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Le sujet poétique chez Apollinaire et Huidobro

de Jaime Baron (Auteur)
©2015 Monographies 336 Pages

Résumé

Le sujet poétique est une notion paradoxale qui nous renseigne de façon paradigmatique sur le devenir de la poésie moderne. Ses éclatements et ses scissions à la fin du Symbolisme définissent un champ sémiotique que les avant-gardes historiques ont adapté ou transformé.
L’étude de l’œuvre d’Apollinaire et de celle de Huidobro montre à quel point une description stable du sujet est pertinente pour comprendre les raisons profondes de la poésie, de la crise à la célébration lyrique et jusqu’à la pure spatialisation.
Cet ouvrage cherche à cerner la dynamique de deux définitions majeures du « sujet » et à éclaircir ses espaces d’allocution et de représentation culturelle. D’Alcools à Altazor, le sujet et son corollaire intermittent, le mythe du Je-Poète, présentent des formes bien visibles dans le contexte des avant-gardes. Croix, avion, moulin, soldat : à la construction intertextuelle des figures identitaires se superpose leur récit auctorial. Se pose, alors, une question plus vaste : comment le Moi fait-il événement ?

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Abréviations utilisées
  • Introduction générale
  • Première partie. Apollinaire : la structure sémiotique du sujet
  • Introduction
  • Chapitre I. L’oxymore non libéré (1898-1907)
  • 1. Les tensions avec le Symbolisme
  • 1.1 « Vent nocturne », « Clair de lune »
  • 1.2 Les poèmes narratifs pseudo-allégoriques
  • 1.3 L’identité symboliste en cause : « Palais », « Salomé »
  • 2. Vers la libération de la circularité
  • 2.1 Cercles définitionnels
  • 2.2 Thématique du mal d’amour
  • Chapitre II. Stabilisation de l’éclatement oxymorique : la naissance du Moi-Poète (à partir de 1907-1908)
  • 1. Introduction : la définition sémiotique du Poète
  • 2. « Les Fiançailles », « Le Brasier » : réalisations de la matrice
  • 2.1 « Les Fiançailles » : une diégèse héroïque
  • 2.2 « Le Brasier » : les espaces polémiques du sujet
  • 3. Les développements de la définition du Poète : « Cortège », « Poème lu au mariage d’André Salmon », « Vendémiaire »
  • Chapitre III. Scissions (1911-1912)
  • 1. Le retour à la scission : « Cors de chasse », « Marie », « Le Pont Mirabeau », « Le Voyageur »
  • 2. De la scission à l’éclatement : « Zone »
  • Chapitre IV. Ondes : les alternances du présent
  • 1. « Les Fenêtres » : l’énonciation libérée
  • 2. L’oscillation du sujet entre l’« ancien » et le « nouveau »
  • 2.1 « Liens » ou les difficultés d’un programme de poésie
  • 2.2 Oxymores spatialisés et euphémiques des calligrammes
  • 2.3 Les risques de la poésie ou le hiatus d’« Arbre »
  • 2.4 Intermittences du « nouveau »
  • 3. « À travers l’Europe » : le mythe de l’œil simultanéiste
  • 4. Espaces allotopiques de « Lundi rue Christine » : conclusions
  • Deuxième partie. Huidobro : le poète à l’époque du vide
  • Chapitre I. Le sujet comme tmèse (1917-1918)
  • 1. Horizon carré : le moi comme tmèse
  • 1.1 Le modèle sémiotique du « poète » (+) /–
  • 1.2 Le point de passage : « tmèse » et « oxymore » : le travail de la modernité
  • 1.3 Le vide de la tmèse et le présent reverdien
  • 1.4 La problématique de la typographie
  • 1.5 Les figures du « poète » : « Aveugle », « Tam », « Cow boy » et la filiation avant-gardiste
  • 2. Évolutions de la tmèse (Poemas árticos, Tour Eiffel, Ecuatorial, Hallali)
  • 2.1 Poemas árticos : le sens oscillatoire de la tmèse
  • 2.2 La tmèse et le mythe du Poète dans Poemas árticos, Tour Eiffel, Ecuatorial, Hallali
  • 2.3 L’intertexte avant-gardiste
  • 3. Conclusion : un processus de kenosis ?
  • Chapitre II. Le dialogue avec les avant-gardes des années 1920 : Automne régulier et Tout à coup
  • 1. Introduction : la fin de la tmèse
  • 2. Le vide de la poésie et le mythe du Poète
  • 3. Espace poétique et « poète » ordonnateur
  • 3.1 Rapports de cause
  • 3.2 Le motif du berger
  • 4. Le travail intertextuel
  • 4.1. Automne régulier : l’intertexte apollinarien
  • 4.2 Tout à coup : l’intertexte dadaïste et surréaliste
  • 5. La rime comme indice critique
  • Chapitre III. Altazor : vers la spatialité
  • Troisième partie. Le champ pragmatique, le champ figural
  • Chapitre I. Le champ pragmatique
  • 1. Un cadre pragmatique conflictuel
  • 1.1 Un système descriptif-pragmatique
  • 2. Axes d’opposition entre Calligrammes et la poésie huidobrienne
  • 2.1 Des hiérarchies mouvantes
  • 2.2 Le quotidien ou la textualité prestigieuse
  • 2.3 L’espace entre « je » et « vous »
  • 3. Première exacerbation pragmatique : Automne régulier, Tout à coup
  • 4. Deuxième exacerbation pragmatique : Altazor
  • 4.1 La voix gnomique de la Préface
  • 4.2 Interversion hiérarchique et contenu sémiotique négatif
  • 4.3 La fin d’Altazor I
  • 4.4 Scénographies du savoir : l’anti-poésie et la poésie (Altazor III, Manifestes, avant-gardes)
  • 4.5 Altazor V : la difficile souveraineté
  • Chapitre II. Le champ figural : le signe double
  • 1. Le signe double dans Alcools
  • 1.1 Incomplétudes du signe double
  • 1.2 Le Poète au centre : hésitations
  • 1.3 L’événement figural de « Zone »
  • 2. Le Christ, signe double huidobrien
  • 2.1 Contexte : les précédents apollinariens
  • 2.2 La tmèse christique
  • 2.3 Le topos avant-gardiste : avion-croix et avion-Christ
  • 2.4 Le signe double explicité
  • 2.5 Le moulin, signe double à l’époque altazorienne
  • 3. Le soldat poète
  • 3.1 Le contenu du signe double
  • 3.2 La conversion agonistique, le mythe de la pureté
  • 3.3 Dissociation huidobrienne du signe double
  • 3.4 Agonisme, stase, poeta ludens
  • Conclusions
  • Bibliographie
  • Titres de la collection

