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La genèse de la représentation ressemblante de l’homme

Reconsidérations du portrait à partir du XIII e siècle

de Dominic Olariu (Auteur)
©2014 Thèses VI, 604 Pages

Résumé

« Ce livre est le fruit d’un projet ambitieux visant à replacer l’émergence du portrait européen dans le contexte large d’une évolution où parmi d’autres facteurs les rites funéraires et les masques mortuaires jouent un rôle déterminant. « L’archéologie de la ressemblance » est ainsi la formule que l’auteur propose pour renouveler notre connaissance des débuts du portrait au XIIIe siècle, c’est-à-dire bien avant l’apogée du portrait individuel à la Renaissance. Par une transgression audacieuse des frontières du champ disciplinaire, l’enquête jette un éclairage inattendu sur l’environnement culturel qui favorisa l’apparition de ce genre visuel si caractéristique du continent européen. Le recours à la méthode étymologique enrichit tout particulièrement l’investigation en éclairant d’un jour nouveau les causes profondes de cette représentation figurée. Sur un sujet où tout déjà semblait avoir été dit, un arrière-plan aux multiples facettes se trouve ici mis au jour, qui d’une manière exemplaire révèle la complexité des facteurs intervenant dans l’histoire de la représentation figurée. » (Hans Belting)

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Première partie: Les origines étymologiques du portrait
  • I. La « force des trais de pourtraiture » de Villard de Honnecourt
  • Les dessins géométriques préparatoires
  • La ressemblance importe
  • II. Les pourtraitures plus anciennes et leurs significations
  • De fil en aiguille : broderies et travaux sur métal
  • Macrobe et Chrétien de Troyes : les descriptions circonstanciées des pourtraitures succèdent aux analyses géométriques
  • Les pourtraitures désignent des personnes
  • Pourtraiture, la représentation fidèle d’une personne
  • III. Conclusion
  • Deuxième partie: Embaumement: Une archéologie de la ressemblance
  • I. L’embaumement de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge
  • Les dépouilles sacrilèges des Romains
  • Les aromates dans la culture juive et le christianisme primitif
  • Visages découverts : les expositions de dépouilles au tournant des XIIe et XIIIe siècles
  • L’embaumement en cire, Louis VIII de France (1226)
  • II. Traités médicaux au fil des siècles : l’embaumement en cire et l’intérêt pour la ressemblance
  • Simon de Gênes et la cour papale dans la seconde moitié du XIIIe siècle
  • Matthieu Silvaticus, un successeur fidèle de Simon de Gênes
  • Les médecins et l’empreinte « abstersive » en cire
  • Traité après traité : permanence de la volonté de conserver la ressemblance
  • « Gardez les visages reconnaissables ! » Hiérarchie de l’embaumement, hiérarchie de la ressemblance
  • Le corps arrêté : efficacité de l’embaumement
  • III. Ressemblance embaumée et pourtraitures Analogies
  • Le Liber regalis et l’embaumement à la cour anglaise
  • L’attention portée à l’aspect extérieur : Édouard Ier et Henry III d’Angleterre
  • Nouvel-ancien embaumement : influence de Constantinople
  • La qualité vertueuse : le tégument en cire et l’aura de Jean XXIII
  • « La propre semblance et figure de ma cordialle et chere dame » Anne de Habsbourg
  • IV. Vers des reproductions ressemblantes Du vrai corps embaumé au faux corps reproduit
  • Blanche de Castille sur son trône doré
  • Position assise : influence de Constantinople
  • Comment garder son trône ? Dépouilles intronisées
  • Corps embaumé, corps figé, corps statuaire
  • Le passé nous rattrape : mises en catafalque anciennes et récentes
  • V. Conclusion
  • Troisième partie: « Inter-face »: Le masque mortuaire
  • I. Le masque mortuaire dans l’Antiquité
  • Les effigies vivantes des Romains
  • Laver l’impureté : les corps morts des chrétiens face aux masques de dignité des Romains
  • II. Le masque après l’Antiquité
  • Masque mortuaire et portrait réaliste
  • Aperçu de la littérature sur le masque au Moyen Âge
  • Moulages, ravages du temps et iconoclasmes
  • Vasari, Burckhardt, les masques de la Renaissance et les méprises de l’historiographie à propos des moulages faciaux
  • III. Les masques avant Bernardin de Sienne et leur usage dès le XIIIe siècle
  • Charles VI de France et Henry V d’Angleterre (1422)
  • La statue tombale de Louis d’Orléans (1403)
  • Florence : Coluccio Salutati et son ami Loysius (1406 et 1375)
  • Édouard III et le faciès détaché (1377)
  • Une face en or pour Clément VI (1351)
  • L’empreinte de Charles Ier d’Angleterre (1648) : « corpus delicti » ?
  • Isabelle d’Aragon : un visage, deux faciès (1271)
  • IV. Conclusion
  • Quatrième partie: La notion d’individu et l’aspect physique de l’être humain au XIIIe siècle
  • I. Pietro d’Abano et les représentations de visages individuels (1310)
  • Le visage en tant que « pars pro toto » d’un individu
  • Le visage et le processus de reconnaissance
  • La notion d’individu liée à l’aspect corporel
  • II. La notion d’individu chez Thomas d’Aquin
  • « Figura » et le « contour tridimensionnel »
  • III. L’individu et ses rôles sociaux
  • IV. Conclusion
  • Cinquième partie: La ressemblance et la notion d’être humain à l’époque scolastique
  • I. L’importance de Thomas d’Aquin pour la pensée scolastique
  • II. Le concept scolastique de l’image et des vestiges
  • La réalité sacrée est divisée en vestiges et images
  • L’approche de la divinité par l’intermédiaire des pouvoirs sensitifs
  • L’union avec la divinité et la participation à la divinité
  • Les trois niveaux de ressemblance et de participation à la divinité
  • Graduation et hiérarchisation de la ressemblance
  • III. Le corps humain en tant que référence à Dieu
  • L’interdépendance entre corps et âme
  • L’aspect du corps en tant que référence à l’image de Dieu
  • Le vertueux et l’ennoblissement de son corps
  • Le corps des saints : pensée commune et pensée érudite
  • L’exemple de saint François d’Assise
  • IV. Conclusion: Le Beau, le Bien et la Ressemblance : références à Dieu
  • Sixième partie: Synthèses: Représentations et portraits
  • I. Le statut médian de la dépouille et les représentations mimétiques
  • Influences byzantines
  • La reproduction mimétique : un renvoi à la sacralité et à la dignité
  • Isabelle d’Aragon et Jeanne de France
  • Le statut médian de la dépouille
  • Le dogme de la transsubstantiation, la présence et les représentations funéraires
  • La dépouille et l’évocation de présence
  • II. L’aspect corporel et les autres formes de représentations funéraires
  • La représentation du défunt par son « corps social et généalogique »
  • Les effigies françaises du début du XVe et du XIVe siècle
  • Les représentations non mimétiques de l’honorable connétable Bertrand du Guesclin
  • Une effigie pour le connétable Bertrand du Guesclin ?
  • III. Conclusion
  • Conclusion Perspectives
  • Annexes
  • Sources et bibliographie
  • Index
  • Crédits photographiques

