouard Daladier or Édouard Herriot. Even Jawaharlal Nehru participates in the debate about the future of the colonial empires, an important issue for the Zukunft.

This can be explained by the fact that the magazine did not restrain itself to a platform of information for German-speaking émigrés in Paris, but aimed at a wide discussion about a new order for Germany, Europe and the world after Hitler’s downfall, as it is expressed in its title (Die Zukunft means The Future). This order should follow keynesian economics and establish a welfare state, integrate Germany into the Western world and a European federation, and safeguard peace on an international level. The colonial empires should be transformed into equal partnerships. The role of German emigration in all this projects comes out clearly from the analysis of the Zukunft articles.

The magazine was also a tribune for one of the last French-German reconciliation networks in the interwar period, the « French-German Union » (« Deutsch-französische Union »), which was completed by a sister organisation in the United Kingdom, the « Federal Fellowships ».It represents a confluence of two elder networks: the international pacifist movements and the associations created by Willi Münzenberg for the Comintern. But it integrates other personalities from outside these two networks, too, like Tory politicians, Socialists, Christian democrats or even French and German nationalists. The variety of political movements represented in the same publication is outstanding in a historical perspective.

The different groups of Die Zukunft authors have played important roles before and after its publication in Western intellectual and political life. They took part in the principal political and economical orientations of the postwar period.

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That is why the debates in the Zukunft are replaced in a wider historical context, from 1899 and the first networks created by the future authors of the magazine (the Christian network Sillon and the first pacifist movements) until 1979 and the first direct elections of the European Parliament, which signifies the success of the European idea outlined in the Zukunft. The Zukunft author Louise Weiss, the chairman of the Parliament by seniority, made a very moving speech at this occasion.

The aim of this study is to understand in how far the Zukunft reflects the role of the « engaged intellectual » in the big political and economic orientations of the 20th century, and by which means the actions of its authors have contributed to create Europe and the world as we know them today.

Keywords : Pacifism, Christian Democrates, Comintern, Nazism, Totalitarianism, exile, intellectuals, 1930s, interwar period, Molotov-Ribbentrop Pact, World War II, Franco-German relations, European construction, United Nations, transnational network, Cold War

Die Zeitschrift Die Zukunft (1938–1940) und ihre Autoren (1899–1979) : Politische Konzepte für Europa und die Welt im 20. Jahrhundert

Einleitung

Die Zukunft war eine Zeitschrift der deutschsprachigen antifaschistischen Emigration, die von 1938 bis 1940 in Paris herausgegeben wurde. Sie erschien in insgesamt 83 Ausgaben, darunter mehreren zweisprachigen Sondernummern : « Frankreich-Deutschland », « England-Deutschland » und « Schweden-Deutschland ». Ihr Gründer war der frühere Propagandachef der Komintern für die westliche Welt, Willi Münzenberg, nach seinem Bruch mit dem Stalinismus. Sie versammelte ein beeindruckendes transnationales Netzwerk von 332 Autoren aus 25 Ländern, darunter viele bekannte Intellektuelle und Politiker, unter anderem Heinrich, Thomas, Klaus und Erika Mann, Stefan Zweig, Franz Werfel, Alfred Döblin, Lion Feuchtwanger, H.G. Wells, Aldous Huxley, Harold Macmillan, Clement Attlee, Edouard Herriot, Raymond Aron, François Mauriac und Georges Duhamel. Sogar Jawaharlal Nehru beteiligte sich an der Debatte über Die Zukunft der Kolonialreiche in den Seiten dieser Wochenschrift.

Denn Die Zukunft – wie schon ihr Titel zeigt - begnügte sich nicht mit der Rolle einer « Emigrantenzeitschrift », sie wollte vor allem Ideen zur zukünftigen deutschen, europäischen und internationalen Ordnung nach Hitlers Sturz entwickeln. Diese lassen sich unter folgenden Stichworten zusammenfassen : Keynesianismus, Wohlfahrtsstaat, Westorientierung Deutschlands, Europäische Föderation, internationale Friedenssicherung, Ende der Kolonialreiche. Die Rolle des deutschsprachigen Exils als wichtiger Impulsgeber für diese Ideen wird aus der Zukunft ersichtlich.

Sie war auch das Forum für eines der letzten deutsch-französischen Verständigungsnetzwerke der Zwischenkriegszeit, der « Deutsch-Französischen Union » (DFU), die durch eine Schwesterorganisation in Groβbritannien (die « Federal Fellowships ») ergänzt wurde.

In der Zeitschrift vereinigten sich zwei wichtige Strömungen der vorhergehenden Jahrzehnte : die pazifistischen Bewegungen und die internationalen Vereinigungen, die Münzenberg im Auftrag der Komintern gegründet hatte. Dazu kamen sozialistische und christdemokratische Gruppen, britische Konservative, Nationalisten und sogar ehemalige Anhänger des österreichischen « Ständestaates ». Diese extreme Vielfalt der politischen Strömungen unterscheidet die Zeitschrift stark von anderen Publikationen des Exils.

