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Le regard étranger

L’image du Burundi dans les littératures belge et française

de Juvénal Ngorwanubusa (Auteur)
©2014 Monographies 216 Pages

Résumé

Troisième volet du Grand Œuvre consacré par Juvénal Ngorwanubusa à son pays, le Burundi, ce livre se penche cette fois sur l’image que les romans, belges et français, du XXe siècle, donnent de ces contrées qui bordent le lac Tanganyika.
Ce faisant, l’auteur convie son lecteur à une nouvelle exploration du XXe siècle mais aussi à une étude minutieuse de la persistance des clichés dans l’imaginaire littéraire occidental, particulièrement lorsqu’il s’agit de pays jadis qualifiés d’exotiques et d’événements tragiques liés aux Indépendances et à leurs suites. Ces événements, l’on persiste souvent à les décrypter à partir des seuls schémas de lecture occidentaux.
Bel outil de méditation par ailleurs sur les relations Histoire/Fiction, notamment à l’égard de pays éloignés, cette étude concerne aussi bien les fictions de Pierre Ryckmans, qui fut gouverneur général du Congo belge et du Ruanda-Urundi, que SAS broie du noir de Gérard de Villiers. Elle amène subtilement, et indirectement, à une précieuse connaissance d’un pays francophone parmi les plus méconnus.
Où l’on constate aussi que la Fiction n’est pas Tout.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface
  • Avertissement
  • Introduction
  • Chapitre I. Présentation des auteurs et du corpus
  • 1. Des auteurs divers, des œuvres variées
  • 2. Présentation du corpus
  • 3. Remarques sur le pays de référence
  • Chapitre II. Des lieux et des hommes : les mots pour décrire l’autre
  • 1. Le Burundi : cadre physique
  • 2. Le cadre social
  • Chapitre III. Littérature et violence : des mots pour détruire l’autre
  • 1. Les mobiles de l’action
  • 2. La violence exercée et ses acteurs
  • 3. Les lieux de la mort
  • 4. La violence subie : des victimes et des héros
  • 5. Réactions face au tragique : « Les Blancs dans la bagarre Hutu-Tutsi »
  • Chapitre IV. Mythe, histoire, fiction et idéologie
  • 1. Une intention autobiographique explicite
  • 2. Le traitement du référent historique
  • 3. Par-delà l’image, la part du mythe
  • Conclusion
  • Bibliographie sélective

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Préface

Avec ce livre, Juvénal Ngorwanubusa clôt une trilogie qui constituera, longtemps, une pierre d’angle pour la conscience burundaise, mais aussi un parcours incontournable pour ceux qui entendent s’intéresser à ce pays de l’Afrique des Grands Lacs. Celui-ci occupe rarement, il est vrai, la place que l’on dirait aujourd’hui « médiatique ». C’est qu’il ne privilégie pas l’écho du relais à la résolution en interne de ses problèmes.

Le Burundi, on l’oublie trop souvent, opposa, sous le règne du Mwami Mwezi Gisabo1, une résistance farouche aux troupes de l’empire allemand soucieux de participer à la mainmise européenne sur l’Afrique, concoctée « légalement » par le Congrès de Berlin en 1885. « Petit pays » dont l’Histoire est pourtant fort intéressante et singulière, le Burundi est encore considéré, à tort, avec l’œil négligent ou réducteur des gens hâtifs ou intéressés par leurs rapines. La trilogie écrite par Juvénal Ngorwanubusa rendra plus difficiles ces simplismes commodes. Elle est à sa façon celle d’un intellectuel engagé.

