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Les pouvoirs de la littérature de jeunesse

de Kodjo Attikpoé (Éditeur de volume)
©2018 Collections 228 Pages

Résumé

Ce volume explore la double question des pouvoirs de la littérature de jeunesse et de ses modalités formelles. Pourquoi parler ici de pouvoirs au pluriel de cette littérature? Car l’on a très souvent tendance à la réduire à sa vocation pédagogique en vertu de laquelle elle continue de faire l’objet de diverses manipulations. Certes, toute littérature, qu’elle soit adressée aux adultes ou au jeune public, remplit la fonction de plaire et d’instruire. Toutefois, en ce qui concerne la littérature de jeunesse, l’aspect didactique est mal compris, ce qui donne lieu à une vision excessivement simplificatrice de cette production.
Cet ouvrage s’attache à montrer que la fonction instructive de l’œuvre pour la jeunesse, à l’instar de la littérature générale, se manifeste sous des formes complexes et variées: méditations sur l’existence humaine, engagement, projet axiologique, constructions mémorielles, ambition thérapeutique, renouvellement des procédés esthétiques.

Table des matières

  • Cover
  • Title
  • Copyright
  • Sommaire
  • Introduction
  • Références bibliographiques
  • Première partie
  • Miroir ou arme de persuasion : que peut la littérature jeunesse ?
  • La littérature jeunesse, miroir de la réalité ?
  • Des thèmes socioréalistes incroyablement diversifiés
  • Grossir et simplifier pour montrer
  • La littérature jeunesse, arme de persuasion ?
  • L’écrivain engagé vise des cibles
  • Une expérience de mise à distance
  • Une œuvre dont l’auteur est engagé
  • L’engagement du lecteur et la nécessité d’une médiation
  • Première condition : l’engagement du jeune lecteur
  • Seconde condition : la nécessité d’une médiation
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Murs, frontières, limites : regards sur la migration dans le théâtre francophone pour la jeunesse
  • Critiquer le modèle des aînés et réorganiser la société
  • Se libérer du poids des origines : un cheminement introspectif
  • Cultiver l’espoir et grandir malgré tout
  • Références bibliographiques
  • Pouvoirs de la fiction, pouvoir des filles dans la littérature de jeunesse
  • La réhabilitation des figures féminines historiques
  • Des filles aventurières et exploratrices
  • Des exploratrices en mouvement
  • Des exploits en images
  • Des figures tutélaires émancipatrices
  • Des filles maghrébines qui cherchent leur place dans la société
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Images de l’injustice et de la révolte dans Haïti chérie et À la courbe du Joliba de Maryse Condé
  • Des univers narratifs réalistes
  • Haïti chérie : une tragédie moderne
  • À la courbe du Joliba : la joie et la terreur
  • Vérité, fiction et silence
  • Bibliographie
  • Penser les rapports humains : la littérature de jeunesse africaine comme projet axiologique
  • La méchanceté : l’interrogation enfantine
  • L’enfant en proie à la méchanceté des adultes
  • Perspectives déconstructionnelles
  • Conclusion
  • Références bibliographiques
  • Deuxième partie
  • « À cinq heures du matin… » Représentations de la crise d’Octobre dans les romans québécois pour la jeunesse
  • La crise d’Octobre
  • La mise en fiction de la crise d’Octobre
  • Temps de l’histoire
  • Le destin commun des personnages : vers la parole
  • User de la parole, comment, pourquoi
  • Bibliographie
  • La figure de l’enfant dans les récits de guerre
  • Sale guerre ou guerre juste ?
  • Il était une fois un enfant soldat
  • L’enfant victime
  • Ni victime ni bourreau
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • La chair ingénue : manipuler l’enfant et son image durant la Grande Guerre. L’exemple particulier des atrocités allemandes en France**Cette contribution a déjà fait l’objet d’une publication : voir Thaïs Bihour, « La chair ingénue: manipuler l’enfant et son image durant la Grande Guerre », Voix plurielles, Association des Professeur-e-s de Français des Universités et Collèges Canadiens (APFUCC), volume 13, n°1, avril 2016, [En ligne], disponible sur : https://brock.scholarsportal.info/journals/voixplurielles/article/view/1368.
  • Un climat propice à distiller la haine : le rôle de l’École dans la diffusion de l’Allemand comme ennemi héréditaire
  • Insinuer la haine de l’ennemi dès le plus jeune âge : l’impact de la presse enfantine illustrée
  • Bibliographie
  • Les Hunger Games : la guerre juste ou la moralité d’une guerre immorale
  • Gale : la fin justifie les moyens
  • Coin et la gouvernance du District 13
  • Boggs, le guerrier moral
  • Bibliographie
  • Troisième partie
  • Christian Bruel et le pouvoir d’éveiller : l’exemple de la réception de Toujours devant
  • Chatouiller ou bousculer le lecteur ?
  • Quels changements ?
  • Toujours devant, une non-histoire
  • Toujours devant : une fusée à trois étages de signification
  • Réception de l’album par des élèves de CM2 et CP
  • Protocole de recherche et dispositifs didactiques choisis
  • Les personnages
  • L’histoire
  • Un défi esthétique et artistique : « la responsabilité de la forme »
  • La compréhension des valeurs en jeu
  • La compétition et le jeu
  • La question du bonheur
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Culture générale et formation intellectuelle et identitaire dans les magazines arabophones destinés aux enfants et aux jeunes
  • Aspects formels et thématiques de la sphère de la culture générale
  • Conception, fonctions et fonctionnement de la sphère de la culture générale
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Les pouvoirs de la traduction de la littérature de jeunesse : une étude sur la restitution des rapports parents-enfants dans les traductions chinoises de La Belle au bois dormant (1915-2013)
  • Les rapports parents-enfants chez Perrault : l’amour parental marqué par les us et coutumes à la cour royale
  • La figure des parents
  • La représentation de l’enfant
  • La traduction de Sun : une sinisation complète
  • La traduction de Ni et de Wang : vers une traduction éthique
  • La traduction de Lin : une « infantilisation » du classique
  • Remarques conclusives
  • Bibliographie
  • Les auteurs

