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L’essentiel de la médiation

Le regard des sciences humaines et sociales

de Michele De Gioia (Éditeur de volume) Mario Marcon (Éditeur de volume)
©2020 Collections 654 Pages

Résumé

Est-ce qu’un linguiste envisage la médiation de la même façon qu’un juriste ou un didacticien ? Est-ce que la médiation cognitive a quelque chose à voir avec la médiation interculturelle et la médiation institutionnelle ? Est-ce que le médiateur culturel, le médiateur social et le médiateur urbain exercent le même travail ? Lorsque la médiation apparaît dans des textes ou des discours, on saisit sommairement à quoi elle renvoie, d’autant plus que sa définition s’enrichit des connaissances, des compétences, des pratiques et des situations propres aux domaines qui la concernent.
Cet ouvrage questionne « l’essentiel de la médiation » suivant le regard des sciences humaines et sociales. Des scientifiques, experts, professionnels apportent des éclairages par une approche globalement pluridisciplinaire et quelquefois interdisciplinaire, à partir des sciences du langage, sciences de l’information et de la communication, sciences de l’éducation, sociologie, philosophie, droit. Leurs contributions mettent en lumière des traits conceptuels transdisciplinaires faisant consensus, dans le but de parvenir à une caractérisation conceptuelle à la fois transversale et autonome de la médiation.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Préface
  • Danielle Londei: La transdisciplinarité d’un terme nomade comme médiation
  • Dire, désigner, décrire le langagier
  • Régine Delamotte: Les sciences du langage face à la notion de médiation.
  • Sonia Gerolimich: Qu’entend-on au juste par médiation linguistique ?
  • Alison Gourvès-Hayward & Cathy Sablé: Médiation culturelle et médiation interculturelle dans les documents officiels de l’UE – champ didactique des langues et des cultures : quel glissement conceptuel ?
  • Raquel Silva & Rute Costa: Accéder aux connaissances des experts par l’entremise de la médiation en Terminologie1
  • Giovanni Agresti: La médiation du linguiste dans le conflit diglossique : du regard rétrospectif aux nouvelles perspectives
  • Redire, interpréter, traduire
  • Ioannis Kanellos: Les ressorts interprétatifs de la médiation
  • Claire Martinot: Médiation et procédures de reformulation dans l’acquisition de la langue maternelle
  • Valérie Delavigne: La vulgarisation est-elle une médiation ?
  • Antonella Leoncini Bartoli: La médiation à la lumière de la traduction ou dénouer des sacs de noeuds
  • Fabienne Leconte: Interprétation-médiation : quelques réflexions à partir du point de vue des acteurs
  • Enseigner, scénariser, questionner l’école
  • Daniel Coste & Marisa Cavalli: Des traits constitutifs de toute médiation ?
  • Jolanta Sujecka-Zając: De l’enseignant transmetteur à l’enseignant médiateur en classe de langue. Le rôle de la médiation cognitive auprès des élèves en difficulté d’apprentissage
  • Vincent Liquète & Anne Lehmans: Les scénarisations pédagogiques favorables à la démarche de médiation entre usagers et dispositifs. L’exemple des données ouvertes en éducation en France
  • Maud Sérusclat-Natale & Maryse Adam-Maillet: Questionner une demande institutionnelle du système éducatif français : pour une définition empirique de la médiation à partir de l’action d’un CASNAV
  • Engager, inclure, médiatiser
  • Eleni Mitropoulou: Pour une approche sémio-communicationnelle du processus de médiation
  • Jean-Marie Lafortune: De la médiation culturelle à la médiatisation de la culture : entre droit et régulation
  • Eva Sandri: Discours circulants sur l’utilisation des technologies numériques dans la médiation culturelle : quelles définitions de la médiation ?
  • Fabienne Finat & Jeanne Pont: C’est bien entendu un malentendu !
  • Administrer, nommer, pratiquer
  • Michèle Guillaume-Hofnung: Le droit français malade de DTLA ? Les effets sur la médiation
  • Adeline Audrerie: La médiation en droit français : un concept juridique à construire ?
  • Julien Mouchette: Les faux-semblants de la médiation institutionnelle en droit public français
  • Max Masse: Fonction d’inspection et actes de médiation
  • Philippe Charrier: Pratiquer la prescription de la médiation chez les magistrats français
  • Marion Blondel: La médiation dans le cadre du déplacement international illicite d’enfant : illustration d’un retour à l’essentiel dans les usages du droit ?
  • Réfléchir, concevoir
  • Francis Chiappone: La médiation dans les limites du raisonnable
  • Thierry Bonfanti: Vers une ontologie de la médiation
  • Postface
  • Michele De Gioia & Mario Marcon: Quelques réflexions sur l’essentiel de la médiation