Nach ihrem Ende übernahmen sowohl die westeuropäischen Autoren als auch die deutschsprachigen Emigranten (von denen 40 % nach 1945 remigierten) ←17 | 18→wichtige Positionen im politischen, wirtschaftlichen und kulturellen Leben Europas und der Vereinigten Staaten ein. Sie konnten dank ihres Einflusses die u.a. in der Zukunft formulierten Ideen und Überzeugungen in der Praxis erproben und durchsetzen.

Die Analyse der Zeitschrift reicht daher von der Gründung der ältesten darin vertretenen Bewegung, des christdemokratischen Sillon in Frankreich 1899, bis zu der bewegenden Rede, die die ehemalige Zukunft-Autorin Louise Weiss 1979 anläβlich der Eröffnung des ersten direkt gewählten Europäischen Parlaments hielt. Unser Ziel ist zu zeigen, inwiefern Die Zukunft und ihre Autoren das Engagement der Intellektuellen im 20. Jahrhundert widerspiegeln, und in welcher Hinsicht deren Denken und Handeln das heutige Europa und die internationale Ordnung geprägt haben.

Schlüsselbegriffe: Pazifismus, Christdemokratie, Komintern, Nationalsozialismus, Totalitarismus, Exil, Intellektuelle, Zwischenkriegszeit, Hitler-Stalin-Pakt, Zweiter Weltkrieg, Deutsch-französische Beziehungen, Europäische Integration, UNO, Transnationales Netzwerk, Kalter Krieg

GLOSSAIRE

ACUE

American Committee on United Europe

AFG

Association of Free Germans

ARA

American Relief Administration

BNV

Bund Neues Vaterland

CCF

Congress of Cultural Freedom

CDG

Council for a Democratic Germany

CDU

Christlich-Demokratische Union

CED

Communauté européenne de la défense

CEE

Communauté économique européenne

CFA

Comité franco-allemand

CFDT

Confédération française démocratique du travail

CFTC

Confédération française des travailleurs chrétiens

CGI

Commissariat général à l’information

CGT

Confédération générale du travail

CIA

Central Intelligence Agency

CNE

Comité national des écrivains

DDP

Deutsche Demokratische Partei

DFG

Deutsch-französische Gesellschaft

DFU

Deutsch-französische Union

DLM

Deutsche Liga für Menschenrechte

DNVP

Deutschnationale Volkspartei

DVP

Deutsche Volkspartei

ENS

École normale supérieure

ERC

Emergency Rescue Committee

FBI

Federal Bureau of Investigation

GLD

German Labour Delegation

GPRF

Gouvernement provisoire de la République française

ISK

Internationaler Sozialistischer Kampfbund

ITF

International Transport Workers’Federation

JR

Jeune République

KPD

Kommunistische Partei Deutschlands

LAI

Ligue anti-impérialiste

LDH

Ligue des Droits de l’Homme

LNU

League of Nations Union

LSE

London School of Economics

MI5

Military Intelligence Service

MI6

Secret Intelligence Service

MRP

Mouvement républicain populaire

MSEUE

Mouvement socialiste pour les Etats-Unis d’Europe

NCS

New Commonwealth Society←19 | 20→

NEI

Nouvelles équipes internationales

NEP

Nouvelle politique économique

NSDAP

Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei

OECE

Organisation européenne de coopération économique

ONU

Organisation des Nations Unies

OSS

Office of Strategic Services

OTAN

Organisation du traité Atlantique Nord

OWI

Office of War Information

PCF

Parti communiste français

PEN

Association internationale des écrivains

PDP

Parti démocrate populaire

PWA

Public Works Administration

RDA

République démocratique d’Allemagne

RFA

République fédérale d’Allemagne

RUP

Rassemblement universel pour la paix

SAPD

Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands

SDN

Société des nations

SED

Sozialistische Einheitspartei Deutschlands

SFIO

Section française de l’Internationale ouvrière

SOE

Special Operations Executive

SOI

Secours ouvrier international

SOPADE

Sozialdemokratische Partei im Exil (jusqu’en 1940)

SPD

Sozialdemokratische Partei Deutschlands

TUC

Trade Union Congress

UDC

Union for Democratic Control

UEF

Union européenne des fédéralistes

UEM

United Europe Movement

UEO

Union de l’Europe occidentale

UFA

Union franco-allemande

URSS

Union des Républiques socialistes soviétiques

USA

United States of America

USPD

Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands

WIPOG

Wirtschaftspolitische Gesellschaft von 1947

Introduction

« Nous devons formuler la revendication suivante : Pas de Quatrième Reich ! Mais une Allemagne fédérale au sein des Etats-Unis d’Europe ! »

Anna Siemsen, La Grande Allemagne ou une fédération ? Die Zukunft, 21 octobre 1938

« La base du mouvement national indien est son antiimpérialisme et sa foi en la démocratie et la liberté (…) La paix et la liberté des peuples ne peuvent être réalisées par le fascisme et l’impérialisme ».

