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Les zouaves pontificaux en France, en Belgique et au Québec

La mise en récit d’une expérience historique transnationale (XIXe – XXe siècles)

de Bruno Dumons (Éditeur de volume) Jean-Philippe Warren (Éditeur de volume)
©2015 Collections 162 Pages

Résumé

Le bataillon des zouaves pontificaux est créé le 1er janvier 1861 et devient régiment au 1er janvier 1867. Il est constitué d’environ 10 000 volontaires, issus de 25 nationalités différentes, qui seront licenciés le 21 septembre 1870.
Une fois le conflit terminé, de nombreuses associations d’anciens zouaves sont créées au retour des soldats et des journaux liés à ces associations sont fondées. Des rassemblements et des réunions cherchent à perpétuer le souvenir des faits d’armes des combattants démobilisés tandis que plusieurs monuments en célèbrent l’héroïsme.
Un véritable imaginaire prend forme à la fin du XIXe siècle. Appartenant à cette internationale « blanche », d’essence contre-révolutionnaire, les anciens volontaires élaborent le mythe du croisé moderne, du martyre et du héros catholique. C’est ici l’imaginaire construit autour des zouaves pontificaux que ce livre se propose d’explorer. Il entend poser des jalons pour mieux comprendre la structuration des réseaux de zouaves, leur idéal de chrétienté, leur description d’un « croisé du Christ », leur identité comme groupe et leur quête de légitimité religieuse et sociale, voire politique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Introduction
  • Combattre pour rome
  • Documents et souvenirs romains des zouaves pontificaux
  • Contre les zouaves pontificaux ? Le difficile recrutement de la Légion d’Antibes (1866-1870)
  • Reconversions d’anciens zouaves pontificaux dans le champ missionnaire d’Afrique équatoriale avec le cardinal Lavigerie et sa Société (1879-1927)
  • Piopolis. Une colonie militaire des zouaves pontificaux
  • Représentations de l’héroïsme
  • Les zouaves québécois et la quête d’une virilité franco-catholique dans l’Empire britannique
  • « Ce merveilleux ensemble d'héroïsme, de dévouement, et de vertu ». L’héroïsation des zouaves pontificaux dans les publications concernant la dévotion au Sacré-Cœur
  • Le retour des zouaves québécois. Du douloureux souvenir de l’invasion de Rome à une réaffirmation de leur engagement dans la Cité
  • Les soldats de la mémoire. Les représentations des zouaves pontificaux en Belgique de 1862 à aujourd’hui
  • Liste des auteurs

← 8 | 9 → Introduction

Bruno DUMONS ET Jean-Philippe WARREN

À l’heure où se tiennent en Europe et ailleurs de nombreuses commémorations sur le centenaire de la Grande Guerre, l’histoire de ce corps expéditionnaire qu’ont été les zouaves pontificaux, présente-t-elle un réel intérêt universitaire ?

On pourrait en douter tant un certain silence historiographique a entouré ce dossier pour ne pas parler d’un relatif mépris. En effet, l’histoire de ces volontaires engagés dans la défense des États pontificaux entre 1860 et 1870 n’a longtemps fait l’objet que de quelques pages dans les ouvrages d’histoire religieuse, politique et militaire consacrés à la disparition des territoires du Saint-Siège dans le cadre de l’unité italienne. Si Jean Maurain évoque ces « soldats du pape » dans sa thèse de 1930 portant sur la politique ecclésiastique du Second Empire, en abordant les aspects diplomatiques et militaires de la guerre d’Italie, le chanoine Aubert sera lui encore plus bref, une vingtaine d’années plus tard, dans son livre sur le pontificat de Pie IX1. Par la suite, la nouvelle histoire religieuse qui s’est développée à partir des années 1960, fortement cloisonnée en champs historiographiques nationaux, a été tout aussi muette sur le sujet. Un semblable constat peut être établi pour l’histoire politique et militaire, davantage soucieuse de victoires et de vainqueurs à la gloire de la République. Ces combattants venus pour beaucoup de la catholicité de l’Europe occidentale mais aussi des Amériques, en particulier du Canada, désireux de se battre jusqu’à la mort pour le pape, ont été largement oubliés, emportés par la chute de Rome et la guerre de 1870 avant d’être rendu à la vie civile ou religieuse, certains devenant prêtres de la Compagnie de Jésus pour continuer à travailler à la romanisation du catholicisme2.

← 9 | 10 → De l’oubli à l’histoire transnationale

Restent une mémoire et un culte qui se sont perpétués dans les cercles du catholicisme intransigeant, pour certains encore attachés à la légitimité. Une littérature hagiographique s’est alors constituée, dès la dislocation du corps expéditionnaire en 1870, autour de livres de souvenirs, d’albums photographiques et de journaux intimes, qui cherchent à faire de ces combattants catholiques vaincus des héros et des martyrs de la foi. En France, une revue hebdomadaire puis bimensuelle, L’Avant-Garde, s’efforce à partir de 1892 de faire le lien entre les anciens zouaves, créant de fait une communauté d’anciens combattants, jusqu’à sa disparition en 1932 avec les derniers survivants. À cette date, le catholicisme français se républicanise et sa romanisation passe davantage par l’Action catholique que le combat armé. Il renvoie le zouave pontifical à une figure archaïque, associée à un mode de politisation d’un autre temps, l’oubli faisant ensuite son œuvre.

