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La Mythologie dans l’œuvre poétique de Charles Baudelaire

de Maya Hadeh (Auteur)
©2015 Monographies XII, 286 Pages

Résumé

Ce premier ouvrage monographique orienté sur la palingénésie et la création d’un système mythique dans l’œuvre poétique de Charles Baudelaire vise à étudier le parcours mythologique qui structure sa poésie en examinant ses manifestations les plus significatives. Cette étude a pour but d’analyser cette œuvre où imagerie biblique et mythes antiques se mêlent et se complètent, dans un intéressant syncrétisme. Par cette analyse mythocritique, ce travail offre une nouvelle approche qui permettra de déceler des archétypes majeurs sous-jacents à l’écriture baudelairienne et d’observer l’ambiguïté d’un langage complexifié mais en même temps structuré par ces schèmes archétypaux. Il s’agira donc dans cette étude d’observer comment ce corpus mythologique fonctionne dans le texte baudelairien et comment le poète procède à une réécriture singulière pour élaborer sa propre mythologie. Cette dernière prenant forme et sens dans une écriture poétique dont elle souligne les enjeux essentiels. Ce livre ne s’adresse pas uniquement aux spécialistes et amateurs de Baudelaire mais appelle un large public académique intéressé par la littérature du XIXème siècle, par ailleurs, riche en efflorescences mythiques.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des Matières
  • Remerciements
  • Liste des abréviations
  • Introduction
  • Première Partie : Mythologie de L’univers
  • Chapitre Un : Mythologie de l’espace
  • Sacralisation de l’espace
  • Espace clos de l’intimité : « templum »
  • Espace ouvert de la bénédiction
  • Mythologisation de l’espace
  • Espace de la faute
  • L’angoisse du gouffre : espace de la chute
  • Représentation de l’Enfer : topologie et démographie
  • Mythification de Paris : un espace-temps favorable à la résurgence du mythe
  • Paris : un espace labyrinthique
  • Paris : un enfer social
  • Chapitre Deux : Mythologie du Temps
  • Temps cosmique et temps mythique
  • Symbolisme nocturne
  • Du symbolisme à la mythologie solaire et lunaire
  • Temps historique : la durée profane
  • « Tempus edax rerum »
  • Temps mortifiant et angoissant
  • Le mythe de l’âge d’or
  • Le temps des paradis perdus de l’enfance
  • Temps primordial et exotisme
  • Deuxième Partie : Biographèmes et Mythologèmes : L’autre et Le Moi
  • Chapitre Trois : Mythologie et sujet lyrique : le poète et ses doubles
  • Figures de la parole et de l’inspiration poétique
  • « De la mâle Sapho l’amante et le poète »
  • De la Muse antique à la Muse moderne du poète : dégradation et perversion
  • Figures de l’exil et de la solitude
  • D’Andromaque au Cygne : le chemin d’exil de soi à soi
  • Le dandysme baudelairien : solitude et rupture
  • Chapitre Quatre : Bestiaire mythique et monstruosités féminines
  • Beauté et tératologie
  • Les monstres thériomorphes : le sphinx et la Méduse
  • Les monstres de l’imperfection
  • Les Monstres de l’Eros
  • Le vampire : monstre de la luxure
  • Les monstres de la nature : les satyres et les nymphes
  • Troisième Partie : Mythologie et Métaphysique
  • Chapitre Cinq : Mythes de la faute et du châtiment
  • La faute de l’ hybris
  • Le « confiteor » d’un Icare
  • Le châtiment de l’artiste
  • Les mythes de la révolte
  • La révolte de Caïn
  • La réhabilitation de Satan
  • Chapitre Six : Mythologie de la mort
  • La Mère terrible et la Vierge profanée
  • L’enchantement mortifère ou L’Odyssée de la Mort
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Textes
  • Textes de Baudelaire
  • 1. Œuvres Poétiques
  • a) Editions de référence
  • b) Editions consultées
  • 2. Critiques
  • 3. Correspondances
  • Autres textes
  • Études
  • Sur Baudelaire
  • 1. Dictionnaires
  • 2. Ouvrages Critiques
  • 3. Articles
  • Autres études
  • 1. Dictionnaires et encyclopédies
  • 2. Critiques sur les sujets suivants :
  • Mythologie, imaginaire et symbolisme
  • 1. Ouvrages
  • a) Ouvrages monographiques
  • 2. Articles
  • Poésie et genres littéraires
  • 1. Ouvrages
  • a) Ouvrages monographiques
  • 2. Articles
  • Stylistique, linguistique et versification
  • Histoire
  • Index des lieux et figures mythiques
  • Titres de la collection

