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Gautier, au carrefour de l’âme romantique et décadente

de Mercedes Montoro Araque (Auteur)
©2018 Monographies XVIII, 380 Pages

Résumé

Interpréter l’œuvre d’un auteur comme Théophile Gautier s’avère certes, une tâche ardue, car les travaux critiques sur lui se sont multipliés au fil des années. Or la question, « romantique ou décadent ? » concernant le « gilet rouge », a-t-elle réellement été posée, auparavant ?
L’auteur de l’Histoire du romantisme est le point de départ ici, d’une minutieuse étude inscrite dans la perspective « mythodologique » durandienne, jamais réalisée auparavant. Ceci permet dans un premier temps, l’arpentage de l’imaginaire gautiériste, sous l’optique de la mythocritique ; l’ouvrage vise ensuite, à souligner, son appartenance symbolique aux bassins sémantiques romantique et décadent, contribuant, par cette approche mythanalytique, non seulement à ponctuer l’idée durandienne de dominance et de récession cycliques des mythes dans la culture, mais aussi, à soulever des réflexions —très actuelles !— autour de cette dimension humaine particulière qu’est la fonction imaginante. Double analyse qui se voit d’emblée, enrichie et élargie avec un vaste appareil « mythodologique » —notamment, grâce au dialogue avec Blanca Solares— sur les complexes rapports entre mythocritique, mythanalyse, anthropologie et littérature comparée pour la période qui nous concerne.
Par cette ouverture épistémologique permettant une interdisciplinarité, par cette praxis mythocritique et mythanalytique, l’ouvrage offre une fine, savoureuse et « durandienne » lecture de l’oeuvre gautiériste dans un carrefour où le verbe et l’image, le dire et le voir, l’art, le texte et le mythe en définitive, s’entrecroisent librement au gré des flots culturels du XIXe siècle.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Advance Praise for Gautier, au carrefour de l’âme romantique et décadente
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Sommaire
  • Préface par Jean-Jacques Wunenburger
  • Introduction : Une « chambre du milieu » pour lire Gautier
  • Première Partie : Parlons « mythodologie »
  • 1. Mythodologie-s durandiennes ou la « passion herméneutique » du sapiens
  • D’hier à aujourd’hui : « pas à pas mythocritique »-s…
  • « Tigrure »-s épistémologique-s? Avenir-s imago-centriques…
  • Notes
  • Bibliographie
  • 2. De la littérature comparée à la « mythocritique ». Perspectives d’avenir pluridisciplinaires
  • Entretien avec l’anthropologue durandienne, Blanca Solares
  • Notes
  • Bibliographie
  • Deuxième Partie : L’imaginaire gautiériste, cette « forêt de symboles »
  • Redondances et constellations d’images
  • 3. Etre et paraître : miroitements, doubles, regards croisés
  • Miroir, mon beau miroir…
  • Doubles, ces figures de l’homogène ?
  • Voir, c’est avoir…
  • Notes
  • Bibliographie
  • 4. Connaître et renaître
  • Héroïsations, métaphysique d’un révolté, co-naissance au sacré
  • Notes
  • Bibliographie
  • 5. « Remuer les cendres » et devenir
  • Ces quelques roues du temps sorties de leur ornière
  • Notes
  • Bibliographie
  • Ces noms émergeant…
  • 6. Infiltrations et résistances du mythe…
  • Cette « présence autre » dite mythique
  • Notes
  • Bibliographie
  • Vers le « complexe personnel »
  • 7. Horizons mythodologiques
  • Des échos décadents ?
  • Notes
  • Bibliographie
  • Troisième Partie : Prolégomènes à une mythanalyse
  • 8. À la croisée des fleuves romantique et décadent…
  • Des ruissellements aux deltas
  • Notes
  • Bibliographie
  • 9. Des philosophies de l’occulte ? Prométhée, Dionysos, et l’art d’Hermès
  • Grand-Œuvre et Hermès Trimégistre chez un « parfait magicien »
  • Perversités fatales au féminin ? L’œuvre au noir
  • De quelques « irrégularités sexuelles » : de l’amour-fusion aux androgynéité-s dans l’œuvre au blanc
  • Notes
  • Bibliographie
  • 10. Seule religion, l’Art : refuge de pierre, refuge de mots
  • De la “théorie de l’art pour l’art” à une “théorie de la décadence” : “Divine Tragédie”, subversion et déclin
  • L’Unité dans l’art. Du « nunc fluens » au « nunc stans »
  • Notes
  • Bibliographie
  • Conclusion
  • Index
  • Titres de la collection

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Préface

Le présent essai sur Théophile Gautier prendra place dans la riche exégèse de cet auteur, trop méconnu, protéiforme et même inclassable, qui synthétise portant une singulière créativité du milieu du 19 siècle européen.

Ecrit à la première personne, mais doté d’un riche et précis appareil de notes critiques, le livre de Mercedes Montoro nous entraîne dans le corpus des nouvelles et des écrits esthétiques de Gautier, convoquant les personnages, les histoires, les mythes, les hypotextes, les références historiques, la galerie picturale personnelle de l’auteur, en mettant au service de leur intelligence, une fine sensibilité, une vaste culture et un exigeant souci théorique herméneutique.