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La transdisciplinarité d’un terme nomade
comme médiation

Danielle Londei
Université de Bologne

En ouverture de ce volume, je voudrais vous faire partager ma surprise lorsque j’ai voulu consulter une collection des Éditions Sciences Humaines dans laquelle je m’attendais à repérer à partir de plusieurs disciplines-titres – comme Identité(s), Le Langage, Les Sciences Humaines, La Culture, La Sociologie, etc. – une déclinaison du terme médiation. Eh bien, ce terme-concept ne figure dans aucun de ces textes qui visent à introduire ces disciplines, ces champs !

J’ai également consulté quelques dictionnaires spécialisés autour des domaines de l’altérité, du métissage culturel, de l’interculturalité, etc., et là aussi, médiation ne correspond à aucune entrée, il n’est point mentionné ou, s’il l’est, il occupe une place marginale.

Et pourtant, nous ne pouvons guère nier l’impact dans les disciplines des sciences humaines et sociales que ce terme occupe ou devrait occuper.

La contre-épreuve nous est fournie par la richesse du cycle de colloques ainsi que les ouvrages que l’Université de Padoue et ses partenaires développent depuis plusieurs années. En parcourant le sommaire pluridisciplinaire de ce terme-concept, il n’y a pas à douter que celui-ci est omniprésent dans la pensée et dans les pratiques contemporaines.

Ajoutons à cela que l’immense quantité d’ouvrages, d’articles scientifiques où ce terme est présent dès l’énonciation des titres, justement parce que central pour affronter nombre de problématiques socioculturelles et interculturelles, semble contredire ce qui vient d’être remarqué précédemment. Alors, la première question qui se pose pourrait être : est-ce que ce terme est ambigu, difficile à attribuer à une aire spécifique, d’où sa complexe collocation disciplinaire ?

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Pour compléter ce balayage, et seulement à titre d’exemplification, je voudrais citer les champs et méthodologies de référence d’un texte publié en 2003 par le Centre européen pour les langues vivantes, Éditions du Conseil de l’Europe, intitulé Médiation culturelle et didactique des langues, coordonné par Geneviève Zarate. Le chapitre 2 cite les disciplines impliquées dans l’étude de la médiation culturelle : ce sont la Psycholinguistique, la Sociologie (Pragmatique et Analyse du discours), l’Anthropologie culturelle et l’Anthropologie de la communication, la Sociologie de l’altérité.

Nous serions donc en présence d’un terme nomade, transdisciplinaire et sans doute appelant des définitions plurilingues et pluriculturelles.