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Remerciements

Cette étude est née de plusieurs années de recherche sur la littérature et la poésie du XIXe siècle et d’une thèse de doctorat en littérature française soutenue le 29 septembre 2012 à l’Université Blaise Pascal-Clermont Ferrand II.

Ma pensée reconnaissante va à tous ceux et celles qui m’ont soutenue, encouragée et aidée pendant ce long parcours : à Madame le Professeur Pascale Auraix-Jonchière qui a dirigé ma thèse et a suivi mes recherches avec son indulgente attention ; à Mmes et MM. les Professeurs Liana Nissim (Université de Milan), Brigitte Diaz (Université de Caen), Philippe Antoine (Université Blaise Pascal) et Michel Brix (Université de Namur) pour leur remarques fécondes et leurs encouragements lors de la soutenance, à la direction du CROUS de Clermont-Ferrand et tout particulièrement à Madame Marie-Claire Comte-Rome, Responsable du Service d’Accueil et de Gestion des étudiants internationaux, pour une bourse de recherche qui m’a permis de mener mes études dans de bonnes conditions.

La bibliographie de cette étude doit beaucoup aux compétences, à la générosité et à la patience de Nicole Drouin et Michèle Chanudet, Responsables de la Bibliothèque de la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand. Qu’elles en soient chaleureusement remerciées.

Je veux également remercier tous mes amis et collègues à la Maison des Sciences de l’Homme de l’Université Blaise-Pascal : Siham Olivier, Béatrice Du Plantier, Marie-Cécile Levet, Claude Tardif, Céline Bricault, Joanna Augustyn et Nathanaël Loubove pour la constance de leur soutien et leur amitié. ← ix | x →

Mes dettes les plus intimes vont particulièrement à ma mère Hiam, ma Béatrice et ma Panacée, à mon père Adnan, mon exemple de sagacité et d’Homo sapiens et à mon frère Anas, mon Virgile aux Enfers. Mes remerciements vont aussi à Bérengère Moulin, à Françoise Laurençon et Irèna Litwin pour leurs encouragements et leur soutien indéfectible et à tous mes amis dont l’aide et l’appui m’ont été infiniment précieux.

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Liste des abréviations

OC Charles Baudelaire, Œuvres Complètes, textes établis, présentés et annotés par Claude Pichois, Paris, éditions Gallimard, Bibliothèque la Pléiade, 1975–1976, tome I et II.
FM Les Fleurs du Mal
PPP Petits Poèmes en Prose
Cr. Litt Critique Littéraire
Jr. Int Journaux intimes
Corr. Correspondance

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Introduction

Une voix ne peut emporter la langue et

les lèvres qui lui ont donné des ailes.

Elle doit s’élancer, seule, dans l’éther.

—GIBRAN KHALIL GIBRAN, LE PROPHÈTE.

Faisant partie d’un siècle où la littérature est riche en efflorescences mythiques, comme le prouvent les récits et poèmes de Nerval, Hugo, Mallarmé, Barbey d’Aurevilly ou Théophile Gautier, la poésie de Baudelaire révèle une évidente familiarité avec le domaine gréco-latin1 et le domaine biblique. Ces deux sources sont réunies, par exemple, dans un seul poème comme dans « Les Phares » :

[…] [O]ù l’on voit des Hercules
se mêler à des Christs, […] (Baudelaire, « Les Phares », FM, 13)

ou même dans un seul vers :

De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
Qu’importe, […] (Baudelaire, « Hymne à la Beauté », FM, 25) ← 1 | 2 →

Or pour mener à bien une étude du corpus mythique qui structure les Fleurs du Mal et Le Spleen de Paris, il est indispensable de se baser sur une définition du mythe qui englobe ses différents aspects et fonctions dans le texte et qui vise à être un outil de travail.