Pandit Jawaharlal Nehru, L’Inde parle au peuple allemand. Die Zukunft, 4 novembre 1938

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la France est l’un des derniers pays démocratiques en Europe, et elle accueille un grand nombre de réfugiés issus du reste du continent, en proie à des dictatures ou des régimes totalitaires. D’abord les Russes « blancs », opposants de la Révolution d’Octobre, puis les Italiens antifascistes qui quittent le pays entre 1922 et 1925. Enfin, la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne contraint les opposants politiques et la population juive à s’exiler, au moins pour ceux qui en ont les moyens et la possibilité. A la fin des années 1930, avec l’annexion de l’Autriche, les accords de Munich et le démembrement de la Tchécoslovaquie, un grand nombre d’opposants au nazisme de l’Europe centrale rejoint les réseaux des exilés à Paris.

Des études de cette période citent des chiffres allant jusqu’à trois millions d’étrangers présents en France1, dont la plus grande partie s’installe légalement ou illégalement à Paris. Les réactions face à cette vague migratoire constituent une sorte de miroir décalé dans le temps de nos discussions actuelles face à la crise des réfugiés depuis 2015. Elles vont d’un rejet complet jusqu’à un soutien inconditionnel aux immigrés, considérés comme un enrichissement au niveau démographique et culturel. Mais l’hostilité d’une grande partie de la population française vis-à-vis des réfugiés amène le gouvernement Daladier à durcir sa politique, du décret-loi du 2 mai 1938 créant le délit d’« entrée irrégulière et clandestine en France », jusqu’à l’internement des réfugiés républicains espagnols et des émigrés antifascistes germanophones en 1939, matérialisé par l’ordonnance du 17 septembre 1939 concernant « les ressortissants des territoires appartenant à l’ennemi ».

←21 | 22→

En même temps, Paris devient une capitale étrangement cosmopolite, avec un taux de population immigrée nettement plus élevé qu’aujourd’hui, dont beaucoup de clandestins2. Et malgré le contexte tendu de la période, entre les accords de Munich et le début de la Seconde Guerre mondiale, la diversité culturelle fleurit dans la capitale française. Des centaines de titres de presse paraissent en plusieurs langues, dont 134 publications germanophones3, en dépit des restrictions qui pèsent sur les étrangers en matière d’engagement politique. Cette richesse au niveau des publications témoigne de la valeur intellectuelle des immigrés, mais aussi d’une solidarité de fait d’une grande partie des intellectuels ou hommes politiques français, qui va à l’encontre de la politique officielle de plus en plus restrictive.

Le dernier-né de ces publications de l’exil en France paraît en octobre 1938. Il s’agit d’un hebdomadaire qui affiche un titre d’un optimisme presque insolent : Die Zukunft : Ein neues Deutschland : Ein neues Europa ! – L’Avenir : Une nouvelle Allemagne : une nouvelle Europe !

Pour renforcer encore ce message d’espoir, le bas de la page des Unes arbore le slogan : Der Hitlerkrieg ist Deutschlands Untergang – Hitlers Sturz wird des deutschen Volkes Rettung sein. (La guerre d’Hitler est la fin de l’Allemagne – La chute d’Hitler sauvera le peuple allemand).

Cette revue, d’une qualité inhabituelle au niveau de l’impression et du contenu4, voit le jour en réaction aux accords de Munich et paraît en 81 numéros du 12 octobre 1938 au 3 mai 1940. Elle a pour buts principaux d’établir une base politique maximale pour l’opposition antihitlérienne et de mettre en garde les gouvernements occidentaux, acquis à la politique d’appeasement, contre la politique expansionniste d’Hitler. Pendant les 19 mois de son existence, elle met à contribution 331 auteurs originaires de 25 pays. Nous connaissons, de nos jours, un réseau international de ce type, qui arrive à connecter une grande quantité de personnes, sans égard à l’origine ou à l’opinion : il s’appelle Internet.

Mais comment une publication comme le Zukunft arrive-t-elle à mobiliser une telle quantité de personnes, dont des intellectuels et hommes politiques de premier rang, à la veille et au début de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte qui ne se prête guère à des échanges, et de surcroît autour d’un projet visant un « avenir » plus qu’hypothétique ?

Un début d’explication réside en la personnalité de son créateur, l’un des principaux adversaires de Joseph Goebbels et l’ancien « homme fort » de la propagande ←22 | 23→du Komintern depuis 1919 : Willi Münzenberg, qui rompt avec le stalinisme en 1938. Il fédère des réfugiés de plusieurs nationalités autour de son projet, ce qui constitue déjà un exploit en soi, car les différentes communautés restent souvent séparées et créent leurs propres titres.

