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Tobie sur la scène européenne à la Renaissance, suivi de «Tobie», comédie de Catherin Le Doux (1604)

suivi de Tobie, comédie de Catherin Le Doux (1604)

de Alain Cullière (Éditeur de volume)
©2015 Comptes-rendus de conférences VI, 276 Pages

Résumé

En raison de ses qualités dramatiques et morales, le livre de Tobie a fait souvent l’objet d’adaptations théâtrales à partir de la fin du Moyen Âge. C’est en Europe du Nord, aussi bien dans les milieux catholiques que réformés, que les pièces ont été les plus nombreuses, jouées surtout dans un cadre scolaire. En se dégageant des schémas médiévaux, certaines témoignent déjà d’une grande ingéniosité. Ce volume rassemble les communications présentées sur le sujet au colloque de Metz des 22 et 23 novembre 2013. Elles ont montré comment la « comédie » de Tobie a contribué au renouvellement dramaturgique de la Renaissance.
En fin d’ouvrage est publié pour la première fois depuis 1604 le Tobie de Catherin Le Doux. Écrite à l’occasion du mariage du landgrave Maurice de Hesse, cette pièce en prose française fut probablement jouée au château de Cassel, en juin 1603, par les jeunes nobles du collège de la ville, où l’auteur enseignait les langues étrangères. Celui-ci, brisant les conventions, s’y met lui-même en scène de façon surprenante, se joue des anachronismes et multiplie les emprunts aux grands auteurs français, notamment à Montaigne. On peut donc dire, d’une certaine manière, que l’auteur des Essais a été porté au théâtre, en Allemagne, au début du XVIIe siècle.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Prologue
  • Narration et dramatisation dans le livre de Tobie
  • Tobie sur scène aux Pays-Bas. Les pièces latines et néerlandaises
  • Tobie sur la scène scolaire aux anciens Pays-Bas. Les pièces de Schonaeus et de Vladeraccus
  • Entre Humanisme et Réforme : Tobie sur la scène allemande
  • Le Tobias de Georg Rollenhagen : un simple jeu scolaire à vocation catéchétique ?
  • Deux Tobias latins sur la scène allemande : Balthasar Crusius et Johannes Ment
  • Les mises en scène du livre de Tobie dans le théâtre espagnol du XVIe siècle
  • Théâtralité et spiritualité dans les représentations sacrées de l’histoire de Tobie en Italie
  • Le Thobie de Jacques Ouyn (1606)
  • Ni tout à fait comique, ni tout à fait tragique, mais infiniment plastique : Tobie sur la scène de la Renaissance, et après
  • Tobie, comédie de Catherin Le Doux (1604) éditée par Alain Cullière
  • Index des noms propres
  • Titres de la collection

← VI | 1 → Prologue

Alain CULLIÈRE

Université de Lorraine

Le livre de Tobie révèle des qualités dramaturgiques, du moins des dispositions qui prêtent à la réécriture et qui tiennent à sa forme narrative, à son contenu sentencieux et à son statut de livre apocryphe1.

Sa structure même ne permet pas de croire en une écriture tâtonnante, à plusieurs mains ou fragmentaire. Sur le plan narratif, il est d’une étonnante ingéniosité, le récit s’organisant par emboîtements successifs. Si on prend le texte dans son intégralité, donc l’ensemble des quatorze chapitres, on a une narration qui se déroule sur plus d’un siècle. Le premier chapitre évoque la déportation des tribus d’Israël, notamment en Assyrie. Le vieux Tobie, exilé à Ninive, entretient en terre étrangère le souvenir de la foi ancestrale. Loin d’être un nostalgique, il pratique les rites, met en œuvre les principes de la fraternité tribale. Il transpose sa culture, la déplace, s’en nourrit. C’est un exilé non assimilé, un communautariste, dirions-nous. Il incarne, surtout aux yeux de ses proches, qui n’ont pas sa force, le juste par excellence, en faveur duquel Dieu peut, une fois encore, relever son peuple, car il garde ses commandements. Dans le dernier chapitre, son fils, âgé de 127 ans, aura la joie d’apprendre avant de mourir la destruction de Ninive, prédite par le prophète Jonas, annonciatrice d’un retournement de situation et surtout d’une promesse de réconciliation divine. Dieu ne se détournera pas définitivement de son peuple. La fin est optimiste. Ainsi le livre dans sa totalité s’inscrit dans un mouvement linéaire. Il traite globalement du peuple juif, et les Tobie, père et fils, révèlent indirectement ← 1 | 2 → le regard divin, un peu comme l’ombre qui atteste de la lumière. Cette linéarité est de nature historique.