L’auteur de ce livre recourut tout d’abord à la fiction, dans Les Années avalanche2, pour mettre en scène les contradictions qui déchirèrent son pays après le retour à l’indépendance en 1962. Assombrie par l’assassinat du prince Louis Rwagasore, celle-ci déboucha assez rapidement sur une longue période de déstabilisation et de drames qui connurent leur acmé durant la dernière décennie du XXe siècle. Le romancier restitue cette période de près de quarante ans à travers les aventures de deux jumeaux, Sankara et Savimbi, nés de deux mères différentes, Kanyana et Gasuka, mais d’un même père, Bolingo, venu du Congo. Cette trouvaille fictionnelle renvoie aux deux grandes classes du pays, ethnicisées par la catalographie européenne du XIXe siècle, comme à la présence du grand voisin qui constituait le cœur de l’empire colonial de la Belgique. Nul doute qu’à travers cette fable, qui concerne largement les années Bagaza et Buyoya de l’histoire du Burundi qui précédèrent les catastrophes de 1993, Juvénal Ngorwanubusa ne cherche à amener ses compatriotes à un au-delà de ← 9 | 10 → l’horreur fratricide. Un au-delà apte à intégrer, à frais nouveaux – et donc dans la modernité, mais sans y souscrire entièrement et aveuglément – des éléments de la sagesse sociale de son pays, antérieurs aux colonisations allemande et belge, puis aux séismes en partie liés aux jeux des Puissances, suite aux Indépendances. Transparent au plan historique, le destin des deux frères nés de mères différentes, aussi absurdes et obstinés l’un que l’autre dans leurs convictions comme dans leurs ambitions, sera considéré un jour comme un moment de la création d’une littérature nationale au Burundi – ainsi qu’il en va dans tout champ littéraire. Il en fut ainsi, par exemple, en Belgique francophone avec Le Gueux de mer (1827) d’Henri Moke (1803-1862), antérieur de quarante ans à la Légende d’Ulenspiegel (1867), dont Juvénal Ngorwanubusa a retenu notamment la leçon du rôle du burlesque pour faire entrer de plain-pied dans les contradictions et les spécificités de l’Histoire des hommes nés dans un « petit pays », concept à soi seul significatif du jeu des dominants.

Avec la somme3 La Littérature de langue française au Burundi, fruit de nombreuses années de travail (nombre de sources ne se trouvent pas au Burundi), et qui rassemble pour la première fois les productions littéraires francophones écrites en français au Burundi dès l’époque allemande, l’auteur donne non seulement à découvrir maints textes oubliés ou méconnus – même des siens – mais construit la première histoire littéraire francophone de son pays. Il le fait en ayant l’intelligence de prendre en compte ce qui permettra les inventions ultérieures de ses compatriotes : le passage de l’oral à l’écrit, par des ecclésiastiques européens4, des proverbes et traditions du peuple burundais – littérature orale pluriséculaire très codée. Il ne manque pas, de-ci de-là, de pointer les erreurs relatives de transcription chez tel ou tel, ce qui est précieux, comme de restituer les contextes dans lesquels furent produits les différents textes – historique qui précède le développement critique et anthologique de son ouvrage.

L’auteur passe ensuite au déploiement progressif de la littérature écrite en français, dans ce pays où demeure prégnante la grandeur de la tradition orale qu’un écrivain tel Sébastien Katihabwa peut encore incarner à côté de sa production imprimée d’auteur plutôt réaliste. À partir du moment où l’abbé Kayoya (1934-1972), poète et essayiste, ou Joseph Cimpaye (1932-1972), romancier et homme politique – tous deux morts violemment dans les drames du début des années 1970 –, ont entamé le processus poétique ou fictionnel au Burundi – et nonobstant les histoires que ← 10 | 11 → les tragédies des années 1970 et 1990, peu propices au développement immédiat d’un champ littéraire, ont pu susciter du côté des anciennes puissances coloniales –, il n’est plus loisible d’intégrer la production francophone d’origine européenne dans le corpus burundais stricto sensu. Et d’autant moins qu’il ne s’agit plus de translations à l’écrit, et en français, de la mémoire burundaise mais de la constitution d’une mémoire et d’un imaginaire européens sur le Burundi. Qui plus est, dès lors qu’il s’agit de fictions composées par des personnalités que la vie n’a pas maintenues dans ce pays, pour l’essentiel de leurs années. Même si l’enfance d’Albert Russo à Usumbura ou les années Ryckmans au début de la tutelle belge sur le pays n’ont rien de comparable à la présence des touristes ou des coopérants culturels.