Au Québec, il en va autrement puisque le retour des zouaves se transforme en triomphe pour le clergé et les populations catholiques francophones avec, notamment, la fondation d’une Association des zouaves du Québec qui contribua à perpétuer la mémoire de l’identité catholique et francophone jusque dans les années 1980, voire plus tard encore3. C’est ainsi que les zouaves du Québec ont pu retenir l’attention d’un historien comme René Hardy, dont l’œuvre magistrale fait figure de pionnière4. Grâce aux travaux de ce dernier et de ceux de maints collègues qui travaillent alors sur les courants ultramontains au XIXe siècle, l’histoire religieuse du Québec s’approprie sans a priori cet épisode des zouaves québécois5. Sur cette veine historiographique, se sont récemment greffées de solides études en lien avec l’histoire de l’Amérique française comme celle de l’ethnologue Diane Audy6.

En Europe, particulièrement en France, il faut attendre la décennie 1990 et le renouveau des études sur la Rome pontificale du XIXe siècle ← 10 | 11 → pour sortir le corps des zouaves de l’oubli historiographique7. Dans le même temps, quelques rares historiens de l’ouest de la France catholique comme Marius Faugeras, Marcel Launay et Jean Guénel se sont attachés à restituer les fidélités politiques et religieuses qui unissaient ces zouaves pontificaux8. Des études plus ponctuelles et locales se distinguent dans les publications des sociétés savantes qui exhument le souvenir de combattants héroïques ayant marqué une mémoire familiale9. Plus tardivement, des études menées sur les réseaux qui structurent les cultures politiques « blanches » en France et en Europe permettent de renouer avec l’action des zouaves pontificaux10. Ces derniers rejoignent également une historiographie culturelle du politique, en particulier sur le volontariat armé international et les fraternités politiques comparables à la mobilisation des combattants républicains au XIXe siècle11.

← 11 | 12 → Une approche anglo-saxonne porte également une réflexion neuve sur le fait militaire12 mais aussi sur la fabrication du martyr et du héros dont témoigne la figure du zouave pontifical13. Il y a parfois dans ces itinéraires de vie retracés la volonté de mettre en avant une sensibilité eschatologique et apocalyptique qui correspond à l’air du temps face aux profondes transformations que connaît la société européenne au XIXe siècle. Ainsi, Maximin Giraud, le jeune voyant de La Salette, s’engage en 1865 dans le corps des zouaves pour la défense du pape, poursuivant ainsi la mission qu’il a reçue lui-même de la Vierge14.

Par ailleurs, l’histoire du genre est un autre angle d’attaque. En effet, un certain partage des rôles masculins et féminins s’opère entre des mères en prière et des fils au combat que portent une spiritualité catholique largement féminisée et une culture bourgeoise de l’honneur très virilisée15. Ainsi, au cœur d’un « catholicisme au féminin », la figure du zouave semblerait exalter un culte original de la masculinité religieuse, à travers l’image du héros combattant jusqu’au martyre comme en témoignent les histoires édifiantes des zouaves en Belgique16. Enfin, le renouveau de l’histoire militaire devrait apporter des éléments neufs sur la mobilisation et la structuration de ce corps expéditionnaire. Outre les quelques travaux menés par Jean Lorette en Belgique ou Patrick Nouaille-Degorce sur les Volontaires de l’Ouest, des zones d’ombres commencent à être levées sur les modalités de recrutement des zouaves mais aussi sur des unités concurrentes comme la « légion romaine », appelée aussi Légion d’Antibes17. Il ← 12 | 13 → est aussi à espérer que les nouvelles recherches sur la guerre de 1870 éclairent davantage le rôle des zouaves dans ce conflit franco-prussien et notamment lors de la terrible bataille de Loigny qui fit plus de 9 000 morts en quelques heures. Depuis 1907, a été érigé un musée qui cultive la mémoire des zouaves pontificaux tombés en héros sous les balles de l’ennemi.

L’histoire de ce corps expéditionnaire, aux allures de « brigades internationales catholiques » recrutées dans les milieux intransigeants et traditionnels de la catholicité européenne et américaine, reste donc encore largement à écrire. Elle est d’ailleurs susceptible de s’insérer dans une histoire transnationale du religieux et du politique qui se traduit entre autres par les circulations de la dévotion au Sacré-Cœur, du culte à la personne du pape et des réseaux contre-révolutionnaires européens. Cette histoire transnationale des zouaves pontificaux, pour une part francophone, a notamment produit une littérature et un imaginaire qui constituent le « fil rouge » de cette rencontre, permettant de privilégier une approche du religieux en terme culturel.