Abréviations utilisées

Œuvres d’Apollinaire :
AAlcools (1913)
CCalligrammes (1918)
PoŒuvres poétiques
Pr, IIŒuvres en prose, vol. II
« F1 », « F2 », etc. : « Les Fiançailles 1 », « Les Fiançailles 2 », etc.
Œuvres de Huidobro :
EAEl Espejo de agua (1916)
HC Horizon carré (1917)
PAPoemas árticos (1918)
TETour Eiffel (1918)
EcEcuatorial (1918)
HallHallali (1918)
ARAutomne régulier (1925)
TCTout à coup (1925)
ManManifestes (1925)
AzAltazor (1931)
OPObra poética
Œuvres de Reverdy :
PP Poèmes en prose (1915)
QPQuelques poèmes (1916)
LO La Lucarne ovale (1916)
ATLes Ardoises du toit (1918)
En général :
OCŒuvres complètes

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Introduction générale

Cet ouvrage, issu d’un projet de recherche doctorale, étudie le sujet à travers l’œuvre poétique de Guillaume Apollinaire (1880-1918) et Vicente Huidobro (1893-1948) dans le contexte avant-gardiste. En lisant la révolution poétique opérée dans les années 1910 et 1920 depuis cette perspective, nous entendons repérer des structures sémiotiques-énonciatives stables qui, prises dans une évolution historique, orientent l’idée que l’on peut se faire de la modernité. Nous avons cherché à explorer cette problématique en écartant le point de vue d’une succession d’esthétiques avant-gardistes ou d’une adhésion générale à l’« Esprit nouveau ». Dans l’examen de la subjectivité affleurent des questions plus révélatrices montrant que le poème est un champ énonciatif, sémiotique et formel traversé par des forces diverses et contraires qui fondent l’ascension d’une entité auctoriale en rapport au dialogue intertextuel. La constance de ces forces est telle que nous avons pu décrire leur déploiement typologique par l’idée du sacrifice (Apollinaire) et celle de l’impossibilité (Huidobro).