Mais peut-on parler pour autant d’une « publication de l’exil » au sens étroit du terme ? Il faut probablement nuancer ce jugement, compte tenu du ralliement d’un grand nombre d’intellectuels européens et américains à ce projet en l’espace de quelques mois seulement. Car les auteurs du Zukunft sont aussi de redoutables networkers, comme on le dirait aujourd’hui, et établissent un réseau d’associations et de contacts informels autour de la publication. Leurs activités antérieures leur avaient procuré des contacts dans le monde entier, mais aussi une proximité avérée avec les gouvernements et services secrets occidentaux, qui utilisent le Zukunft comme outil de contre-propagande face au régime nazi. Il s’agit donc d’un réseau transnational de grande envergure, et les auteurs émigrés doivent être considérés comme des acteurs à part entière de ce réseau, qui dépasse leur situation particulière de l’exil.

La colonne vertébrale de l’hebdomadaire réside dans une étroite coopération franco-allemande, matérialisée par la création de l’UFA (« Union franco-allemande »/« Deutsch-Französische Union »), portée par des intellectuels de premier rang. Elle est complétée par une organisation-sœur en Grande-Bretagne (les Federal Fellowships) et des réseaux dans d’autres pays du monde (encore) libres. L’hebdomadaire représente ainsi une tribune de discussion internationale dans le « minuit du siècle » (Victor Serge), dont les auteurs partagent un certain nombre de valeurs malgré des idées et opinions différentes. Grâce à cette diversité, Die Zukunft occupe une position particulière dans le paysage de la presse de l’exil, dont les titres sont souvent soumis à une ligne doctrinale bien définie5.

Sa parution se situe à une époque charnière de l’histoire mondiale au niveau politique et socio-économique, et il exprime dans ses pages des tendances de fond qui portent beaucoup plus loin que les quelques mois de son existence.

Car l’entre-deux-guerres marque une étape de transition entre la société industrielle et l’ère post-industrielle, pendant que l’émergence des totalitarismes et la Seconde Guerre mondiale remettent en question les valeurs et concepts politiques du monde occidental. Les Etats-nations européens doivent de surcroît faire face à un changement de l’équilibre géopolitique qui diminue leur influence au profit de nouvelles puissances, en premier lieu les Etats-Unis et l’Union soviétique.

Ces trois éléments sont à l’origine d’un changement du modèle socio-économique, pour se diriger du libéralisme vers l’Etat-providence et la planification. Dans l’ensemble des pays occidentaux et au-delà – au sein des mouvements indépendantistes dans les colonies, par exemple – des réflexions et débats sont menés sur une organisation politique, économique et sociale adaptée à la société moderne et aux besoins des différentes populations. Le réseau transnational des ←23 | 24→auteurs du Zukunft participe aux premiers rangs à ces débats, comme les deux prises de positions citées en entrée le montrent. Les concepts qui y sont proposés témoignent de la diversité et de la richesse des courants politiques de cette époque, dont un grand nombre sont représentés dans ses pages, ainsi que de la réflexion intense et constructive des intellectuels, confrontés à des évolutions inédites dans toutes les régions du monde.

Car si on trouve parmi les auteurs, sans surprise, les défenseurs de la démocratie occidentale ou, d’un modèle de « socialisme démocratique », on note aussi la promotion d’autres concepts. On peut citer, à titre d’exemple, l’utopie d’une « société des ordres » modernisée, inspirée par les idées des Saint-Simoniens, mais aussi par le concept plus contemporain et autoritaire de l’« Austrofascisme », ou bien des modèles d’autogestion en petites collectivités, empruntés aux anarchistes. Des libéraux influencés par l’Ecole de Manchester s’expriment au même titre que des keynésiens ou des marxistes6. Le rôle des auteurs chrétiens-démocrates est important, ils créent une alliance surprenante dans le contexte du temps avec les représentants de la gauche, qui jette les bases d’un nouveau modèle politique et social en Europe occidentale.

On arrive ainsi à comprendre, en suivant les biographies des auteurs et leurs contributions au Zukunft, comment le « consensus occidental », qui a prévalu jusqu’à la fin des années 1970, a pu émerger de ces différents courants intellectuels, de leur diversité et parfois de leurs contradictions, et comment il a pris forme face aux épreuves du totalitarisme et de la guerre.

Car l’activité des auteurs de l’hebdomadaire ne s’arrête pas avec sa disparition. Leurs biographies révèlent des femmes et des hommes d’action. Ils représentent l’archétype de l’ « intellectuel engagé »7 et occupent souvent, de fait, des positions-clés qui leur permettent de mettre leurs idées en pratique.