La nouveauté et la force du livre viennent de ce que l’interprétation des textes littéraires est sous-tendue par un paradigme fort, celui de la “mythodologie” de Gilbert Durand. Affilié aux écoles de Gaston Bachelard et de Carl-Gustav Jung, Gilbert Durand a, dès les “Structures anthropologiques de l’imaginaire” (réédité chez Dunod, 12ème édition, Paris, 2016), en 1960, mis en place un modèle structural, celui d’un “structuralisme figuratif” (qu’il voulait plus riche que celui de la sémiotique issue de la linguistique formelle), de décryptage des œuvres de l’imagination, incluant les mythes et les représentations religieuses, et surtout les créations artistiques (peinture, littérature, musique). ← xiii | xiv →

L’imaginaire d’un créateur n’est plus seulement éclairé par une sorte de génie personnel (“ingenium”), ni comme une sorte de reflet de déterminants culturels et historiques (école déterministe qui a longtemps mis l’art sous la dépendance du sociologique). L’imaginaire constitue un monde propre, doté de consistance et de cohérence, combinant narrativement (“sermo mythicus”) un ensemble transcendantal de symboles, archétypes, schèmes (inscrits dans un soubassement corporel) qui peuvent être configurés selon deux régimes (nocturne unifiant et diurne, divisé) et 3 structures (mystique, diaïrétique et synthétique). Pour les œuvres langagières, ces structures figuratives bénéficient d’opérateurs grammaticaux que sont les verbes, noms et adjectifs épithètes.

Une fois identifiés et systématisés ces entités et leurs constructions ternaires possibles, Durand rénove la psychologie de la création par une “mythocritique” qui interprète l’universel psychique des images du créateur à partir de configurations redondantes voire obsédantes de son œuvre. Plus tard, Durand achève son programme anthropologique d’étude de l’imaginaire en complétant la “mythocritique” par une “mythanalyse” qui inscrit le mythe personnel de l’œuvre dans un imaginaire collectif, en une époque et une aire géo-culturelle donnée. Si le structuralisme figuratif a valorisé d’abord l’espace synchronique des images, la “mythanalyse” va réintroduire la dimension diachronique en situant une œuvre dans un englobant historique, qui se trouve lui-même ordonné par des cycles de variations (de 150 ans) qui font alterner des figures mytho-psychologiques de référence (Prométhée, Dionysos, Hermès, etc.). Ainsi Durand a-t-il mis à la disposition des chercheurs de l’imaginaire un outil herméneutique complet, statique et dynamique, synchronique et diachronique, qui éclaire chaque œuvre comme une réalisation “typique”, le type s’inscrivant à égale distante de l’universalité des langages et codes symboliques, et de la particularité existentielle et esthétique d’une œuvre.

En s’inscrivant dans le sillage de l’école de Grenoble, qui s’est développée autour de Durand à travers une pléiade internationale de chercheurs, Mercedes Montoro nous livre un véritable travail d’expérimentation et d’application du paradigme anthropologique du maître. Si l’auteur maîtrise avec brio la critique littéraire de Gautier (avec une affinité particulière avec Marcel Voisin), si elle sait faire consonner avec son maître tous les compagnons de route (Pierre Brunel, Yves Durand, André Siganos, Françoise Bonardel, etc.), élèves et actuels continuateurs qui ne cessent d’ouvrir et d’enrichir l’héritage durandien, c’est bien l’arsenal conceptuel, méthodologique et épistémologique de Durand qu’elle illustre, rend opératoire et confirme. ← xiv | xv →

Après un rappel des acquis durandiens (chapitre 1), soutenue par le commentaire éclairant de Blanca Solares (chapitre 2), elle reprend d’abord le projet “mythocritique”, pour trouver dans l’œuvre de Gautier les trois structures, scandées par l’analyse de verbes, noms et épithètes: une structure nocturne, intimiste (chapitres 3 à 7), avec de belles analyses des thèmes du miroir et du masque ; une structure diaïrétique, inséparable d’un imaginaire ascensionnel et héroïque, à dimension individuante et initiatrice ; et une structure synthétique où les mythèmes sont traités selon les règles symboliques des cycles et rythmes.

L’approche du chapitre 6 permet de mettre en évidence, dans le sillage de Durand et ses études postérieures aux Structures anthropologiques de l’imaginaire, combien les personnages mythologiques donnent lieu à des recréations (ce que nous avons appelé une “mythophorie”) faites de “dérivation” et d’“usure” (un bel exemple, parmi d’autres, est développé à propos de la métamorphose du mythe de la Toison d’or), ouvrant ainsi un espace de variations des matrices mythiques ; il reste alors à faire émerger (chapitre 7), objectif revendiqué de la “mythocritique” chez les auteurs affilés à ce projet herméneutique, un complexe personnel, qui est l’expression d’une subjectivité hantée par le temps et la mort et qui projette dans son monde imaginaire propre les affects primaires et secondaires de son individualité.

Mais si beaucoup —trop— d’études littéraires s’arrêtent souvent à cet exercice, oubliant la seconde partie de l’œuvre de Durand, Mercedes Montoro s’empare bien, dans sa troisième partie, du projet “mythodologique” en donnant toute sa place à la “mythanalyse” (Chapitres 8 et 9). L’imaginaire déjà déployé gagne ainsi une profondeur supplémentaire en prenant place dans la culture du milieu du XIXème siècle, en une époque charnière entre romantisme et décadentisme. Elle reconstitue ainsi le fond culturel (peinture et musique) qui inspire l’imaginaire de Gautier dans son époque et en un lieu, la France, en suivant la métaphore paradigmatique durandienne, comparant l’évolution de l’imaginaire à un fleuve avec ses différences morphologiques de flux, allant de la source au delta.