Il fallait, dans cet esprit, aborder l’analyse des textes avec un certain détail. Examiner le poème dans son unicité selon une lecture tabulaire1 permet de rendre compte aussi complètement que possible du « sujet » dans les rapports qui le constituent. Dans sa relative simplicité, l’outil sémiotique cerne bien le mouvement complexe de l’énonciation et peut entrer facilement en contact avec les niveaux thématiques, formels ou esthétiques. Si les raisons pour prendre le terme « sujet » avec précaution sont évidentes, nous ne dirons pas, comme Jean-Michel Maulpoix, que « Le sujet lyrique s’effectue, mais il n’existe pas »2, une affirmation par ailleurs parfaitement justifiée hors d’une lecture tabulaire. Le discours critique se bâtit autour des continuités, dont témoignent les deux formulations sémiotiques majeures au long de l’ouvrage. Ces continuités autorisent que l’on puisse parler du « sujet » sans besoin de délimiter pour chaque cas s’il s’agit là d’un niveau de pure actualité comme le suggère ← 13 | 14 → la citation de Maulpoix ou d’une reconstitution générale accomplie par la lecture tabulaire.

Le lecteur ne trouvera pas ici une théorie générale du sujet poétique, dont le statut a été révisé ces dernières années3. L’interrogation sur le fonctionnement énonciatif plus que sur une essence subjective quelconque – affective, pulsionnelle ou autre – nous a permis de dégager une dynamique pour chacun des deux concepts opératoires retenus qui s’étaye pendant de longues coupes diachroniques. Ces deux concepts, « sujet-oxymore » et « sujet-tmèse », se basent sur la définition proposée par Karlheinz Stierle, pour qui le sujet poétique est le « point de fuite des multiples contextes simultanés du discours lyrique »4. En ramenant l’objet d’étude au champ textuel, nous entendons éviter l’écueil insoluble de savoir ce que sont le « je » ou l’« identité », notions qui pointent vers un dehors fort problématique pour des disciplines comme la philosophie ou la psychologie. La définition de Stierle évacue la distinction entre le sujet « empirique » et « lyrique », et ce n’est pas là l’un de ses moindres mérites dans le dialogue critique autour de la notion du « lyrisches Ich »5. La puissance de la crise de la poésie et de son retrait se plaçant au cœur de notre étude, la dénomination « je lyrique » a été reléguée en général par celle, plus compréhensive, de « sujet poétique ».

Les termes « sujet-oxymore » et « sujet-tmèse » adaptent historiquement l’idée de Stierle et permettent de suivre des changements et des transformations dépassant leur définition rhétorique de base. Concrètement, le « sujet-oxymore » chez Apollinaire est le point de fuite ou entité résultant de la coexistence de groupes sémiotiques qui se répondent en opposition (mobilité / immobilité, expansion / non-expansion, etc.). La friction qui lui est inhérente cherche des voies d’une libération qui, ayant lieu en 1907-1908, est diversement reprise au long d’Alcools (1913). Nous aurons l’occasion d’apprécier la portée historique d’une telle mutation, qui rompt entièrement avec le Symbolisme, dans sa course de plus en plus orientée vers le présent, doublement lisible à partir des premiers poèmes de Calligrammes (1918) dans l’éclatement et l’altérité.

La réception de ces métamorphoses conditionne la production avant-gardiste initiale de Huidobro. Celle-ci émerge dans l’horizon double de la rémanence du modernismo hispanique et d’un présent poétique ← 14 | 15 → transformé par Apollinaire et les avant-gardes. Par « sujet-tmèse », on entend le point de fuite ou entité résultant de la coexistence de deux ensembles sémiotiques qui s’organisent par des moments temporels ou des espaces distincts. La relation binaire est cependant bloquée par une réfraction ou un vide. Ce point précis infléchit une narration virtuelle du moi comme poète. Ainsi, la subjectivité clivée, point de fuite entre deux textes opposés, incarne une lutte auctoriale commencée dans les livres de 1917-1918 (Horizon carré, Poemas árticos, Ecuatorial, Tour Eiffel, Hallali), continuée par ceux de 1925 (Automne régulier, Tout à coup) et arrivant à son apogée dans Altazor (1931).

