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Noi – Nous – Nosotros

Studi romanzi – Études romanes – Estudios románicos

de Maria Chiara Janner (Éditeur de volume) Mario A. Della Costanza (Éditeur de volume) Paul Sutermeister (Éditeur de volume)
©2015 Collections 246 Pages

Résumé

Wir sind Papst («nous sommes Pape») n’est pas une expression du pluralis maiestatis souvent utilisé par les souverains, mais un nous inclusif de l’entière nation allemande : un exemple journalistique qui joue avec la plasticité du nous, la première personne du pluriel. Pronom d’un esprit identitaire basé sur l’inclusion et l’exclusion, « pronom de lâcheté » (Manganelli) utilisé par ceux qui refusent d’assumer les responsabilités liées au fait de dire je, ou bien encore abus de pouvoir, le nous permet un déguisement du sujet et se prête à des usages différents.
Les essais contenus dans ce volume étudient le phénomène facetté de la première personne du pluriel dans des diverses langues et littératures romanes, du point de vue théorique jusqu’à l’analyse de cas exemplaires, dans les perspectives linguistique, littéraire, philologique et des études culturelles.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Une personne à multiples facettes. Introduction
  • Il noi tra enunciazione, indessicalità e funzionalismo
  • Nosotros, un panorama tipológico
  • La concurrence entre nous et on en français
  • Noi in Se questo è un uomo Saggio di critica linguistica
  • El nosotros fracturado: disensos en torno a la memoria del pasado reciente español
  • NOI: il pronome della nazione
  • Pronombres de poder y de solidaridad: El caso de la primera persona plural nosotros
  • Entre nos y nosotros a través de los diccionarios diacrónicos
  • Nous, l’ amour, la poésie Pour une définition des personnes grammaticales dans Ab la doussor del temps novel de Guillaume IX
  • Sur les auteurs

← 6 | 7 → MARIA CHIARA JANNER, MARIO A. DELLA COSTANZA & PAUL SUTERMEISTER

Une personne à multiples facettes.
Introduction

Noi: per escludere o per includere, è il più osceno dei pronomi e quello in nome del quale si compiono sempre le peggiori nefandezze. (La Fauci 2000, 27)

C’est la coupe du monde au Brésil : la fièvre du football envahit le globe. Sur l’ affiche publicitaire d’une banque suisse apparaissent des joueurs de l’ équipe nationale, accompagnés par le slogan « L’ équipe c’est nous tous ». L’institution financière joue sur l’ ambiguïté du mot équipe : d’un côté, il s’agit de l’ équipe nationale qui participe à la coupe du monde ; de l’ autre côté, la publicité suggère que la banque joue dans la même équipe avec ses clients, en prenant comme modèle l’ équipe qui est juste en train de jouer.

Dans le slogan, le pronom nous, l’ expression la plus typique de la première personne du pluriel,1 est accompagné par l’ adjectif tous. L’ équipe idéale à laquelle on fait allusion ne comprend pas seulement les footballeurs, nous en faisons aussi partie : la banque, ses clients (potentiels), tous ceux qui voient la publicité. En même temps, les couleurs du maillot transmettent un message sans équivoque : tous n’inclut bien sûr pas « tout le monde » ; le nous est limité à une certaine population. ← 7 | 8 → L’ équipe idéale proposée par l’ affiche se révèle être le résultat d’un procès d’inclusion et en même temps d’une exclusion, d’une délimitation.

Dans la publicité, mais aussi dans les discours politiques (« Nous devons… nous voulons… »), dans une classe d’école (« Nous sommes en retard avec le programme »), ou bien encore dans une maison de retraite (« Maintenant nous nous mettons le pull ») : voilà différentes situations où l’ on rencontre des manifestations du nous, la première personne du pluriel. Face à ces expressions, on pourrait se demander : nous, c’est qui ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette personne grammaticale aux usages multiformes, qui suggère à la fois un abus de pouvoir, un esprit communautaire aux meilleures intentions ou encore le refus des propres responsabilités ? De quoi est-ce que nous parlons, donc, dans ce volume ?

Nous dans le système de personnes. La perspective de l’ énonciation

Du point de vue purement grammatical, nous est le pronom de la première personne du pluriel. Mais c’est justement là où commencent les problèmes. Peut-on prétendre que nous soit le pluriel de la première personne du singulier, de je, de la même manière qu’hommes est le pluriel d’homme? Avec hommes on désigne une pluralité d’entités ‘homme’ ; un nous, cependant, n’est pas une multiplication de je. Cela suffirait pour affirmer que le nous occupe une place particulière au sein du système des personnes.

