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Argot(s) et variations

de Jean-Pierre Goudaillier (Éditeur de volume) Eva Lavric (Éditeur de volume)
©2014 Comptes-rendus de conférences 316 Pages

Résumé

L’argot n’est pas qu’un phénomène français, en témoignent les recherches sur les langages périphériques menées dans toute l’Europe. Et l’argot n’est pas un, il se décline dans l’espace, le temps, la société. Il entretient un rapport privilégié avec la bande dessinée ; dans cet ouvrage on trouve des exemples d’Astérix et d’autres héros traduits dans toute une série de langues, mais aussi des réflexions didactiques. Par ailleurs, plusieurs contributions se consacrent à des œuvres littéraires dans lesquelles l’auteur se sert de l’argot pour caractériser un certain milieu (drogue, université, armée…). Qui dit argot dit langage des jeunes, langage branché – celui-là aussi est représenté, au travers d’études empiriques et lexicographiques.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface: Jean-Pierre Goudaillier / Eva Lavric
  • Littérature et argot
  • L’argot dans Casse-Pipe de Louis-Ferdinand Céline: Łukasz Szkopiński
  • Résumé
  • Bibliographie
  • Littérature primaire
  • Littérature secondaire
  • Polococktail Party ou les divagations hallucinées du banlieusard polonais – de l’argot chez Dorota Masłowska: Anna Bobińska
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Structure et langage du roman
  • 2.1. La structure narrative
  • 2.2. Le langage du roman
  • 3. Remarques sur la traduction
  • Bibliographie
  • L’argot dans le roman de Robert Merle : « Derrière la vitre »: Kétévan Djachy
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. La chronologie des événements
  • 3. Analyse du vocabulaire
  • 4. L’influence de mai 68
  • 5. Conclusion
  • Bibliographie
  • Argot et néologie chez Gaétan Soucy : De l’enfance du langage au langage de la différence: Camille Vorger
  • Résumé
  • 1. La petite fille qui aimait trop les allumettes…
  • 1.1. Résumé
  • 1.2. Réflexivité
  • 1.3. Relevé
  • Substantifs
  • Verbes / participes
  • Locutions
  • 1.4. Etude de cas : secrétarien
  • 1.5. Analyse néostylistique
  • 2. Music Hall
  • 2.1. Résumé
  • 2.2. Relevé
  • 2.3. Etude de cas : écrapoutir
  • 2.4. Réflexivité et analyse
  • 3. Conclusion
  • Bibliographie
  • Corpus
  • Ouvrages et articles
  • Dictionnaires
  • Dictionnaires en ligne et autres sites
  • Les éléments argotiques dans la poésie française contemporaine pour les enfants: Marina Tikhonova
  • Résumé
  • Bibliographie
  • Corpus
  • Jargon(s), argot(s), langue(s) populaire(s)
  • Noms de poissons ou noms d’oiseaux ?: Marc Sourdot
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Nom de poisson ou nom d’oiseau ?
  • 3. Match retour
  • 4. Conclusion
  • Bibliographie
  • Du mal Saint-Oreille au feu de Saint-Antoine, ou de quelques appellations populaires des maladies: Alicja Kacprzak
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Les éponymes dans le vocabulaire médical
  • 3. La nomenclature médicale et les « maladies des saints »
  • 3.1. Les « maladies des saints » dans les ouvrages généraux
  • 3.2. Les « maladies des saints » dans les ouvrages médicaux
  • 3.3. Les « maladies des saints » dans les dictionnaires de langue
  • 4. Les origines et les motivations des noms de « maladies des saints »
  • 5. Les critiques de la superstition
  • 6. En guise de conclusion
  • Bibliographie
  • Le jargon de la police à travers le cinéma: Olga Stepanova
  • Résumé
  • Bibliographie
  • La langue en tant qu’outil de stratification sociale des prisonniers – Étude comparative des contextes polonais, français et américain: Joanna Siecińska
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Stratification sociale
  • 3. Contre-culture carcérale
  • 4. Corpus et méthode
  • 5. Caste supérieure
  • 6. Caste inférieure
  • 7. La langue : un outil puissant
  • Bibliographie
  • Corpus
  • Analyse polyvalente de l’argot des agriculteurs français: Tatiana Retinskaya
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Algorithme de l’analyse de l’argot de métier
  • 2.1. Quantité de lexèmes argotiques
  • 2.2. Procédés de création
  • 2.2.1. Procédés spécifiques
  • 2.2.2. Procédés non spécifiques
  • 2.3. Dominantes sémantiques
  • 2.4. Centres d’attraction synonymique
  • 2.5. Éléments de l’espace tropologique
  • 3. Conclusion
  • Bibliographie
  • Un exemple d’utilisation d’un jargot. Le positionnement du dégustateur de vin à travers les stratégies lexicales et discursives: Eva-Maria Rupprechter
  • Résumé
  • 1. Introduction et hypothèses de départ
  • 2. Au croisement du jargon et de l’argot
  • 3. Application au corpus
  • 3.1. Méthode d’analyse
  • 3.2. Résultats
  • 3.2.1. Réalisation du genre discursif
  • 3.2.2. Les personnes de l’énonciation
  • 3.2.3. Les prédicats de l’énonciation
  • 3.2.4. Marqueurs de gradation
  • 3.2.5. Lexique de spécialité
  • 4. Synthèse et perspectives : les finalités identitaire et cryptique
  • Bibliographie
  • Langage des jeunes, langage « branché »
  • La langue des jeunes Chypriotes grecs urbains : Quels procédés néologiques pour quelles fonctions symboliques ?: Efi Lamprou / Thierry Petitpas
  • Abstract
  • 1. Introduction
  • 2. Situation linguistique de Chypre
  • 3. La langue des jeunes Chypriotes grecs urbains
  • 3.1. Présentation du corpus
  • 3.2. Description du corpus : caractéristiques linguistiques
  • 4. Conclusion
  • Bibliographie
  • Dictionnaires consultés
  • Une touche de français et d’espagnol « branchés » dans un dictionnaire de tourisme bilingue français-espagnol / espagnol-français: Marina Aragon Cobo
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Les champs sémantiques du dictionnaire
  • 3. Analyse sémantique
  • 3.1. Procédés expressifs