Introduction

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« Item encore son portrait mortuaire de plâtre, fait sur son visage, lorsqu’il gît trois jours sous terre, avec un moulage de sa main. »1

Telle est l’inscription du numéro 11 figurant dans l’inventaire dressé par un collectionneur anonyme au début du XVIIe siècle. L’enregistrement fait mention du masque funéraire d’Albert Dürer, décédé en 1528. Le rapport du déterrement est confirmé par une chronique privée, selon laquelle le docteur Christophe Scheurl fait savoir, en 1542, à son neveu Albert, dont A. Dürer était le parrain, que le maître « fut exhumé par des artistes dans le but de mouler son visage ».2

Cette anecdote curieuse introduit directement au sujet de la présente étude. Les moulages du visage et de la main du peintre allemand, une petite centaine d’années après son trépas encore entre les mains d’un connaisseur, sont exécutés in extremis par des artistes audacieux selon une démarche pour le moins étrange. Ces « profanateurs de tombeaux » étaient visiblement animés par le souci de garder un souvenir tangible en hommage à ce maître illustre. L’entreprise décrite constitue par ailleurs un élément intéressant pour la présente recherche.

Les moulages du visage et de la main de Dürer furent simultanément réalisés à titre posthume. Quelle que fût l’intention des artistes excavateurs, elle ne se limitait pas à la seule « memoria » du visage. L’empreinte de la main de Dürer relève en effet d’un aspect particulier. Si le masque mortuaire fut peutêtre destiné à l’exécution d’un portrait outre-tombe, pourquoi mouler également la main ? Pour quelle raison l’empreinte de la physionomie n’aurait-elle pas suffi en tant que souvenir de Dürer, comme c’est le cas pour les reproductions en buste souvent appelées « portraits » ? La reproduction fidèle de la main importait vraisemblablement pour sa mémoire. Ainsi se pose inévitablement la question : qu’est-ce qu’un portrait ?

La réponse à cette question n’est pas aisée. On la chercherait en vain dans les dictionnaires, qui ne définissent pas clairement le mot portrait, ne lui attribuent pas une signification homogène et, qui plus est, se contredisent. Le support par exemple est objet de désaccords. Si pour les uns le portrait n’existe que dans « le dessin, la peinture et la gravure », pour d’autres il peut, au même ← 15 | 16 → titre, être retrouvé dans la « sculpture » et la « photographie ». 3 Selon certains dictionnaires, le format ne joue aucun rôle dans la définition, tandis que d’autres insistent sur certains types de composition (en médaillon, en buste et en pied).4

La difficulté de définir le portrait croît, si l’on considère que le même mot a fait son entrée dans le vocabulaire courant de plusieurs langues, tels l’anglais, l’allemand, le russe, le roumain, etc. Ces définitions véhiculent un sens en partie différent du sens français et s’influencent mutuellement. Les recherches internationales sur le portrait, menées dans des langues étrangères, contribuent à rendre son interprétation floue et nébuleuse. L’allemand, par exemple, a tendance à définir le portrait comme une « représentation en buste ou du visage d’un être humain ».5 Le roumain, qui rivalise avec le portugais pour le statut le plus proche du latin, donne priorité au visage lorsqu’il définit « peinture, dessin, sculpture, photographie etc. représentant l’aspect du visage d’une personne ».6