Kodjo Attikpoé

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Introduction

Alors qu’elle est « partie intégrante de la Littérature1 », la littérature de jeunesse est souvent reléguée aux marges de l’institution littéraire, notamment à cause de son instrumentalisation excessive à des fins utilitaristes. La mise à l’écart repose sans doute aussi sur une mésinterprétation des ambitions esthétiques de cette littérature, comme cela transparaît dans cette affirmation de Nicholas Tucker : « Je crois qu’il existe des différences intrinsèques entre les meilleurs livres destinés aux enfants et ceux écrits pour les adultes, et la littérature de jeunesse ne pourrait jamais être une œuvre d’art appartenant à la même ligue que, par exemple, Tolstoï, George Eliot ou Dickens2 ».

Pourquoi ce volume sur les pouvoirs de la littérature de jeunesse ? Beaucoup ont souvent tendance à réduire cette littérature à sa veine pédagogique en vertu de laquelle elle continue de faire l’objet de diverses manipulations, et c’est à juste titre que François Paré fait remarquer que l’œuvre pour la jeunesse « forme donc, dans l’institution littéraire, une enclave ouvertement idéologique3 ».

L’utilitarisme, qui porte préjudice à la littérature de jeunesse et en pervertit la perception, est stigmatisé par des critiques avisés. Par exemple, Paul Hazard voit dans cette instrumentalisation l’oppression des enfants, qui consiste à « multiplier les livres indigestes et faux4 » à leur intention. Dénonçant vivement ainsi cette déformation des jeunes âmes5 par des lectures insipides, Hazard insiste sur les ambitions esthétiques de la littérature de jeunesse, en faisant remarquer que le jeune lecteur aussi est réceptif au plaisir du texte.