  • 3.2. Éléments socio-culturels
  • 3.3. Les emprunts
  • 4. Analyse morphosyntaxique
  • 4.1 La dérivation
  • 4.2. La composition
  • 4.3. La troncation
  • 4.4. Les acronymes
  • 4.5. Les sigles
  • 4.6. Les lexies complexes
  • 5. Conclusion
  • Bibliographie
  • Enseignement de l’argot
  • Quand faut-il commencer avec l’enseignement de l’argot dans l’enseignement des langues étrangères ?: Alma Sokolija
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. L’enquête
  • 2.1. Les données sur les enquêtés
  • 2.2. Leurs définitions de l’argot
  • 2.3. Sur la nécessité d’apprendre l’argot
  • 2.4. Sur leurs compétences argotiques
  • 2.5. Autour du rap
  • 3. En guise de conclusion
  • 3.1. Quelle méthode choisir?
  • Bibliogaphie
  • Les difficultés de la traduction de collocations à partir de corpus parallèles d’albums d’Astérix. Comment s’emparer en classe de FLE de ces combinaisons originales ?: Fernande Ruiz Quemoun
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Méthodologie
  • 3. Les collocations
  • 4. Quelle serait la place des collocations par rapport aux autres combinaisons lexicales ?
  • 4.1. Comment se construit une collocation ?
  • 4.1.1.
  • 4.1.2.
  • 4.1.3.
  • 5. L’identification des collocations
  • 6. Comment travailler les collocations en cours de FLE ?
  • 7. Comment s’emparer de ces combinaisons originales ?
  • 7.1. Quelques exercices prétendant aider nos étudiants à appréhender des collocations
  • 7.1.1.
  • 7.1.2.
  • 7.1.3.
  • 7.1.4.
  • 7.1.5.
  • 8. Conclusion
  • Note
  • Bibliographie
  • Corpus
  • Bande dessinée et argot
  • Bandes dessinées françaises, argot et langue populaire : Des Pieds Nickelés aux Assistés: Jean-Pierre Goudaillier
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Les Pieds Nickelés de Louis Forton (années 1910–1920)
  • 3. Kebra de Jano (années 1980)
  • 4. Les Assistés de Dikeuss (années 2000)
  • 5. BDs et livres illustrés de Jacques Tardi inspirés de romans
  • 6. Conclusion
  • Bibliographie
  • Dictionnaires et artcles scientifiques
  • Oeuvres littéraires citées
  • Bandes dessinées
  • Le dialogisme entre altérité et diversité : La traduction des bandes dessinées en slovène: Gregor Perko
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Altérité et diversité
  • 3. Traduction de l’altérité et de la diversité
  • 3.1. Problèmes spécifiques de la traduction des BD en slovène
  • 3.2. Sur deux exemples de traduction « déton(n)ants »
  • 3.3. Traduction d’indices d’altérité
  • 3.4. Traduction d’indices de diversité
  • 4. Conclusions
  • Bibliographie
  • Bandes dessinées en français
  • Traductions des bandes dessinées
  • Références
  • La langue parlée et argotique dans la Bande Dessinée « jeune » : Problèmes d’analyse – problèmes de traduction: Sabine Bastian
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Langues, langages et cultures
  • 3. La bande dessinée
  • 4. Le corpus
  • 5. Les formes verlanisées dans la BD « jeune » (Gillmeier 2007)
  • 6. Riad Satouff : « La vie secrète des jeunes»
  • 6.1. Les formes phonétiques
  • 6.2. La formation des mots
  • 6.3. Lexique et phraséologie du sub-standard
  • 7. Problèmes traductologiques
  • 8. Conclusions
  • Bibliographie
  • Littérature secondaire :
  • Littérature primaire :
  • La vision des étrangers dans la bande dessinée Astérix : Étude comparative français/polonais: Agnieszka Woch / Andrzej Napieralski
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Les stéréotypes concernant les traits caractéristiques des peuples et la culture
  • 3. Jeux lexicaux et stylistiques et les problèmes de traduction
  • 4. Conclusion
  • Bibliographie
  • Astérix chez les Bretons : Comparaison des traductions en tchèque et en slovaque: Zdeňka Schejbalová
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Analyse des traductions
  • 2.1. Dessin animé Astérix chez les Bretons de Pino van Lamsweerde, Gaumont International 1986
  • 1.1.1. Caractéristique générale de la manière de parler des personnages
  • Original français
  • Version tchèque
  • Version slovaque
  • 2.1.2. Exemples
  • 2.2. Bande dessinée
  • 2.2.1. Caractéristique générale de la manière de parler des personnages
  • Original français
  • Version tchèque
  • Version slovaque
  • 2.2.2. Exemples (sigles utilisés : p. – page, c. – case)
  • 3. Conclusion
  • Bibliographie
  • Bibliographie du corpus
  • Bibliographie scientifique
  • Dictionnaires consultés:
  • Dictionnaires et argot
  • Des chansons de rap aux dictionnaires : Regards croisés entre la métaargotographie et la métalexicographie: Camille Martinez / Alena Podhorná-Polická
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Nouvelles entrées dans les dictionnaires de langue générale : innovation ou rénovation lexicale ?
  • 2. Marques « stylistiques / diastratiques (s/d) » dans le corpus de dictionnaires généraux comparés
  • 3. Vers la « métaargotographie » : argotismes dans les dictionnaires généraux
  • 4.1. Mot entrés identifiés comme argotismes
  • 4.2. Mots sortis identifiés comme argotismes
  • 5. Quelques remarques à propos de l’argotographie spécialisée
  • 6. Enjeux de la comparaison avec le corpus RapCor
  • 6.1. Quelques statistiques avant de conclure
  • 7. En guise de conclusion
  • Bibliographie
  • Corpus étudiés
  • Dictionnaires
  • Trois dictionnaires de l’argot français… qui ont marqué la dernière vingtaine d’années: Dávid Szabó
  • Résumé
  • 1. Introduction
  • 2. Cellard, Jacques / Rey, Alain, Dictionnaire du français non conventionnel (1980)
  • 3. Colin, Jean-Paul / Mével, Jean-Pierre / Leclère, Christian, Dictionnaire de l’argot (1990)
  • 4. Goudaillier, Jean-Pierre, Comment tu tchatches ! Dictionnaire du français contemporain des cités (1997)
  • 5. En guise de conclusion
  • Bibliographie