Enfin, la question décisive pour la signification du portrait – et sur laquelle les recherches semblent se diviser en deux camps – est de savoir s’il faut ← 16 | 17 → entendre les représentations limitées à l’imitation physique du modèle comme des portraits ou si la caractérisation des qualités intérieures prévaut sur la description corporelle.7 Faut-il même prendre les deux aspects pour un véritable portrait ? La question se prolonge par l’ambiguïté liée au fait de savoir si le mot portrait se réfère uniquement à des personnes réelles ou encore à des individus imaginaires.8 L’Encyclopaedia universalis, plus consciente des méandres d’une définition unitaire, propose une conclusion en précisant « qu’il vaut donc sans doute mieux s’abstenir de chercher une formule globale, valable pour tous les temps et pour tous les styles ». 9

En y regardant de plus près, on constate que l’historiographie et la philosophie se sont servies du mot portrait sans le préciser et qu’elles ont employé, tour à tour, l’ensemble des définitions mentionnées. L’important traité d’Aby Warburg, Bildniskunst und florentinisches Bürgertum (1902), par exemple, loué comme étant l’œuvre fondatrice d’une approche sociologique et anthropologique ← 17 | 18 → du portrait, parle de portraits par référence à des reproductions en fresque de groupes de personnes, souvent même vues de profil.10 En prenant au sérieux l’interprétation de John Pope-Hennessy dans The Portrait in the Renaissance (1966), selon laquelle le portrait est « la peinture d’un individu dans son propre caractère », on aurait du mal à l’appliquer à certaines des personnes dans les fresques de Ghirlandaio analysées par Warburg. 11 À propos du personnage-clef de Laurent de Médicis précisément, on ne saurait parler de portrait autonome ni d’une véritable expression du caractère, puisque celui-ci se transmet à travers le regard du portraituré vu de face ou de trois-quarts. 12 On aurait la même difficulté en prenant pour point de départ l’une des définitions les plus récentes, celle de Jean-Luc Nancy (2000) :

« Le portrait est un tableau qui s’organise autour d’une figure. [...] Le portrait véritable est donc bien concentré dans ce que les historiens de l’art ont désigné sous la catégorie de “portrait autonome”, celui dans lequel le personnage représenté n’est pris dans aucune action ni même ne supporte aucune expression qui détourne de sa personne elle-même. [...] Quelque chose tourne autour du regard : il ne suffit pas que le tableau s’organise autour d’une figure, celle-ci doit encore s’organiser autour de son regard – autour de sa vision ou de sa voyance. »13

À l’opposé de à cette conception limitée à la peinture, Julius von Schlosser, dans son texte fondamental Geschichte der Porträtbildnerei in Wachs (1911), propose une vision anthropologique du sujet et parle de portraits par référence à la céroplastique. 14 Ces œuvres étant souvent réalisées à l’aide d’empreintes, Schlosser met notamment l’accent sur la ressemblance ; et les notions de tempérament et de caractère exprimées par le regard ne font l’objet d’aucune mention dans l’ensemble de l’ouvrage.

Il est d’autre part étonnant de constater que, parmi la grande quantité de publications relatives au portrait, très peu d’études se sont concentrées sur le ← 18 | 19 → développement historique de celui-ci avant la Renaissance, l’Antiquité mise à part. Certes, il existe des recherches de nature chronologique sur le portrait, qui situent généralement le début de son développement aux XVe et XVIe siècles, sans analyser les précédents. On peut ainsi citer l’ouvrage de Gottfried Boehm, Bildnis und Individuum (1985), qui se concentre sur le portrait de la Renaissance. 15 Il faut mentionner l’ouvrage de Hans Belting et Christiane Kruse, Die Erfindung des Gemäldes. Das erste Jahrhundert der niederländischen Malerei (1994), consacré au portrait-tableau du XVe siècle. 16 On peut également faire référence au livre d’Édouard Pommier, qui étudie la période « de la Renaissance aux Lumières » (1998). 17 Le livre de Lorne Campbell Portraits de la Renaissance (1990) inclut un grand nombre de références à des portraits et des techniques peu mentionnés dans d’autres ouvrages, tels les deux masques mortuaires et le portrait posthume exécutés par Jean Bourdichon, en 1507, de François de Paule, fondateur de l’ordre de Minimes.18 Grâce à ces renvois dépassant le cadre d’une analyse du portrait en tant qu’expression du tempérament, lesquels font référence à des traditions de représentations ressemblantes plus anciennes que la Renaissance, le livre se révèle suggestif pour une recherche sur le portrait avant le XVe siècle.

En revanche, peu d’études ont scruté les portraits au Moyen Âge. Les analyses de Wolfgang Brückner dans Bildnis und Brauch (1965) remontent très haut dans le passé médiéval mais se limitent aux fonctions de l’effigie.19 L’article de Harald Keller, Die Entstehung des Bildnisses am Ende des Hochmittelalters (1939), est proche de la présente étude pour la période étudiée et l’accent mis sur la mimésis qui fait son apparition avant le XVe siècle.20 Elle est cependant dépassée sur certains points comme l’étymologie et le masque mortuaire. Par ailleurs, Keller n’entreprend pas la tentative de situer le portrait dans son contexte social, tels le culte mortuaire et les rites funéraires.