Le fait que le « sujet-oxymore » et le « sujet-tmèse » rassemblent des relations énonciatives n’implique pas la nécessité de signaler un je-origine6 mais accueille naturellement des effets de présence du sujet dès lors qu’il y a lecture. « Figure d’identité » plutôt qu’« identité effective », le sujet poétique demande la participation du lecteur qui se trouve « en état d’expérimenter pour ainsi dire de l’intérieur une possibilité d’identité complexe »7. L’existence du sujet (et de son idée) dépend de la totalité de l’acte de lecture, qui recompose une entité dont on est en mesure de calibrer le sens et la portée à la fin. La saisie unitaire des textes expose clairement le déroulement conflictuel de l’oxymore et de la tmèse et leur point respectif de friction, et confirme la prémisse de Dominique Combe : « Le sujet lyrique se crée dans et par le poème, qui a valeur performative »8. À cet égard, le modèle tabulaire a attesté son utilité même en annonçant ses limites méthodologiques : tel est le cas des « poèmes-conversations », dont l’activité énonciative crée des effets de sens échappant à une configuration unitaire.

Le cadre théorique de deux premières parties se complète par le terme « matrice », qui, selon Michael Riffaterre, est « l’actualisation grammaticale et lexicale d’une structure latente », dont la transformation génère le poème9. Nous avons utilisé de façon réitérée la matrice ‘je deviens poète’, qui interroge la modernité en rapport avec cette latence-là, et nous avons établi des comparants qui rendent visibles les tensions du Je-Poète dans un paysage sémiotique et formel éclaté. La dimension intertextuelle est ici en cause, étant donné qu’elle matérialise, particulièrement chez Huidobro, les variants et la projection de la matrice. Par ailleurs, la notion ← 15 | 16 → riffaterrienne de signe double, utilisée dans la troisième partie, reconduit l’action intertextuelle au point où la poésie doit se reformuler dans la crise, qui oriente différemment la précarité de son unité et les dépendances culturelles du mythe du Poète.

Si la démarche créative chez Apollinaire et Huidobro aboutit à une poésie se manifestant périodiquement sur le mode du conflit et de la division, s’interroger sur le lieu de la parole poétique devient nécessaire pour comprendre les destins du Je-Poète. Les recherches pragmatiques de la troisième partie essayent de clarifier l’espace d’allocution maintenu et modifié par Huidobro et Apollinaire dans un contexte historique où foisonnent des éléments de choc. Enfin, l’analyse de la figuralité symbolique, si partielle, pénètre, à travers la pure actualité de l’énonciation, dans le champ de la culture et de la représentation en connexion avec les normes sémiotiques établies dans les deux premières parties, et permet d’apprécier notamment la visée unitaire (Apollinaire) ou fragmentée (Huidobro) de la poésie de guerre.

La disposition conceptuelle générale de l’ouvrage (oxymore, tmèse, matrice, signe double), enrichie par l’exploration du champ pragmatique et figural, nous a permis de rapporter les tensions et les éléments constitutifs du sujet à un contexte herméneutique plus ample et d’engager un débat avec les différentes réponses de la modernité à une crise de la poésie dont Apollinaire puis Huidobro sont des héritiers directs, le premier dans le sillage de la « crise de vers » mallarméenne et la fin du Symbolisme, et le deuxième dans la réception d’une culture poétique double où se croisent le legs symboliste-modernista et le Nouveau apparaissant pendant les années de la Première Guerre mondiale. En effet, du sujet-oxymore au sujet-tmèse s’ouvre une contrée où se meut le présent de l’énonciation, différemment intégré à la poésie ou en conflit avec elle. Cet espace intellectuel et créateur constitue la sécante implicite10, le dénominateur commun de notre travail dans la mesure où il conditionne une réponse descriptible de nos auteurs (éclatement oxymorique, vide de la tmèse). L’ampleur de ce dénominateur commun dépasse les cas spécifiques d’Apollinaire et de Huidobro, et se déploie dans d’autres productions de l’époque, examinées ponctuellement à travers Marinetti, Tzara et d’autres poètes, parmi lesquels on a accordé une place d’honneur à Reverdy, véritable pont entre Huidobro et la poésie française des années 1910.