Faut-il rappeler que la littérature pour adultes remplit aussi des fonctions pédagogiques ? Dans sa leçon inaugurale au Collège de France La littérature, pour quoi faire ?6, Antoine Compagnon mentionne sa double fonction : « La ←7 | 8→littérature plaît et instruit7 ». Ici, sous le vocable « instruire » se subsument les différentes articulations de la dimension pédagogique : « La littérature […] détient un pouvoir moral8 ». À la suite de Jean-Paul Sartre, Compagnon note que la littérature remplit la fonction de « contester la soumission au pouvoir9 », ou de construire aussi une poétique des valeurs. Dans ce sens, on peut faire un parallèle avec la littérature de jeunesse, qui s’emploie aussi à contester, par exemple, la domination et l’oppression des enfants par les adultes, comme en témoigne son courant antiautoritaire dont le personnage de Fifi Brindacier10 est l’étendard.

Par ailleurs, la question relative à la dimension instructive de la littérature générale est plutôt abordée en termes d’engagement sartrien11, de « rôle de l’écrivain12 » ou simplement de pouvoir, comme l’illustrent les titres tels que Que peut la littérature ?13, Ce que peut la littérature14, La littérature, pour quoi faire ?15, Que peut (encore) la littérature ?16 Mais il convient de constater que la littérature de jeunesse est tout aussi engagée17. Si la question de l’utilité de la littérature générale semble se poser de nos jours, c’est surtout parce que le monde est soumis à d’incessantes mutations d’envergure. Antoine Compagnon s’interroge donc à juste titre : « Or, au cours de l’histoire, plusieurs définitions remarquables ont été données du pouvoir de la littérature – de son utilité et de sa pertinence. Ces définitions sont-elles encore recevables ?18 » Il ajoute : « Quelles valeurs la littérature peut-elle créer et transmettre dans le monde actuel ? Quelle place doit être la sienne ←8 | 9→dans l’espace public ? Est-elle profitable dans la vie ? Pourquoi défendre sa présence à l’école ? Une réflexion franche sur les usages et le pouvoir de la littérature me semble urgente à mener19 ». Ces diverses interrogations, qui sont soulevées dans le contexte français, se posent peut-être ailleurs en termes semblables.

Qu’en est-il de la littérature de jeunesse ? Comme le souligne Compagnon, elle n’est pas en crise : en France, la littérature destinée aux enfants « ne se porte pas mal », et la « littérature pour la jeunesse [est] plus attrayante qu’auparavant20 ». Au-delà de cette vitalité, toute question relative à son pouvoir d’instruire, de transmettre des valeurs, exige également une contextualisation dans la mesure où la littérature de jeunesse apparaît comme un espace d’articulation de tensions axiologiques et idéologiques, qui se manifestent, par exemple, lors des processus de transferts culturels tels que la traduction et la réception. Cependant, parmi les différents pouvoirs de cette littérature, il en est qui semblent revêtir un caractère universel, par exemple, l’initiation au plaisir du texte21. Il s’agit là d’un pouvoir fondamental, grâce auquel on peut « habituer les enfants à considérer le livre comme insérable de leur vie22 ». Il n’est pas ici question de considérer la lecture comme un exercice vital ou comme une pratique sacro-sainte, mais plutôt d’inculquer à l’enfant la conscience de la lumière des livres. Cette éducation littéraire de l’enfant doit d’abord passer par la prise en compte de la dimension artistique de l’œuvre.

Mais quelle est la portée de cette dimension esthétique ? Qu’est-ce qu’un bon texte pour la jeunesse, du point de vue esthétique? Dans son essai déjà cité Les livres, les enfants et les hommes, Paul Hazard avait énoncé sous ce rapport des idées susceptibles d’être théorisées :

J’aime les livres qui restent fidèles à l’essence même de l’art, c’est-à-dire qui proposent aux enfants un mode de connaissance intuitif et direct, une beauté simple capable d’être immédiatement perçue […].

Et les livres qui éveillent en eux non pas la sensiblerie, mais la sensibilité ; qui les fassent participer aux grands sentiments humains ; qui leur donnent le respect de la vie universelle, celle des animaux, celle des plantes […].

J’aime les livres, enfin, qui contiennent une moralité profonde ; non pas ce genre de moralité qui consiste à se croire un héros parce qu’on a donné deux sous à un pauvre, ou qui appelle qualités les défauts particuliers à un temps, à une nation […] non pas cette moralité qui ne demande aucune adhésion intime, aucun effort personnel, et qui n’est qu’une règle imposée bon gré, mal gré, par les plus forts23.