Pour Lev Vygotsky (1986 [1962]), chaque mot est déjà en soi une généralisation et un « microcosme », un monde conceptuel plus vaste. Les mots sont les reflets de notre pensée verbale et celle-ci n’est pas une forme innée ou naturelle d’un comportement ; elle est déterminée par un processus historique et culturel, par le monde social et politique dans lequel nous vivons. Comme le souligne Pierre Bourdieu (1982), la langue est plus qu’un instrument de communication. Son infinie capacité de générer des rapports de force symboliques façonne la perception des gens et leur vision du monde social. Ainsi, des représentations mentales se construisent, c’est-à-dire des schèmes de perception et d’appréciation, de connaissances et de reconnaissances où les individus investissent leurs intérêts et leurs présuppositions. Aussi, il importe de ne plus considérer les actes langagiers simplement comme des éléments linguistiques, mais bien en tant que véhicules-médiateurs de la culture et des représentations que l’on se fait de l’Autre et des autres cultures. Dès lors, une autre question se pose : quel est l’enjeu dans la circulation des concepts entre univers distincts et espaces linguistiques différents ? Suivent deux autres questions : parlons-nous au fond bien tous de la même chose entre pays européens et entre spécialistes de diverses disciplines lorsque nous parlons par exemple de chômage et de travail, de laïcité, de frontière ou de médiation culturelle ? Sommes-nous vraiment certains de nous comprendre, avec ou sans le secours de traduction-définition lorsque nous employons certains concepts clés des sciences humaines et sociales ?

Les réponses, toutefois, ne semblent pas résider dans un nouvel effort de définition et dans la production de conseils normatifs concernant un improbable bon usage partagé, mais plutôt dans une démarche à la fois ←14 | 15→historique et critique, pour en dévoiler les inconscients, les biais et les angles morts qui font souvent tenir pour allant de soi ce qui justement doit être examiné attentivement.

Cette « archéologie » critique de la langue devrait, à nos yeux, porter au jour les conditions qui font accéder tel terme ou telle expression au rang de concept et qui incitent des acteurs sociaux précis à jouer leur rôle de négociants transfrontaliers du langage, avec l’intention d’en tirer des profits symboliques parfois considérables comme le renforcement de leur position dans leur propre univers professionnel, l’acquisition d’une aura de novateur qui sait regarder au loin et rompre avec les routines de la pensée.

Évidemment inspirés par les travaux de Barbara Cassin, de Raymond Williams, des fondateurs de la sémantique historique et par la remarque de Quentin Skinner qui jugeait que les concepts n’ont pas une définition, mais une histoire, malgré les limites de cette approche, nous considérons qu’il reste intéressant de saisir pleinement les configurations à la fois historiques, politiques et langagières qui, dans des champs et des moments particuliers, unissent des termes isolés.

Pour comprendre comment la langue fonctionne et change dans certaines circonstances particulières et comment la circulation de termes-concepts joue dans ces mutations un rôle important en fonction des conditions de production et de réception des discours, je vous invite à partager le point de vue de Tocqueville qui préconisait de mettre fin à l’immobilisme de la langue aristocratique dans son célèbre essai De la démocratie en Amérique et parvenir ainsi à un ralliement entre la langue des élites et la langue du peuple. Cette nouvelle médiation porta à l’invention de « termes génériques » et de « mots abstraits » parce que ces mots « agrandissent la pensée », disait-il.

Bref, la démocratisation des mots accélère la production de termes qui accèdent au statut de concept. C’est bien le propos de cet ouvrage, me semble-t-il. Ainsi, il serait bon de se demander et de récupérer ce que signifiait par exemple société dans les termes du passé, par exemple au XIIIe siècle, ou l’intelligence mutuelle entre personnes contenue dans civilité, soit une reconnaissance respectueuse de ses semblables. Alors, centrer l’attention sur ce que recouvre ce lien passe par tout un travail notionnel dans lequel l’enquête empirique et la dimension conceptuelle se rejoignent pour élucider les différentes inflexions de relation interpersonnelle.

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Ce type de chantier de recherche doit viser à construire une théorie du mode de constitution sociale du sujet non par la socialisation génétique, mais par la socialisation conceptuelle. Dès lors, on pourra appliquer cette démarche à toutes sortes d’interactions et il apparaît évident que la médiation sera un des instruments théoriques et pratiques. Mais auparavant affrontons une étape qui se propose de faire le trait d’union entre la culture humaniste et celle scientifique, à partir du texte Retorica e Logica de Giulio Preti1. Ce pamphlet, longtemps oublié, mérite d’être considéré comme un point ferme de la philosophie italienne de l’après-guerre, pas tant parce qu’il remet sur le tapis la polémique sur les « deux cultures », mais parce qu’il contribue à construire l’indispensable point de départ pour reprendre cette question. Pour Preti, il n’y avait aucun sens de parler à la Snow de scientifiques et de lettrés comme de deux groupes anthropologiques2. De même, il n’y aurait aucun intérêt à parler de lettres et sciences en tant qu’ensembles de disciplines, de matières d’études, caractérisées par des objets spécifiques, par des langages incommunicables, par des méthodes de recherche immuables.