En 1960 Ernst Buschor tente de retracer l’évolution du portrait depuis l’époque égyptienne. Il oppose le « portrait extérieur » (« Auβenportrait ») au véritable portrait, qui exprimerait le Moi du modèle, l’individualité ← 19 | 20 → intérieure.21 Mais outre que Buschor postule un dualisme auquel le portrait ne se laisse pas réduire, il ne porte que très peu d’attention au contexte socioculturel. Buschor mentionne l’importance capitale du culte funéraire pour le portrait chrétien, mais il ne s’y attarde plus à l’intérieur de son grand projet, et toute la période du Moyen Âge n’est étudiée que sur une dizaine de pages.22 Le récent catalogue d’exposition Renaissance Faces : Van Eyck to Titian (2008) ouvre par ses articles l’horizon à la recherche sur le portrait au Moyen Âge. Même si le portrait médiéval n’y est guère analysé, les textes admettent « que des portraits d’individus sont réalisés en toute l’Europe au XIVe siècle et encore avant ».23 Les premières représentations ressemblantes y sont situées remarquablement tôt : « Les origines de ce dernier [du portrait moderne, N.D.A.] peuvent être situées vers 1300, lorsque la peinture italienne commence à montrer un intérêt manifeste pour l’individu. »24

L’analyse de Jacob Burckhardt, « Das Porträt in der italienischen Malerei » (dont la rédaction est achevée en 1894), mérite également d’être signalée. 25 L’auteur y reconnaît bien la réalisation de portraits mimétiques dès le XIIIe siècle. Toutefois il se limite exclusivement à l’analyse des peintures, et si cette étude ne conserve presque aucune influence sur les recherches du portrait au Moyen Âge, cela peut être dû au grand contraste avec le discours de Burckhardt couronnée de succès, Die Anfänge der neuern Porträtmalerei datant de 1885. Si dans l’étude de 1894 Burckhardt interprète un grand nombre d’œuvres du XIIIe siècle comme des portraits fidèles, il affirme résolument dans la première que la ressemblance de la physionomie est une exception rare jusqu’à la fin du XIVe siècle.26 Burckhardt commet également l’erreur d’introduire dans ← 20 | 21 → la recherche l’idée erronée selon laquelle un portrait ne pourrait être réalisé que du vivant du modèle.27 Mais dans la mesure où Burckhardt souhaite étendre l’analyse du portrait à un champ de recherche ouvert à des compositions et des supports hétérogènes, et où il fait de la ressemblance un critère programmatique de cette recherche, son système est proche de la perspective de la présente étude.

« Nous ne devrons pas nous limiter au tableau peint représentant un individu ; de tout temps, on a cherché à réaliser l’immortalisation de l’individu de moult et diverses manières, qu’elle soit destinée à luimême ou aux autres. Notre sujet devrait donc être élargi à un aperçu de l’histoire de la ressemblance, de la capacité et de la volonté de la reproduire. » 28

La plus récente monographie, consacrée au portrait aux XIVe et XVe siècles, a été publiée par Stephen Perkinson en 2009. 29 Perkinson se concentre sur la cour royale de France et analyse dans quelle mesure elle a été favorable au développement du portrait ressemblant. Sa proposition est de situer l’apparition de la re-présentation ressemblante, en France, entre le dernier tiers du XIVe et le début du XYe siècle. Selon lui, le portrait ressemblant serait un moyen, pour l’artisan doué, de témoigner de sa loyauté et de son génie (engin) auprès des commanditaires ou cercles aristocratiques. L’ouvrage prend pour point de départ la représentation de Jehan roy de France, conservée au Musée du Louvre, dont il étudie d’abord la qualité ressemblante. Il enchaîne ensuite avec l’analyse des raisons qui selon lui auraient amené les artistes, dans un long développement à partir du XIIIe siècle, à créer enfin, au tournant des XIVe et XVe siècles, des représentations mimétiques. L’ouvrage, fondé sur nombre de sources contemporaines, est intéressant dans la mesure où il éclaire les rapports entre les artistes et l’aristocratie aux XIVe et XVe siècles. Perkinson se limite toutefois au domaine du royaume de France et, même s’il analyse plusieurs tombeaux français, il n’analyse pas le phénomène des effigies royales et votives, les masques mortuaires et les rites funéraires de l’époque. Son ouvrage vise à démontrer que le génie (engin) des artistes, dont témoigneraient les ← 21 | 22 → sources textuelles, se manifeste dans l’introduction progressive des portraits mimétiques dans le corpus des œuvres artistiques dans le but d’éblouir les commanditaires. 30 Le propos de la présente étude, à savoir tracer le développement de l’intérêt pour la représentation ressemblante, coïncide avec le but de Perkinson, mais les perspectives sont différentes. Si Perkinson se concentre sur les développements artistiques dans le royaume de France, notamment à la cour, et s’il arrive à la conclusion que les représentations ressemblantes y apparaissent au tournant des XIVe et XVe siècles, la présente étude intègre aussi dans son corpus les importants développements en Italie et les représentations sur des supports éphémères. La présente étude arrive ainsi à la conclusion que dès le XIIIe siècle d’importants changements surviennent en Italie et que des représentations ressemblantes y sont dès lors produites.

Il est impossible de citer ici l’ensemble des ouvrages consacrés à la portraiture. La présente étude se limite à la mention de quelques-uns, afin de montrer au lecteur les différentes approches adoptées, et la façon dont elle s’en distingue. Aussi c’est peut-être à cause d’un consensus informel que le portrait est souvent interprété, selon la définition de Jean-Luc Nancy, comme le tableau « d’une personne considérée pour elle-même », organisé autour de son regard et apparu au XVe siècle.31 L’historiographie de l’art, pas plus que les dictionnaires, ne légitime véritablement ce consensus, comme on vient de le voir. Toutefois, si cet accord tacite existe, la présente étude analyse les précurseurs du portrait, autrement dit ses prototypes et le développement de la représentation mimétique de l’homme à partir du XIIIe siècle.