Cet ouvrage s’éloigne donc volontairement de la description d’une série de faits littéraires communs (motifs avant-gardistes, esthétique de ← 16 | 17 → l’objet créé). Le repérage des normes sémiotiques informant le sujet souligne au contraire le difficile mais révélateur transit des conflits, des glissements et même des zones de répit des modernités apollinarienne et huidobrienne, opérant dans un présent de l’énonciation historiquement éclaté, réfracté, vidé. Ainsi, par le truchement de la matrice ‘je deviens poète’, on a favorisé le traitement de l’aventure avant-gardiste comme une réponse aux menaces que connaît la poésie, concrétisées massivement sur le plan pragmatique et figural des textes. Cette orientation critique invite par ailleurs à reconsidérer le Créationnisme comme un essai de neutraliser la crise du « je » en relançant continuellement le récit auctorial du poème.

Notre étude a associé les transformations du sujet à la course moderne vers le Nouveau. Nous avons pu ainsi expliciter la naissance du mythe du Poète puisant ses racines dans une crise assumée. Chez Huidobro ce mythe s’incorpore autour d’un vide central par lequel se relit la réfraction apollinarienne-reverdienne. Cette double thématique, sujet et refiguration comme Poète, nous a permis d’arpenter unitairement les années 1898-1931 autour de la crise et du silence de la poésie, et d’apprécier la dimension dialogique à l’œuvre en réponse à cette crise. Les perspectives sémiotique et intertextuelle, ainsi que leur réflexivité inhérente dans la construction et le devenir du « je », pénètrent dans le cœur de la modernité poétique, et révèlent comment celle-ci agit bien en deçà de la visée esthétique. Parallèlement, l’importance relativement mineure accordée à la littérature des manifestes suggère que le processus énonciatif de la création mobilise des forces qui échappent à la compréhension de l’auteur. Dans le cas du Créationnisme cela a donné lieu à des aperçus éloquents concernant le niveau pragmatique de l’écriture. La tâche de l’histoire littéraire est peut-être de reconstituer ces forces-là dans un contexte intelligible. Nous espérons montrer que la question du sujet reste l’une des « idées » cardinales pour faire émerger une telle reconstitution. ← 17 | 18 →

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  1  Par lecture tabulaire il faut entendre « le résultat de la superposition des différentes lectures des unités d’un texte ». Ce type de lecture tient compte des réévaluations rétrospectives et prospectives, voir Groupe μ, Rhétorique de la poésie, Paris, Seuil, 1990, p. 65.

  2  V. Maulpoix, Jean-Michel, « La quatrième personne du singulier », in Rabaté, Dominique (dir.), Figures du sujet lyrique, Paris, PUF (coll. « Perspectives littéraires »), 1996, p. 153.

  3  L’ouvrage pionnier est Rabaté, Dominique (dir.), Figures du sujet lyrique, Paris, PUF (coll. « Perspectives littéraires »), 1996.

  4  V. Stierle, Karlheinz, « Identité du discours et transgression lyrique », Poétique, n° 32, novembre 1977, p. 435.

  5  V. Combe, Dominique, « La référence dédoublée. Le sujet lyrique entre fiction et autobiographie », in Rabaté (dir.), Figures…, p. 49-50.

  6  C’est la théorie de Käte Hamburger, voir le chapitre « Le système de l’énoncé et la place de la poésie », in Hamburger, Käte, Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986, trad. de l’allemand par Pierre Cadiot, p. 207 sq.

  7  V. Stierle, « Identité… », p. 438.

  8  V. Combe, « La référence… », p. 63.

  9  V. Riffaterre, Michael, Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1983, trad. de l’anglais par Jean-Jacques Thomas, p. 33.