Simone Weil (1997, 461) a écrit dans ses Cahiers : « Nous ne possédons rien au monde – car le hasard peut tout nous ôter – sinon le pouvoir de dire je. » Au contraire, dire nous, pourrait-on ajouter, ne réside pas dans les compétences humaines, ou bien ceci représente alors une appropriation (potentiellement abusive), car en effet c’est toujours un je qui prend la parole.

Le linguiste Émile Benveniste, qui a pénétré avec finesse le système de personnes dans la langue, affirmait que je – l’ énonciateur, le sujet de l’ action linguistique – est toujours une seule personne. L’ énonciateur se ← 8 | 9 → constitue dans le discours et à travers le discours comme un je (Benveniste 1966b), un sujet parlant, et constitue en même temps son interlocuteur, qu’il soit une personne physique ou bien une figure absente ou abstraite, comme un tu. Je et tu – pour mieux dire : les fonctions que ces pronoms manifestent – se constituent comme acteurs de l’ acte communicatif et s’alternent ainsi dans les différents tours du dialogue, tandis que la troisième personne (ce dont on parle) reste toujours telle. Il s’agit d’une « non-personne », selon l’ expression de Benveniste (1966a, 232) ; elle est la seule qui possède un pluriel proprement dit.

Il y a donc une forte asymétrie au sein du système des personnes, qui a des conséquences importantes pour la compréhension du nous. Cela devient encore plus évident lorsque l’ on considère deux manifestations de la fonction nous, les expressions dénommées « inclusive » et « non-inclusive » (ou « exclusive »), desquelles il sera question de manière plus étendue dans le paragraphe suivant. Le nous est inclusif dans la phrase « Nous nous marions ! » si quelqu’un le dit à son fiancé ou à sa fiancée ; le nous est non-inclusif si la même phrase figure sur une annonce de mariage et s’adresse ainsi à un tiers. Dans le premier cas, le nous inclusif, l’ énonciateur inclut l’ auditeur dans son énoncé : nous, c’est moi + toi. Dans le cas du nous exclusif, l’ auditeur est exclu de ce qu’on énonce : nous, c’est moi + lui/elle, pas toi. Si quelqu’un parle à la première personne du pluriel, il peut donc vouloir inclure son interlocuteur, c’est à dire, il parle en son nom ; celui qui permet à quelqu’un de prononcer un nous inclusif, en quelque sorte, délègue à autrui sa propre parole et renonce à s’exprimer avec un je. Le nous exclusif, d’autre part, souligne l’ exclusion de l’ auditeur, ce qui comporte, dans certains cas, une prise de distance implicite de la part du locuteur : « Nous, nous sommes comme ça ; toi pas ».

Dans les deux cas du nous inclusif ou exclusif, la première personne du singulier se mélange, pour ainsi dire, avec une autre personne grammaticale ; c’est pourquoi il est difficile de parler d’une « première personne » du pluriel (Benveniste préférait la définir comme « quatrième personne »). Deux différentes valeurs du nous – au sens de Ferdinand de Saussure – en jaillissent ; c’est une différence que les langues de culture européennes n’expriment pas formellement, mais qui reste de toute façon intelligible grâce au contexte pragmatique.

← 9 | 10 →Il y a même des manifestations du nous qui se réfèrent en fait seulement à la fonction de l’ énonciateur : le je « accru » des souverains, c’est à dire le pluralis maiestatis,2 et, de l’ autre côté (mais parfois difficile à distinguer de ce dernier), le je « diminué » du pluralis modestiae, qu’on trouve par exemple dans les écrits scientifiques. Dans ces deux cas, comme a écrit Benveniste (1966a, 235), « ‘nous’ n’est pas un ‘je’ quantifié ou multiplié, c’est un ‘je’ dilaté au-delà de la personne stricte, à la fois accru et de contours vagues ».