JEAN-PIERRE GOUDAILLIER / EVA LAVRIC

PRÉFACE

Le présent volume Argot(s) et variations fait suite à celui paru en 2009 à Łódź intitulé Standard et périphéries de la langue (réd. Alicja Kacprzak, Jean-Pierre Goudaillier), Oficyna Wydawnicza LEKSEM, Łask, et à celui publié en 2011 sous le titre Registres de langue et argot(s) – Lieux d’émergence, vecteurs de diffusion (Sabine Bastian, Jean-Pierre Goudaillier (Hg.)), München, Martin Meidenbauer, Coll.“Sprache-Kultur-Gesellschaft”, Vol. 9.

Vingt-quatre collègues, qui enseignent et effectuent leurs recherches dans des universités d’Allemagne, d’Autriche, de Bosnie-Herzégovine, de Chypre, d’Espagne, de France, de Géorgie, de Hongrie, de Pologne, de République tchèque, de Russie et de Slovénie ont participé à la rédaction de ce livre, qui comprend au total vingt-deux contributions organisées selon six axes principaux :

a)littérature et argot ;

b)jargon(s), argot(s), langue(s) populaire(s) ;

c)langage des jeunes, langage « branché » ;

d)enseignement de l’argot ;

e)bande dessinée et argot ;

f)dictionnaires et argot.

Les exemples linguistiques sont tirés de diverses langues, à savoir l’allemand, l’anglais, l’anglais américain, l’espagnol, le français, le grec chypriote, le grec moderne, le polonais, le slovaque, le slovène et le tchèque, pour ne citer que ces langues-ci.

À la suite du volume paru en 2011, dans lequel étaient particulièrement mis en valeur les vecteurs de diffusion de l’argot – des argots – compte tenu des leurs lieux d’émergence, les articles présentés ici même au sujet de la bande dessinée et de l’argot, de la littérature et de l’argot, de l’enseignement et de l’argot, rendent compte de recherches qui contribuent à une meilleure compréhension du rôle que jouent, entre autres, la bande desssinée, la littérature et l’enseignement en ce qui concerne la diffusion des phénomènes d’ordre argotique.