Pour ce philosophe, conscient de l’artifice et de l’historicité de toute opposition de ce type, il était plutôt question de « construire » un couple oppositif qui soit heuristiquement en mesure de rendre compte de la complexité et en même temps de l’unité de notre culture3.

Dans cette optique, c’est toute une culture tissée par le passé et les conventions qui est à réinterroger dans sa complexité. Cela revient à se demander ce qu’est la société, non sur le plan des grandes entités, des grandes abstractions, mais au niveau de la micro-réalité de tous les jours. À partir de là, la recherche fondée sur « l’être ensemble dans la Cité » ne peut se contenter de l’utilitarisme généralisé et doit nous porter à déplacer le regard vers ce qu’agir veut dire en faisant valoir la force heuristique du don – dont la médiation est une des expressions –, véritable paradigme ←16 | 17→susceptible d’éclairer les comportements de l’homme et voie capable de nous guider entre intérêt et désintéressement entre individus et cultures.

Comment procéder ? La transdisciplinarité – dont la médiation est redevable – inscrit cette relation au cœur des sciences et de leur élaboration. Elle implique la réunion de plusieurs spécialistes autour de la tentative de résolution d’une problématique commune, celle des rapports entre les êtres, les institutions, les cultures. Elle a pour avantage de sortir de la routinisation et des fausses sécurités dont se parent les disciplines singulières. Elle permet de problématiser des objets constitués comme obstacles par telle ou telle discipline. Elle retrouve le goût du risque propre à toute découverte. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille postuler une indifférenciation des démarches. Toutefois, ce type de démarche permet de favoriser – croyons-nous – un nouveau mode de coexistence entre humanistes et scientifiques, à condition de ne plus être imprégné de la méthodologie spécifique des sciences exactes (cf. Popper).

La transdisciplinarité doit donc présupposer une singularité des sciences humaines. C’est d’ailleurs le meilleur remède contre toute entreprise réductionniste. Le discriminant essentiel qui caractérise les sciences humaines est l’implication des compétences inscrites chez l’individu agissant. Cette autonomie des sciences humaines trouve sa source – selon Max Weber – dans son projet spécifique, soit l’action dotée de sens, la compétence de symbolisation des individus. Cette conception doit conduire ces dernières à se libérer du complexe d’infériorité qui leur a fait adopter un modèle – d’ailleurs dépassé – considéré comme propre aux sciences exactes.

C’est ainsi que, débarrassé de complexes surannés, Bruno Latour, définissant sa démarche à l’articulation du réel, le narré et le collectif comme société, « se situe fermement à l’intérieur des sciences humaines » (Sylvain Auroux, dans Dortier & Mucchielli 1993 : 34).

À partir de là, l’anthropologie des sciences doit expérimenter des concepts propres aux sciences humaines, comme celui central de médiation, pour une meilleure intelligibilité du social dont elle sera l’un des vecteurs.

Le vrai défi se situe dans la recherche d’une connaissance comme « savoir » et non comme « information » : expérimenter des hybridations, des mutations de méthodes, de coopération entre chercheurs de domaines différents, d’assomption de responsabilité collective au moment où la ←17 | 18→solution des problèmes et l’avancement des connaissances requièrent une radicale remise en question des cadres de référence traditionnels.

Inutile d’attendre la formalisation d’une théorie de la complexité en cours, il suffit qu’une nouvelle mentalité scientifique s’installe pour réussir à être innovant même sans avoir au préalable codifié un novum organum ou une nouvelle théorie de la connaissance. Commençons par mieux développer, utiliser, harmoniser les instruments multiples de la médiation en les adaptant aux circonstances et aux contextes.

