Chargement...

L’avortement en Irlande : 1983–2013

Dimensions religieuses, socioculturelles, politiques et européennes

de Edwige Nault (Auteur)
©2015 Thèses 267 Pages

Résumé

Alors que les sociétés modernes occidentales poursuivent des politiques permissives en matière d’avortement, la République d’Irlande est le seul pays en Europe à avoir inscrit le droit à la vie de l’« enfant à naître » dans sa constitution. Cette question, conditionnée par la doctrine religieuse, est utilisée comme un moyen d’observation privilégié du processus de sécularisation envisagé ici comme la perte d’autorité de l’Église catholique sur les attitudes, les comportements et l’État. Ce livre contextualise le sujet dans le cadre social, culturel, politique, religieux et identitaire d’un pays en pleine mutation, ainsi que dans l’espace européen.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Table des matières
  • Table des sigles utilisés et glossaire
  • Introduction générale
  • Première partie : Autonomisation de la conscience individuelle
  • Introduction de la première partie
  • Chapitre 1 : Méthodologie
  • A) Sources
  • B) Sélection des variables
  • C) Contextualisation européenne
  • D) Remarques
  • Chapitre 2 : Sécularisation externe
  • A) Affiliation et pratique religieuses
  • B) Évolution de la moralité
  • C) Grossesses non désirées et avortement
  • D) Conclusion
  • Chapitre 3 : Sécularisation interne
  • A) Nature de la croyance
  • B) Éthique sexuelle
  • C) Attitudes envers le respect et la protection de la vie
  • D) Conclusion
  • Conclusion de la première partie
  • Deuxième partie : Autonomisation de l’État
  • Introduction de la deuxième partie
  • Chapitre 4 : Complicité et entente institutionnelle
  • A) Collusion Église – État
  • B) Référendum et statu quo
  • C) L’instruction scolaire, outil d’émancipation
  • D) Conclusion
  • Chapitre 5 : L’ambiguïté de l’État
  • A) Émancipation contrôlée
  • B) Information et communication
  • C) La politique familiale à destination des enfants
  • D) Conclusion
  • Conclusion de la deuxième partie
  • Troisième partie : Le rejet de l’avortement, une revendication identitaire
  • Introduction de la troisième partie
  • Chapitre 6 : Le refus de l’avortement, un marqueur identitaire
  • A) Catholicisme et nationalisme
  • B) Politique de l’avortement
  • C) Conclusion
  • Chapitre 7 : Revendication des valeurs catholiques irlandaises
  • A) Christianisme et Union européenne
  • B) Affirmation de l’identité catholique irlandaise à l’échelle européenne
  • C) Conclusion
  • Chapitre 8 : Une question d’intégration à double tranchant
  • A) L’Irlande et les institutions européennes
  • B) L’Europe en faveur de l’Irlande
  • C) L’Europe contre l’Irlande
  • D) Conclusion
  • Conclusion de la troisième partie
  • Conclusion générale
  • Épilogue
  • Annexes
  • Chronologie
  • Bibliographie
  • Index

| 11 →

Table des sigles utilisés et glossaire

| 15 →

Introduction générale

Abortion is a matter that is morally problematic, pastorally delicate, legislatively thorny, constitutionally insecure, ecumenically divisive, medically normless, humanly anguishing, radically provocative, journalistically abused, personally biased and widely performed 1.

