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Les directeurs au travail

Une enquête au cœur des établissements scolaires et socio-sanitaires

de Monica Gather Thurler (Auteur) Isabelle Kolly Ottiger (Auteur) Philippe Losego (Auteur) Olivier Maulini (Auteur)
©2017 Collections VI, 326 Pages
Série: Exploration, Volume 174

Résumé

Cet ouvrage montre que le métier de directeur d’établissement scolaire ou socio-sanitaire, souvent présenté comme une fonction, est aussi un travail, susceptible d’une observation et d’une mesure. Il se compose d’une « foule de petites choses à faire » presque invisibles et d’un organigramme complexe de dossiers ouverts, d’actions à mener et à justifier. Le métier consiste aussi à accepter des décalages entre ce travail réel, souvent prosaïque, et l’imaginaire du rôle. Enfin, il implique des expériences professionnelles marquées par des épreuves subjectivement et objectivement vécues, reliées aux évolutions politiques et économiques autant qu’aux difficultés à répondre aux besoins et aux ambivalences des interlocuteurs : collaborateurs, usagers, familles, supérieurs hiérarchiques.
Fondé sur une importante enquête menée en Suisse Romande, ce portrait collectif des directeurs au travail interpellera l’ensemble des acteurs du domaine étudié. Bien au-delà, il offre matière à réfléchir à tout professionnel occupant une fonction de direction, de formation et de prise décision.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Remerciements
  • Introduction: Diriger le travail: un travail opaque, mais un travail aussi (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly-Ottiger / Philippe Losego / Olivier Maulini)
  • Première partie: Les directeurs au travail
  • Chapitre 1: Un travail en miettes – un minutage du travail de direction (Philippe Losego)
  • Chapitre 2: Des dossiers pour diriger – Préoccupations et division du travail (Philippe Losego)
  • Chapitre 3: Sous le travail réel: la conception du rôle et le travail espéré (Olivier Maulini / Laetitia Progin / Aurélien Jan / Chantal Tchouala)
  • Deuxième partie: Le travail à l’épreuve
  • Chapitre 4: Des urgences ralentissantes (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Carl Denecker / Aline Meyer)
  • Chapitre 5: Des partenariats défiants (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Carl Denecker / Aline Meyer)
  • Chapitre 6: Une exigence reconnaissante (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Carl Denecker / Aline Meyer)
  • Chapitre 7: Une communication stratégique (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Carl Denecker / Aline Meyer)
  • Chapitre 8: Un pouvoir de service (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Carl Denecker / Aline Meyer)
  • Chapitre 9: Une autonomie contraignante (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Carl Denecker / Aline Meyer)
  • Conclusion générale: De la réalité du travail au réalisme de sa gouvernance? (Monica Gather Thurler / Isabelle Kolly Ottiger / Philippe Losego / Olivier Maulini)
  • Références Bibliographiques
  • Notes biographiques des auteur(e)s
  • Titres de la collection

Remerciements

L’enquête qui a abouti à la rédaction de cet ouvrage a été réalisée par une équipe de chercheurs en provenance de trois institutions partenaires: l’Université de Genève, la Haute école de travail social de Genève et la Haute école pédagogique du canton de Vaud. Notre Collectif ainsi constitué d’Analyse du travail réel des Directions Romandes d’établissements scolaires et socio-sanitaires (CADRE) a reçu le soutien financier du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS, projet n° 100013_125052), à qui nous exprimons notre gratitude.

Nous tenons avant tout à remercier, pour leur collaboration, les nombreux directeurs et directrices qui ont bien voulu se prêter au jeu de l’observation, notamment ceux qui ont supporté nos regards indiscrets et nos questions plus ou moins inquisitrices tout au long de la semaine de shadowing. À ceux-là s’ajoutent les membres du Groupe d’accompagnement qui a œuvré à affiner notre connaissance du terrain et nos manières d’en rendre compte. L’impératif d’anonymat nous empêche de nommer tous ces partenaires, pas de leur exprimer notre reconnaissance pour le temps et la confiance qu’ils nous ont accordés.