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Au-delà de la recherche de la beauté artistique, la production littéraire pour la jeunesse, tout comme la littérature générale, demeure un document d’époque, et participe, depuis longtemps, à l’histoire des mentalités et à l’évolution des idées24.

Le présent volume est le fruit de l’atelier « Les pouvoirs de la littérature de jeunesse », organisé durant le colloque de l’Association des Professeur.e.s de français des Universités et Collèges canadiens (APFUCC), qui s’est déroulé du 31 mai au 3 juin 2015 à l’Université d’Ottawa dans le cadre du Congrès de la Fédération canadienne des sciences humaines. Il se divise en trois parties. La première regroupe une série d’articles qui s’attachent à explorer le labyrinthe du social dans la fiction pour la jeunesse. Dans son article « Littérature de jeunesse, miroir ou arme de persuasion, que peut la littérature jeunesse ? », Monique Noël-Gaudreault examine les fonctions « socioréaliste » et « incitative » de la production littéraire destinée aux jeunes lecteurs. Elle montre que, d’une part, la littérature de jeunesse interroge, à travers des sujets très diversifiés, les réalités existentielles, y compris les plus douloureuses, des lecteurs visés. Par un « parti-pris de mimésis, d’effet-miroir », les auteurs visent à la « construction du sujet préadolescent et adolescent ». D’autre part, elle souligne qu’elle est investie d’une « mission de dessillement », cherchant à ouvrir les yeux du lecteur sur la marche du monde. Aussi la littérature de jeunesse devient-elle une « arme au service de la vérité » et un « outil de connaissance sensible ».

Dans sa contribution « Murs, frontières, limites : regards sur la migration dans le théâtre francophone pour la jeunesse », Laurianne Perzo montre comment l’écriture dramatique s’évertue à éveiller le lecteur aux différentes situations conflictuelles qu’entraîne la question de la mobilité et de la traversée des frontières, un sujet intemporel et d’actualité brûlante. Le théâtre veut amener les enfants à s’impliquer dans un monde où « ils ont un rôle à jouer dès l’enfance ». Laurianne Perzo fait ressortir aussi comment les auteurs dramaturges conjuguent « engagement éthique et esthétique ».

L’engagement se traduit aussi par la construction de personnages enfants forts, qui bousculent l’ordre établi en militant en faveur de nouvelles valeurs. C’est ainsi qu’Anne Schneider, dans son étude, met particulièrement en relief le pouvoir des filles dans la littérature de jeunesse. Après avoir rappelé que de nombreux ouvrages de jeunesse mettent en scène des « héroïnes féminines audacieuses », elle analyse quelques types de ces figures : d’abord les « figures féminines à ←10 | 11→valeur historique » faisant office « d’exemplum », ensuite des filles aventurières et exploratrices, et enfin des filles maghrébines. Toutes ces héroïnes ont en commun d’être des « modèles identificatoires » au même titre que les garçons.

Toutefois, il est aussi des auteurs qui font le choix de mettre en scène des personnages féminins moins aguerris devant l’adversité et la brutalité de leur société. C’est ainsi qu’Adeline Caute se penche sur les thèmes de l’injustice et de la révolte dans les romans Haïti chérie et À la courbe du Joliba de Maryse Condé. Elle conclut que cette auteure, en décrivant ces personnages féminins vivant sous l’oppression, « tend à ses lectrices le miroir d’un ordre moralement injuste auquel elles peuvent choisir de s’opposer, mais où le succès n’est jamais garanti ».

Dans mon article « Penser les rapports humains : la littérature de jeunesse africaine comme projet axiologique », je note que la littérature destinée aux jeunes fonctionne aussi comme espace d’observations et de réflexions sur la sempiternelle question du Bien et du Mal. En m’appuyant, entre autres, sur les travaux de Vladimir Jankélévitch (1986) et d’Emmanuel Levinas (1972), je m’attache à montrer comment la littérature de jeunesse africaine met en place une poétique des valeurs et invite le lecteur à un nouvel humanisme.

