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Critique d’art et nationalisme

Regards français sur l’art européen au XIXe siècle

de Thierry Laugée (Éditeur de volume) Carole Rabiller (Éditeur de volume)
©2017 Collections 164 Pages

Résumé

En histoire de l’art, la critique est l’un des miroirs identitaires d’une nation, la résultante d’un héritage façonné par les codes sociaux et culturels d’un pays. Elle repose sur des conventions qui lui sont propres et admises, consciemment ou non, par ses auteurs et son public. Les textes de critique d’art français informent par conséquent tout autant sur la culture de l’observateur que sur celle de l’observé.
Ce volume réunit douze études du discours français sur l’art des pays voisins dans un contexte de rivalités ou de compétitions internationales. Par l’analyse de commentaires de salons, de comptes rendus d’expositions ou encore d’ouvrages d’histoire de l’art du XIXe siècle, les contributions interrogent la part de chauvinisme, de protectionnisme ou de géopolitique inhérente aux transferts culturels européens. Que ce soit à travers les notions d’école artistique ou de nation, la critique d’art française est devenue un important vecteur de diffusion des stéréotypes nationaux et des conflits ou alliances au sein de l’Europe. Dès lors, le point de vue du critique sur l’œuvre d’un artiste est un matériau de premier choix pour comprendre les dynamiques identitaires. La réunion de ces études vise ainsi à révéler les dimensions anthropologiques et politiques de la critique d’art française du XIXe siècle permettant d’appréhender le discours sur l’art comme une participation à la conscience collective de la spécificité d’une nation.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Sommaire
  • Introduction (Thierry Laugée / Carole Rabiller)
  • Écriture nationaliste de l’art
  • La condamnation de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture par les premiers historiens de l’art. Une conséquence du rejet de l’art italien (Emmanuel Faure-Carricaburu)
  • Histoire de la peinture vénitienne et montée des nationalismes français et italien dans le contexte européen de la fin du XIXe siècle (Anna Jolivet)
  • « Art moderne » versus « Modern Style » ou la définition comparée d’un Art nouveau français (Fabienne Fravalo)
  • La peinture de genre aux expositions universelles parisiennes. La fin des écoles nationales ? (Michaël Vottero)
  • Nationalisme, a-nationalisme et antinationalisme. Variations idéologiques dans la littérature artistique fin de siècle : de la réception des salons de la Rose+Croix à l’esthétique idéaliste (Fanny Bacot)
  • Le critique d’art, la voix de sa nation ?
  • Pourquoi la sculpture anglaise ne fut pas romantique (Thierry Laugée)
  • « À quoi bon une Vierge pour les protestants ! ». Réception française de la peinture religieuse britannique à l’Exposition universelle de 1855 (Carole Rabiller)
  • Le nord et le sud de l’Europe dans la critique d’art de Thoré-Bürger et de Huysmans (Aude Jeannerod)
  • Géopolitique de l’exposition
  • Artistes étrangers et écoles nationales. Dialectiques européennes dans la critique de Salon sous le Second Empire (Laurent Cazes)
  • « Avec les sculpteurs belges, nous ne sortons pas de la France ». An art critical dialogue between Belgium and France (Jana Wijnsouw / Tom Verschaffel / Marjan Sterckx)
  • « Une nuit traversée d’éclairs ». La critique d’art française face à la présence allemande dans les premiers salons de la Société nationale des Beaux-Arts (1890-1896) (Olivier Schuwer)
  • La critique d’art comme espace d’expression du nationalisme. La participation des artistes français à l’Exposition de Berlin de 1891 à travers la presse politique française (Orianne Marre)
  • Auteurs
  • Titres de la collection

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Introduction

Thierry LAUGÉE, Carole RABILLER

Cette Carte est composée sur les Contours sérieux de l’Europe et n’est fantaisiste que dans l’interprétation. C’est à ce point de Vue, surtout, qu’elle est appelée à fixer l’attention des Amateurs des difficultés Vaincues1.