En effet, quand on regarde le Zukunft de plus près, on découvre, au-delà du projet transnational, un projet intergénérationnel : les auteurs les plus âgés sont nés en 1864, les plus jeunes entre 1914 et 19208. Leurs biographies couvrent donc l’évolution de la pensée politique et économique du début du XXe siècle jusqu’aux années 1970/80. Ainsi, ils exercent une influence parfois décisive sur l’évolution doctrinale, la vie politique et culturelle de l’entre-deux-guerres, mais aussi pendant la guerre et dans les décennies d’après-guerre.

C’est pour cette raison que nous débutons cette analyse en 1899, avec la création du Sillon, le réseau le plus ancien représenté dans le Zukunft, et nous nous ←24 | 25→arrêtons en 1979, quand les idées portées par les auteurs du journal arrivent à leur apogée, avec l’Ostpolitik des années 1970, le couple franco-allemand, l’intégration britannique dans la CEE et la première élection directe du Parlement Européen. Louise Weiss, ancienne auteure du Zukunft, tient un discours émouvant lors de la première séance de ce parlement en sa qualité de doyenne d’âge.

Notre étude s’appuie donc à la fois sur une approche synchronique, par rapport aux 19 mois de son existence, et diachronique, concernant l’influence des auteurs de l’hebdomadaire sur les grandes évolutions de la pensée intellectuelle et de la vie politique pendant huit décennies. Nous allons croiser l’étude de l’histoire intellectuelle à l’exemple du Zukunft avec une analyse prosopographique du panel des auteurs, incluant des données sur l’ensemble du groupe et des informations plus détaillées sur certains auteurs emblématiques. Une attention particulière est réservée à certaines figures féminines, malheureusement assez rares (seuls 21 auteurs sont des auteures, en fait), mais d’autant plus significatives, comme Erika Mann, Annette Kolb, Anna Siemsen, Dorothy Thompson, Louise Weiss ou Geneviève Tabouis.

Mais d’abord, nous devons faire un retour sur l’historiographie concernant le Zukunft et sur les recherches que nous avons entreprises.

L’hebdomadaire Die Zukunft a fait, au fil des années, l’objet de quatre vagues de recherche de nature différente. La première eut lieu pendant la guerre froide et plus particulièrement dans les années 1960 et 1970. Elle confronta deux visions opposées : Celle des proches de Willi Münzenberg, comme Babette Gross ou Kurt Kersten, qui soulignèrent la sincérité et l’ampleur de son investissement militant, en dénonçant le rôle présumé des services nazis ou soviétiques dans sa mort9, et celle des historiens marxistes qui lui reprochèrent d’avoir douté du communisme, puis d’avoir trahi le parti, jusqu’à son activité présumée comme agent nazi10. En dehors de ces deux camps, l’itinéraire de Willi Münzenberg ou la destinée de sa dernière publication ne trouvèrent aucune résonance, car en RFA, l’exil et la résistance communistes en général ne furent pas thématisés, pendant qu’en RDA, le fait qu’il se soit détourné du stalinisme en 1938 l’exclut de toute commémoration positive11.

Dans un second temps, la chute du Mur conduisit à un regain d’intérêt pour les clivages au sein du monde communiste et les conséquences du stalinisme. Le ←25 | 26→cas de Willi Münzenberg fut de nouveau étudié12, en particulier dans le cadre d’un colloque à Aix-en-Provence en 1992, Willi Münzenberg – un homme contre13. L’ouverture des archives de Moscou au même moment permit l’accès à des documents jusque-là inconnus et contribua à la mise en lumière des crimes commis au nom du communisme. Les ouvrages emblématiques de cette phase sont Le passé d’une illusion de François Furet, puis le Livre Noir du communisme, édité par Stéphane Courtois et Nicolas Werth, entre autres14. Ces publications conduisirent à un débat important au sein de la recherche et des médias15. Dans le contexte de ce débat, Stéphane Courtois consacra aussi un dossier spécial de sa revue Communisme au cas de Willi Münzenberg, en intégrant, entre autres, le rapport de Bohumir Smeral, chargé à défaire l’empire de Münzenberg à partir de 1937.

Une troisième vague de recherches débuta dans les années 2000, marquée par le livre de Boris Schilmar, Le discours sur l’Europe dans l’exil, où le Zukunft une place importante, ainsi que par les ouvrages d’Ursula Langkau-Alex sur le Comité de préparation pour un Front populaire allemand16.

Enfin, en 2014, le fonds du Zukunft dans les Archives nationales fut « redécouvert » (il avait été utilisé cependant dans le livre de Schilmar, entre autres) et fournit la base pour de nouvelles publications, comme, par exemple, la biographie de l’un des auteurs de l’hebdomadaire, Otto Klepper17, le travail de Thomas Keller sur les liens entre les pacifistes du « Café du Dome » et le Zukunft18 ou l’ouvrage de Hans-Manfred Bock sur les réseaux franco-allemands de l’entre-deux-guerres, ←26 | 27→qui conféra une place importante à l’hebdomadaire et l’UFA19. Bernhard H. Bayerlein désigna l’hebdomadaire comme « le projet médiatique franco-allemand le plus ambitieux pendant la dernière crise de l’entre-deux-guerres, des accords de Munich jusqu’à l’invasion de la France, avec des répercussions dans toute l’Europe », grâce à l’influence de « l’un des réseaux de résistance antifasciste les plus importants en Europe occidentale »20.