Cette réflexion du théologien jésuite Richard A. McCormick souligne la nature controversée de la question de l’avortement et en fait ressortir les multiples facettes. D’autre part, ses observations sont porteuses de sens dans le contexte irlandais. Malgré la libéralisation des lois sur l’avortement à partir des années 60 dans une majorité de pays occidentaux2, l’Irlande3 se distingue par son approche conservatrice qualifiée d’« anomalie »4. Sa politique de l’avortement va à rebours de celles menées ailleurs, notamment dans les pays membres de l’Union Européenne (UE). Parmi les vingt-huit États membres, seuls trois pays, la Pologne, Malte et la Hongrie ont une politique prohibitive en matière d’avortement. Le dénominateur commun de ces trois pays avec l’Irlande est la prédominance de l’ethos catholique5. L’originalité de l’Irlande vient du fait qu’elle est le seul pays européen à avoir inscrit un droit à la vie de l’« enfant à naître » (« the unborn ») dans sa constitution, une exception qui peut parfois aller jusqu’à freiner la mise en place des traités européens comme ce fut le cas lors de la ratification du traité de Lisbonne6. La raison la plus évidente de ce rejet de l’avortement ← 15 | 16 → s’explique par le respect de la doctrine dictée par l’Église catholique qui établit que la vie humaine doit être protégée dès sa conception. On peut rappeler que le catholicisme devint l’un des éléments symbolisant l’identité et la nation irlandaises au cours du XIXe siècle lors de la lutte contre la puissance coloniale aboutissant à l’indépendance de l’Irlande. En conséquence, le lien unissant les Irlandais et l’Institution est historique et de nature identitaire.

Tandis que, comme l’a montré C. Hug7, les législations et les comportements envers la contraception, l’homosexualité et le divorce se sont assouplis, l’avortement demeure le dernier pilier des questions relatives à l’éthique sexuelle8 sur lequel l’influence de l’Église catholique s’exerce encore de manière significative. Le rejet de l’avortement dans la société irlandaise contemporaine invitait à une analyse et ce livre, fruit d’une thèse de doctorat, apporte un angle d’étude original du débat sur l’avortement en Irlande, de 1983, date à laquelle le 8e amendement pro-vie fut inséré dans la constitution, à 2013, vote de la Protection of Life During Pregnancy Act 2013 autorisant l’interruption de grossesse lorsque la vie de la mère est en danger, y compris par une menace de suicide. Cet ouvrage propose d’étudier la question de l’avortement comme un moyen d’observation privilégié du processus de sécularisation qui s’opère au niveau de l’individu d’une part, et de l’État, d’autre part. Il propose aussi de questionner la dimension identitaire dont la protection de la « vie à naître » se révèle être un marqueur catholique irlandais fort, revendiqué au niveau européen, et dont l’assouplissement remettrait en cause l’identité catholique du pays.

La perte d’influence de l’Église catholique en Irlande, ou le desserrement de l’étau religieux, à la fois sur les mœurs et sur l’État, a été théorisée sous le concept de « sécularisation », cadre théorique qui sous-tend ce livre. Historiquement, la théorie de la sécularisation a commencé à être formulée et popularisée au XVIIIe siècle par les philosophes français des Lumières. Plus tard, elle a été associée à la modernité et a établi un lien entre les sociétés modernes occidentales et la perte d’influence de l’Église chrétienne. Le concept de modernité est compris ici comme l’entrée dans la « société post-industrielle ou ‘société de ← 16 | 17 → la connaissance’ »9, comme l’avènement d’une société nouvelle avec la prédominance du secteur tertiaire, que le sociologue Yves Lambert situe au tournant des années 60–70. Ce moment se caractérise par « la contraception et libéralisation des mœurs, […], [la] société de consommation, [la] promotion de la femme, [la] mondialisation » et met l’accent sur la liberté individuelle et la quête de liberté. La période contemporaine est ainsi désignée par les termes d’ultramodernité, ou de postmodernité. L’utilisation d’ultramodernité, théorisée par Jean-Paul Willaime et Anthony Giddens, est privilégiée car la postmodernité implique que l’on est sorti de la modernité comme le souligne Danièle Hervieu-Léger10. L’Irlande est dans cette phase de la modernité au cours de laquelle s’inscrit la sécularisation, accélérée par l’avènement du Tigre celtique qui a pris son essor dans les années 90.

Des modèles théoriques de la sécularisation ont commencé à être proposés par les sociologues dans les années 60. Bryan Wilson propose la définition synthétique classique suivante : « le processus par lequel la pensée, la pratique et les institutions religieuses perdent leur importance sociale »11. Aussi, la sécularisation qualifie-t-elle, d’une part, « l’individualisation croissante des acteurs » de la société et, d’autre part, « la différenciation fonctionnelle des institutions »12. Dans le premier cas, il s’agit de la baisse de l’appartenance religieuse, de la pratique et des croyances. Dans le deuxième cas, il s’agit du passage d’activités ou d’institutions (instruction, santé…) de la sphère d’influence de l’Église vers le domaine public ou privé, excluant toute référence ou valeur religieuses. D. Hervieu-­Léger, qui s’intéresse plus spécifiquement à la société française parle d’« exculturation »13. Ce concept désigne la perte de repères, engendrée par les mutations socioculturelle, telles que la consommation ou le culte de l’individualisme, qui ← 17 | 18 → contribue à affaiblir la culture catholique. L’Église catholique cesse ainsi de fournir un cadre de référence à l’ensemble de la société.