Qu’est ce qu’un mythe ? La question pourrait sembler banale vue l’abondance et la variété des définitions fournies par les mythologues, anthropologues, sociologues, philosophes ou même des linguistes comme Eliade, Durand, Dumézil, Albouy et Barthes.2 Considérer le mythe en tant que « poème primitif » souligne l’idée de l’antériorité du mythe par rapport au texte littéraire et rejoint, en quelque sorte, la notion de l’Illo Tempore chère à Mircea Eliade : « le mythe raconte une histoire sacrée, un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps
fabuleux des “commencements” ».3

Et de fait dans sa critique d’art, l’écrivain met l’accent sur le caractère universel et énigmatique du mythe : « la mythologie est un dictionnaire d’hiéroglyphes vivants, hiéroglyphes connus de tout le monde ».4 C’est justement ce sens énigmatique qui confère au mythe sa richesse et son ambivalence et l’apparente au symbole.5 En effet, l’écriture baudelairienne est une écriture symbolique et mythique à la fois. Le réseau symbolique y est omniprésent et constitue un axe principal dans la théorie de correspondances. Cette « forêt de symboles »,6 source de mystère et d’énigme, est capable de créer une atmosphère favorable au surgissement du mythe puisqu’« il [le mythe] est fait de la prégnance des symboles qu’il met en récit : archétypes ou symboles profonds, ou bien simples synthèmes anecdotiques ».7 Ainsi nous constatons que la sacralité, l’ambiguïté et l’universalité du mythe ainsi que l’irruption du temps primordial dans la trame temporelle du récit sont des matériaux qui peuvent faire ← 2 | 3 → advenir le mythe et attester sa présence dans la poésie de Baudelaire. Mais, plus concrètement, le récit fondateur et symbolique qu’est le mythe est tributaire de la présence de figures mythiques. Une lecture des deux recueils de Baudelaire montre que dans bien des poèmes émergent des figures bibliques comme le Christ dans « Le Mauvais moine »8 ou Satan dans « Les Tentations »,9 des figures gréco-latines telles que Sisyphe dans « Le Guignon »10 ou Vénus dans « Le Fou et la Vénus ».11 S’y ajoutent aussi les héros de ce que Philippe Sellier appelle « mythes littéraires » ou « mythes nouveau-nés »12 comme Don Juan13 ou le Vampire14 ainsi que la présence d’un personnel issu de la mythologie égyptienne comme le Chat dans « l’Horloge »15 et le cycle des poèmes en vers16 dédiés à la figure animale. Ces exemples montrent bien que l’œuvre poétique de Baudelaire est riche en occurrences nominales renvoyant de façon claire à des mythes répertoriés. Le nom est considéré comme un élément efficace et essentiel pour suggérer l’immanence d’un mythe :

Le nom mythologique en effet jouit d’un pouvoir spécifique, qui est précisément de contenir un récit à l’état latent : prononcer le nom de Narcisse, ou celui d’Isis par exemple, revient à évoquer des canevas spécifiques, dont étapes et dénouement sont connus du lecteur compétent. De la sorte, le nom n’est plus seulement associé à une notion, où à une valeur ; il n’est plus étroitement allégorique et univoque, mais renvoie à un drame, à un sens en devenir […].17