Aucune règle ne nous empêche par contre de saluer chaleureusement les personnes qui, bien que n’étant pas au nombre des signataires du présent ouvrage, ont plus ou moins significativement participé à la conception de la recherche, à la récolte des données et à leur analyse: Sandrine Breithaupt, Catherine Claude Velan, Caroline De Rham, Gregory Durand, Héloïse Dürler, Aurélien Jan et Cyril Petitpierre.

Et notre merci spécial va à David «N-Vivo» Perrenoud pour son appui technique dans l’usage du logiciel d’analyse qualitative des entretiens et à Manuel Perrenoud pour sa relecture minutieuse du manuscrit. ← 1 | 2 → ← 2 | 3 →

Introduction

Diriger le travail:
un travail opaque, mais un travail aussi

Monica Gather Thurler, Isabelle Kolly-Ottiger, Philippe Losego et Olivier Maulini

Trois métiers de l’humain sont réputés «impossibles» à exercer: éduquer, soigner et gouverner (Cifali, 1999; Esquieu, 2013; Glée & Mispelblom Beyer, 2012; Mispelblom Beyer, 2006). A fortiori, que penser du gouvernement de l’éducation et du travail social, activité contingente, agissant sur des activités également contingentes? Tout travail «sur autrui» (Dubet, 2002) suppose d’adresser la parole et d’accorder de l’attention à des êtres humains qui sont parties prenantes de l’interaction (Tronto, 2009): les gestes à accomplir par les travailleurs (et leurs critères de légitimation) imposent une solidarité avec les interlocuteurs et une asymétrie en même temps. Ces gestes sont donc complexes par définition. Diriger un établissement scolaire, voire une institution sociale ou socio-sanitaire, peut l’être encore plus, puisque travailler sur ceux qui travaillent sur autrui implique deux liens, donc deux transactions qui sont elles-mêmes en balance: celle qui attache le chef de proximité à ses employés, et celle qui l’oblige, avec eux, vis-à-vis des usagers et du pouvoir central, à être le garant de leurs intérêts.

Comment le travail sur et avec autrui est-il aujourd’hui dirigé? Qui prend les décisions, au nom de quelle autorité, établie et/ou négociée de quelle façon, dans quel cadre normatif et/ou à travers quelles interactions? Comment les directeurs1 d’institutions éducatives ou socio-sanitaires ← 3 | 4 → orientent-ils le travail de leurs subordonnés auprès des élèves, des patients, des résidents, de leurs familles, bref, des destinataires et partenaires de leur activité? Et que nous apprend ce travail de l’évolution du lien social à l’ère de l’«invention de soi» (Kaufmann, 2004), de l’«idéal au travail» (Dujarier, 2006), de la «performance totale» (Jany-Catrice, 2012), de l’«insécurité sociale» (Castel, 2013) ou même de la «fin des sociétés» (Touraine, 2013)? Avant d’enquêter sur le terrain, voyons ce que la recherche et l’expérience des acteurs ont déjà à nous apprendre du travail de direction tel qu’il s’opère ordinairement, à distance plus ou moins respectable de ce qu’on pourrait en attendre. Nous allons le faire dans ce chapitre introductif, en exposant tour à tour:

LE TRAVAIL DES CADRES

Le présent ouvrage s’inscrit au moins partiellement dans la sociologie du travail, de l’activité et des groupes professionnels dont il nous faut rappeler les évolutions récentes avant de montrer les spécificités du métier de directeur ou de directrice d’établissement.

La sociologie du travail est un champ structuré par deux démarches concurrentes: l’une consiste à replacer les groupes professionnels dans les grandes évolutions de la société, l’autre se centre sur l’activité (Stroobants, 1993). Nous avons choisi la deuxième voie. Ce choix est ← 4 | 5 → aujourd’hui relativement commun, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Pour cela, il a fallu quelque peu changer le statut du travail dans la sociologie. Autrefois convoqué pour valider des macro-théories sociologiques (aliénation, théorie de l’action, etc.), le travail est devenu peu à peu un objet «en soi», dans lequel on essaie d’investir le moins de théories possible a priori. Cependant, analyser le travail de cadres, tels les directeurs d’établissement, n’est pas chose aisée.