Le concept de sécularisation est malléable en raison de ses nombreuses théories et il doit être appréhendé comme un paradigme. On peut d’ailleurs signaler que les débats à ce propos font l’objet d’un pan entier de la théorisation. Mais on considère que cette difficulté peut être surmontée en insistant sur le fait que c’est le contexte historique, social, culturel, voire politique, d’un pays donné qui permet d’établir si un recul de la religion est à l’œuvre. Chaque société ayant ses particularités, il serait présomptueux de vouloir appliquer un modèle théorique unique. Aussi, ce livre s’appuie sur les approches pluri-dimensionnelles de la sécularisation théorisées par Bryan Wilson14, Peter Glasner15 ou encore Karel Dobbelaere16. Elles ont l’avantage de permettre « de sortir d’un paradigme unilatéral de la sécularisation selon lequel ce processus signifierait un déclin général de la religion »17. Les théories pluri-dimensionnelles mettent en évidence trois niveaux sur lesquels la sécularisation opère : le niveau individuel, ou interpersonnel, le niveau institutionnel et le niveau culturel. Précisons que la sécularisation d’un niveau ne se répercute pas nécessairement dans les mêmes proportions à un autre. Par exemple, « une baisse des pratiques et engagements individuels ne signifie pas forcément une perte d’influence de la religion à l’échelle sociétale »18.

La sécularisation qui se produit au niveau individuel concerne l’évolution des croyances religieuses, de la pratique et de l’attitude des fidèles envers leur Église19. Cette évolution se traduit par une individualisation de la croyance, ce qui signifie que la croyance ne guide plus les attitudes et les comportements individuels. Cette situation engendre un recul de la morale religieuse sur les pratiques individuelles et collectives, concomitant de la mise en place d’un phénomène de distanciation envers l’Église. La répercussion la plus immédiate est ← 18 | 19 → une perte d’autorité de l’Institution catholique pour laquelle il devient difficile de transmettre les croyances et les principes moraux à mettre en pratique puisque les rangs des fidèles s’éclaircissent. Pour autant, cela ne signifie pas que les fidèles deviennent indifférents à la croyance, leur piété pouvant subsister. Mais cette manière de croire est différente car elle rejette le cadre de l’autorité religieuse, ce qui peut être considéré comme un marqueur de la sécularisation individuelle. P. Berger s’appuie sur une subjectivisation20, c’est-à-dire une sécularisation des consciences, ou une autonomisation, indiquant que la tradition religieuse est peu à peu devenue hors de propos.

La deuxième dimension de la sécularisation s’adresse au fonctionnement du cadre institutionnel et se rapproche du concept de laïcisation, mais pas seulement. K. Dobbelaere21 utilise également le terme d’« autonomisation » des systèmes et insiste sur l’évolution des relations entre les institutions religieuses et l’État, et la perte d’influence des premières. Comme B. Wilson et P. Glasner, il souligne l’importance du déclin de l’Église sur ce terrain. De la même façon, P. Berger utilise le terme d’« évacuation » des Églises chrétiennes de domaines sur lesquels elles exerçaient un contrôle22.

Enfin, la dernière dimension de la sécularisation s’intéresse à l’aspect culturel et fait apparaître que la société est de moins en moins marquée par les idées religieuses. Il peut s’agir de la gestion de certaines activités désormais assurée par les pouvoirs publics, ou encore de références religieuses qui sont de moins en moins présentes dans les symboles utilisés par la littérature, la philosophie ou les arts23. On ne saurait trop insister sur les apports de la modernité dans ce domaine, tel qu’un niveau d’alphabétisation élevé, une mobilité accrue (tourisme par exemple), la communication de masse, et la culture de masse disséminée par les médias véhiculant des symboles culturels uniformisés et occidentaux. Ce phénomène « mondialisation culturelle »24 a été commenté par Tom Inglis qui observe que les programmes de télévision importés des États-Unis et de Grande-Bretagne dans les années 70 ­véhiculaient ← 19 | 20 → des symboles et des modes de vie incompatibles avec la conception du monde de l’Église25.