Mais la référence explicite n’est que la voie la plus simple pour accéder au mythe. Il peut y avoir des avatars qui redoublent ces noms, c’est -à- dire, des figures poétiques qui, greffées sur un archétype référentiel et ancrées dans un décor mythique, ← 3 | 4 → jouent le même rôle que la figure fondatrice par le simple fait de « l’imitation » et de la « répétition ». Mircea Eliade rapporte que « l’imitation d’un modèle transhumain, […] constitu[e] [une des] notes essentielles du comportement mythique ». Selon l’anthropologue, « on est toujours contemporain d’un mythe, dès lors qu’on le récite ou qu’on imite les gestes des personnages mythiques ».18 En d’autres termes, c’est « lorsqu’un événement historique ou l’attitude d’un grand personnage apparaît en rupture avec la trame du temps ou la normalité des comportements humains, lorsqu’une zone d’ombre et d’incompréhension les envahit tout d’un coup et les fait échapper aux prises de la science et de la pure intelligence, l’imagination d’un groupe d’hommes ou d’un peuple, défiant les lois du quotidien, trouve naturellement le moyen d’imposer ses couleurs et ses métamorphoses, ses déformations et ses amplifications »19 puisque la plasticité et la polysémie du personnage font partie du processus de mythification. Mais c’est surtout l’ancrage de la figure poétique dans un récit sacré qui lui accorde le dynamisme et la flexibilité propres au mythe, si l’on en croit Gilbert Durand : « nous entendrons par mythe un système dynamique de symboles, d’archétypes et de schèmes, système dynamique qui, sous l’impulsion d’un schème, tend à se composer en récit ».20 Cette assertion confère donc à la figure poétique son dynamisme et assure son passage de la conscience individuelle à l’imaginaire collectif  afin de devenir une des composantes du mythe. À cette étape de notre analyse, nous pouvons prendre comme point de départ la définition suivante :

Le mythe est un récit symbolique […]. [Il] apparaît d’abord comme un discours qui met nommément en scène des personnages, des situations et des décors plus ou moins naturels, [puisque] c’est toujours du côté du non naturel ou du non profane que se situe le discours mythique.21

Envisager l’écriture mythique à partir de cette définition exige l’examen de différents éléments constitutifs du récit de référence ainsi que de leur diffusion dans le texte. Ainsi, nous ne nous limiterons pas à observer l’épiphanie de telle ou telle figure, ou l’émergence de tel ou tel mythe. Les occurrences textuelles seront, bien sûr, un fil conducteur pour notre travail. Mais il s’agira plutôt de voir comment les différentes figures, qu’elles soient bibliques ou païennes, se mêlent et se complètent dans l’espace poétique dans un parfait syncrétisme, comment elles tissent avec les ← 4 | 5 → autres éléments épars dans le texte poétique des liens à partir des différents schèmes archétypaux pour constituer un canevas mythique.

Pour cerner les différents aspects du mythe ainsi que l’affleurement de ses constantes majeures, il serait essentiel de s’appuyer sur l’étude du rêve et de l’imaginaire22 puisque c’est dans l’imaginaire que « le mythe puise son arsenal symbolique ».23 Dans sa critique littéraire, le poète des Fleurs du Mal met l’accent sur le rôle primordial de l’imagination et du rêve. Selon lui, « l’Imagination est une faculté quasi divine qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies ».24 Le poète, alors, fait appel au mythe par le biais du monde onirique puisque celui-ci surgit « à partir du moment où l’on construit un imaginaire qui est une forme de divinisation ».25 Aussi pouvons-nous remarquer que c’est dans le champ formé par l’union du rêve et du mythe que Baudelaire tâche de résoudre des contradictions qui, dans le champ du réel, seraient sans issue, si l’on en croit l’analyse de Pierre Albouy :

On donne encore souvent au mythe, un sens voisin de celui de l’idéal à atteindre ; le mythe est une sorte de rêve stimulant ou consolant, qui embellit de ses mirages, non plus le passé, mais l’avenir ou l’ailleurs ; ainsi en est-il de ces mythes que sont les utopies.26