Notre travail s’insère dans cette dernière phase de l’historiographie concernant le Zukunft, tout en proposant une approche beaucoup plus large au niveau chronologique et thématique que les études précédentes, ce qui nécessita l’utilisation d’un grand nombre de sources de nature différente pour nos recherches.

La première étape fut l’établissement de tableaux recensant les articles selon les auteurs et des données concernant l’ensemble des auteurs. Ces tableaux subirent de nombreuses modifications. Un certain nombre d’articles du Zukunft ne fut pas signé, et des pseudonymes furent utilisés pour différentes raisons. Nous avons pu attribuer des articles et éclaircir un grand nombre des pseudonymes grâce à la consultation de différents manuels et fonds d’archives.

La seconde étape fut dédiée à la consultation des sources éditées. La bibliographie en annexe recense plus de quatre cent ouvrages et articles scientifiques, des éditions de 46 titres de presse issus de périodes historiques différentes et les données de 76 sites Internet. Ces publications et sites couvrent l’ensemble des périodes et domaines concernés par notre analyse.

Nous avons également consulté des sources primaires éditées dont, en premier lieu, les numéros du Zukunft réunis dans un fac-similé publié par Arthur Koestler en 1978 au Liechtenstein21, que nous avons comparé aux éditions originales de l’hebdomadaire sur microfilm à la Staatsbibliothek de Berlin, pour établir la fidélité de son contenu22. En second lieu, nous avons intégré un certain nombre d’ouvrages et d’articles des auteurs du Zukunft, ou des personnes proches d’eux.

Enfin, la partie la plus importante consista en la consultation de fonds d’archives dans quatre pays différents. Nous avons débuté nos recherches par le fonds de la rédaction du Zukunft, conservé aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine23, auquel s’attachait, malgré son utilisation fréquente par l’historiographie, une ←27 | 28→interrogation quant au corpus de documents dans lequel il avait été intégré par les autorités de l’Occupation allemande après sa saisie24.

Notre travail a permis d’élucider la cohérence interne de ce corpus. Le fonds de la rédaction du Zukunft se trouve, en fait, au milieu d’autres papiers ayant appartenu à ses auteurs ou à des personnes proches de la rédaction. Ainsi, Theodor Dan, chez qui on avait saisi le fonds de la rédaction (voir note des services allemands), avait fait partie du groupe de menchéviks russes émigrés en Allemagne après 1917, puis en France et aux Etats-Unis après 1933, tout comme plusieurs auteurs du Zukunft, qui l’avaient personnellement connu. Les fonds syndicaux avaient été réunis par les auteurs de l’hebdomadaire, en premier lieu Edo Fimmen, tout comme celui de l’agence Cooperation (proche de Winston Churchill) avec laquelle la rédaction échangeait régulièrement des informations. La présence des fonds du KPD s’explique par le rôle que Willi Münzenberg y a joué jusqu’en 1938. Et enfin, les fonds de la Résistance française joints à cet ensemble émanent d’organisations auxquelles les anciens auteurs ont participé.

Les résultats de ces recherches nous ont conduits aux fonds du CGI, également conservés aux Archives nationales. Il s’est avéré que celui-ci disposait d’une branche germanophone très active, à laquelle participaient des auteurs de l’hebdomadaire. Cette branche diffusait des tracts clandestins en Allemagne et consultait régulièrement l’équipe du Zukunft qui est citée nommément. Nous y avons trouvé la preuve du financement de l’hebdomadaire par les autorités françaises. En revanche, les sources concernant deux personnalités-clés françaises de l’hebdomadaire, Louise Weiss et Jean Giraudoux, se trouvent à la BNF. Leur correspondance nous a donné des informations intéressantes sur la période de l’Occupation.

Le Zukunft fut basée sur une étroite coopération franco-allemande, donc nous avons considéré comme essentiel de consulter différents fonds en Allemagne. Les Archives allemandes de l’exil (Deutsches Exilarchiv) nous ont donné accès à plusieurs documents-clés pour l’analyse de l’hebdomadaire, surtout grâce aux fonds de Werner Thormann et Hubertus Prinz zu Löwenstein.