La présente étude, à vrai dire, tend plutôt à qualifier également ces prototypes de portraits. L’une des raisons de cette tendance est que l’équation entre « découverte de l’individu à la Renaissance » et « apparition du portrait » ne fonctionne pas réellement :

« Assurément, le portrait apparaît, dans l’histoire de l’art, avec la subjectivité dans l’histoire de la philosophie [...] On pourrait même détailler cette apparition en au moins deux grands moments : le portrait romain (et son prolongement dans le portrait chrétien de Fayoum), puis le portrait de la Renaissance. » 32 ← 22 | 23 →

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Ill. 1 : Masque funéraire d’homme, Égypte, vers 150 apr. J.-C., stuc avec restes de polychromie, noir sur les cheveux, or sur les carnations, bleu sur l’œil, yeux en verre opaque blanc et noir, Paris, Musée Rodin

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Ill. 2 : Applications en verre simulant des yeux, Égypte, vers 150 apr. J.-C., verre opaque blanc et noir, Paris, Musée Rodin

Étrangement, cette polarisation de la subjectivité aux deux époques de l’Antiquité et de la Renaissance apparaît à maintes reprises dans les recherches. Il est bien connu toutefois que chez les Romains la subjectivité entreprend à se développer à l’époque de Cicéron, comme le montre l’étymologie du mot « persona ».33 Comment expliquer alors la présence des portraits chez les Romains avant Cicéron, réalisés à partir des masques funéraires et remontant au moins au IIe siècle av. J.-C. ? On verra plus loin que l’avènement de la subjectivité, pas plus que celui du portrait, ne se laisse aisément situer aux époques de l’Antiquité et de la Renaissance.

Dans maintes études apparaît l’idée du regard du portrait en tant que fenêtre sur l’âme et sur l’individualité. 34 Ce constat peut être tenu pour vrai ← 24 | 25 → à l’égard des représentations à partir d’une certaine époque, mais le portrait peut revêtir encore d’autres significations, par exemple celle des moulages dans l’Antiquité romaine. À cette époque, les moulages mortuaires du visage n’avaient rien de l’expression de l’âme. On conservait la physionomie du décédé dans des empreintes, et on « ouvrait » ses yeux par des applications en marbre ou en verre simulant un regard vide (ill. 1 et 2). 35 Du fait de sa fixité, le regard ne pouvait guère jouer le rôle d’une ouverture sur l’âme, et l’empreinte du visage mort ne simulait pas les élans de l’âme ou de la vie s’exprimant dans la mimique ou dans les mouvements de l’épiderme (aussi légers qu’ils soient) (ill. 3). La ressemblance même de ces moulages – le fait d’être ressemblant – signifiait une marque de dignité, et elle était la principale signification manifestée par ces portraits en cire, les imagines maiorum. ← 25 | 26 →

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Ill. 3 : Détail du masque de l’ill. 1. La photographie montre la fixité du regard de tels masques, suscitée par les applications des yeux en verre

Une situation toute similaire apparaît au XIIIe siècle. C’est pourquoi, les études se concentrant sur le « portrait en tant qu’expression de l’âme » ne peuvent véritablement déchiffrer le rôle des premières représentations mimétiques au XIIIe siècle. À la fin du Moyen Âge, la ressemblance est d’abord un renvoi à la dignité du représenté et un signe de l’honneur qui lui est rendu.

De la même façon que les armoiries peuvent renvoyer à un sujet précis, par le biais des blasons et devises personnels, les pourtraitures de la fin du Moyen Âge n’ont pas besoin de faire référence à la personnalité d’un sujet pour le désigner. Le visage du portrait renvoie à un être précis de la même façon que la face de l’écusson, portant des caractéristiques similaires au portrait.36 Sous cet angle, les pourtraitures peuvent désigner l’individualité d’un sujet précis, au sens où elles renvoient à sa singularité corporelle.

Le choix d’appeler portraits les prototypes mentionnés se fonde aussi sur la présence, dès le XIIIe siècle, de certains aspects attribués aux portraits de la Renaissance, l’« expression d’un état intérieur », l’« évocation mimétique du modèle », une certaine « autonomie » de la représentation.

Pour le dire plus clairement, la présente étude n’a pas pour but d’assigner enfin un sens précis au vocable moderne portrait. Ce ne serait ni possible ni adéquat. Le mot possède un champ sémantique vaste, comme c’est toujours le cas pour les mots fondamentaux de la langue. Des expressions comme « le portrait d’une ville » ou « le portrait d’un cheval » attestent la polyvalence du terme. 37

La présente étude a plutôt pour but d’éclairer le développement de la représentation mimétique de l’homme en Occident après l’Antiquité et d’analyser les signes précurseurs dudit portrait de la Renaissance. C’est pourquoi, dans un premier temps elle analyse les significations du mot portrait entre le XIIe et XVe siècle. Dans cette optique, elle tient l’imitation pour une caractéristique du portrait. La légende est bien connue selon laquelle une jeune Corinthienne, fille du potier Boutadès de Sicyone, inventa la peinture en traçant le contour de l’ombre que le visage de son aimé projetait sur une paroi.38 Il s’agirait là du premier portrait, qui d’emblée s’annonce donc mimétique, comme le veut la légende. D’autres types de portraits ne prouvent pas le contraire mais corroborent cette position : le portrait idéalisé, déjà mentionné par Pline l’Ancien (23/24-79), ← 26 | 27 → indique à contrario que le portrait implique per se la ressemblance, par désir de se distancer de la mimésis ; et les portraits d’un saint depuis longtemps disparu ou d’une personne imaginaire simulent la mimésis.