Si maintenant on enlève le premier chapitre et le dernier, qui englobent à eux seuls des dizaines d’années, le récit ainsi réduit évolue par superposition. On voit se dessiner deux destins de manière simultanée. Dieu éprouve deux personnes très différentes. D’une part, un vieillard nommé Tobie, devenu aveugle, ce qui lui fait perdre en partie son identité, puisqu’il devient inactif. Habitué à une charité pratique, lui qui soutenait ses semblables, enterrait les morts selon la coutume, il perd toute orientation et n’est plus qu’une voix. Ce n’est pas celle de la désespérance, car il supporte son mal. Il subit les reproches de son épouse et du voisinage mais, comme il n’est ni persécuté ni déclassé socialement, il ne connaît pas l’isolement tragique de Job. D’autre part, une jeune fille à des centaines de kilomètres de là, Sara, qui est en permanence harcelée par un démon qui élimine ses prétendants, comme pour la garder sous sa coupe. En proie à la médisance de son entourage, qui interprète à sa façon son éternel célibat, elle souffre sans révolte. Le malheur qui la frappe brise l’espérance que ses parents mettaient en elle, en tant que fille unique. Tout comme le vieux Tobie, elle est arrêtée dans son élan vital. L’un et l’autre se réfugient dans la prière, mais au fond ils aspirent à mourir. Dieu, peu présent mais bienveillant, va les relever simultanément. Les chapitres II et III décrivent sans transition leurs souffrances, leur état morbide. Le chap. XIII est entièrement consacré à l’action de grâce du vieux Tobie, dont la joie se confond avec celle de Sara, plus discrète. Leurs destins se superposent. Le malheur de l’un et le malheur de l’autre prennent fin lorsqu’ils se rencontrent. Ils ne sont plus représentants d’un peuple déporté, mais des modèles complémentaires, jeunesse et vieillesse, homme et femme, porteurs de toute humanité. La superposition du récit est cette fois de nature symbolique.

Privé maintenant des deux premiers chapitres et des deux derniers, donc ramené aux chapitres III-XII, le récit trouve son unité dans la haute et sereine stature de l’archange Raphaël, envoyé du ciel pour relever les deux malheureux. Il est évoqué à la fin du chapitre III, où son identité est révélée au lecteur et sa mission clairement annoncée. La dernière phrase de ce chapitre évoque l’omniscience divine tout en ← 2 | 3 → rapprochant les espaces : au moment où l’ange va agir, il est précisé que Tobie entre « dans sa maison » et que Sara descend de « sa chambre haute ». Tout peut alors commencer. À la fin du chapitre XII, l’ange disparaît : « Ils ne le virent plus », dit le texte. Sa présence dans ces chapitres est aussi constante que discrète. Tout comme Dieu se sert de lui pour opérer, l’ange se sert du jeune Tobie pour accomplir sa mission. Sa nature n’est jamais entrevue, soupçonnée. Il reste à portée de l’adolescent qu’il conduit, sûr, efficace, presque laborieux. S’il chasse les démons et guérit les aveugles, ce n’est pas de façon miraculeuse, mais parce qu’il connaît simplement les secrets de l’univers. On sait que le miracle brise la logique et la longueur des choses, qu’il déroute toujours. Au contraire, Raphaël agit de façon naturelle et cohérente, ce n’est pas un agent perturbateur. La durée de son action n’est rien, rapportée aux destins des personnages, moins encore si on la rapporte à la destinée du peuple de Dieu. Un ange passe, simplement. Sa présence immobilise le récit et le ramène à un instant merveilleux mais non ostentatoire. Le récit s’inscrit par lui dans une ponctualité spirituelle.

Enfin, si l’on rogne à nouveau le texte d’un chapitre de part et d’autre, donc si on le réduit aux chapitres IV-XI, la figure la plus saillante devient alors celle du jeune Tobie, que son père va envoyer au loin récupérer auprès d’un ami le montant d’une vieille dette. L’ange va faire en sorte qu’il rencontre Sara et l’aider à confectionner les remèdes qui permettront d’abord à la jeune fille de se libérer des maléfices dont elle est victime et, beaucoup plus tard, au vieux Tobie de retrouver la vue. Tout se fera au cours du voyage entrepris par le jeune homme. Son périple commence au chapitre IV et s’achève justement au chapitre XI. Il part incertain, obéissant mais inexpérimenté, prisonnier d’un certain nombre d’inhibitions. Il reviendra à son point de départ, signe de fidélité, et fort du secret qui ouvre les yeux. Son aventure équivaut à une initiation. Le récit s’apparente à un livre d’éducation. Il adopte une structure circulaire. Cette circularité est d’ordre moral.