Aussi est-ce à un troisième livre que Juvénal Ngorwanubusa a réservé l’étude des textes littéraires, belges ou français, consacrés à son pays. Bien plus que les écrits de Burundais, ce sont eux qui ont décliné dans le monde l’image du Burundi et, surtout, de certains épisodes de son Histoire. À la différence des textes du cru, les proses européennes, qui s’attachent toutes à un paysage idyllique, donnent du pays qui borde la lac Tanganyika une image marquée par la persistance de certains clichés5, y compris chez ceux qui, tels Pierre Ryckmans ou Albert Russo – mais eux proviennent de son histoire coloniale –, eurent une connaissance profonde de ce pays dans lequel ils vécurent tout un temps. Ils n’en demeurèrent pas moins des Européens, tout sauf entièrement immergés. Intéressante en soi, leur vision doit être aujourd’hui dialectisée avec les points de vue des natifs.

Le corpus étudié comprend, du côté belge, Barabara de Ryckmans, qui concerne les débuts de la tutelle belge ; Exils africains de Russo, qui plonge dans l’Usumbura de la dernière décennie de la tutelle ; ainsi qu’Éclipse sur le lac Tanganyika, du même auteur, qui renvoie à l’assassinat du prince Louis Rwagasore – assassinat dont les conséquences ont sans doute pesé très lourd sur le destin du Burundi ; Le Chant des fusillés de Nadine Nyangoma, qui se situe essentiellement à l’heure des premiers troubles du milieu des années 1960, prélude à la chute de la monarchie et à la prise de pouvoir du capitaine Micombero ; et Le Reste du monde d’Anna Geramys qui se déroule à l’heure des massacres du début des années 1970 décidés par le président Micombero, massacres qui nourrissent également le roman burundais d’Aloys ← 11 | 12 → Misago, La Descente aux enfers6, roman qu’il est intéressant, à plusieurs égards, de comparer à la fiction d’Anna Geramys, d’autant plus qu’il émane d’un membre d’une famille décimée7.

Du côté français, un Gérard de Villiers, SAS broie du noir, notoirement raciste. Il se situe à l’heure du passage de la monarchie à la république et met en scène des intrigues de la CIA. L’Hiver sur le Tanganyika de Paul Savatier s’inscrit, lui, dans une séquence temporelle moins précise mais plonge le lecteur dans le monde de la coopération française, tandis que Mon patient Sigmund Freud de Tobie Nathan inscrit son action dans la période de crise grave des années 1990, qui se focalisera autour et à partir de l’assassinat du président Melchior Ndadaye.

Après avoir décrit ce qu’il en est de la restitution du contexte géographique et social dans chacun des récits, Juvénal Ngorwanubusa interroge la manière dont la plupart de ces récits – Barabara et Exils africains se situent, eux, en amont des drames – rendent compte des violences qui ont déchiré et mis à mal un pays présenté comme une sorte d’Eden naturel.

Souvent nourris par une expérience personnelle de l’auteur dans le pays, les récits analysés par Juvénal Ngorwanubusa emmènent leurs lecteurs dans plusieurs épisodes importants8 de l’Histoire du Burundi, essentiellement du XXe siècle – épisodes dont le critique montre les déformations fictionnelles ou partisanes chez tel ou telle. La séquence « Impostures et mésinterprétations de l’Histoire », qui suscitera vraisemblablement débat, a notamment le mérite de faire entendre un point de vue burundais assez différent de celui qui domine dans les cercles européens. Et l’auteur d’appuyer son propos sur ceux du président tanzanien, Julius Nyerere, qui insistait sur l’origine sociale, et non ethnique, des conflits intraburundais. Inutile de préciser que l’auteur de ce livre met en cause la lecture manichéiste des drames successifs de son pays à partir de la grille de lecture Tutsi/Hutu ; et de la comparaison avec le Rwanda voisin. Là, comme dans ses deux autres ouvrages, il cherche en effet à faire comprendre la singularité burundaise par rapport à celle du voisin rwandais, et à faire descendre son lecteur dans les registres fonciers de l’être-au-monde des Burundais.