Le processus de sécularisation, qui n’est ni fixe ni permanent, peut ainsi prendre différentes formes, parfois avec des divergences fondamentales. Il serait imprudent de vouloir utiliser la même grille de lecture d’une société à l’autre. Le contexte historique, social, et culturel doit être pris en compte afin d’interpréter au plus juste les mutations qui prennent place. C’est ce que ce livre propose de faire dans le contexte irlandais à travers le prisme du débat sur l’avortement.

Plusieurs sociologues se sont déjà penchés sur la question irlandaise. T. Inglis, déjà cité, a publié plusieurs ouvrages sur la société irlandaise et le poids qu’y exerce l’Église catholique dans les domaines de l’éducation, de la santé, des services sociaux, de la politique, et de la sexualité. Dans son excellent ouvrage, Moral Monopoly26, il retrace la montée en puissance puis la perte d’influence de l’Église catholique et s’interroge déjà sur l’évidement de la croyance, ou « exculturation » selon la formule ad hoc de D. Hervieu-Léger. Outre que, précise-t-elle, celle-ci traduit la montée de l’ignorance individuelle des traditions religieuses, elle se singularise par l’expression autonome de la conscience morale personnelle par rapport aux prescriptions éthiques d’une institution religieuse donnée. De la même façon, T. Inglis souligne que les enseignements de l’Église catholique sur les questions morales n’ont plus que des rapports très éloignés avec la vie quotidienne des Irlandais27. Louise Fuller28 complète cette analyse à l’échelle irlandaise et montre que l’essence de la doctrine catholique s’est transformée considérablement depuis les années 60 marquées par le IIe concile œcuménique du Vatican dont le but était d’adapter l’Église à la société moderne. Ses conclusions rejoignent celles du sociologue Micheál Mac Gréil qui soutient l’émergence d’un « nouveau catholique » se caractérisant par une approche moins conservatrice envers les questions liées à la sexualité29. L’étude de L. Fuller s’arrête avant le tournant du XXIe siècle, comme celle de Marguerite Corish Arnal30 qui a observé que les Irlandais se subordonnent moins à la ← 20 | 21 → religion et privilégient des valeurs plus séculières au niveau individuel et institutionnel. Ces données seront actualisées et réévaluées, en s’appuyant sur la dernière étude de M. MacGréil31 et en apportant une contextualisation européenne basée sur les statistiques disponibles.

De plus, il faut absolument s’intéresser aux écrits de Benoît XVI sur le développement de la sécularisation dans les sociétés ultramodernes. Il reconnaît le lien entre la foi chrétienne et la rationalité séculière occidentale32. Avant d’être pape de 2005 à 2013, Benoît XVI a été prolixe sur la question de l’avortement lorsqu’il occupait les fonctions de Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi33. Dans Christianity and the Crisis of Cultures34, un chapitre entier est consacré au droit à la vie dans lequel il dénonce la rationalité scientifique émanant de l’époque des Lumières qui a eu pour conséquence directe l’exclusion de Dieu de la sphère politique dans l’Europe contemporaine. Ainsi, il assimile ce processus à un déracinement35.

La sécularisation en Irlande a été largement explorée mais l’originalité de cette recherche est l’approche de la question de l’avortement comme un moyen d’observation privilégié de ce processus, d’une part, et les mutations identitaires que la question engendre à la fois au niveau individuel et institutionnel, d’autre part. En effet, dans les sociétés européennes contemporaines, où la modernisation a fait le lit de la sécularisation, la libéralisation des pratiques sexuelles est admise comme l’un des indicateurs du recul de l’éthique morale catholique sur les comportements. La dépénalisation, ou décriminalisation, de la contraception, de l’homosexualité et de l’avortement, appuie la distanciation de l’emprise catholique dans le domaine de l’éthique sexuelle. Partant de ces éléments, on pourrait supposer qu’une attitude permissive envers l’avortement serait un élément permettant d’apprécier l’avancée du processus de sécularisation.