Références bibliographiques

BOURDIEU, P. (1982), Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard.

CINI, M. (dir.) (2017), Humanities e altre scienze. Superare la disciplinarità, Rome, Carocci.

DORTIER, J.-F. & MUCCHIELLI, L. (1993), « Les enjeux de l’épistémologie. Rencontre avec Sylvain Auroux », Sciences humaines, 24, janvier 1993, 32–35.

PRETI, G. (1968), Retorica e logica, Turin, Einaudi.

REDAELLI, R. & COLANERO, K. (2017), Le due culture. Due approcci oltre la dicotomia, Rome, Aracne.

TOCQUEVILLE, A. de (1835 et 1840), De la démocratie en Amérique, 2 vol., Paris, C. Gosselin.

VYGOTSKY, L. (1986 [1962]), Thought and Language. Revised Edition, A. Kozulin (dir.), Cambridge MA, The MIT Press.

ZARATE, G. (dir.) (2003), Médiation culturelle et didactique des langues, Graz, Conseil de l’Europe, http://archive.ecml.at/documents/pub122F2003_zarate.pdf (dernière consultation : 01/03/2019).


1 Giulio Preti (1911–1972), cité dans deux récents ouvrages de jeunes chercheurs : Redaelli & Colanero (2017) et Cini (2017).

2 Ces deux groupes se distinguant le premier, celui scientifique, par son élan vers le progrès et l’optimisme et le second, celui humaniste, par son individualisme conservateur et sa propension à se charger du « tragique de la condition humaine ».

3 Cette opposition situait l’une en face de l’autre les humanæ et la science comme des formæ mentis, c’est-à-dire comme des aptitudes et des dispositions mentales qui configurent en même temps deux différentes structures du discours, qui ne nient pas ou « éliminent » mais hiérarchisent.

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Les sciences du langage face à la notion de médiation.

Diversité des approches

Régine Delamotte
DYLIS EA 7474 – Université de Rouen-Normandie

Introduction

Le « terme » de médiation est utilisé dans de multiples domaines professionnels et disciplines scientifiques. Sa polysémie, consécutive à son extension, renvoie plus à l’idée de « notion » qu’à celle de « concept ». Sans compter que le « mot » est aussi en usage dans le langage courant. Mais ce terme n’est pas le seul à pérégriner dans les divers champs scientifiques, comme l’a montré Isabelle Stengers (1989). Sans poursuivre un débat terminologique qui pose des questions épistémologiques complexes, je choisis de parler ici, s’agissant de la médiation, de « notion ».

En sciences du langage, la notion de médiation ne fait pas partie des paradigmes théoriques les plus utilisés. Sans doute parce que tout ce qui a trait au langage est par nature médiation. La notion n’est précisément conceptualisée que dans le champ de la grammaticalisation des langues, dont je parlerai plus loin, secteur très technique et mal connu.

En conséquence de quoi, les sciences du langage, à être trop au centre de la problématique de la médiation, en arrivent à ne plus interroger la notion, ne serait-ce que pour se demander si elle est productive pour les questionnements propres à la discipline. Ainsi, les sciences du langage passent le plus souvent inaperçues sur cet aspect au sein de la réflexion collective. La plupart des travaux qui soulignent l’intérêt de la notion de médiation en sciences sociales listent les disciplines concernées sans qu’il soit fait mention de la ←21 | 22→linguistique. C’est pourquoi notre laboratoire1 avait choisi d’organiser un colloque2, sous forme d’un état des lieux, visant à interroger les divers courants de la discipline face à la notion de médiation (Delamotte 2004). Nous avions pensé, au départ, que la notion de médiation ferait écho prioritairement dans certaines régions des sciences du langage, celles concernées avant tout par la dimension langagière. Pour exemples, l’interlocution et les formes médiées du dialogue, les contacts de langues et les entre-deux langagiers, les métiers de la traduction, de l’interprétation, les passeurs de savoirs, les porte-parole, la médiatisation du discours politique par les médias, etc. Mais l’éventail s’est avéré plus large, la linguistique formelle ayant suscité, de son côté, beaucoup de contributions. Ce constat reposait, en effet, pour notre discipline, la question de l’essentiel de la médiation. Le présent ouvrage me donne l’occasion de poursuivre la réflexion.