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À travers cette étude très documentée, la question des rapports entre Histoire et Fiction se voit ainsi analysée et interpellée à frais nouveaux. Car, il s’agit bien d’une réalité qui concerne (et a concerné) les puissances coloniales européennes, dont la Belgique au premier chef. Celle-là suppose, pour être analysée sérieusement, et jusqu’au bout, la prise en compte des points de vue des personnes directement concernées, le peuple burundais – ce qui est rarement le cas des récits décortiqués par l’analyste et auteur. Ce faisant, et sans jamais procéder à une attaque frontale ou à la dénégation des propos des uns et des autres, le critique nuance, précise et rectifie progressivement. Pour amener in fine à l’énoncé de quelques éléments essentiels, oubliés ou déformés par ses objets d’étude. Démarche subtile qu’eût appréciée Stefan Kaoze…

Le nouveau livre de Juvénal Ngorwanubusa9 offre en outre de belles perspectives sur cette part peu connue, et peu étudiée, de la production littéraire belge francophone qui concerne l’Afrique centrale. Moins absente qu’on ne l’a parfois dit ou cru, elle n’en demeure pas moins peu prisée des commentaires dominants du champ critique alors qu’elle fait intrinsèquement partie de l’Histoire et d’une histoire littéraire.

Que le paysage ait parfois eu tendance à l’emporter sur le pays, un pays peuplé d’habitants, ne constitue pas tout à fait une surprise au vu de ce que fut, pour une part, le processus colonial. Que la perception des conflits intraburundais ait souvent été restituée à partir des clichés postcoloniaux est tout aussi vraisemblable, et à certains égards logique. Le temps des lectures univoques n’est plus acceptable aujourd’hui.

Marc Quaghebeur

1 Un roman d’Anselme Nindorera, Les Tourments d’un roi (Bujumbura, s. éd., 1993), évoque cette figure.

2 Juvénal Ngorwanubusa, Les Années avalanche, Bruxelles, AML Éditions (coll. « Papier blanc Encre noire »), 2012.

3 Juvénal Ngorwanubusa, La Littérature de langue française au Burundi, Bruxelles, AML Éditions/M.E.O. (coll. « Papier blanc Encre noire »), 2013.

4 J. M. M. van der Burgt, J. Gorju, B. Zuure et F. M. Rodegem.

5 Ce fait ne concerne bien sûr pas le seul Burundi mais une grande part de la littérature, particulièrement celle consacrée à ce que l’on appelait les pays exotiques. Un chercheur brésilien a ainsi montré comment les romans de Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil ou La Salamandre par exemple, et alors que l’auteur affirme les dépasser, reproduisent nombre de clichés – ce qui ne saurait entièrement surprendre puisqu’on écrit toujours à partir de sa ou de ses cultures.

6 Aloys Misago, La Descente aux enfers, Bruxelles, AML Éditions (coll. « Papier blanc Encre noire »), 2012.

Résumé des informations

Pages
216
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035264500
ISBN (ePUB)
9783035295979
ISBN (MOBI)
9783035295962
ISBN (Broché)
9782875741622
DOI
10.3726/978-3-0352-6450-0
Langue
français
Date de parution
2014 (Août)
Mots clés
pays francophone Burundi exploration d'Afrique en XXe siècle lac Tanganyika
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 216 p.

Notes biographiques

Juvénal Ngorwanubusa (Auteur)

Juvénal Ngorwanubusa, né en 1953 à Kiganda (Kanyami) en province de Muramvya, est docteur en Philosophie et Lettres (Philologie romane) de l’Université catholique de Louvain. Professeur à l’Université du Burundi, il a occupé les fonctions de doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, de conseiller du recteur chargé de la Coopération et de titulaire de la Chaire Unesco en Droits de l’homme et résolution pacifique des conflits. Il a été ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale. Il est par ailleurs l’auteur d’un récit, Les Années avalanche, et de La Littérature de langue française au Burundi, première histoire-anthologie de cette littérature.

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