Le débat sur l’avortement a déjà été l’objet d’étude de la part de divers chercheurs, notamment C. Hug, déjà mentionnée, ou encore l’excellent ouvrage de Tom Hesketh qui a examiné dans le détail les événements précédant le ← 21 | 22 → référendum de 198336. À sa suite, l’historien Diarmaid Ferriter37 traite également des influences auxquelles les différents partis politiques ont été soumis lors de la préparation du 8e amendement. Mention doit aussi être faite de la collection d’essais dirigés par Ailbhe Smyth38 qui discute des facettes sociale, politique et éthique de la question de l’avortement sous un angle féministe. Une approche différente est celle de la sociologue Lisa Smyth39 qui s’est penchée sur la politique de l’avortement en Irlande en s’intéressant au lien existant entre le genre et la nation, en particulier son impact sur le statut des femmes en tant que citoyennes. Elle a, par ailleurs, abordé l’importance du lien entre le conflit sur l’avortement et l’ identité nationale chez l’Irlandaise40. Enfin, T. Inglis41 a étudié l’enseignement de la sexualité dans le cadre scolaire, soulignant le poids de la doctrine catholique, aspect abordé et réévalué ici.

L’ensemble de ces recherches font apparaître un blocage sur la question de l’avortement en Irlande. L’objectif de ce livre est de chercher à donner un sens à ce blocage et pose l’hypothèse que l’avortement représente un bastion de résistance à la sécularisation. Afin de mener à bien notre projet, une sélection variée de sources primaires, matérielles (écrits) et immatérielles (entretiens, web, courriels, filmographie) a été compulsée. Aussi, les documents écrits de source religieuse (Vatican et Épiscopat irlandais notamment), officielle (gouvernement et statistiques en particulier) et juridique (législation, procès et autres documents légaux irlandais et européens) servent-ils notre propos. À l’heure du numérique, une liste indicative, non exhaustive, de ressources virtuelles a été établie. Elle a permis d’obtenir des informations sur les derniers développements européens en matière de défense du droit à la « vie à naître » ou de celui à la liberté reproductive, mais aussi de prendre la mesure des discours tenus par les groupes de pression pro-vie et pro-choix. En effet, dans les cas où il n’a pas été possible de s’entretenir avec certains acteurs du débat sur l’avortement, ← 22 | 23 → leur « vitrine » internet a permis de se faire une idée de leur idéologie et des ressources auxquelles ils ont accès42. Enfin, des rapports, livrets, brochures, dépliants, et tracts de propagande ont également servis l’analyse.

La périodisation de notre recherche s’étend du début des années 80 jusqu’en 2013. S’inscrivant après la visite du pape Jean Paul II en 1979, et débutant par de longs débats qui menèrent au 8e amendement pro-vie, la décennie des années 80 fut celle qui marqua les prémisses d’une ouverture de la société irlandaise en transition vers un modèle moins influencé par la religion. La recherche s’arrête en juillet 2013, année au cours de laquelle l’Irlande s’est mise en conformité avec l’arrêt rendu dans l’affaire ABC c. Irlande par la cour européenne des droits de l’homme en votant la Protection of Life During Pregnancy Act 2013.