En réfléchissant au nous du pluralis modestiae, l’ écrivain italien Giorgio Manganelli affirme qu’il s’agit d’un « pronome di vigliaccheria », un pronom de lâcheté, comme il y a aussi des « pronomi di rispetto, di devozione, di schiavitù » (Manganelli 2003, 17). Le nous utilisé par le jeune écrivain, en effet, lui permettait de dissoudre le je, en se débarrassant en même temps des responsabilités qui y sont liées :

Il mio “noi” mi consentiva un’operazione sottile e maliziosa, forse raffinata: infatti il “noi” non era in questo caso un accrescimento dell’“io” ma al contrario una soluzione, un “io” diluito, allungato, vaporizzato. Nella mia fantasia elaboratamente vile, il “noi” occupava uno spazio più vasto e insieme più rarefatto dell’“io”; era più facile colpirlo, ma non ne usciva sangue. […] Ecco la parola tetramente esatta: iscrivendomi al sindacato del “noi” io declinavo le responsabilità proprie di chiunque abbia un nome e cognome. (Manganelli 2003, 17)

Face à cette multiplicité d’usages, on pourrait juger la flexibilité de la première personne du pluriel plutôt comme un caractère flou, un masque multiforme qui permet de cacher aussi ses mauvaises intentions. Dans le passage qui suit, Manganelli souligne comme ce pronom représente souvent un déguisement lâche, derrière lequel on reconnaît soit une seule personne, soit un regroupement de personnes ayant quelque chose en commun :

← 10 | 11 →Esiste in Italia una inveterata consuetudine a pensare piuttosto sotto le vesti del “noi” che non dell’“io”. V’è qualcosa di oscuro in questa vocazione alla scelta del travestimento non si sa se collettivo, maiestatico, metafisico o semplicemente vigliacco. “Noi” può essere il Santo Padre, il re, l’imperatore, l’ aula invasa dallo Spirito Santo, il fervore quacchero, il coro dei Lombardi ad una qualsiasi crociata, l’ assenso dei selvatici che si fan cittadini irretendo la propria libertà nel patto sociale; ma può anche essere il bramito del Lumpenproletariat, il gemito informe dei vinti, insomma la codarda saggezza dei critici. (Manganelli 2003, 16)

Derrière un nous il y a bien souvent un regroupement de personnes, même si c’est une seule personne qui parle ou qui écrit. Le nous peut contribuer à constituer une communauté (perçue, virtuelle) censée avoir les mêmes buts – on pense par exemple au slogan électoral d’Obama, Yes We Can – ; mais il peut également délimiter une communauté face à des autres personnes et les exclure, comme avec l’ expression Cosa nostra, le nom de la mafia sicilienne (cf. La Fauci 2006).

La liste des usages principalement politiques du nous est bien longue et concerne des milieux culturels différents. L’ élection d’un nouveau pape est proclamée avec l’ expression Habemus papam, qui contient une forme verbale à la première personne du pluriel. C’est bien sûr un nous du type inclusif, qui comprend toute la communauté des croyants (en excluant ceux qui ne se reconnaissent pas catholiques). Au contraire, lorsque le quotidien allemand BILD du 20 avril 2005 a intitulé « Wir sind Papst » (‘Nous sommes pape’), il s’agissait d’une référence à la nation allemande, donc d’un nous exclusif des autres nations. L’ analogie avec l’ expression du monde sportif « We are the champions » reporte la dimension religieuse sur le football, qui était le départ de cette introduction.

La première personne du pluriel dans les langues du monde

On peut supposer que la première personne du pluriel soit universelle, même s’il y a au moins une langue dans l’Amazonie brésilienne qui n’exprime pas cette distinction. Dans le système linguistique de la ← 11 | 12 → population Mura Pirahã il n’y a pas d’expressions grammaticales pour la catégorie du nombre ; il existe seulement une distinction entre première, deuxième et troisième personne. Le pluriel, respectivement le duel, est créé par la coordination des pronoms dans le sens de « moi et toi » (Everett 1986 apud Siewierska 2004, 79). Mais un système des pronoms personnels tellement réduit est un cas extrême et une exception à l’ échelle mondiale.