Mercedes Montoro dresse alors un tableau érudit et complet de la culture romantique (Gautier était ami, entre autres, de Nerval et Baudelaire) en restituant les forces dominantes et récessives, pour saisir l’œuvre de Gautier comme un passage, cherchant à exprimer une sorte de “coïncidentia oppositorum” (entre classicisme et romantisme, entre romantisme et décadentisme). L’œuvre apparaît ainsi comme traversée par un retour du mythe hermésien, alchimique, païen, qu’illustre la très belle étude sur le féminin, son ambivalence (vierge et putain, Femme essentielle et femme fatale), aidée en cela par les éclairages jungiens d’un Pierre Solié. De la monographie classique le livre ouvre alors sur un panorama ← xv | xvi → des grandes figures symboliques du masculin et du féminin, de l’“animus” et de l’“anima” dans la culture contemporaine du siècle.

Mais le but ultime de la méthodologie durandienne n’est pas de dissoudre l’œuvre dans un langage combinatoire de symboles au détriment de son esthétique personnelle (Durand a consacré de nombreux textes à l’esthétique). Mercedes Montoro aborde, dans un chapitre 10 essentiel, la philosophie personnelle de Gautier, qui est inséparable d’une esthétique de la beauté et de l’art pour l’art. Reprenant les questions de stylistique, de la place du mythe de Pygmalion inversé (figure qui anime l’inerte et qui pétrifie le vivant), développant la galerie personnelle de tableaux réinsérés dans l’œuvre (avec une très précieuse étude du peintre Chenavard), qui nourrit par le pinceau la créativité de l’écriture, Mercedes Montoro restitue chez Gautier une esthétique de l’imaginaire, adonnée toute entière au culte salvateur de la beauté, révélant ainsi une sorte de religion de l’art, à laquelle Gautier à sacrifié toute sa créativité.

Ainsi cet essai étincelant d’intelligence et de cultures littéraire, historique et anthropologique, non seulement éclaire à nouveaux frais une grande œuvre, éclectique, syncrétique, mais fait de cette exégèse, à la manière durandienne, une sorte de manuel appliqué d’une école herméneutique qui fait de l’imaginaire un “monde” qui a ses lois propres, irréductibles aux autres apports des sciences humaines et sociales, mais qui porte aussi en lui une réponse esthétique et métaphysique à la question du sens de la vie, entendue comme euphémisation par l’art de l’angoisse devant le temps et la mort.

Jean-Jacques Wunenburger

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Introduction : Une « chambre du milieu » pour lire Gautier

« L’alchimie de la transmutation, de la transfiguration symbolique ne peut, en dernier ressort, s’effectuer que dans le creuset d’une liberté. Et la puissance poétique du symbole définit la liberté humaine mieux que ne le fait une quelconque spéculation philosophique » (Durand [1964] 1993 : 39).

Le présent ouvrage est avant tout, le fruit d’une conscience qui s’efforce de procéder dans “le creuset d’une liberté” offerte par le symbole, tout en professant un grand respect pour les travaux sur l’imaginaire que l’anthropologue savoyard, Gilbert Durand, a publiés dès 1960. Cette méthode, résumée et reprise en 1979 (vingt ans après la première formulation de son auteur) avec l’expression “structuralisme figuratif”, conçoit d’un côté, la « structure » en tant qu’élément dérivant « dans son dynamisme même » de la « position “ouverte” du symbole » ; et de l’autre, elle définie la “figure”, « le sens figuré » comme l’élément qui « distribue les structures » car, « c’est la signification qui oriente le signe. C’est le dynamisme de la lecture qui promeut l’écriture » (Durand [1979] 1992 : 89). ← 1 | 2 →