D’un point de vue d’argotologie générale, mais aussi de ceux de la linguistique générale, de la linguistique appliquée à la traduction, à l’enseignement des langues, de l’analyse descriptive des langues, quel est l’intérêt ← 9 | 10 → des études ayant pour objet l’analyse des pratiques langagières et des formes linguistiques périphériques ? La réponse à cette question constitue le fil conducteur de ce livre, ceci grâce aux diverses contibutions, qui rendent compte de l’existence et des modes de fonctionnement de telles pratiques et formes, considérées à tort ou à raison comme périphériques par rapport au système standard des langues.

Paris / Innsbruck, août 2014

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Littérature et argot

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ŁUKASZ SZKOPIŃSKI

L’ARGOT DANS CASSE-PIPE DE LOUIS-FERDINAND CÉLINE1

Résumé

Le roman Casse-pipe de Louis-Ferdinand Céline (1894–1961) a été publié en 1949, mais sa composition remonte à l’année 1912, quand l’auteur a rejoint le 12e régiment de cuirassiers. Cet ouvrage, incomplet et assez court en comparaison avec les autres romans du même auteur, est, pourtant, extrêmement riche et fort aussi bien au niveau du message que de la forme. Dans Casse-pipe, Céline décrit ses mauvaises expériences dans l’armée, qu’il présente avec un réalisme brut et souvent choquant. L’action du roman se concentre sur la première nuit que le héros, Ferdinand, a passée dans le régiment. La prédominance de parties dialoguées du roman permet d’analyser la richesse du langage parlé transcrit par Céline. L’écrivain fait quelques observations intéressantes concernant l’argot dans son texte L’argot est né de la haine ! (1957). Casse-pipe constitue une parfaite illustration de ses remarques et une véritable étude sur les injures ainsi que sur toutes sortes de violence verbale. Nous en retrouvons différents types dans le texte. Il est intéressant aussi de comparer Casse-pipe avec un autre roman antimilitaire, Sous-Offs, publié par Lucien Descaves en 1889. Enfin, après avoir analysé l’attitude du narrateur envers l’argot, on mettra en relief l’obscurité du roman, qui résulte précisément de l’utilisation de l’argot.

L’histoire de la création de Casse-pipe est quelque peu mystérieuse. Le roman Mort à crédit, publié par Louis-Ferdinand Céline (de son vrai nom Louis-Ferdinand Destouches, 1894–1961), raconte la période d’enfance du héros, Ferdinand Bardamu, un alter ego littéraire de l’auteur. Il est généralement admis que Céline voulait continuer l’histoire décrite dans cet ouvrage et en faire la première partie d’une trilogie. Ainsi l’enfance fut suivie par la guerre (Casse-pipe) et Londres (Guignol’s band). Casse-pipe aurait été créé entre l’automne 1936 et l’été 1937. Or, Céline assure que le manuscrit de plus de six cents pages fut perdu et détruit en 1944 pendant le pillage de son appartement. Il n’est pourtant pas sûr quelle perte exactement subit cet ouvrage et à quel point elle put être exagérée par l’écrivain. Le texte, qui selon Céline ne constituait qu’un « prélude » par rapport à l’ensemble du roman, parut d’abord dans Les Cahiers de la Pléiade en 1948 pour être publié en volume un an plus tard.

L’action de la partie publiée de Casse-pipe dure une nuit. La scène s’ouvre ← 13 | 14 → par l’arrivée du héros, Ferdinand, qui s’engage au 17e régiment des cuirassiers, dans un quartier de cavalerie. Il n’est pas accueilli à bras ouverts. Au contraire, le brigadier, Le Meheu, et le maréchal-des-logis, Rancotte, sont plutôt irrités, leur repos ayant été troublé. Finalement, Ferdinand joint la patrouille. La nuit est obscure, il pleut à torrents et la tempête effarouche les chevaux, dont quelques-uns s’échappent. Hélas, Le Meheu perd le mot de passe à la poudrière et il semble que personne de sa brigade ne soit capable de se le rappeler. Il leur ordonne alors de se cacher dans l’écurie tandis qu’il part lui-même pour retrouver le mot oublié. En conséquence, tout le monde se saoule et s’endort, pour être ensuite découvert par Rancotte. Le Meheu revient, également ivre mais toujours sans le mot de passe. Le maréchal-des-logis se rend compte de tout ce qui s’est passé et, presque hors de lui, réprimande Le Meheu et ses soldats, en arrosant ses propos d’insultes des plus succulentes. Les deux années (1912–1914) passées par Céline dans un régiment de cuirassiers à Rambouillet eurent une influence primordiale sur ce roman, argotique jusqu’à la moelle, mais l’esprit créatif de l’écrivain sut certainement fusionner la vérité et la fiction au point de les rendre indiscernables.

Nous présenterons, d’abord, quelques observations de Céline concernant l’argot, telles qu’il les expose dans son texte L’argot est né de la haine ! (1957). Ensuite, nous analyserons les différents types d’insultes utilisés dans Casse-pipe et leurs sources2 ainsi que l’emploi de l’argot dans d’autres sphères de la vie militaire. Après, nous essayerons de comparer brièvement Casse-pipe avec un autre roman antimilitaire, Sous-Offs, publié par Lucien Descaves en 1889. Nous continuerons en nous penchant sur l’attitude du narrateur face à l’argot, pour finalement parler de l’idée de l’incompréhension dans le roman.