Le terme de « quatrième personne » proposé par Benveniste n’est pas utile pour des études typologiques, car il est polysémique et, par conséquent, n’aide pas à rechercher des régularités entre les langues. Siewierska (2004, 7) décrit la situation comme suit :

Cette étiquette est appliquée à des catégories de types assez différents. Par exemple, dans la tradition grammaticale française, le terme quatrième personne est souvent utilisé pour la première personne du pluriel. Dans les études amérindiennes, en particulier des langues algonquiennes, l’ étiquette de quatrième personne est utilisée en référence à une troisième personne moins importante, appelée « obviative » par opposition à « proximative ». […] Dans aucun de ces usages la quatrième personne qualifie une catégorie de bonne foi de discours supplémentaire ; par conséquent, je ne vois aucune raison d’utiliser ce terme […].3

La critique de la notion de Benveniste devrait cependant être abordée à partir d’un autre niveau : si on compare des langues, méthodologiquement il y a peu de sens de distinguer entre personne et non-personne, car il s’agit en premier lieu de regrouper les différents systèmes des éléments du paradigme de personnes et, si possible, de créer une typologie par rapport à ces groupes, indépendamment du fait d’être codifié comme personne ou non-personne dans le paradigme. La typologie exige déjà un haut niveau d’abstraction, car sans cela, la comparabilité n’est pas garantie. Supprimer une personne de ces systèmes parce qu’elle a un statut référentiel différent, ne serait ni l’ objectif, ni souhaitable, ni voulu, précisément parce que la non-personne fait partie du système, en dépit de la différence de statut. Pour retourner au début de ce paragraphe – pour une analyse linguistique comparative, Siewierska (2004, 8) estime qu’il est possible de reconnaître « pleinement la nature différente de la ← 12 | 13 → troisième personne par rapport à la première et la deuxième », mais néanmoins elle ne trouve « aucun avantage à l’ exclusion de la troisième personne ». Ce point de vue est bien sûr dû au fait qu’avec les études typologiques, il s’agit d’études morphosyntaxiques, mais que Benveniste se réfère à l’ énonciation (communiqué personnel du Prof. Nunzio La Fauci).

Les études typologiques se sont penchées sur la distinction entre inclusif et exclusif à propos des formes non singulières de la première personne, une distinction qui se manifeste dans les langues du monde avec de différentes fréquences. Elle est omniprésente en Australie, répandue en Amérique du Nord et du Sud ainsi que dans la partie orientale de l’Asie ; au contraire, elle se produit rarement ou même très rarement dans le reste du continent eurasien et elle est encore plus rare en Afrique. Bickel et Nichols (2005) calculent que la distinction entre personnes exclusives et inclusives se reflète dans environ 40% des langues du monde.4 Ils en définissent trois types différents qui se distinguent aussi géographiquement (cf. Bickel/Nichols 2005, 49–53).

Dans le premier type, le type tchétchène, l’ opposition entre inclusif et exclusif est présente dans un cas seulement, à savoir dans la première personne du pluriel (ou bien duel et pluriel). Il s’agit donc d’un élément unique, d’une « sous-catégorie » qui se manifeste exclusivement dans la/les forme(s) non singulière(s) du paradigme.

Le deuxième type, le type belhare, construit la première personne du singulier sur la base morphologique du pluriel exclusif. Le marqueur de l’ exclusivité constitue ainsi une convergence dans le paradigme et il est présent dans le singulier, dans le duel (le cas échéant) et dans le pluriel. Dans ce cas, le marqueur prend au singulier la valeur de la première personne du singulier. Ce type présente, comme le type tchétchène, une lacune dans le système, à savoir dans la première personne du singulier inclusif, qui n’a pas d’équivalent du pluriel au singulier.

Résumé des informations

Pages
246
Année
2015
ISBN (PDF)
9783035108019
ISBN (ePUB)
9783035194623
ISBN (MOBI)
9783035194616
ISBN (Broché)
9783034315999
DOI
10.3726/978-3-0351-0801-9
Langue
français
Date de parution
2015 (Février)
Mots clés
Pluralis maiestatis Esprit identitaire Déguisement
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 246 p.

Notes biographiques

Maria Chiara Janner (Éditeur de volume) Mario A. Della Costanza (Éditeur de volume) Paul Sutermeister (Éditeur de volume)

Maria Chiara Janner a étudié la linguistique et littérature italiennes à l’Université de Zurich et à Roma Tre (Italie). Elle est collaboratrice scientifique et doctorante en linguistique italienne à l’Université de Zurich. Mario A. Della Costanza a étudié à l’Université de Zurich et à l’Université Complutense de Madrid Espagne. Depuis 2013 il est boursier-doctorant de l’Université de Zurich en linguistique espagnole. Paul Sutermeister a obtenu un Master of Arts à l’Université de Genève (2006) et un Master of Science en géographie à l’Université de São Paulo (2011). Il est doctorant en études culturelles latino-américaines à Zurich.

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