Or, pour bien cerner le bien-fondé du présent volume et dégager la problématique qui y sera exposée, quelques précisions sur le pourquoi du sujet et du choix de la méthode s’imposent. Je dirai, tout d’abord, que l’époque romantique, “cette époque tumultueuse”, conçue, « à l’analyse positiviste comme le moment du progrès majeur et du triomphe de l’extraversion conquérante de l’Occident » est « paradoxalement », et « en même temps », tel que le suggère l’anthropologue de l’imaginaire, un moment où “se creuse” déjà, « dans cette ascension irrésistible la caverne romantique de l’intimiste ». Par sa richesse donc, en “imaginaires antagonistes”, venant « compenser et charger de nostalgie, sinon de culpabilité, l’axiologie triomphante du monde nouveau émergeant de la Révolution française » (Durand [1979] 1992 : 244–245), l’époque romantique est une période plus que propice à l’étude mythodologique. En cernant, ensuite, l’œuvre du, soi-disant romantique “gilet rouge”, —dont la prédilection personnelle joue certes, un rôle non négligeable —, non seulement je délimite mon champ d’étude au sein d’une mythologie romantique, mais aussi ce choix, me permet-il d’appliquer une mythocritique, aboutissant sur une mythanalyse : l’œuvre de l’auteur de Tarbes contenant à mon avis, également, le germe de l’époque qui a suivi la sienne. Enfin, axer mon analyse d’une œuvre singulière et inclassable, comme celle de Gautier, à l’étude des mythes, à une mythocritique, se définissant, par son constant questionnement « sur le mythe primordial, tout imprégnée d’héritages culturels, qui vient intégrer les obsessions, ← 7 | 8 → et le mythe personnel lui-même » (Durand [1979] 1992 : 184), m’offre la possibilité, d’un côté, de rappeler au lecteur, l’essentiel de cette théorie anthropologique —dans un premier chapitre théorique— ; et de l’autre, de la mettre en pratique, grâce précisément, à la «prégnance du symbole et la mythologie du “verbe” humain» (Durand [1979] 1992 : 99). En définitive, en tant qu’outil pluridisciplinaire, cette méthode me permet de laisser flâner mon esprit parmi d’autres domaines des sciences humaines, et de ne pas cloisonner l’analyse de la littérature à un domaine strictement littéraire. Ce qui illustrerait, ou du moins je l’espère, le souhait largement manifesté comme étant le plus cher à son créateur, à savoir, celui de créer une « méthode de critique qui soit synthèse constructive entre les diverses critiques littéraires et artistiques, anciennes et nouvelles, qui jusqu’ici s’affrontaient stérilement » (Durand [1979] 1992 : 342).

Or, comment procéder plus concrètement, pour une application pragmatique de cette mythodologie à l’œuvre de Gautier ? Préalablement à “ma mythocritique”1 dans la deuxième partie de cet ouvrage —dont la première partie théorique exposera plus clairement mon positionnement— je vais délimiter ici, sommairement et en guise d’introduction, mon objet d’étude, pour mieux expliciter ma méthode et la terminologie du mythicien, à laquelle je souscrirai. Toute mythodologie ← 2 | 3 → sous-entend certes, l’étude du mythe, en tant qu’objet primordial d’étude, car elle focalise le processus compréhensif de l’œuvre « sur le récit mythique inhérent, comme Wesenschau, à la signification de tout récit » (Durand [1979] 1992 : 341–342). Malgré les controverses que l’utilisation du terme “mythe” a pu susciter à partir et au-delà de tous les ouvrages consacrés au problème de la nature et de la fonction du mythe, l’étude des mythes en littérature est à n’en plus douter, un des regards possibles, et par là, tout à fait légitime, qu’un critique littéraire peut porter sur l’œuvre à analyser : le sermo mythicus étant compris ici, en suivant l’anthropologue de l’imaginaire, comme le référent invariant permettant de comprendre une société, une culture, une époque et par conséquent, une œuvre. C’est donc, à un arpentage à la recherche du sermo mythicus que j’invite mon lecteur dans les pages qui suivent, tout en évitant de tourner le dos à « la poésie », à « “l’art” littéraire », et en définitive, à tous ces «langages de base de l’animal symbolicum» —«pictural, plastique, musical, dramaturgique, chorégraphique, rituel, mythique »— ignorés des méthodes strictement structuralistes et formelles des années 70 (Durand [1979] 1992 : 87). L’approche mythocritique de l’œuvre se fera ainsi tout d’abord, aux chapitres trois, quatre et cinq de ma deuxième partie, par « un relevé des “thèmes”, voire de motifs redondants, sinon “obsédants” qui constituent les synchronicités mythiques de l’œuvre » (Durand [1979] 1992 : 343). Suivra ensuite, au sixième chapitre, le « repérage des leçons différentes du mythe et des corrélations de telle leçon d’un mythe avec tels autres mythes d’un espace culturel bien déterminé ». Pour ce faire, je n’aurai pas toutefois, recours à l’utilisation « du type de traitement “à l’américaine” », tel que Gilbert Durand le préconise (Durand [1979] 1992 : 343). En revanche, j’appellerai dans un premier temps, à l’« émergence »2 du nom, laquelle me conduira ensuite, —au septième chapitre— au mythe « rayonnant » entre les lignes, « à l’arrangement et la sériation existentiels des images obsédantes », au « complexe personnel » de Gautier (Durand [1979] 1992 : 184). Le but de ce recours à une terminologie, dont la paternité revient au mythocriticien comparatiste Pierre Brunel (Brunel 1992), n’étant autre que de montrer combien les deux méthodes, loin de se confronter stérilement, peuvent s’avérer complémentaires.