LE TRAVAIL DE DIRECTION EXISTE-T-IL?

«Les cadres travaillent-ils?» s’interrogeait Montmollin (1984) dans une note de lecture qu’il consacrait au célèbre ouvrage de Boltanski (1982) sur Les cadres. Il reprochait à l’auteur de n’aborder en aucune manière le contenu du travail. Ce fait illustre la manière dont la sociologie a longtemps traité ce groupe professionnel: comme une catégorie sociale, assortie de réflexions sur l’ambiguïté de son statut dans les rapports sociaux, sur sa représentation professionnelle, sur les représentations sociales du cadre, sur les stratégies pour apparaître comme un groupe social homogène, etc. mais en négligeant ce qui, tout de même, légitime le salariat: l’activité.2 Sans connaître cette recension à l’époque, nous avons souvent posé la question homologue pour notre enquête: «les directeurs travaillent-ils?». Non que nous doutions de ce travail, mais nous étions surpris de la rareté des publications décrivant le travail de direction. Hormis l’ouvrage de Barrère (2006) sur les directeurs d’établissement scolaire et un ouvrage collectif (Barbier, Chauvigné & Vitali, 2011) publié pendant notre recherche sur le travail de direction, nous trouvions surtout profusion d’ouvrages de management décrivant les fonctions de la direction (cf. infra), c’est-à-dire à la fois ses justifications et les attentes institutionnelles ou organisationnelles qu’elle suscite, mais peu de chose sur le travail réel.

Dans cette idée naïve selon laquelle les directeurs ne travailleraient pas, on trouve en fait deux idéologies différentes: la critique de la bureaucratie, parasite ou inefficace, qui inspire des jugements à l’emporte-pièce (comme on le verra plus loin) et la critique de l’exploitation, ← 5 | 6 → selon laquelle le dirigeant fait travailler les salariés subalternes donc ne travaille pas. Cette idée a beau relever d’une sorte de sens commun, la sociologie du travail des trente glorieuses (1945-75) l’a implicitement reprise à son compte, considérant le travail ouvrier comme le seul travail (Vatin, 2006), négligeant de ce fait le travail administratif, qu’il relève du secteur public, du secteur tertiaire ou même des «cols blancs» des entreprises industrielles et parmi ceux-ci, a fortiori celui des cadres et dirigeants. Ainsi, le travail consistait à fabriquer des objets matériels. Les sociologues le situaient «en bout de chaîne» (De Terssac, 2006, p. 195) en excluant donc le travail de conception, d’organisation, et la manipulation de symboles (écriture, calculs, contrôles et réglages de machines, etc.) ainsi que la capacité d’action du travailleur, prisonnier d’une définition complètement hétéronome de ses tâches. Au vrai, l’analyse du travail ouvrier se préoccupait moins de l’activité réelle que de valider les grands récits théoriques tels que l’aliénation ou l’exploitation, et surtout la destruction des métiers artisanaux (Bidet, 2011).

Le travail des cadres est entré dans le champ sociologique par l’analyse des organisations (Crozier, 1963, 1965; Crozier & Friedberg, 1977). Mais symétriquement à la sociologie du travail, la sociologie des organisations y a surtout recouru pour valider une théorie générale de l’autonomie des acteurs en étudiant plutôt des attitudes face au travail que le travail lui-même. Les cadres étaient envisagés du point de vue du pouvoir, à la fois comme producteurs de règles et comme stratèges, rarement comme travailleurs. Par ailleurs, la sociologie américaine des professions, plutôt centrée sur les professions libérales, et partagée dans des conflits entre le fonctionnalisme justifiant ces professions par les besoins de la société et l’interactionnisme considérant leur existence de manière plus contingente, n’apporte pas non plus de description du travail d’organisation. Enfin, concernant les dirigeants, les travaux de Mintzberg (1973) resteront isolés bien longtemps alors que le travail des patrons est encore aujourd’hui une catégorie ignorée de la sociologie du travail (Bouffartigue, 2001).