Le plan d’une ville était jadis appelé portrait de ville. L’expression « portrait de ville » inclut elle-même la ressemblance entendue comme critère, selon Louis Marin. Le « portrait de ville » est le résultat d’une exploration imaginaire et géométrique par balayage des surfaces du sol et des structures de la ville, que la carte inscrit entre les longitudes et les latitudes imaginées. Les premières pourtraitures procèdent de la même façon. La dénomination « portrait de ville » remonte sans doute à l’emploi précis et détaillé des pourtraitures, décrit dans la Première partie.39 Après examen des différents choix des dictionnaires – et malgré leurs discordances –, la ressemblance est l’un des éléments les plus constants dans la grande majorité des définitions, faisant partie de la quintessence de la notion de portrait. Pour La grande Encyclopédie (1885-1902), elle est indubitablement le seul critère d’un portrait :

« Le portrait est la représentation – trait pour trait – en médaillon, en buste ou en pied, de la physionomie extérieure et particulière d’un homme, d’une femme ou d’un enfant. » 40

Si cette définition peut paraître limitative et réductrice – certains diraient dépassée –, elle représente la tentative idoine pour cerner la signification du portrait à partir de l’étymologie : « trait pour trait ». Si l’étymologie proposée par La grande Encyclopédie est fausse, le sens est correct. Comme le montre la Première partie de la présente étude, pourtraire se réfère, dès son apparition au XIIe siècle dans la langue française, à la ressemblance, à une mimésis aussi détaillée que possible. Le mot souligne la surface matérielle d’un corps et sa reproduction dans une représentation. Il faut même aller plus loin : la pourtraiture ne fait pas seulement référence à l’imitation méticuleuse ; cette dernière devient la signification la plus commune de la pourtraiture aux XIIIe et XIVe siècles. C’est à juste titre, par conséquent, que les recherches insistent sur la ressemblance des portraitures. ← 27 | 28 →

C’est là que la présente étude risque de tomber dans le piège de l’indéfinissable ressemblance. Comme le rappelle Ernst Gombrich, « depuis que les philosophes de la Grèce ont défini l’art comme l’“imitation de la nature”, leurs successeurs n’ont jamais cessé, soit de confirmer, soit de préciser, soit de contredire cette définition ». 41 Espérons que cet écueil pourra être évité. Certes, la ressemblance est une notion relative, comme il a souvent été souligné dans les recherches du portrait.42 L’artefact est seulement l’image plus ou moins ressemblante du modèle. Mais en même temps la capacité de la reconnaissance visuelle est un fait avéré de la nature humaine, et puisque cette capacité est indéniablement liée à la ressemblance, l’existence de cette dernière ne peut être mise en question. Emmanuel Kant affirme que « le schématisme de notre entendement à travers lequel notre entendement aborde le monde phénoménal [...] est une aptitude si profondément cachée dans l’âme humaine que nous avons grand-peine à découvrir le procédé secret qu’emploie ici la Nature ».43 Malgré l’impossibilité de déchiffrer ce procédé et malgré les difficultés de définir la res-semblance, de solides indices manifestent que c’est précisément la ressemblance qui est recherchée par les gens de l’époque étudiée. C’est pour ainsi dire la nature elle-même qui, dans la Deuxième partie, est prise pour témoin du désir de conserver la ressemblance. Dans le cas des embaumements, le fait de conserver et d’exposer l’aspect extérieur de l’organisme même prouve indéniablement le désir de prolonger la ressemblance, voire de la reproduire mimétiquement quand le corps est artificiellement agencé dans le but de prolonger la présence du défunt. Le mouvement complexe dénoncé par Kant est reconnu et décrit au tournant des XIIIe et XIVe siècles, lorsque Pietro d’Abano affirme que le portrait permet de reconnaître son modèle, même si ce dernier était inconnu du spectateur. La volonté de reproduire à l’identique les représentations ressemblantes sont donc bien présentes à l’époque.

Le recueil d’articles Das Portrat vor der Erfindung des Porträts analyse la ressemblance des portraits.44 Le programme annoncé dans l’introduction ← 28 | 29 → se situe dans le même esprit que la présente étude : « Le titre [...] fait référence à un type de portraits qui ne veut rien reproduire du caractère du représenté et de la personnalité d’un individu. »45 La perspective de la présente étude est similaire, et en même temps foncièrement différente. Elle est similaire, car les pourtraitures analysées ici n’expriment pas non plus le caractère du représenté ; les méthodes d’interprétation développées pour le portrait de la Renaissance peuvent difficilement être appliquées au portrait médiéval. Elle est différente, car le recueil mentionné ne se consacre que partiellement à la période du Moyen Âge et se concentre majoritairement sur des points de vue politiques et physionomiques d’un corpus de portraits fréquemment analysé.