Les recherches pertinentes et fructueuses de Charles D. Herrison, Yoshio Abé, Marc Eigeldinger, Robert Kopp, Pierre Brunel et Pascale Auraix-Jonchière27 ← 5 | 6 → constituent la base de notre étude puisqu’ils nous ont révélé l’existence d’une mythologie baudelairienne. Notre corpus sera constitué pour l’essentiel de deux recueils poétiques de Baudelaire Les Fleurs du Mal et le Spleen de Paris dont nous proposons une approche basée sur une lecture mythocritique visant à dégager des figures, des archétypes et des schèmes qui constituent tout un réseau mythique dans le texte poétique. Aussi, l’identité générique de notre corpus composé de poèmes en vers et en prose constitue un point important puisqu’elle nous invite à explorer l’évolution du mythe ainsi que le remodelage générique du texte qui le contient. Véronique Gély note dans son importante étude sur les mythes et genres poétiques qu’« en étudiant un mythe particulier, le comparatiste observe donc les mutations qu’il subit en passant d’un genre à l’autre. Mais il observe aussi les mutations que le mythe fait subir au genre qui l’accueille ».28

Nous avons choisi l’édition de la Pléiade étudiée et annotée par Claude Pichois comme édition de référence pour la richesse de ses notes et variantes ainsi que son apport critique. Il faut aussi rendre hommage à l’ouvrage riche et substantiel de cet éminent critique composé de quatre tomes édités chez Honoré Champion.29 Cette édition diplomatique des Fleurs du Mal est incontournable pour les éclaircissements philologiques qu’elle rapporte sur les poèmes des trois grandes éditions originales des Fleurs du Mal à savoir celle de 1857, de 1861 et celle posthume de 1868. Les écrits critiques et intimes, ainsi que la correspondance qui entretient avec la poésie des liens étroits, offriront des notes et des explications supplémentaires capables d’enrichir notre analyse et la comparaison avec d’autres textes d’autres écrivains en particulier ceux du XIXe siècle constituent un instrument de travail indispensable surtout pour l’étude de l’évolution du mythe et son exploitation par des différents écrivains.

Pour aborder progressivement la mythologie baudelairienne, nous partirons de l’étude de l’univers dans la poésie de Baudelaire. L’espace, lieu de l’action et de la création mythique puisque sacré est d’une nature ambivalente : clos, il sera un espace nostalgique et traduira une douce et un désir d’intimité. Ouvert, il se présentera comme un espace désiré reflétant une rêverie d’ascension et d’expansion. S’oppose à cet espace sacré et recherché, un espace damné et rejeté incarnant la faute, la hantise et représentant les lieux maléfiques et redoutés. C’est cette sacralité/profanation ← 6 | 7 → de l’espace que nous voulons montrer en établissant une comparaison entre espace sacré/espace profane et en montrant les spécificités de ces deux modalités spatiales. Paris acquiert dans le texte une dimension mythique : dynamisé par des habitants qui sont des avatars infernaux, elle redouble l’enfer dantesque et le labyrinthe crétois et subit, donc, une mythification.

Or, l’étude de l’espace est inséparable de celle du temps. La superposition du régime diurne et du régime nocturne30 définis par Gilbert Durand confine un aspect mythologique à la temporalité. Le temps perçu comme un élément maléfique est l’un des composants du Spleen baudelairien. Historique, c’est un temps ravageur et destructeur, un temps contaminant et mutilant. Le poète tente d’y échapper par l’instauration d’un temps sacré qui tranchera la durée et débouchera sur l’Illud Tempus car « la création poétique implique l’abolition du temps, […] et tend vers le recouvrement de la situation paradisiaque ».31 Mais cet espace-temps mythique n’est pas désertique. Il est hanté et habité par des figures mythologiques qui forment des archétypes sous-jacents à l’écriture baudelairienne. La figure du poète se montre ambivalente : figure double et dédoublée. Elle est considérée comme l’alternative morale du bon et du mauvais, attachée à une dimension métaphysique et mythique. La rencontre avec le double symbolise le désir d’une rencontre avec l’autre, un désir d’une recomposition du moi à travers cet autre. Mais, la figure du double traduit, aussi, une façon de pénétrer en soi-même. Ainsi, le moi est confronté à une monstruosité sous-jacente qui réside dans les opacités abyssales de l’être.