Mais revenons au mythe et à son rapport particulier avec la littérature. Plusieurs ébauches taxinomiques ont été faites à propos de la nature du mythe et beaucoup d’encre a coulé, certes, sur le sujet. Philippe Sellier, dans son article Qu’est-ce qu’un mythe littéraire?, tentait de définir, dès 1984, le mythe littéraire par rapport au mythe ethno-religieux, en établissant cinq types différents de mythes, tous compris sous l’appellation « mythe littéraire ». Sans doute, est-ce un des problèmes essentiels de la mythocritique : doit-elle se limiter à l’étude du ← 3 | 4 → mythe en littérature ? Ne devrait-elle pas démolir toute frontière, d’un côté en évitant « la réclusion textualiste ou logocentrique de la littérature » (Walter 2011 : 50), et de l’autre, en exposant l’objet d’étude au crible de l’ensemble des sciences humaines3 ? Après s’être interrogé sur l’usage du même terme, “mythe”, « pour certaines productions des peuples sans écriture et pour les plus hautes réussites de la littérature », Philippe Sellier arrive à la conclusion suivante: la possibilité « d’un démenti partiel aux critiques de Claude Lévi-Strauss à l’encontre de la littérature comme charpie, comme bric-à-brac ou comme brocante par rapport à l’orfèvrerie mythique. Nous disposons —dit-il— déjà du diamant du poème. Il faudra certainement lui ajouter, comme quintessence de la littérature écrite, une organisation moins liée à l’instant, le mythe littéraire. Le mythe ethno-religieux n’aura pas légué sa perfection seulement à la musique: il subsiste du “mythe dans la littérature” » (Sellier 1984 : 113, 125–126). A la lumière d’une classification comme celle de Philippe Sellier, où la notion de mythe littéraire reste toutefois, vaste, vague, voire discutable4, la complexité du sujet s’avère patente. André Siganos a tenté d’élaborer quant à lui, une nouvelle classification des mythes, à partir de différents types de textes fondateurs. Il a opposé « mythe littérarisé » et « mythe littéraire », tenant compte de l’existence d’un texte fondateur non littéraire, dans le premier cas, et littéraire dans le second. Dans ce deuxième groupe de mythes, il a inclus et les mythes « type Œdipe, avec Œdipe Roi », et les mythes, « type Don Juan », c’est à dire, et les mythes relevant d’une création littéraire individuelle ancienne et ceux relevant d’une création littéraire individuelle récente (Siganos 1993 : 79). Soit. La précision pourrait être pertinente. Or, dans une analyse de l’œuvre de Gautier, une analyse où le mythe est« tout enrobé de littérature » (Brunel 1988 : 11) et vice versa, où l’œuvre littéraire nous parvient aussi, « tout imprégnée, et enrobée, aussi de mythe » (Chauvin 1993 : 57), la précision d’André Siganos me semble inutile : tout en faisant coïncider l’un des deux types de « mythes littéraires » avec la seconde catégorie sellierienne, à savoir celle « des mythes littéraires nouveau-nés » (Sellier 1984 : 116), la deuxième classification de Siganos, ne parvenant qu’à éclaircir, à mon avis, partiellement le monde flou sur lequel nous travaillons.

En définitive, outre le fait de révéler l’insolubilité du problème de sa définition, les différentes approches apportées par ethnologues, historiens de religions, anthropologues au fil du temps, ont insisté sur trois caractéristiques de la notion du mythe, soulignés depuis 1963 par Mircea Eliade: sa forme (il s’agit d’un récit), son fondement (une croyance religieuse), son rôle (expliquer l’état du monde). Il est évident aujourd’hui, comme le souligne fort bien Philippe Walter, «que le mythe (dans son extension ethnoreligieuse) est un phénomène universel » existant « pour toutes les civilisations de la terre » et appartenant « à toutes les époques » ← 4 | 5 → (Walter 2005 : 263). Sans trop m’y attarder, je soulignerai toutefois, avec André Siganos, que « le mythe “ethnoreligieux” (Sellier, 1984) a généralement été constitué comme une manifestation particulière de l’esprit humain, soit homologue au langage (Cassirer, 1972), soit, en lui-même, langage spécifique (Lévi-Strauss, 1958), révélateur, dans le besoin qu’il traduit de raconter les origines, d’une double fonction hiérophanique et étiologique » (Siganos 2005 : 85). Soulignons également, que même si la distinction d’André Siganos entre « mythe ethnoreligieux »5, « philosophique »6, « socio-historique »7 me semble plus que pertinente —et cela malgré le fait que j’estime, tout comme lui, que certains usages du mot « mythe » sont en effet, abusifs— je ne retiendrai que la distinction établie dans Le Minotaure et son mythe, et saluée par Pierre Brunel et Gilbert Durand entre « mythe littéraire »8 et « mythe littérarisé »9, quoique en la reformulant, dans l’optique apportée par Philippe Walter. Selon le célèbre médiéviste, un mythe littérarisé serait celui qui est « infiltré, refaçonné et parfois déformé par la littérature » (Walter 2005 : 263). C’est justement ce phénomène d’infiltration, de façonnage constant voire même de dégradation subi par tout mythe lors de son entrée en littérature, qui met en exergue le rapport complexe que la littérature et le mythe entretiennent et sert, en outre, à définir une « mythodo-logie »10, « largement pluridisciplinaire ! » (Durand 1996a : 222).