L’Europe animale : physiologie comique (ill. 1) d’André Belloguet est, comme la plupart des cartes figurales du XIXe siècle, la mise en lumière d’un imaginaire national sur un territoire européen. Comme l’exprime Laurent Baridon2, les cartes représentant l’Europe sont mises au service des nationalismes. Belloguet, en usant du zoomorphisme, fait la satire des relations géopolitiques de son temps ; une ménagerie conflictuelle y est observée par un coq « attentif et recueilli » tandis que l’Allemagne, sous la forme d’un renard, observe la France par ses « yeux en coulisse » et que l’Angleterre, une pieuvre électrique, « éclaire la situation politique de l’Europe3 ». Cette géographie humoristique est une œuvre qui illustre le regard prégnant de la France sur ses voisins. Mais cette dimension caricaturale dépasse nécessairement la seule production graphique et s’étend à tous types de discours et celui qui nous intéressera dans le présent ouvrage : la critique d’art.

Si la critique d’art est un exercice littéraire, elle est tout autant un outil politique, et la validité du jugement artistique doit être discutée en prenant en compte l’identité de son auteur, son implication politique mais aussi, en particulier pour les expositions internationales, ses origines géographiques qui, à la lumière de l’histoire du temps, peuvent conditionner l’appréciation d’un artiste, d’une œuvre ou d’une « école ».

Trop souvent considérée comme une simple explication d’œuvre, un guide éclairé de l’œil du spectateur, la critique d’art est dans tous les cas un exercice subjectif, qui reflète tout autant le goût de son auteur que ses réflexions sur l’idéal, ou ses partis-pris personnels, qu’ils relèvent de relations d’amitié, de positionnement de génération ou de convictions politiques. En ce sens, le critique est un auteur qui analyse, propose et, de ce fait, cherche à diffuser les principes artistiques qu’il a souhaité défendre et encourager. Il suffit, pour le comprendre, de voir combien tout au long du XIXe siècle la critique d’art a pris souvent le ton du pamphlet. Il est d’ailleurs remarquable que les auteurs de critiques à juste titre les plus admirés sont ceux qui ont livré une vision personnelle de l’état de l’art, et ont proposé aux artistes, aux institutions (musées, écoles des Beaux-Arts, etc.) ou aux gouvernements des idées pour contribuer à ce qu’ils considéraient être le progrès ou la défense de valeurs. ← 11 | 12 →

img1

Ill. 1 : André Belloguet, L’Europe animale : physiologie comique composée et dessinée sur les contours géographiques de l’Europe, Bruxelles, Imp. Vincent, 1882, lithographie, 53,5 x 77 cm, Amsterdam, The Special Collections of the University of Amsterdam.

L’accumulation des discours sur l’art, qu’ils émanent d’un gouvernement, d’un critique ou d’un historien de l’art, forme un ensemble difficile à appréhender au sein duquel s’exprime une image collective, celle du regard d’une nation sur sa production artistique et, dans le cas des expositions internationales, sur celle de ses voisins. Cette écriture d’une « école » est soumise à la géographie, à la politique et, partant, toute définition de ce type est mouvante. Elle n’est valable que pour une période, un contexte social donné et n’émerge que grâce à une doctrine commune à un groupe d’individus. Ainsi s’exprime Charles Bernard en 1872 dans ses « Rapports de la Philosophie avec l’étude des Beaux-Arts » :

L’artiste, quoi qu’il fasse, est de son temps et de son pays ; il participe de leur esprit et ne peut échapper à l’action des systèmes de la philosophie dominante. […] Toute école artistique répond à une école philosophique4.

Cette doctrine fondée sur la notion d’« école » s’exprime avec le plus d’éloquence dans le discours sur l’art et vise particulièrement à exalter le sentiment patriotique : elle est une entité artistique et politique utilisée tout au long du XIXe siècle dans un principe de confrontation. Le discours sur l’art se montre nationaliste en ce sens qu’il jauge les artistes autant qu’il compare l’état des diverses écoles nationales. Ainsi, d’un jugement individuel sur la production d’un pays, le critique et l’historien de l’art façonnent ensemble une politique du regard sur l’art. ← 12 | 13 →

Une écriture nationaliste de l’histoire de l’art

Avec ses Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Giorgio Vasari propose dès 1550 un véritable programme de politique artistique. Peintre lui-même, il fait en effet le choix de dédier la première édition, comme la deuxième de 1568, au prince Cosme de Médicis, alors que l’Académie florentine ouvre ses portes en 1541 et l’Académie des Arts du dessin en 1563. Il est donc de bon ton, d’une part de s’adresser au protecteur des arts, et d’une autre d’affirmer le primat florentin à travers ses plus importantes figures artistiques. Ces Vies doivent à la fois créer une histoire de l’art, susciter l’admiration des artistes contemporains en érigeant des modèles parmi leurs prédécesseurs, mais aussi garantir la supériorité des Florentins en matière d’art pour des raisons politiques évidentes.