L’étude récente de Georgia Sommers Wright illustre, par exemple, un type d’approche mettant l’accent sur la classification des portraits médiévaux. 46 Wright se dit sceptique quant à la capacité des artistes médiévaux de reproduire des individus sur des supports tridimensionnels en raison du manque d’expérience de ces derniers travaillant d’après nature. Dans la tentative de reconnaître de véritables portraits au Moyen Âge, l’auteure définit trois critères selon lesquels ces derniers pourraient être identifiés en tant que tels : l’identité du modèle est à déterminer avec certitude, le portrait est à exécuter du vivant du modèle et, dans un troisième temps, la physionomie du modèle est à reconnaître sur deux portraits au moins. La présente recherche emprunte un chemin différent. Elle n’exclura pas de son champ d’étude une multitude de représentations perdues, uniques ou réalisées à titre posthume, tels les effigies, les reproductions mortuaires ou les masques funéraires. Ce sont là des artefacts liés aux pratiques rituelles et à l’imaginaire de la société médiévale, qui jouèrent un rôle essentiel dans le développement des représentations mimétiques de l’homme.

Dans la Troisième partie, l’insistance sur l’emploi du masque mortuaire pour la réalisation des premières pourtraitures – appelons ainsi les prototypes mentionnés – certifie l’imitation qu’elles entreprennent. L’insistance sur la mimésis ainsi que sur la garantie de reproduire à l’identique est encore soulignée par Andrea Riccio, lorsqu’à une époque bien plus tardive il introduit les copies exactes en bronze des masques funéraires de Girolamo († 1506) et de Marcantonio († début XVIe siècle) della Torre dans le Monument funéraire Della Torre (ill. 4).47 Il s’agit là, au début du XVIe siècle, d’une réminiscence du rôle joué ← 29 | 30 → par les pourtraitures aux époques précédentes, et elle indique que l’une des principales racines du portrait était le culte mortuaire.

Le moment est venu d’évoquer à nouveau le masque d’Albert Dürer. Celui-ci aussi bien que les masques des frères Della Torre signalent, en plein mouvement renaissant, un passé du portrait destiné à autre chose qu’à l’expression « des mouvements de l’esprit ».48 Ces moulages font référence à une période où les pourtraitures ne devaient pas traduire le tempérament d’une personne mais possédaient un autre statut. Si le Monument Della Torre est explicitement antiquisant par sa référence aux imagines maiorum des Romains, des masques mortuaires exposés lors des pompes funéraires, il limite simultanément cette référence, car Girolamo et Marcantonio sont représentés les yeux fermés, alors que dans l’Antiquité romaine les masques avaient toujours les yeux ouverts. Albert, Girolamo et Marcantonio renvoient plutôt à une période chrétienne, où les reproductions mimétiques représentent des corps morts, où ces derniers possèdent une valeur propre et où la mimésis per se détient sa propre signification.

Dans cette optique, deux objectifs essentiels de la présente étude sont d’analyser à quel moment les représentations mimétiques réapparaissent en Occident après l’Antiquité et dans quel but celles-ci sont réalisées. Ces deux points font l’originalité de cette enquête, les projets de Keller et Schlosser, les seuls similaires, étant dépassés. 49

L’aspect commémoratif ne peut être exclu du portrait. L’évocation du modèle dans la représentation est intrinsèquement mémorielle. Toutefois, l’accent est mis ici sur l’évocation de la présence du portraituré entendue dans un sens anthropologique. Les pratiques et les rituels destinés à combler le vide produit par la mort sont essentiels pour la compréhension des premières pourtraitures. Ces pratiques sont vraisemblablement ancrées dans la nature humaine dans la mesure où elles se retrouvent dans différentes cultures et à différentes périodes. C’est en ce sens aussi que la présente étude est singulière ; car les artefacts mimétiques n’ont pas été analysés sous cet angle pour le Moyen Âge. Ce sont des ouvrages conçus dans une perspective anthropologique ou historique, comme L’homme devant la mort de Philippe Ariès, La mort et l’Occident de Michel Vovelle, ou le déjà mentionné Bildnis und Brauch, qui ont abordé le sujet plus justement que les analyses en histoire de l’art. 50 ← 30 | 31 →

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Ill. 4 : Andrea Riccio, Masques funéraires de Marcantonio et Girolamo della Torre, Monument funéraire della Torre, entre 1516 et 1521, Vérone, église San Fermo Maggiore

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La teneur de l’imaginaire médiéval, qui se reflète par exemple dans les rituels de l’époque, est capitale pour l’essor des pourtraitures au XIIIe siècle, menant directement à celles du XVe siècle. L’influence de l’imaginaire sur les « images matérielles » se trouve d’abord étudiée, dans la présente étude, à travers l’étymologie, puis dans les Quatrième et Cinquième parties, où la conception scolastique de l’individu et de l’être humain en général est prise comme sujet de recherche. Il se trouve que le XIIIe siècle connaissait déjà une vision de l’homme reliant son unicité à son aspect corporel et permettant donc de représenter un sujet singulier par un artefact ressemblant. Ce rapport entre la singularité intérieure et extérieure d’un sujet se fonde sur la conception scolastique de « l’image de Dieu » en l’homme. Cette théorie permet d’expliquer le caractère unique de l’être humain par son cheminement progressif et individuel vers Dieu et par les effets que cette approche exerce sur le corps humain. Si les penseurs des XIIIe et XIVe siècles s’efforcent – avec peine – d’expliquer avec précision les interactions entre l’âme et le corps, la croyance en le système théologique de « l’image de Dieu » se manifeste avec une évidence ne laissant aucune place au doute. Ce système favorise par exemple la hiérarchisation de l’embaumement étudié ici.