En effet, la question que tous les chercheurs en imaginaire —aussi bien, les strictement littéraires que ceux qui se rangent plutôt, du côté de l’anthropologie et de la sociologie, voire, ceux qui, comme moi, considérons en revanche, que l’isolement est inutile puisque l’imaginaire se trouve justement, à la croisée des chemins, en tant que « lieu de “l’entre-savoirs” » (Durand 1996c : 215)— se posent est la suivante : peut-on accepter l’illusion rétrospective qui permettrait d’établir le mythe comme « matrice originelle d’où aurait émergé, après l’impulsion fondatrice, l’espace-temps de la littérature ? » La question pourrait se résoudre —et j’utilise bien le conditionnel, car la question est loin d’être résolue— avec le postulat suivant : « mythe et littérature se seraient nourris l’un l’autre dans une sorte de rythme respiratoire qui les aurait constamment éloignés pour toujours mieux les réunir » (Huet-Brichard 2001: 13). Comment alors, analyser les mythes (ceux qui reprennent un fonds mythique ethnologique et religieux commun ou ceux qui renvoient à une œuvre originale, littéraire et originelle)? Comment déceler ce qui appartient au textuel, au particulier et ce qui relève du mythe, du collectif si, comme soulignait Brunel, « le mythe » nous revient « tout enrobé de littérature » (Brunel 1988 : 11), tout comme « la littérature » nous parvient « tout imprégnée, et enrobée, du mythe » (Chauvin 2005 : 175) ? La critique hypertextuelle d’un Gérard Genette tout comme la mythocritique durandienne et la mythocritique ← 5 | 6 → comparatiste de Brunel, ou plus largement, la mythocritique de l’école grenobloise —dans le sillage de Gaston Bachelard, Mircea Eliade, Carl Gustav Jung, entre autres— peuvent nous fournir des pistes sur la façon de procéder.

Si un « texte peut toujours en lire un autre et ainsi de suite jusqu’à la fin des textes » (Genette 1982 ), si tout hypertexte (nous entendons par là, texte à résonance mythique) sous-entend l’existence d’un texte antérieur ou hypotexte11 et que comme précise Philippe Walter, «on étudie toujours les mythes à partir des textes littéraires parce que c’est bien souvent la seule manière de les atteindre» (Walter 2005 : 265), ne serais-je pas en train de souligner avec Lévi-Strauss, Raymond Trousson, Brunel, Danièle Chauvin, Philippe Walter et bien d’autres, qu’un « mythe n’acquiert un sens qu’une fois replacé dans le groupe de ses transformations » (Lévi-Strauss 1979 : 15) ? Qu’en définitive, le mythe ne peut être compris que comme « l’addition de toutes ses variantes » (Walter 2005 : 268) ? Enfin, Philippe Walter le souligne fort bien, « le propre du récit mythique est de pouvoir subir des variations et métamorphoses de sa structure de surface sans modifier sa structure de base ». Dès lors, puisque « le mythe premier n’existe pas », puisque le mythe est la somme de toutes ses versions, il s’avère essentiel pour les études en mythocritique de procéder à l’analyse des mythèmes —« la plus petite unité de discours mythiquement significative » (Durand [1979] 1992 : 344)— en les référant, tout aussi bien à un paradigme syntagmatique que paradigmatique, en ajoutant ainsi à la synchronie la diachronie. C’est donc à l’établissement de ces mythèmes ou « “atomes” mythiques » dont le « contenu peut être indifféremment un “motif”, un “thème”, un “décor mythique”12 (G. Durand), un “emblème”13, une “situation dramatique” (E. Souriau) » (Durand [1979] 1992 : 344–345) que je m’adonnerai dans les lignes qui suivent, et ce, non seulement dans l’œuvre de Gautier, mais aussi dans son rebondissement vers l’âme décadente, par le biais de la notion durandienne de « bassin sémantique » (Durand 1996a : 81). La mythocritique « met ainsi en évidence », souligne Durand, « chez un auteur, dans l’œuvre d’une époque et d’un milieu donnés, les mythes directeurs et leurs transformations significatives. Elle permet de montrer comment tel trait de caractère personnel de l’auteur contribue à la transformation de la mythologie en place, ou, au contraire accentue tel ou tel mythe directeur en place » (Durand [1979] 1992: 347–350). La mythocritique, en définitive, souligne le « mythicien », quelques années plus tard, nous permet «de plonger notre regard dans le regard du texte jusqu’aux ultimes confrontations avec la geste des héros immémoriaux et des dieux » (Durand 1996a : 192).