Une histoire culturelle « connectée »

Replacer l’expédition des zouaves pontificaux dans une histoire religieuse à la fois culturelle et transnationale, c’est d’abord rappeler que cette aventure militaire s’inscrit sur une scène largement internationale. Les 183 officiers et les 10 920 soldats ayant appartenu à ce mouvement du 1er janvier 1861 jusqu’au 20 septembre 1870 ont en effet été recrutés dans près de trente pays différents18. Hormis les Italiens (la moitié des soldats du pape étaient recrutés parmi les citoyens de l’État pontifical), on distinguait dans les rangs de l’armée de Pie IX des catholiques venus d'un peu partout. Selon Vigevano et Lodolini, la répartition des étrangers selon leur nationalité donnait les chiffres suivants : environ 3 000 Français, 1 200 Allemands et Autrichiens, 1 000 Suisses, 900 Hollandais, 700 Belges, 350 Canadiens…19 ← 13 | 14 → Ces derniers affichaient cette particularité de constituer le seul groupe organisé de volontaires venus d’autres continents que l’Europe, la tentative de composer un bataillon de volontaires étatsuniens ayant échoué.

La carrière internationale de ceux qui accoururent s’enrôler sous le drapeau de Pie IX ne s’est pas arrêtée avec la capitulation de Rome et le retour, dans leur patrie respective, de ceux que l’on appelait les « diables du Bon Dieu ». Encore en 1961, le lieutenant-colonel Louis-Côté, zouave de Québec, pouvait écrire une longue lettre pour se plaindre du port « clownesque » de l’uniforme zouave porté par un des personnages principaux de la très populaire émission télévisée Les Belles Histoires des Pays d’en Haut, lettre à laquelle la direction de Radio-Canada avait cru bon de répondre par des excuses publiques20, signe, s’il en fallait, de la perpétuation étonnamment tenace, tard dans le XXe siècle, de cette mémoire aujourd’hui méconnue ou ridiculisée.

Loin de s’évanouir avec le démembrement de l’armée pontificale, les liens d’amitié ou d’estime acquis dans les camps militaires et sur les champs de bataille continuèrent pendant longtemps à structurer des réseaux plus ou moins solides de fraternité et d’entraide. Lorsque les soldats débandés durent rentrer chez eux, après la défaite, ils cherchèrent à entretenir la flamme de la cause pontificale pour laquelle ils avaient consenti à donner leur vie. Ils créèrent à cette fin des organismes nationaux et s’intégrèrent dans des réseaux d’une internationale « noire » ou « blanche »21. En ce sens, on peut affirmer que l’engagement laïc des zouaves qui suivit leur démobilisation n’est pas étranger au mode d’action privilégié par les mouvements politico-militaires auxquels ils s’opposaient sur les champs de bataille. La cause changeait mais les stratégies adoptées étaient pour une bonne part les mêmes.

La fraternité cultivée à combattre sous un même étendard permit le rapprochement des élites catholiques à l’échelle internationale. Par exemple, dans une adresse des zouaves pontificaux canadiens à leurs compagnons ← 14 | 15 → de France en 1871, on pouvait lire : « Nous avons senti qu’un lien de plus nous attachait à la France – le glorieux drapeau qui nous avait unis à Rome. Aussi, chers frères d’armes, malgré notre douleur profonde, nous n’avons pu nous défendre d’un sentiment de fierté bien légitime, l’orgueil du drapeau »22. Outre la publication du bulletin de L’Avant-Garde, distribué en France mais aussi en Belgique, en Hollande et au Canada, des réseaux personnalisés balisaient l’univers des volontaires, réseaux à travers lesquels se distinguaient quelques points cardinaux. Le manoir d’Athanase de Charette, l’ancien colonel tant admiré, entretenait notamment du fond de la Bretagne le « mythe des zouaves » dans lequel se mêlaient souvenirs de guerre et militantisme royaliste. En 1885, lors du vingt-cinquième anniversaire de la création du régiment des zouaves, le général de Charette envoya près de trois milles invitations, à laquelle se pressèrent de répondre non seulement des vétérans du monde entier mais surtout des élites françaises du catholicisme intransigeant dont de nombreux journalistes comme Léon Galouye de La Gazette de France, Pierre Veuillot de L’Univers, Pierre Giffard du Figaro, Gaston de Léris du Moniteur Universel, Louis d’Harcourt du Temps, Georges d’Orgeval de Gil Blas, F. de Hainaut du Monde Illustré

Résumé des informations

Pages
162
Année
2015
ISBN (PDF)
9783035265354
ISBN (ePUB)
9783035298352
ISBN (MOBI)
9783035298345
ISBN (Broché)
9782875742742
DOI
10.3726/978-3-0352-6535-4
Langue
français
Date de parution
2015 (Juin)
Mots clés
Bataillon des zouaves piopolis lavigerie
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 162 p., 1 ill.

Notes biographiques

Bruno Dumons (Éditeur de volume) Jean-Philippe Warren (Éditeur de volume)

Bruno Dumons est directeur de recherches CNRS au Laboratoire de recherches historiques Rhône-Alpes (UMR 5190-Lyon). Jean-Philippe Warren est professeur à l’Université Concordia de Montréal.

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