Dans un article intitulé L’argot est né de la haine ! et publié en mai 1957, Céline observe :

Non, l’argot ne se fait pas avec un glossaire, mais avec des images nées de la haine, c’est la haine qui fait l’argot. L’argot est fait pour exprimer les sentiments vrais de la misère. Lisez L’Humanité, vous n’y verrez que le charabia d’une doctrine. L’argot est fait pour permettre à l’ouvrier de dire à son patron qu’il déteste : tu vis bien et moi mal, tu m’exploites et roules dans une grosse voiture, je vais te crever… Mais l’argot d’aujourd’hui n’est plus sincère, il ne résiste pas dans le cabinet du juge d’instruction. J’attends toujours le truand qui fera fuir le juge avec son argot. Dans les prisons d’aujourd’hui on file doux : oui Monsieur, bien Monsieur. On y est bien sage et on n’y parle pas l’argot, j’en ai fait l’expérience (Céline 2010, 84). ← 14 | 15 →

Le roman Casse-pipe illustre très bien ces idées parce que « si l’on peut parler d’une esthétique de l’injure, c’est bien dans Casse-pipe » (Rouayrenc 2008, 29). C’est une véritable étude sur les insultes et sur toutes sortes de violences verbales3. Le répertoire présenté paraît infini et les exemples cités ci-dessous ne constituent qu’une infime partie de l’ensemble. Les expressions que les interlocuteurs utilisent pour s’insulter évoquent parfois l’idée assez générale de l’imbécilité, comme dans les phrases : « Dis donc, l’enflure, tu veux mes pompes pour te faire bouger ? » (Céline 1970, 10) ou « Va chier, hé, poireau !… » (Céline 1970, 13). Pourtant, l’objet de l’insulte, c’est-à-dire le défaut visé, est souvent beaucoup plus spécifique. On veut donc offenser une personne maladroite (« Visez-moi ça l’empoté ! Une demoiselle ! Jamais vu un civil si gourde ! Merde ! On nous l’a fadé spécial ! » (Céline 1970, 11), « Tu te rappelles plus alors, manche ? » (Céline 1970, 32), « Comment que t’es foutu, malagaufre ! » (Céline 1970, 32) ; « Malheur, maudit cave, si tu bouges ! » (Céline 1970, 59)), maligne (« Il a du retard, le chacal !… » (Céline 1970, 52)), paresseuse (« Toi ! Mon zoulou ! Mon tire-au-cul ! » (Céline 1970, 96) ; « En file… en file ! les lardons… » (Céline 1970, 30)), bizarre (« C’est un vrai beurre ! C’est magnifique ! Il est fadé, le ouistiti ! » (Céline 1970, 81)) ou de mœurs douteuses (« Attends, mon arsouille ! Ah ! Tu veux me faire gueuler plus fort ! Je vais t’en donner moi de la piquette ! Abandon de poste, mon petit zouave ! Ah ! T’as pas fini de cracher le sang ! » (Céline 1970, 76) ; « Ah ! Le zoulou, il est complet ! Le fin phénomène !… » (Céline 1970, 81)). Dans une autre occasion on veut exprimer un mépris général, tout en mettant l’accent particulier sur le fait que la personne visée ne vaut rien (« Triste frappe, votre baguette est pourrie ! Un kilo de rouille dans son pétard ! Ah ! Ah ! zigoto ! » (Céline 1970, 24) ; « Individu, triste sire ! » (Céline 1970, 41) ; « Galvaudeux ! Foutus propres à rien ! » (Céline 1970, 44)).

Les injures utilisées dans Casse-pipe appartiennent à différents domaines. Les notions liées à la saleté, à la puanteur et à la défécation semblent particulièrement fertiles. À titre d’exemple, on pourrait citer les énoncés suivants : « Vos gueules, brutes ! » (Céline 1970, 11) ; « Cochon ! Attends ! attends ! la colique ! » (Céline 1970, 33) ; « Que tu sais, sale con ? » (Céline 1970, 33) ; « Ça va chier partout ! Pitié, misérable ! C’est ça qu’on envoye de Paris ?… Eunn ! deux ! Il les piffe pas les vendus ! Qu’il a bien raison ! Merde ! Ça cogne infect ! […] Le pauvre fi d’engagé ! Les miches en avant ! Maudit chiure ! » (Céline 1970, 29) ; « Dis donc, l’ordure !… Taillé comme un pet ! » (Céline 1970, 69) ; « La merdure ! » (Céline 1970, 34) ; « Maudits culs ! » (Céline 1970, 44) ; « Foutoir ! Z’ont bouffé des cartouches, les carcans maudits ! Z’ont l’enfer au cul, les ← 15 | 16 → salopes ! » (Céline 1970, 31) ; « Il dessoûle pas ce chienlit-là !… » (Céline 1970, 88). Parmi d’autres thèmes on trouve la sexualité, y compris l’effémination et l’homosexualité (« Quel jour on est ? C’est pas le 22 ? Non, hein ? Le 25 ? Faudrait savoir, mes empaffés ! Non ! On est le 24 que je vous annonce. Ça vous surprend ? N’est-ce pas, les taupes ? » (Céline 1970, 18), « Ah ! le guignol ! » (Céline 1970, 52)) et la prostitution (« Meheu, c’est un bordel votre poste ! Le désordre et l’anarchie ! Et tout de suite une rafale d’injures, de menaces avec forts rotements » (Céline 1970, 14) ; « Le putain de bourdon ! » (Céline 1970, 34) ; « Maquereaux pourris !… » (Céline 1970, 89) ; « Des nom de Dieu de maquereaux de trous du cul pareils ! » (Céline 1970, 84) ; « Mille cinq cents putains de wagons de foutre ! » (Céline 1970, 85)) pour n’en mentionner que quelques-uns.