La deuxième partie du collectif aborde les représentations de la violence. Il est nécessaire de préserver l’homme de l’oubli. Ainsi, la littérature de jeunesse, dans son souci d’instruire le lecteur, s’intéresse également aux évènements passés. Johanne Prud’homme se concentre sur la représentation de la Crise d’octobre 1970 dans les romans québécois pour la jeunesse. Écrire l’Histoire par la fiction suscite des interrogations qui se révèlent plus complexes quand il s’agit de la littérature de jeunesse : « Quelle Histoire la fiction romanesque donne-t-elle à lire aux enfants ? Raconter l’Histoire, inévitablement, implique un processus de sélection et de reconstruction. Quels sont les faits historiques représentés ? Comment le sont-ils ? Que dit et que tait le roman ? » Et c’est à l’aune de telles questions que Johanne Prud’homme analyse les romans québécois pour la jeunesse consacrés à cet évènement marquant de l’histoire du Québec : La nuit des cent pas (2009) de Josée Ouimet, Mesures de guerre (2010) de André Marois, 21 jours en octobre (2010) de Magali Favre.

La guerre est-elle un mal inévitable ? Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? Peut-on parler de guerre juste ? Le thème de la guerre est fortement présent dans la littérature de jeunesse, qu’il s’agisse des guerres passées ou contemporaines. Et l’enfant, en tant qu’acteur de la société, y est impliqué de diverses manières. En se basant sur un corpus composé de trois romans africains pour adultes25 et de trois ←11 | 12→ouvrages pour la jeunesse, Josias Semujanga étudie la figure de l’enfant dans les récits de guerre. Mais d’abord, il soulève des interrogations à propos des raisons de faire raconter des guerres sales par un personnage enfant dans un roman qui, par essence, représente une « connaissance vaste du monde ». Autrement dit, l’enfant est-il un narrateur compétent ?

Dans la même veine, l’article de Thais Bihour nous ramène dans le passé en montrant comment l’enfant a été mis à contribution dans la Grande Guerre. L’enfant et son image sont manipulés afin de lui inculquer une haine viscérale de l’ennemi, notamment les Allemands. L’école, mais surtout les diverses parutions illustrées pour la jeunesse sont utilisées pour mettre en exergue « les atrocités allemandes », une thématique abondamment répandue dans la presse française. Bihour examine les divers procédés employés pour amener les enfants à s’approprier les « concepts patriotiques et guerriers qui, en fait, sont loin de leurs préoccupations ». Du point de vue français, l’implication de l’enfant dans cette guerre est tout à fait justifiée, car elle est mise au service d’une cause patriotique.

La notion de guerre juste est également au cœur de l’article d’Anne Sechin et Antoine Cantin-Brault qui analysent la trilogie Hunger Games de Suzanne Collins. Ils font remarquer que l’œuvre soulève des questions relatives à « l’éthique de la guerre », entendue non pas comme une « volonté de justifier la guerre moralement », mais comme formule servant à trouver des éléments qui permettraient d’en juger moralement : « Quelles situations justifient un départ en guerre ? Quels sont, en situation de guerre, les comportements éthiques qu’il faut adopter ? Ou au contraire, la guerre, de par son immoralité foncière, autorise-t-elle à une suspension totale de tous les comportements moraux ? » Cette analyse montre que ces diverses questions se posent, dans toute leur complexité, tout au long de cette trilogie, que ce soit par le biais des intrigues ou des personnages.

La dernière partie du volume comprend des articles qui jettent un nouvel éclairage sur certaines fonctions de la littérature de jeunesse, mais aussi sur ses enjeux formels. Comme on le sait, cette littérature est à même d’éveiller l’enfant aux réalités du monde. C’est à ce pouvoir que s’intéresse l’article d’Anne-Marie Mercier-Faivre et Michèle Lusetti, mais sous l’angle de la réception, en analysant l’album Toujours devant de Christian Bruel. Rappelant d’abord la perspective sartrienne selon laquelle le pouvoir de la littérature réside dans ses renouvellements formels et aussi dans la beauté du langage, et partant ensuite du constat selon lequel la littérature de jeunesse s’inscrit également dans cette ←12 | 13→dynamique d’innovations formelles, les auteures posent la question de savoir si l’enfant est en mesure de déchiffrer les formes esthétiques de cet album, « exigeant sur le plan formel », présentant « un dispositif énonciatif et graphique qui en rend la lecture ardue, y compris pour des adultes ». C’est à cette question que tente de répondre leur analyse basée sur une enquête sur la réception de cet album, enquête effectuée auprès des élèves âgés de 6 à 10 ans en France.