Tout en partant donc, de l’idée que tout mythe se fait mythe littéraire par sa présence dans le « temps et l’espace littéraire » (Albouy 1969 : 9) ; tout en ← 6 | 7 → considérant que le sermo mythicus est l’un des objets d’étude plausibles pour toute œuvre de culture ; et en définitive, tout en concevant la mythodologie durandienne comme une option pertinente et originale pour étudier non seulement, l’imaginaire gautiériste en soi, mais aussi, pour suggérer son appartenance aux bassins sémantiques romantique et décadent, je procéderai comme suit : une première partie théorique, me permettra de rappeler les deux concepts clé des travaux de Durand, et d’évoquer le rôle des différents centres de recherche sur l’imaginaire et des publications associées pour la diffusion et application de cette méthode d’approche dans le monde entier. Le deuxième chapitre de cette première partie théorique reproduira, quant à lui, mon enrichissant et inédit dialogue avec l’anthropologue durandienne, Mme Solares Altamirano, sur le rôle joué par la mythocritique dans le progressif décloisonnement des sciences humaines, ainsi que dans les enjeux à s’imposer pour l’avenir. Suivra, dans la deuxième partie, beaucoup plus pragmatique et axée sur l’œuvre de l’auteur au “gilet rouge”, une analyse mythocritique de l’imaginaire de l’auteur en tant que « forêt de symboles » (« Correspondances » in Baudelaire [1857] 1972 : 38). Par cette lecture mythodologique de l’imaginaire gautiériste —jamais faite auparavant de façon aussi exhaustive, à partir de l’œuvre de Gautier—, cet ouvrage offre une nouvelle et innovatrice approche qui permettra de déceler les symboles, archétypes et mythes romantiques dans l’œuvre narrative de l’auteur de Tarbes, tout en nous informant sur la façon dont l’écrivain les recrée, jusqu’à en faire son propre “complexe personnel”. Par ces deux lectures mythocritiques complémentaires —ralliant l’optique durandienne et brunelienne— de l’œuvre gautiériste, j’établirai des ponts méthodologiques avec d’autres chercheurs en imaginaire —comme André Siganos et Yves Durand—, mais aussi, essayerai-je d’estomper la controverse autour de la mythocritique, depuis toujours suscitée entre l’anthropologue et le comparatiste, Pierre Brunel. Cette double approche méthodologique, aux chapitres trois à sept, me semble certes plus que pertinente, car même, si ce sont surtout « la geste », le « drama » et l’attribut qui « caractérisent le dieu » (Durand 1996a : 190), le nom, peut quant à lui, grâce à « l’émergence » (Brunel 1992 : 2017) contribuer à éclaircir les rapports mythe et littérature et surtout, contribuer à expliciter les procédés d’écriture de l’auteur. Double approche enfin, innovatrice dont le but n’est autre que de mieux souligner leur convergence méthodologique lorsqu’il est question, comme c’est le cas ici, de « mythocritique littéraire » appliquée à l’œuvre de celui qui a « toujours préféré la statue à la femme et le marbre à la chair » (Gautier [1874] 2011 : 439). Une lecture mythodologique de l’œuvre gautiériste au fil du temps, doit s’interroger, également, « sur le mythe primordial, tout imprégné d’héritages culturels, qui vient intégrer les obsessions, et le mythe personnel lui-même ». Pour ce faire, l’établissement, au chapitre sept, d’un récit mythique implicite, d’un « complexe personnel » (Durand [1979] 1992: 184), aux échos décadents s’avère non seulement, le cheminement logique, selon la méthodologie du mythicien, mais pertinent, novateur et actuel. En définitive, celui qui cherchait à faire de son œuvre, une œuvre immortelle ne peut que se féliciter !, car la critique —quoique assez riche et étendue dans le temps, et dans l’espace14, certes !—, ne semble pas pour autant, avoir épuisé le sens de son œuvre. L’auteur de Tarbes, souvent qualifié de romantique, —quoique, à mon avis, inclassable car à mi-chemin entre l’âme romantique et décadente—, n’a jamais fait l’objet d’une étude détaillée et minutieuse, à la lumière de la mythodologie durandienne, enrichie des apports de la mythocritique brunelienne. Enfin, la troisième partie de cet ouvrage devra se lire comme une tentative d’approche mythanalytique des bassins sémantiques romantique et décadent : la « quête initiatique ou plus souvent prométhéenne » —qui, aux côtés de la « religion de la femme », constituent les deux « axes mythologiques du Romantisme » (Durand [1979] 1992 : 251)— ouvrant la voie à la mythologie dionysiaque, voire hermétique dans le siècle finissant ; l’alchimie comme philosophie de l’occulte, chère au Romantisme français, qui aboutira à l’émergence de l’androgyne dans la période décadente; la théorie de l’art pour l’art —héritière de la philosophie néoclassique du Beau— que des auteurs comme Baudelaire, Nerval, Chenavard, Delacroix, entre autres, n’hésiteront point à suivre … ne sont que ces quelques redondances mythiques, ces quelques « structures mythiques, ou mythèmes » (Durand [1979] 1992 : 193) ou encore, ces quelques « renaissances culturelles périodiques », ou « mythologèmes significatifs » (Durand 1996a : 129) signant —par le biais de la notion de bassin sémantique — non seulement l’inclusion de l’imaginaire gautiériste à mi-chemin entre les « deltas » du romantisme et les périodes de « confluences » et du nouveau « nom du fleuve » décadent, mais aussi, « le génie singulier » (Durand 1996a : 129) de la société française du XIXe siècle.

En espérant contribuer à faire tomber quelques uns des “voiles”, dont l’auteur disait avoir couvert son œuvre; en espérant savoir “lire” comme l’auteur l’avait demandé, ou dans tous les cas, avoir contribué par cette «“chambre du milieu” de la lecture»15 (Durand [1979] 1992 : 222) que se veut la mythodologie, à évoquer et constituer une certaine “tigrure de l’âme” (Durand [1980] 2010 : 510), une « épaisseur du sens qui seule donne consistance et vie aux épures structurales » (Durand [1980] 2010 : 508), j’achève cette introduction sur ces mots de l’auteur: ← 8 | 9 →

Lire un écrivain, c’est se mettre en communication d’âme; un livre, n’est-il pas une confidence adressée à un ami idéal, une conversation dont l’interlocuteur est absent? Il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre ce que dit un auteur: on doit faire la part des systèmes philosophiques ou littéraires, des affectations à la mode en ce moment-là, des réticences exigées, du style voulu ou commandé, des imitations admiratives et de tout ce qui peut modifier les formes extérieures d’un écrivain. Mais, sous tous ces déguisements, la vraie attitude de l’âme finit par se révéler pour qui sait lire, la sincère pensée est souvent entre les lignes et le secret d’un poète, qu’il ne veut pas toujours livrer à la foule, se devine à la longue; l’un après l’autre les voiles tombent et les mots des énigmes se découvrent ». (Gautier [1865] 1970 : 93–94)

Notes

1. Le terme “mythocritique” est un terme connu de tous; un terme, dont la paternité revient (loin de moi l’idée de l’en déposséder!), à Gilbert Durand. Si j’utilise le possessif c’est, justement, pour démarquer ma propre méthode tendant, comme le lecteur pourra le constater dans les pages qui suivent, à ne plus dissocier mythocritique et mythocritique comparatiste : une promenade en dehors du domaine strictement littéraire étant plus que pertinente, lorsqu’il est question du mythe. L’entretien avec Blanca Solares au chapitre deux illustrera sans doute, ce besoin pluridisciplinaire lorsqu’il est question d’imaginaire.