Il faut aussi souligner le côté comique de ces insultes. C’est le cas de termes communs, et souvent avec une connotation entièrement positive, employés en tant qu’injures. On pourrait citer ici : « Faut pas qu’il fonde, le bonbon ! » (Céline 1970, 26) ou « Arrive, bijou ! » (Céline 1970, 11). Pourtant, comme l’observe Catherine Rouayrenc, « tout mot est susceptible de devenir injure et d’être reconnu comme tel par l’“injurié” », dans la mesure où l’intonation et les éléments paraverbaux ont une fonction déterminante dans son identification » (Rouayrenc 2008, 15). On retrouve aussi dans le roman des expressions humoristiques d’origine religieuse comme « Enfant du Bon Dieu de malheur ! » (Céline 1970, 33) ou tout simplement ironiques comme: « Beauté du Bagne » (Céline 1970, 76).

Cependant, les injures ne constituent que le premier chaînon dans la spirale de violence présentée dans l’ouvrage. Les insultes font souvent partie de menaces et celles-ci mènent invariablement à l’agression physique. Il existe au sein de l’armée un système élaboré de punitions officielles. Néanmoins, celles infligées par d’autres soldats et surtout par les « anciens » sont plus cruelles et exécutées immédiatement. Selon Ferdinand,

1) Ils ont que des menaces dans la gueule, des accusations folles, horribles. « La bleusaille qui pisse dans mon quart ? J’ai le goût tout pourri ! Sa faute ! Que je l’étrangle ! Ma langue tout charbon ! Bordel ! Au meurtre ! L’enculeux bleusaille ! Calamité du tonnerre ! Brutes ! Le premier qui loufe je le dépiaute ! Pourri ! Je lui passe le bout à la patience ! J’y ratatine son petit boudin ! Un fouet !… Un fouet » (Céline 1970, 114).

Ce manque de respect de la part des supérieurs (« Alors que vous venez foutre ici ? M’emmerder extra ! » (Céline 1970, 45) ; « Déconnez, girouette ! Déconnez !… » (Céline 1970, 84) ; etc.) et des « anciens » devait être la source d’une grande humiliation pour les personnages du roman puisque, en tant que simples soldats, ils ne pouvaient même pas y répondre comme ils l’auraient fait au cours d’une dispute avec une personne égale du point de vue de la hiérarchie militaire. Cette frustration ne fait qu’augmenter le sentiment de haine omniprésent dans la caserne, et aucun autre registre ne véhicule mieux cette émotion que ← 16 | 17 → l’argot, dont la force retentit dès le début jusqu’à la fin du roman. La ponctuation renforce encore ce phénomène : la multitude de points d’exclamation, suivis souvent de points de suspension, s’inscrit bien dans le cadre musical du texte, mais elle contribue aussi d’une façon extraordinaire à la transmission des vastes couches d’émotions violentes qu’il contient. C’est une véritable symphonie de cris :

2) Merde ! Allez houp ! Meheu ! En l’air ! On liquide ! Marguerite ! Jonquille ! Je m’en fous ! Vous m’entendez, je m’en torche ! Merde ! c’est marre ! Ça suffit ! Si il tire ça sera pour votre pot ! Caltez ! Maniez ! Houp ! Gi ! Dare-dare ! A la poudrière ! Veau cuit ! Je veux plus vous entendre, moi, merde ! Je veux plus vous voir ! Relevez-le votre homme ! Chiasse de mouche ! Si il vous bute vous le verrez bien ! Ce que ça va donner, votre Jonquille ! Votre Marguerite ! Votre petite sœur ! Taillez ! Voltez ! Je veux plus attendre ! On la verra votre mémoire ! Avec votre mot à la mords-moi !… (Céline 1970, 95–96)