Puis, nous avons consulté les archives de l’Institut d’Histoire contemporaine (Institut für Zeitgeschichte) de Munich, en premier lieu la documentation abondante ayant servi à l’écriture du Manuel biographique de l’émigration germanophone d’Europe centrale 1933–1945, édité par Werner Röder et Herbert A. Strauss dans les années 198025. Nous y avons trouvé des informations concernant les multiples ←28 | 29→activités des auteurs émigrés du Zukunft pendant l’exil et après la guerre. Cet institut dispose aussi d’une copie des archives du Reichssicherheitshauptamt, où nous avons relevé les dossiers concernant le Comité pour la préparation d’un front populaire et le cercle du Zukunft. Le fonds de Babette Gross, également à l’IfZ, nous a donné un aperçu des organisations du « réseau Münzenberg » et des recherches qu’elle a menées afin de déterminer la cause de la mort de son compagnon, sans aboutir à un résultat définitif. Pendant notre séjour à Munich, nous avons consulté aussi les fonds d’Erika et Klaus Mann conservés à la Monacensia.

Enfin, nous avons trouvé des renseignements intéressants à la Fondation Friedrich-Ebert (Bonn) concernant le responsable du bureau du Zukunft à Londres, Wilhelm Wolfgang Schütz, ainsi que deux personnalités importantes pour le soutien à la Résistance et la période de l’après-guerre : Jakob Altmaier et Richard Löwenthal.

Compte tenu de l’importance du réseau de l’hebdomadaire au Royaume-Uni, nous y avons consulté d’abord les fonds d’Alfred Duff Cooper et Harold Macmillan aux Churchill Archives à Cambridge. Ces fonds nous ont donné une idée de l’ampleur de leur engagement en faveur de la reconnaissance de la France libre par les alliés anglo-américains, puis d’une coopération politique, militaire et économique des pays de l’Europe occidentale (Western European Union), dans le droit fil de leurs prises de position dans les pages du Zukunft.

Aux National Archives de Londres, les fonds des services secrets ont été particulièrement riches en enseignements, grâce à des dossiers détaillés sur les personnalités-clés de l’hebdomadaire. C’est là aussi où nous nous sommes aperçus que l’hebdomadaire était considéré principalement comme une publication anglo-allemande outre-Manche, ce qui nous a conforté dans l’idée que la coopération de la rédaction avec les cercles intellectuels et politiques au Royaume-Uni était au moins aussi importante qu’en France. Enfin, nous avons complété nos recherches avec des documents émanant des Labour Party Archives (Manchester) et de la London School of Economics.

La dernière étape des recherches dans les fonds d’archives a eu lieu aux Etats-Unis. La Doheny Memorial Library à l’University of Southern California (Los Angeles) dispose de fonds très riches sur l’émigration allemande, car un grand nombre d’intellectuels s’y sont installés après la défaite de la France en juin 1940. Ludwig Marcuse, qui fut l’un des rédacteurs en chef du Zukunft et l’une des chevilles ouvrières de son réseau, y enseigna à partir de 1939, ce qui permet de consulter l’ensemble de ses papiers à partir de cette date. On y trouve aussi les fonds de deux amis fidèles de Willi Münzenberg, malgré des vues divergentes sur le communisme stalinien : Heinrich Mann (qui a, entre autres, constitué un classeur dédié à ses échanges avec le Zukunft) et Lion Feuchtwanger. Ces fonds sont intégrés dans différents chapitres de notre étude, car ils englobent une période assez longue. Nous avons complété et enrichi ces recherches avec d’autres sources, comme, par exemple, la transcription d’une interview de 16 heures avec Martha Feuchtwanger de 1976, conservée à la Doheny Memorial Library, ou des émissions concernant les auteurs du Zukunft.

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Un remerciement particulier revient à deux personnes que nous avons pu interviewer pour nourrir notre réflexion : Michaela Ullmann, conservatrice en chef de la Feuchtwanger Library, et Constanza Prinzessin zu Löwenstein, la fille d’Hubertus Prinz zu Löwenstein, auteur du Zukunft.

L’objectif de cette étude est d’analyser dans quelle mesure le Zukunft reflète l’évolution de la pensée intellectuelle et l’engagement des intellectuels au XXe siècle, et en quoi les actions de ses auteurs ont forgé l’Europe et le monde actuel. Nous nous interrogeons aussi dans quelle mesure les idées du Zukunft pourraient contribuer aux débats actuels sur l’avenir du « modèle occidental », symbolisé par la démocratie et l’Etat-providence, sur la construction européenne et sur la gouvernance mondiale.

D’abord, nous retracerons les multiples réseaux qui sont à l’origine de cet échange intellectuel extraordinaire et les différentes écoles de pensée représentées par les auteurs (« Le Zukunft en amont »). Puis, nous présenterons leur analyse des systèmes totalitaires et des relations internationales, ainsi que les propositions pour un nouvel ordre allemand, européen et mondial (« Le Zukunft en action »). Enfin, nous suivrons le parcours personnel et intellectuel de certains auteurs emblématiques après leur collaboration à l’hebdomadaire, pour cerner l’empreinte qu’ils ont laissée dans le monde de l’après-guerre (« Le Zukunft en aval »).