Reste un denier point qui permet d’envisager la poésie de Baudelaire sous l’angle du mythe c’est la notion de métaphysique. Mythologie et Métaphysique se situent sur le même plan : faute et châtiment, vie et Mort. La thématique métaphysique se complète à travers la mythologie biblique. Dans son « récit poétique », Jean-Yves Tadié rapporte que « les récits poétiques sont aussi, des récits mythiques. Non pas seulement parce qu’ils ressuscitent les mythes grecs […]. Mais parce que les récits poétiques de notre temps veulent rendre compte du monde par des systèmes de symboles ».32 Dans un tel contexte, il est important de s’interroger sur les rapports que l’écriture entretient avec le mythe chez un écrivain comme Baudelaire.

Comment le mythe fonctionne -t- il dans le texte ? Quelles sont ses manifestations ? et comment le texte réagit-il à l’émergence du mythe en lui ? Nous aimerions dans notre analyse fournir des réponses en montrant comment Baudelaire procède par la palingénésie des mythes anciens à la création d’un univers mythique qui, s’alimentant à une culture d’époque, lui est propre.

1 Voir Charles Baudelaire, « La Voix », Les Fleurs du Mal, tome I, p. 170 où dans la bibliothèque de l’écrivain « […] la cendre latine et la poussière grecque, / se mêlaient ».

2 Voir André Siganos, « Définitions du mythe » in Questions de Mythocritique, sous la direction de Danièle Chauvin, André Siganos et Philippe Walter, Paris, Editions Imago, 2005, p. 88.

3 Mircea Eliade, Aspect du mythe, Paris, Editions Gallimard, 1963, p. 16.

4 Charles Baudelaire, « Sur mes contemporains : Théodore de Banville », Critique littéraire, tome II, p. 165.

5 « Aussi bien que le symbole est-il, plus que l’allégorie, proche du mythe, […]. Le symbole, en supprimant la distinction entre l’image et la notion, rend plus difficile et plus incertain le raisonnement qui permet de traduire la signification de l’emblème ; il se révèle susceptible d’interprétations variées et tend à être plurivoque. C’est ce que pleinement le mythe, […], le mythe se veut difficile et, moins encore que le symbole, se laisse réduire à une explication unique. En outre, au cours des âges, il se montre capable de porter des significations très diverses. Pierre Albouy Mythes et mythologies dans la littérature française, op.cit., p. 10.

6 Charles Baudelaire, « Correspondances », Les Fleurs du Mal, tome I, p. 11.

7 Gilbert Durand, Figures mythiques et visages de l’œuvre : de la mythocritique à la mythanalyse, Paris, Editions Dunod, 1992, p. 25.

8 Charles Baudelaire, « Le Mauvais Moine », Les Fleurs du Mal, tome I, p. 16 : « En ces temps où du Christ florissaient les semailles ».

9 Charles Baudelaire, « Les Tentations ou Éros, Plutus et la Gloire », Petits Poèmes en prose, tome I, p. 309.

Résumé des informations

Pages
XII, 286
Année
2015
ISBN (PDF)
9781453914120
ISBN (ePUB)
9781454194286
ISBN (MOBI)
9781454194279
ISBN (Broché)
9781433127250
DOI
10.3726/978-1-4539-1412-0
Langue
français
Date de parution
2015 (Février)
Mots clés
Système mythique Poésie Imagerie biblique Archétype Mythe antique
Published
New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, Oxford, Wien, 2015. 286 p.

Notes biographiques

Maya Hadeh (Auteur)

Maya Hadeh est Maître de conférences à l’Université de Damas. Elle a obtenu son Doctorat en littérature française à l’Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand. Elle est l’auteur de plusieurs articles sur l’œuvre de Baudelaire ainsi que sur la littérature francophone. Elle a participé également à plusieurs colloques et conférences en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni.

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