Cela étant dit, l’argot dans Casse-pipe ne se manifeste pas que par des jurons. Il sert, comme c’est souvent le cas, à dépeindre le milieu dans lequel se passe l’action, un quartier de cavalerie. Il n’est donc pas surprenant que le « jargot » (Sourdot 1991, 13) militaire accompagne le lecteur au cours de l’histoire. Parmi des dénominations innombrables de lieux ou d’objets utilisés par les soldats, on retrouve aussi les appellations argotiques de personnes. Les mots tels que « le cabot » ou « un sous-off » se répètent fréquemment dans le texte tout comme deux versions argotisées du grade du maréchal-des-logis :

3) Planton ! hop ! sautez, choléra ! que ça fume et hop ! Que le Parisien est arrivé ! Au margis tout de suite, l’engagé ! Compris ? (Céline 1970, 12)
4) - Oui.
- Oui qui ? Oui quoi ! Oui, mon chien ?
- Oui, Maréchaogi !…
- C’est mieux !… C’est mieux !… C’est déjà mieux, bosco !… Tiens-toi droit !… (Céline 1970, 25)

Le texte offre aussi une variété plutôt riche de noms donnés aux recrues : « Ah ! Ça peut boucaner un ours ! Ah ! Ça foisonne un civil ! Pardon ! Il me considérait de plus loin » (Céline 1970, 16) ; « Regarde, bleusaille ! » (Céline 1970, 22) ; « En avant les Russes ! » (Céline 1970, 29) ; etc. La présence significative du vocabulaire lié au monde hippique semble naturelle étant donné que l’action se passe dans un quartier de cavalerie. Un autre élément de la vie militaire occupe une place importante dans le roman : la punition. On a déjà signalé ce phénomène dans le contexte de la violence omniprésente et de ses formes quotidiennes, mais il est intéressant d’en montrer un exemple au niveau réglementaire. Ce n’est plus un « ancien » qui brutalise un « bleu » mais un supérieur qui punit son subalterne : ← 17 | 18 →

5) Tagadam ! Tagadam ! Oui ! C’est coquet ! Tout fonctionne ! Vous êtes un merveilleux salaud ! Je vais vous gâter moi, crème d’ordure ! Beauté du Bagne ! Huit jours pour vos chevaux et le motif ! Menteur le plus dévergondé de toute la Brigade ! Le zigoto ! Huit jours de mieux ! (Céline 1970, 76)

Nous voyons que la différence n’est pas évidente, ce qui prouve que la violence et l’abus ne concernent pas seulement la partie basse de l’échelle hiérarchique mais, comme c’est souvent le cas, l’exemple vient d’en haut. Pour terminer le sujet de la punition, nous voudrions encore signaler l’existence du verbe « casser », comme dans la phrase « Je vous casse, brigadier, je vous casse ! » (Céline 1970, 73), qui signifie « dégrader ».

L’image des soldats, des leurs activités et de leur vie dans la caserne telle qu’elle est présentée dans Casse-pipe fait immédiatement penser à toute une série de romans antimilitaires de la fin du XIXe siècle. Prenons le cas des Sous-Offs de Lucien Descaves (1889). On y retrouve la même thématique et un point de vue semblable : celui d’un nouveau venu. Les deux personnages découvrent peu à peu le fonctionnement du milieu militaire dans lequel ils passeront désormais leur vie, quoique Favières vienne d’être nommé sous-officier et que Ferdinand ne soit qu’une recrue. Il existe, cependant, une grande différence entre Casse-pipe et ses modèles plus anciens, comme les Sous-Offs. La narration dans l’ouvrage de Descaves se caractérise par un français tout à fait standard avec quelques traces d’argot ou de langage populaire, qui ne sont en réalité qu’une citation de paroles d’un des personnages ou, le plus souvent, une explication de certains mots ou expressions argotiques qui, sans cet éclaircissement, pourraient paraître obscures et incompréhensibles au lecteur. Dans ce sens, la narration est donc visiblement séparée des parties dialoguées qui, quant à elles, assurent tout le coloris linguistique de l’ouvrage. Cette dichotomie, tellement évidente chez Descaves, l’est beaucoup moins chez Céline. Son héros s’exprime librement en argot et non seulement, comme on pourrait le croire, pour faire allusion au monde de l’armée et alors employer l’argot comme un jargon de profession, mais surtout pour donner libre cours à ses émotions en tant que narrateur. Les expressions argotiques qu’il emploie donnent à ses paroles une charge émotive plus forte. On peut l’observer dans des phrases telles que : « L’Arcille c’était un vétéran d’ancien… Il m’a expliqué avec des chiées à la traîne… des rabiots à n’en plus finir… qu’il en sortirait jamais !… » (Céline 1970, 67) ou « Exactement il dégueulait à gros glouglous, plein la litière, par râles et saccades » (Céline 1970, 74). Le héros-narrateur n’essaie même pas de présenter la réalité d’une façon objective, il en fait partie et il veut le montrer. Mais l’immensité de la rage de Ferdinand n’est peut-être jamais aussi éclatante que quand il parle des chevaux, qu’il déteste :