Cette dimension politique des Vies a été largement exploitée en France au XIXe siècle. Dans l’avant-propos de l’édition française de 1803, l’éditeur, Boiste, précise que les écrits de Vasari doivent être donnés à lire à tous ceux pratiquant les arts, et ce pour les guérir d’un prétendu mauvais goût français causé par la vogue de l’école du Nord5. Plus qu’une introduction, cet avant-propos est un plaidoyer pour le renouveau des modèles et, comme Vasari en son temps, l’éditeur souhaite faire renaître l’école française contemporaine afin de lui « rendre » une place majeure dans le paysage artistique européen.

Si cette refonte du schéma vasarien est ici littérale, elle apparaît de manière plus subtile dans l’écriture de l’histoire de l’art au XIXe siècle en France. Les expositions universelles ont donné naissance à un ensemble considérable de textes critiques rendant compte de l’état des écoles nationales, elles ont également engendré la publication des nouvelles Vies dressant, par la biographie, une histoire de ces mêmes écoles. Parmi celles-ci, il convient de citer l’entreprise entamée par Théophile Silvestre en 1852 de l’Histoire des artistes vivants français et étrangers6 ; celle de Charles Blanc, L’Histoire des peintres de toutes les écoles depuis la Renaissance jusqu’à nos jours7, dont la publication s’étale de 1849 à 1876, ainsi que L’art et les artistes modernes en France et en Angleterre8 par Ernest Chesneau, suivi par Les études sur les beaux-arts en France9 de Charles Clément publiées en 1865, ce à quoi, comme l’exprime Chesneau, il faudrait nécessairement ajouter les nombreuses publications biographiques dans les revues spécialisées et les bulletins des académies de province :

Ce n’est point la bonne volonté qui manque aux quelques chercheurs obstinés dont la légitime préoccupation est de reconstituer le passé de notre école. Et à ce propos, on ne saurait trop applaudir aux publications locales des académies de province10. ← 13 | 14 →

S’il est une volonté commune à ces ensembles, c’est celle de dresser une filiation naturelle entre maîtres anciens et artistes contemporains. Mais il s’agit également d’une filiation entre historiens de l’art contemporains et maîtres anciens. Tout regard sur l’art ancien est insidieusement actualisé par le climat intellectuel du temps de l’écriture. En effet, construire l’histoire de l’art du passé revient souvent à poser un éclairage sur les événements politiques du présent. En confrontant la peinture vénitienne aux regards des historiens et des critiques d’art européens, Anna Jolivet bâtit une histoire de l’art faite d’oppositions et de mutations. Son article, « Histoire de la peinture vénitienne et montée des nationalismes français et italien dans le contexte européen de la fin du XIXe siècle », révèle le rôle que jouent les revendications nationalistes françaises et italiennes dans l’élaboration d’un discours sur l’art au fil du temps.

Si l’« école artistique » est une notion mouvante, ces premiers historiens de l’art en tracent les mutations au travers des figures majeures dont les artistes contemporains sont les fils et à la suite desquels les artistes en formation doivent s’inscrire pour honorer leur nation. Ainsi, en écrivant l’histoire des écoles, ils recherchent un « esprit de l’art national », une aspiration d’un peuple vers une forme artistique spécifique : son génie. Cette conception de l’art national trouve son extension la plus singulière dans la Philosophie de l’art d’Hippolyte Taine11 qui fait de l’histoire de l’art une science dotée de son propre système d’évolution et formée d’écoles artistiques résultant de la physiologie naturelle des peuples les composant. Cette approche mène dans certains cas à faire usage du racialisme pour écrire l’histoire de l’art français, et ce particulièrement à l’aurore du XXe siècle. En assimilant les théories portant sur la hiérarchie des races, les premiers historiens de l’art tentèrent parfois de justifier la domination de l’art national, ses dogmes esthétiques et académiques, phénomène analysé par Emmanuel Faure-Carricaburu dans son essai sur « La Condamnation de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture par les premiers historiens de l’art : une conséquence du rejet de l’art italien ».