Ainsi ces emboîtements successifs, qui correspondent à des rétrécissements temporels, permettent de passer d’une linéarité historique à une superposition symbolique, d’une ponctualité spirituelle à une circularité d’ordre éthique. Autant de déformations qui faussent ou enrichissent les perspectives, qui multiplient en tout cas les points de vue.

← 3 | 4 → Sous cet angle, on peut s’interroger sur le type de réécriture théâtrale que permet le récit, surtout si on le prend dans sa globalité. Quel que soit le niveau d’emboîtement que l’on retienne, on constate que le livre de Tobie fait toujours bouger le temps et l’espace sous nos yeux : un siècle pour la destinée du peuple juif, quelques décennies pour la vie du vieux Tobie, quelques semaines pour l’apprentissage du jeune Tobie, un instant sans mesure pour l’action divine. Un projet théâtral s’exténuerait à rendre ce rythme, si l’on reste dans un schéma aristotélicien très corseté. En revanche, la scène médiévale, lieu par excellence du mouvement et du regard, avec ses mansions superposées et ses décors tournants, sans compter qu’un peu de salpêtre pouvait aussitôt créer l’illusion d’un deus ex machina, était parfaitement opérationnelle2. L’histoire de Tobie n’est pas faite pour le théâtre à l’antique, car la parole, à l’exception de la prière, n’y est pas essentielle ; le destin n’y est jamais pesant ; les personnages y sont éprouvés mais demeurent raisonnables. Au mieux, ou au pire, l’histoire de Tobie appelle une esthétique hybride. On parlera plutôt de tragi-comédie, au sens de Plaute, c’est-à-dire d’une comédie humaine dont parfois le Ciel se préoccupe. Comme dans l’Amphitryon, ce ne sont pas alors les hommes qui s’élèvent, mais Dieu qui les approche.

Le livre de Tobie était aussi à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance un classique des écoles. On le lisait bien plus pour sa richesse sentencieuse que pour la qualité du récit. Plusieurs éditions en latin, en grec ou en hébreu ont vu le jour auprès des universités, avec annotations ou commentaires3. Mais, dans les collèges, on pratiquait surtout ← 4 | 5 → le Tobias de Matthieu de Vendôme, paraphrase biblique en vers élégiaques, mettant l’accent sur la morale et les prières. Divisé en trois distinctiones, regroupant chacune de nombreux petits chapitres avec titres, manchettes et gloses, ce long poème scolaire aux effets appuyés a circulé un peu partout à partir des années 14904. Il a été publié séparément, mais on le trouvait surtout dans le fameux recueil de pédagogie médiévale connu sous le titre d’Autores octo morales. Ce manuel s’est imposé jusque dans les années 1540, avant de disparaître sous les railleries des humanistes5. Qu’il s’agisse du texte biblique ou de ses adaptations, l’histoire de Tobie s’imposait par sa visée didactique, par ses leçons attractives et concrètes. Tout le chapitre IV est composé des exhortations du vieux Tobie à son fils, lorsque celui-ci est sur le départ. Elles portent sur la charité, l’aumône, le respect des traditions, le sens ← 5 | 6 → de la justice, le devoir filial. Dans le chapitre XII, c’est l’ange Raphaël qui rappelle au père et au fils, en se faisant reconnaître, le message essentiel en très peu de mots : « Donnez louange à Dieu. » Son propos apaisant, presque familier, n’a rien de tonitruant. On n’est plus sur le Sinaï. L’ange dit simplement : « Ne craignez pas, et vous trouverez la paix. » La spiritualité du livre s’offre aux gens simples. Le chapitre XIV permet au vieux Tobie, juste avant de mourir, de prodiguer de nouvelles recommandations à son fils et chacun de ses propos est amené par l’expression « Mon fils ». On remarquera que tous les passages sentencieux se situent plutôt au début et à la fin, éclairant le récit central, lui donnant plein relief.

Résumé des informations

Pages
VI, 276
Année
2015
ISBN (ePUB)
9783035197457
ISBN (PDF)
9783035203028
ISBN (MOBI)
9783035197440
ISBN (Broché)
9783034314763
DOI
10.3726/978-3-0352-0302-8
Langue
français
Date de parution
2015 (Février)
Mots clés
Prose française Anachronisme Emprunt
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 276 p., 7 ill. n/b

Notes biographiques

Alain Cullière (Éditeur de volume)

Alain Cullière est professeur de langue et littérature françaises à l’Université de Lorraine et professeur associé pour les études francophones à l’Université du Luxembourg.

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