Il existe pourtant une sociologie des cadres, qui bien que marginale s’est développée depuis le début des années 1970 (Benguigui & Monjardet, 1970). Cependant elle s’est surtout préoccupée de donner une place dans l’espace social à cette catégorie. En définitive, le gros de la sociologie des cadres est une sociologie des classes «moyennes supérieures» et particulièrement une sociologie de «l’invention» de cette catégorie par la société française depuis les années 1930 (Boltanski, 1982; ← 6 | 7 → Bouffartigue & Gadéa, 2000). Aujourd’hui, elle se focalise sur sa destruction par la mondialisation (Bouffartigue, 2001; Bouffartigue, Gadéa & Pochic, 2011) ou sur sa position ambiguë (dominante/ dominée) dans le cadre des grandes restructurations du capitalisme depuis les années 1990 (Flocco, 2015). Les préoccupations relèvent plutôt de la sociologie de la construction et de la dynamique des classes sociales, à mi-chemin entre l’objectivité des constructions politico-statistiques et la subjectivité des sentiments d’appartenance.

L’ANALYSE DE LACTIVITÉ

D’où vient alors l’intérêt récent de la sociologie pour l’activité des cadres? Il vient d’abord de l’intérêt tout aussi récent pour l’activité tout court. La question pourrait être posée à l’envers. D’où vient qu’on ne s’y soit pas intéressé avant? Pour le sens commun, le travail et l’activité sont presque synonymes. Pour le sociologue, le travail a longtemps été un paradigme permettant de décrire toute la société, à travers les notions de rapports sociaux (ou rapports sociaux de production), de classes sociales, d’exploitation, de domination, de pouvoir, d’autonomie, voire d’insertion sociale. Il n’est donc pas étonnant que les sociologues aient longtemps négligé ce qui paraissait soit trivial, soit inutilement compliqué, soit éventuellement utile comme simple support pour «vérifier» les grandes hypothèses.

Malheureusement, ou heureusement pour la richesse de l’analyse sociologique, depuis les années 1980, la société s’est ingéniée à se complexifier, à brouiller les cartes, et les évolutions postfordistes du travail sont venues ébranler les anciennes catégorisations qui servaient à penser le travail: la réduction du secteur industriel au profit du secteur tertiaire a obligé à se décentrer par rapport au travail productif pour aborder les services. L’opposition entre la «conception» et «l’exécution», s’est estompée dans la mesure où la catégorie des cadres tend à éclater en des niveaux de qualification très divers (Bouffartigue et al., 2011) et où leur travail est mis sous contrôle (Dietrich, 2001). Certains emplois considérés comme de haut niveau professionnel correspondent en réalité à des tâches routinières privées d’autonomie (Crawford, 2010). Dans le même temps, une autonomie est octroyée, ou plutôt imposée, à certains postes ouvriers (Monchatre, 2004). Dans les deux cas (ouvriers ou cadres), l’autonomie n’est plus nécessairement opposée à l’aliénation mais peut au contraire être une autre forme d’exploitation (Cousin, 2008, Flocco, 2015). La dialectique autonomie vs hétéronomie ne sert plus à hiérarchiser les postes. ← 7 | 8 →

Résumé des informations

Pages
VI, 326
Année
2017
ISBN (PDF)
9783034325967
ISBN (ePUB)
9783034325974
ISBN (MOBI)
9783034325981
ISBN (Broché)
9783034325950
Langue
français
Date de parution
2017 (Février)
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. VI, 318 p., 11 fig., 8 tabl.

Notes biographiques

Monica Gather Thurler (Auteur) Isabelle Kolly Ottiger (Auteur) Philippe Losego (Auteur) Olivier Maulini (Auteur)

Monica Gather Thurler est professeure associée retraitée et membre fondatrice du Laboratoire Innovation Formation Education (LIFE) à l’Université de Genève. Isabelle Kolly Ottiger est professeure et responsable des programmes de formation postgrade en direction d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires à la Haute Ecole de travail social de Genève. Philippe Losego est professeur et responsable du groupe de recherche sociologique sur le travail à l’école à la Haute Ecole Pédagogique du Canton de Vaud. Olivier Maulini est professeur associé dans le domaine de l’analyse du métier d’enseignant et responsable du Laboratoire Innovation Formation Education (LIFE) à l’Université de Genève.

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