Avec la mise en place des expositions internationales, les critiques se trouvent face à un dilemme essentiel. Doivent-ils aborder les productions artistiques par pays, ou reproduire l’usuel partage des commentaires par genre appliqué pour les expositions nationales ? Grâce aux contributions de Michaël Vottero et de Fabienne Fravalo, nous pouvons observer combien l’écriture nationaliste de l’art dépend de l’enjeu du cosmopolitisme de l’objet d’étude. Si, pour la peinture d’histoire, la compétition est bien lisible, la peinture de genre présentée aux expositions universelles parisiennes est abordée comme un tout folklorique (voir Michaël Vottero, « La peinture de genre aux expositions universelles parisiennes, la fin des écoles nationales ? »). Révélant l’identité de la nation qui l’a produite, elle ne semble pas induire de concurrence artistique véritable. Ce genre n’étant pas au premier rang des productions peintes, la bataille qu’elle engendre semble de fait bien pacifique. Cette indulgence des critiques est ici révélatrice de la porosité des frontières dans les genres ou productions dites secondaires. À l’inverse, ce que démontre Fabienne Fravalo (« “Art moderne” versus “Modern Style” ou la définition comparée d’un Art nouveau français »), l’observation d’un mouvement international et novateur tel que l’Art nouveau, entraîne des considérations et catégorisations par pays. Ce mouvement international est alors repensé par la critique en école, révélant les contrastes, voire les oppositions ← 14 | 15 → stylistiques des exposants et niant en quelque sorte l’unité, les transferts et influences éventuels entre pays afin de donner l’ascendant à la France. Ainsi, dans un cas, la production artistique est intrinsèquement nationale par ses sujets mais lue par la critique de manière internationale. Dans l’autre, l’internationalité est souhaitée par les artistes et niée dans le commentaire d’exposition. Entre émission et réception de l’œuvre, le critique est ici celui qui accorde, ou non, le caractère national ou international à son objet d’étude dans le but de lui conférer une fonction. Entre dépendance du discours artistique au tropisme politique et autonomisation du discours artistique, les frontières qui délimitent la notion de « nation » se brouillent.

Finalement, il peut sembler difficile de distinguer catégoriquement les notions d’a-nationalisme, de nationalisme ou d’antinationalisme dans la critique d’art. En centrant son propos sur la réception des salons de la Rose+Croix, Fanny Bacot démontre dans son article qu’il est cependant possible de délimiter les tendances idéologiques de la conception même de ce qu’est l’idée de nation. « Nationalisme, a-nationalisme et antinationalisme : variations idéologiques dans la littérature artistique fin-de-siècle : de la réception des Salons de la Rose+Croix à l’esthétique idéaliste » révèle une idéologie antinationaliste à l’image de l’internationalité rosicrucienne prônée par une figure emblématique, Joséphin Péladan.

Résumé des informations

Pages
164
Année
2017
ISBN (PDF)
9782807604469
ISBN (ePUB)
9782807604476
ISBN (MOBI)
9782807604483
ISBN (Broché)
9782807604452
DOI
10.3726/b11461
Langue
français
Date de parution
2017 (Juillet)
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 164 p., 6 ill. en couleurs, 16 ill. n/b, 1 tabl.

Notes biographiques

Thierry Laugée (Éditeur de volume) Carole Rabiller (Éditeur de volume)

Maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université Paris-Sorbonne, Thierry Laugée est spécialiste du romantisme dans l’art français, et de la perméabilité entre arts, sciences et politique au XIXe siècle. Doctorante, Carole Rabiller prépare une thèse sous la direction du professeur Barthélémy Jobert à l’université Paris-Sorbonne intitulée « Peinture et morale : Réception critique croisée de la peinture française et anglaise de la seconde moitié du XIXe siècle ».

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