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1 MILLET, Raymond, Trois millions d’étrangers en France : les indésirables, les bienvenus, Librairie de Médicis Paris 1938. Ces chiffres sont probablement exagérés, car il s’agit d’un ouvrage hostile aux immigrés. L’afflux est néanmoins très important, car si on compte seulement les réfugiés allemands, on arrive déjà à 250.000 personnes ayant séjourné plus ou moins longtemps en France, auxquelles on peut ajouter plusieurs centaines de milliers de Républicains espagnols, puis toutes les autres nationalités.

2 Ben Khalifa, Riadh, La fabrique des clandestins en France, 1938–1940. Migrations Société, 2012/1 N° 139, pp. 11–26. On peut considérer que la population étrangère s’élevait à 1–2 millions en Ile-de-France.

3 Maas, Liselotte, Handbuch der deutschen Exilpresse 1933–1945, Bd. 1–4, Carl Hanser Verlag, München/Wien 1976–1990. Ce manuel relève 436 titres dans le monde entier (p. 11).

4 Maas, Bd. 4, p. 246. En effet, les seules publications parisiennes de l’exil qui arrivaient à une qualité égale étaient le Pariser Tageblatt/Pariser Tageszeitung, qui cessa de paraître en 1939, puis Das Neue Tage-Buch de Leopold Schwarzschild, 1933–1940.

5 Ibid.

6 Même les sympathisants du communisme stalinien sont représentés, comme par exemple Lion Feuchtwanger, Heinrich Mann ou Jacques Chapelon, un ami proche de Paul Langevin.

7 Concernant la notion de l’« intellectuel engagé », voir : Kroll, Thomas/Reitz, Tilman (dir.), Intellektuelle in der Bundesrepublik Deutschland. Verschiebungen im politischen Feld der 1960er und 1970er Jahre. Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 2013

8 Heinz Karpeles, un jeune émigré à Londres.

9 Gross, Babette (préf. de Koestler, Arthur), Willi Münzenberg. Eine politische Biographie. Schriftenreihe der VfZ Nr. 14 und 15, Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart 1967. Kersten, Kurt, Das Ende Willi Münzenbergs. Ein Opfer Stalins und Ulbrichts, dans : Deutsche Rundschau, Jg. 83 (1957), pp. 484–499

10 Un exemple parmi d’autres : Surmann, Rolf, Die Münzenberg-Legende. Prometheus, Köln 1983. Voir aussi : Courtois, Stéphane, La seconde mort de Willi Münzenberg, Communisme, N° 38–39, Les Kominterniens I, L’Age d’Homme, Paris 1994

11 Dugrand, Alain et Laurent, Frédéric, Willi Münzenberg : artiste en révolution (1889–1940). Anthème Fayard, Paris 2008, p. 25

12 Quelques exemples : Gerhard, Paul, Lernprozess mit tödlichem Ausgang. Willi Münzenbergs Abkehr vom Stalinismus, dans : Bannasch, Bettina (dir.), Exilforschung. Ein internationales Handbuch, Bd. 8. Gesellschaft für Exilforschung, München/Wien 1990, ou : Roussel, Hélène/Winckler, Lutz (dir), Deutsche Exilpresse und Frankreich 1933–1940, Peter Lang, Bern/Berlin 1992.

13 Perrault, Gilles (dir.), Willi Münzenberg, un homme contre : Actes du colloque international, 26–29 mars 1992, Aix-en-Provence. La Bibliothèque Méjanes, Paris 1993

14 Furet, François, Le passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Éditions Robert Laffont et Éditions Calmann-Lévy, Paris 1995 et Courtois, Stéphane, Livre Noir du communisme. Crimes, terreur, répression. Robert Laffont, Paris 1997

Résumé des informations

Pages
756
Année
2021
ISBN (PDF)
9783631836385
ISBN (ePUB)
9783631836392
ISBN (MOBI)
9783631836408
ISBN (Relié)
9783631830178
DOI
10.3726/b17630
Langue
français
Date de parution
2020 (Décembre)
Mots clés
Relations franco-allemandes Réseau transnational Pacifisme Komintern Décolonisation
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2021. 756 p.

Notes biographiques

Annette Grohmann-Nogarède (Auteur)

Annette Grohmann-Nogarède est professeure agrégée d’Histoire-géographie. Elle a fait ses études à l’Université d’Heidelberg, l’IEP de Bordeaux et à l’UCLA. Elle enseigne dans des sections internationales (franco-allemandes) à Montpellier et à Nîmes. Elle a tenu sa thèse en cotutelle en 2019 avec le soutien de l’Université franco-allemande.

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Titre: L’hebdomadaire «Die Zukunft» (1938-40) et ses auteurs (1899-1979) : Penser l’Europe et le monde au XXe siècle
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