La contribution « Culture générale et formation intellectuelle et identitaire dans les magazines arabophones destinés aux enfants et aux jeunes » de Khalid Rizk examine les divers objectifs assignés à ces magazines. L’auteur jette un regard critique sur leurs enjeux culturels, identitaires et éducatifs en relevant les faiblesses et les limites de leur ligne éditoriale trop généralisante.

Si la littérature de jeunesse déploie de multiples pouvoirs, force est de constater qu’elle est aussi soumise à certaines forces, qui entrent en jeu, par exemple, lors du processus de traduction, qui n’est pas un « simple transfert linguistique », mais une réécriture dans bien des cas. C’est sur ce phénomène que se penche Wen Zhang dans son article « Les pouvoirs de la traduction de la littérature de jeunesse : une étude sur la restitution des rapports parents-enfants dans les traductions chinoises de La Belle au bois dormant (1915-2013) ». Pour ce faire, elle analyse trois différentes versions – Sun (1915), Ni et Wang (1981), Lin (2013) – de la traduction chinoise en mettant en évidence l’influence de facteurs idéologiques, littéraires et économiques sur ces diverses traductions.

Dans sa conférence inaugurale déjà citée, Antoine Compagnon se demande : « La littérature est-elle indispensable, ou bien est-elle remplaçable ?26 » Ces questions sont loin de se poser à la littérature de jeunesse qui, au-delà de sa vitalité et de sa force éditoriale hautement rentable, recèle un pouvoir fondateur, celui de servir à jeter les bases de l’exercice de la pensée. Les études composant ce volume mettent en évidence le fait que la fonction d’instruire – sans parler de l’ambition esthétique – de la production littéraire destinée à la jeunesse se manifeste de diverses manières, à une échelle beaucoup plus complexe, à l’instar de la littérature générale.

Références bibliographiques

Attikpoé, Kodjo, « Didactisme ou engagement littéraire ? La critique sociale dans la littérature enfantine en Afrique », dans Fernando Azevedo et al. (ed), ←13 | 14→Imaginaro, Identidades e Margens, Estudos em torno da Literatura Infanto-Juvenil, Serzedo V.N. Gaia, 2007, 457–466.

Audeguy, Stéphane et Forest, Philippe (dir.), Que peut (encore) la littérature ? (La Nouvelle Revue Française), no 609, septembre 2014.

Bebey, Kidi, « Que raconte la fiction africaine aux ados ? », http://takamtikou.bnf.fr/dossiers/dossier-2016-la-belle-histoire-de-la-litt-rature-africaine-pour-la-jeunesse-2000-2015/que-r, consulté le 21 août 2017.

Benert, Britta et Clermont, Philippe, Contre l’innocence. Esthétique de l’engagement en littérature de jeunesse, Frankfurt/Main, Peter Lang, 2011.

Camus, Albert, Discours de Suède, Paris, Gallimard, 1958.

Compagnon, Antoine, La littérature, pour quoi faire ?, Paris, Collège de France/Fayard, 2007.

Escarpit, Denise, La littérature de jeunesse. Itinéraires, d’hier à aujourd’hui, Paris, Magnard, 2008.

Résumé des informations

Pages
228
Année
2018
ISBN (PDF)
9783631772935
ISBN (ePUB)
9783631772942
ISBN (MOBI)
9783631772959
ISBN (Relié)
9783631768570
Langue
français
Date de parution
2019 (Mars)
Mots clés
Discours social Engagement littéraire Projet axiologique Transmission Réception Enjeux formels
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien. 2018. 228 p., 8 b/w tab.

Notes biographiques

Kodjo Attikpoé (Éditeur de volume)

Kodjo Attikpoé est professeur au Department of Modern Languages, Literatures and Cultures de la Memorial University of Newfoundland (Canada). Ses recherches portent sur la littérature de jeunesse et les littératures francophones.

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