2. Dans la partie théorique de son œuvre Mythocritique. Théorie et parcours, Pierre Brunel consacre un des chapitres à la délimitation des termes comme « émergence », « flexibilité » et « irradiation ». Il les considère comme des phénomènes, des accidents particuliers des mythes, difficiles « à capturer dans le filet des règles générales ». Cependant, il nous précise qu’il est possible de trouver chez un écrivain des occurrences mythiques (un nom, une caractéristique ou un acte) qui peuvent faire émerger le mythe en question. En ce qui concerne la « flexibilité », le mot, dit-il, « permet de suggérer la souplesse d’adaptation et en même temps la résistance de l’élément mythique dans le texte littéraire, les modulations surtout dont ce texte lui-même est fait ». Enfin, l’irradiation est comprise comme « présence d’éléments mythiques dans le texte »; élément mythique « essentiellement signifiant », qui fera placer l’œuvre sous le signe du mythe sous-entendu. Plus concrètement, le premier et le dernier phénomène, dont l’auteur parle, renvoient, respectivement, à la notion de mythe explicite et implicite dans l’œuvre littéraire (Brunel 1992 : 72–86).

3. Voire… au crible des autres aires indo-européennes ou non, tel que Philippe Walter le suggère, mais qui ne sera pas évidemment, mon propos ici, car ceci dépasserai largement l’objet de cet ouvrage. En effet, aux dires de Walter, il est évident que l’on ne peut pas « dégager la signification des motifs mythiques en restant confiné à un texte ← 9 | 10 → isolé et statique. Ainsi », continue-t-il, « un mythe ne se réduit jamais à la surface plane d’un texte mais il participe plus largement d’une “mémoire” que nous qualifierons d’indo-européenne, et qui est la clé de sa logique interne ». Enfin, conclue-t-il, « il s’agira de se demander si le mythe “indo-européen” existe dans les aires non-indoeuropéennes, ce qui fournirait l’indice d’un archétype » (Walter 2011 : 50).

4. Je ne souscris pas par exemple, à la considération de « mythes littéraires » concernant sa troisième catégorie, c’est-à-dire, celle qui « est constituée par des lieux qui frappent l’imagination » (Sellier 1984 : 115–118).

5. « Issu de la pensée primitive ou sauvage », écrit André Siganos, c’est à vrai dire « le seul à mériter vraiment son nom ». Il ne peut être « envisagé tout à fait de la même façon selon qu’il nous parvient sous forme de texte, ou qu’il est recueilli dans des sociétés encore orales aujourd’hui » (Siganos 2005 : 89).

6. « Les mythes platoniciens », précise l’auteur, avec lesquels « nous passons du tiers inclus ou tiers exclu, de la transmission à la démonstration » (Siganos 2005 : 89).

7. « Le mythe du Progrès, le mythe du Peuple (Pessin) », explique l’auteur, c’est-à-dire, « ce que l’on appelle (pour nous indûment) mythe est repéré par une sociologie et une philosophie de l’Histoire visant à envisager, dans une société donnée, à un moment donné, quelle idée la gouverne massivement, et quelles en sont les implications et les expressions à tous les niveaux de fonctionnement ou de création (…) à l’époque moderne et contemporaine, nous serions ainsi passés en Europe d’une période « prométhéenne » à une période « dyonisiaque » (Durand, Maffessoli) » (Siganos 2005 : 89).

Résumé des informations

Pages
XVIII, 380
Année
2018
ISBN (PDF)
9781433151576
ISBN (ePUB)
9781433151583
ISBN (MOBI)
9781433151590
ISBN (Relié)
9781433151569
DOI
10.3726/b14321
Langue
français
Date de parution
2018 (Octobre)
Published
New York, Bern, Berlin, Bruxelles, Oxford, Wien, 2018. XVIII, 380 pp.

Notes biographiques

Mercedes Montoro Araque (Auteur)

Professeur d’Université à Grenade (Espagne), Mercedes Montoro Araque a soutenu sa thèse au CRI (CRI-ISA) de l’Université Stendhal Grenoble III (UGA). A part une cinquantaine d’articles, elle a écrit, édité ou co-édité, entre autres : Représentations imaginaires du corps au XXe siècle (2005) ; Identités culturelles d’hier et d’aujourd’hui (2010) ; et L’entre-deux imaginaire. Corps et création interculturels (2016). Membre du comité de rédaction d’Iris, elle préside MITEMA, intégrée au réseau CRI2I.

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Titre: Gautier, au carrefour de l’âme romantique et décadente
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