Le rapport des pourtraitures avec la mort se révèle dans toute son envergure grâce à une « archéologie de la ressemblance », c’est-à-dire à une analyse de l’histoire de la ressemblance. L’expansion de l’embaumement de longue durée et les expositions des dépouilles montrent d’une part l’intérêt pour l’aspect corporel et la volonté de conserver sa ressemblance, d’autre part une revalorisation du corps humain. C’est à cette dernière que l’on doit la réapparition de l’attention portée à l’apparence fidèle de l’homme. Les traités médicaux attestent clairement cet intérêt en même temps qu’une hiérarchisation du droit à l’artefact ressemblant. Dans ce contexte les traités de Simon de Gênes et de Matthieu Silvaticus sont analysés pour la première fois du point de vue de la thanatopraxie. Ainsi, la momification, qui en Occident débute vraiment vers 1200, est un prélude aux représentations ressemblantes. Ce qui ne veut pas dire que les artefacts soient de simples doubles de la dépouille, car ces derniers possèdent un statut différent.

La recherche sur l’embaumement a permis de mettre au jour l’existence d’une technique de conservation en cire, qui semble avoir attendu jusqu’à aujourd’hui sa propre étude. Grâce à son usage de la cire et aux similarités avec des mannequins en cire (qui en résultent probablement), elle a le mérite d’orienter l’attention vers des artefacts se situant à l’extérieur de la perspective proposée par Wright. En effet, les statues, les fresques et les tableaux semblent être, pour employer une formule commune, seulement la face visible d’un iceberg de reproductions perdues et peu connues, souvent employées à la fin du Moyen Âge. Le corpus de ces œuvres disparues était formé en grande partie de représentations votives et funéraires exécutées en des matériaux éphémères, dont les textes attestent parfois l’existence. ← 32 | 33 →

Les annexes réunissent divers instruments de recherche utiles. L’Annexe I sur l’étymologie est le résultat du dépouillement de textes relatif à la fréquence des mots pourtraire et contrefaire. Il représente le premier travail de ce genre réunissant plusieurs dizaines d’occurrences de la fin du XIIe siècle jusqu’au début du XVe siècle. L’Annexe II contient plusieurs textes relatifs à l’embaumement ; l’Annexe III permet au lecteur d’approfondir l’analyse complexe de l’« image de Dieu » dans la Cinquième partie. L’Annexe IV représente la première édition sur papier et la première traduction jamais réalisée du chapitre De consuetudinibus sepelientium du manuscrit Boncompagnus, achevé en 1215 par Boncompagno da Signa.

Toutes les traductions du présent ouvrage sont personnelles, sauf mention différente. Pour les ouvrages Somme théologique et Somme contre les gentils de Thomas d’Aquin notamment, les traductions françaises aux éditions du Cerf et de Flammarion, bien que souvent inappropriées, ont été adoptées, sauf mention différente, afin d’éviter un débat philosophique sur les valeurs sémantiques du texte latin et son interprétation. 51 ← 33 | 34 → ← 34 | 35 →

1« Item noch sein todt contrafect von gibs ubr sein angesicht geformpt, alse er 3 tag ist undr erden gelegen, sampt ein abgus von seinr handt. » Cité par JOSEPH MEDER : « Neue Beiträge zur Dürerforschung », dans : Jahrbuch der kunsthistorischen Sammlungen des allerhöchsten Kaiserhauses, 23, 1902, p. 53-69, p. 65 sq.

2Ibid., p. 66 : « Ernennter Dürer sein tod starb den sechsten aprilis im fünfzehnhundert achtundzwanzigsten jahr, auf sant Johans gotzacker ehrlich zur erden bestattet und von künstnern wider ausgraben, sein angesicht abzugießen. » « Le susnommé Dürer est mort le 6 avril 1528 et fut inhumé au cimetière de Saint Jean, puis exhumé par des artistes dans le but de mouler son visage. » Le moulage est aujourd’hui perdu.

Résumé des informations

Pages
VI, 604
Année
2014
ISBN (ePUB)
9783035199949
ISBN (PDF)
9783035202205
ISBN (MOBI)
9783035199932
ISBN (Broché)
9783034300513
DOI
10.3726/978-3-0352-0220-5
Langue
français
Date de parution
2013 (Décembre)
Mots clés
Rite funéraire Masque mortuaire Environnement culturel Méthode étymologique
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. VI, 604 p.

Notes biographiques

Dominic Olariu (Auteur)

Docteur de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), Dominic Olariu enseigne l’histoire de l’art médiéval et des temps modernes à l’Université Philipps de Marburg. Il a été professeur invité en histoire de l’art médiéval à l’Université Heinrich Heine de Düsseldorf et a enseigné entre autres à l’Université de Bourgogne (Dijon) et à la Kunstakademie de Düsseldorf. Il a dirigé les ouvrages collectifs Le portrait individuel. Réflexions autour d’une forme de représentation, XIIIe – XVe siècles et EN FACE. Seven essays on the human face (avec Jeanette Kohl).

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Titre: La genèse de la représentation ressemblante de l’homme
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