10  « Ce qui va permettre la confrontation comparatiste, c’est finalement l’invention de la sécante qui va rendre les recoupements possibles », v. Hervier, Julien, « Miettes d’observations (pratiques) sur le parallèle », in Les Parallèles, Revue de littérature comparée, Paris, Didier Érudition, avril-juin 2001.

PREMIÈRE PARTIE
APOLLINAIRE : LA STRUCTURE SÉMIOTIQUE DU SUJET

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Introduction

Les « multiples contextes simultanés du discours lyrique »1, dont le point de fuite définit selon Stierle le sujet poétique, se révèlent pour la poésie initiale d’Apollinaire dans le dialogue avec le Symbolisme et son rejet. Or, en deçà et au-delà du rapport intertextuel, ces contextes prennent constamment la forme d’un investissement au monde couplé par un retour sur soi de signe opposé. Cette coexistence survenait de façon quasi topologique dans le discours sentimental qui renouvelle la poésie romantique et se prolonge avec des variantes multiples tout au long du XIXe siècle. Le propre du sujet apollinarien est d’amener à un point intolérable ce double mouvement et d’attirer des transformations qui, elles, s’écartent de la tradition. Ainsi, l’énonciation poétique chez Apollinaire se rattache à une conscience occidentale antithétique, mais fraye son chemin, chronologiquement situable, vers des espaces nouveaux à partir de ce système traditionnel.

Nous adoptons la dénomination « oxymore » pour caractériser le sujet dans la mesure où la simultanéité de deux contextes dominants se fait de plus en plus intenable. Cette première partie fournira des exemples nombreux de la poésie apollinarienne où un sujet-oxymore se trouve en amont et en aval de la « tension lyrique propre »2 constituée par les deux ensembles sémiotiques opposés. Mais, avant de procéder à l’étude du moi poétique apollinarien, nous allons examiner sommairement quatre exemples qui jalonnent l’évolution du sujet poétique au XIXe siècle, dont Apollinaire est l’héritier direct. Ceci nous permettra de comprendre la circularité des linéaments du sujet-oxymore et sa pression en faveur d’un moment de résolution.

Nous commencerons par un poème de Lamartine, « Tristesse », faisant partie des Nouvelles Méditations (1823)3. Dans ce texte, les deux mouvements sont nettement marqués. Le premier, correspondant à la première strophe, se caractérise par l’épanchement du moi vers une présence cependant niée, sous la forme du « fortuné rivage », de la « mer d’azur », du « ciel toujours pur ». La deuxième strophe indique le moment de retour sur la subjectivité réfléchissante : conscient du manque, le sujet vit dans des « jours pâlissants », dans un obscurcissement de la lumière ← 21 | 22 → (« se consume », « faible lueur ») opposé au rayonnement des images de la première strophe, qui se situait en continuité avec le monde classique heureux (« Là, sous les orangers, sous la vigne fleurie / Dont le pampre flexible au myrte se marie »). La coexistence de ces deux contextes se résout par une invocation au « destin » et à la mort (« mourir aux lieux »). L’oxymore (épanchement-rétrécissement) est médié par une culture qui est en mesure de faire appel à « une terre au bonheur destinée », au « destin », aux « dieux » et même à l’existence d’un lieu convoqué comme conciliation (« guider mes pas / Jusqu’aux bords qu’embellit ta mémoire chérie », « mourir aux lieux »). La disparition de cette culture conditionne en partie l’évolution du sujet-oxymore dans la poésie moderne.

Résumé des informations

Pages
336
Année
2015
ISBN (PDF)
9783035265064
ISBN (ePUB)
9783035299038
ISBN (MOBI)
9783035299021
ISBN (Broché)
9782875742360
DOI
10.3726/978-3-0352-6506-4
Langue
français
Date de parution
2015 (Février)
Mots clés
Poésie Je-Poète Construction intertextuelle Figure identitaire Récit auctorial
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 336 p.

Notes biographiques

Jaime Baron (Auteur)

Jaime Baron est titulaire d’un master en Lettres classiques de l’Université Complutense et d’un doctorat en Littérature comparée de l’Université Michel de Montaigne. Il a écrit nombre d’articles sur la poésie d’avant-garde et contemporaine.

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Titre: Le sujet poétique chez Apollinaire et Huidobro
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