Ce livre s’ouvre par l’évaluation de l’autonomisation des consciences individuelles. Objet de la première partie, elle dresse une esquisse de l’évolution de la société irlandaise envers la religion et les sujets liés à l’éthique sexuelle pour se pencher sur la question centrale de l’avortement. Il s’agit de s’intéresser à la croyance, à la façon dont les croyants la manifestent et l’expriment, afin d’apprécier dans quelle mesure celle-ci guide encore le comportement des individus. À cet effet, l’apport d’une dimension comparative, un élément novateur de notre étude, est apparue incontournable car elle ajoute pertinence et justesse à l’analyse en plaçant l’Irlande dans une perspective plus large. Le contexte européen se prête particulièrement bien à la comparaison puisque d’autres pays, comme l’Espagne, l’Italie et le Portugal, ont en commun avec elle une histoire où la religion catholique se mêle aux affaires de l’État. La méthodologie (chapitre 1), en toile de fond des deux premières parties, justifie la contextualisation européenne, explique la sélection des statistiques et sondages et fait un point sur leurs limites. Puis l’analyse du processus de sécularisation (chapitres 2 et 3) s’appuie sur des marqueurs externes et internes, classification originale que ce livre apporte, révélant la dynamique de ce processus afin de mettre en évidence le blocage sur l’avortement dans la société irlandaise. Ensuite, la deuxième partie se penche sur ce blocage et cherche à savoir s’il est relayé (chapitre 4) ou modéré (chapitre 5) par l’État. Elle s’interroge sur le rôle que tient celui-ci dans le débat et sur l’évolution de ses relations avec l’Église pour apprécier son degré d’autonomisation. Enfin, la troisième et dernière partie s’intéresse à la façon dont l’influence de la morale catholique sur l’avortement met l’État en porte ← 23 | 24 → à faux auprès de l’Europe. Cette autre contextualisation européenne originale fait ressortir que le débat sur l’avortement en Irlande, reste, vu du continent, un marqueur identitaire catholique fort. Après avoir précisé le concept identitaire et le lien entre catholicisme et nationalisme, puis apprécié l’impact du catholicisme sur la politique de l’avortement (chapitre 6), cette partie montre les difficultés que l’Irlande rencontre à s’affirmer catholique lorsqu’il s’agit de sauvegarder la « vie à naître » dans une Europe qui ne se revendique d’aucune appartenance confessionnelle (chapitre 7). Mais l’État irlandais ne maîtrise pas nécessairement les actions provenant de l’intérieur et qui se décident devant les cours de justice européennes (chapitre 8).

Enfin, signalons que l’ouvrage comporte des citations en anglais qui n’ont volontairement pas été traduites afin d’éviter toute perte de sens.

1  Richard A MCCORMICK, « Notes on moral theology : the abortion dossier », Theological studies 35.2 (1974), p. 313.

2  Isabelle ENGELI, « The Challenges of Abortion and Assisted Reproductive Technologies Policies in Europe », dans : Comparative European Politics 7.1 (2009).

3  Le terme « Irlande » est utilisé pour désigner la République d’Irlande dans ce livre.

Résumé des informations

Pages
267
Année
2015
ISBN (PDF)
9783653049435
ISBN (ePUB)
9783653973945
ISBN (MOBI)
9783653973938
ISBN (Broché)
9783631656549
DOI
10.3726/978-3-653-04943-5
Langue
français
Date de parution
2015 (Mai)
Mots clés
Secularisation Identity Sexual ethics Family policy Abortion Catholic Church
Published
Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Wien, 2015. 267 p.

Notes biographiques

Edwige Nault (Auteur)

Edwige Nault a soutenu sa thèse en 2014 à l’Université de Lille 3. Ses recherches s’intéressent à la sécularisation en République d’Irlande, l’identité catholique irlandaise, l’évolution des questions morales en Irlande et l’apport de l’Europe sur ces questions dans la société irlandaise contemporaine.

Précédent

Titre: L’avortement en Irlande : 1983–2013
book preview page numper 1
book preview page numper 2
book preview page numper 3
book preview page numper 4
book preview page numper 5
book preview page numper 6
book preview page numper 7
book preview page numper 8
book preview page numper 9
book preview page numper 10
book preview page numper 11
book preview page numper 12
book preview page numper 13
book preview page numper 14
book preview page numper 15
book preview page numper 16
book preview page numper 17
book preview page numper 18
book preview page numper 19
book preview page numper 20
book preview page numper 21
book preview page numper 22
book preview page numper 23
book preview page numper 24
book preview page numper 25
book preview page numper 26
book preview page numper 27
book preview page numper 28
book preview page numper 29
book preview page numper 30
book preview page numper 31
book preview page numper 32
book preview page numper 33
book preview page numper 34
book preview page numper 35
book preview page numper 36
book preview page numper 37
book preview page numper 38
book preview page numper 39
book preview page numper 40
270 pages