6) Deux autres bolides qui nous frisent… une grêle de cailloux qui s’abat… Lambelluch qui les reconnaît… C’est la « Sabretache » qui s’emporte avec la « pie » du fourrier ! Elle est en licol, putasse ! Elle retournera pas avant le ← 18 | 19 → réveil ! C’est pour le falot à Cloër ! C’est lui qu’est de garde au Premier. Je la connais moi la « Qui-dit-oui » ! Qu’elle m’en a t’y fait chier du poivre de tout mon temps de bleu ! Merde ! dis donc ! Que c’est la pitié pitoyable de voir ça pouloper, perdu, insulter la misère de l’homme. Animal du vice ! J’y ai cassé, dis donc, ma vannette à travers les os, à la bique maudite ! Dans la correction ! Je suis pas brutal de nature ! Dis donc, je l’avais au choléra. Je m’approche pour y remettre sa musette. Elle avait la tête en bas… La tante, elle m’encense ! Je prends la relevée en plein tirelire ! Baoug ! Je pars à dame ! Je m’envole, mon âme ! Je m’envole ! Un tombereau comme qui dirait qui me bute en pleine face. De l’encolure, mon ami ! De l’encolure y a pas plus fort ! C’est pas con un cheval. C’est pas con !… (Céline 1970, 40–41)

Il est intéressant d’analyser ce monologue narratif du héros-narrateur Ferdinand et d’observer à quel point le « débit argotique » de ses paroles s’accélère quand il est motivé, négativement, par son aversion profonde par rapport au sujet de son discours. L’argot, au moins dans ce cas-là, n’est-il pas vraiment « né de la haine » ? L’emploi de l’argot par le narrateur joue, selon nous, un rôle essentiel dans l’ouvrage. Au niveau idéologique, pour l’appeler ainsi, cela prouve, comme le remarque Henri Godard, la réfutation de « toute position de supériorité, fût-ce seulement celle de la langue d’un homme de culture par rapport aux langages qu’il rapporte » (Céline 1988, 889). Ce procédé rend la perspective dont on raconte les événements beaucoup plus personnelle. Le narrateur redevient véritablement le héros qui se fait l’objet de l’action et qui partage ses propres expériences avec ceux qui veulent lire son témoignage. Néanmoins, le « narrateur argotique » complique considérablement la tâche du lecteur ou, pour mieux dire, il la complique encore plus. Un roman écrit en argot ou contenant de vastes passages argotisants n’est jamais facile à lire. C’est pourquoi un narrateur qui s’exprime en français standard peut y jouer un rôle de guide qui aide le lecteur à comprendre le contexte et le contenu des paroles parfois tout à fait obscures. Un tel narrateur, quoique placé un peu hors de l’histoire bien qu’il en fasse partie, se situe, en quelque sorte, du côté du récepteur. Le « narrateur argotique » nous laisse en proie à un des plus grands dangers auxquels peut nous exposer le mot : l’incompréhension. L’argot est hermétique et par définition devrait l’être, mais quand il apparaît dans la couche narrative du roman, il fait encore plus penser à sa fonction primordiale, à savoir la fonction cryptique. Et même s’il ne s’agit pas, dans ce cas-là, d’un message réellement chiffré mais d’un procédé stylistique, la question n’est pas aussi simple que cela, et aujourd’hui peut-être plus que jamais. Dans une lettre du 9 mars 1973 à Frédéric Grover, André Malraux se pose la question suivante :

Céline imite le ton du chauffeur de taxi mais son argot n’est pas l’argot des autres. Et d’ailleurs dans la mesure où il se sert des mots d’argot, il s’expose à un très grave danger : celui de ne plus être compris au bout de x années. Car l’argot évolue et évolue très vite. Vous me disiez que pour vous la langue de Céline ne présente pas de difficultés ← 19 | 20 → mais l’argot dont il se sert vous est très familier ; c’est celui que vous avez entendu dans votre enfance. Qu’en sera-t-il dans cinquante ans ? (Alméras 2004, 52)

Résumé des informations

Pages
316
Année
2014
ISBN (PDF)
9783653018813
ISBN (ePUB)
9783653999303
ISBN (MOBI)
9783653999297
ISBN (Broché)
9783631625651
DOI
10.3726/978-3-653-01881-3
Langue
français
Date de parution
2014 (Novembre)
Mots clés
Fachsprache Comics Übersetzung Wörterbücher Jugendsprache Sprachvariation
Published
Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Wien, 2014. 316 p., 27 ill. n/b, 7 tabl., 11 graph.

Notes biographiques

Jean-Pierre Goudaillier (Éditeur de volume) Eva Lavric (Éditeur de volume)

Eva Lavric est professeure de linguistique romane et directrice du Pôle interdisciplinaire d’études françaises à l’université d’Innsbruck (Autriche). Ses domaines de recherche sont la sémantique, la pragmatique, les langues de spécialité, la sociolinguistique ainsi que la linguistique contrastive et la didactique. Jean-Pierre Goudaillier est professeur de linguistique générale à l’université Paris Descartes. Ses domaines de recherche sont l’argotologie, la lexicologie, la sociolinguistique, la phonologie et la phonétique assistée par ordinateur.

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Titre: Argot(s) et variations
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