Ma contribution présente deux volets. Beaucoup de ses aspects étant peu connus, je vais d’abord exposer les usages de la notion de médiation en sciences du langage en tentant d’organiser l’hétérogénéité des approches. Elles s’étalonnent des constructions et maniements internes à la langue à ceux diversement contextualisés propres aux discours. Je prendrai, à chaque fois, des exemples caractéristiques de la démarche. On verra que, quels que soient les objets d’étude, il s’agit toujours de mise en relation de deux éléments : soit directement, soit par le moyen de formes spécifiques, soit par le recours à certains types de discours, soit par le statut langagier des acteurs. La notion de médiation se situe donc au niveau relationnel, ce dernier étant compris de diverses manières et différemment que dans d’autres champs disciplinaires. Je développerai les approches les moins connues, d’autres, plus prévisibles lorsque l’on parle de médiation, seront simplement signalées.

Je vais ensuite me situer au sein de cette diversité en présentant un travail personnel. Il porte sur la question des « textes intermédiaires », au sens où ils constituent une médiation entre un projet de production langagière et sa réalisation finale. Étant donné la place que prend le premier volet de cette contribution, je ne pourrai pas développer, autant ←22 | 23→que je l’aurais souhaité, les choix méthodologiques adoptés pour ma recherche.

1. La notion de médiation

Le succès de la notion de médiation est dû à sa capacité d’extension, car peu de termes font référence à autant de situations concrètes, prennent sens dans autant de contextes divers et pour autant de réalités différentes. Étymologiquement, la notion de médiation renvoie à celle d’intermédiaire et donc de lien. Je considère qu’est « médiateur » tout élément (vivant, matériel ou symbolique) qui, s’intercalant entre deux autres, agit sur leur relation.

1.1. Approche en sciences sociales

En sciences humaines et sociales, le terme convient à toutes les situations étudiées, la notion de médiation étant chevillée à la dimension sociale du monde, à ses besoins de communication, d’information, d’identification, de cognition et d’action, qu’il s’agisse d’individus, de dyades, de réseaux ou de collectifs (Grossetti 2010).

La médiation est ainsi ce qui fait lien entre deux entités sociales (qui s’ignorent, se malconnaissent, s’évitent, se recherchent, s’opposent, etc.) et assure dans ce but de multiples fonctions : associer, rapprocher, concilier, donner accès, remédier aux décalages, anticiper un dysfonctionnement, arbitrer, modifier des représentations, construire un sens partagé, etc.

Les échanges langagiers prennent en charge l’ensemble de ces fonctions dans les conditions ordinaires de communication. Certains contextes, cependant, peuvent exiger le recours à des acteurs spécifiques ou à des dispositifs particuliers, l’évolution technologique n’étant pas étrangère à l’émergence de situations nouvelles et donc à l’évolution de la notion de médiation et à sa conceptualisation.

1.2. Approches en sciences du langage

Selon l’idée que l’on se fait de la notion, les travaux en sciences du langage visent trois objets de recherche. La langue, à savoir les fonctions médiatrices de certaines formes grammaticalisées ou lexicalisées au sein des systèmes linguistiques (par exemple, le conditionnel épistémique). ←23 | 24→Les discours comme figures de la médiation selon les types et genres discursifs en particulier dans les échanges langagiers (par exemple, la politesse verbale). Les acteurs, avant tout les rôles langagiers de certaines personnes au sein d’une action nécessitant une intervention de médiation (par exemple, les interprètes).

Il s’agit toujours de « médiation montrée », marquée, repérable grâce à des indicateurs spécifiques et non simplement de la « médiation constitutive » de toute pratique langagière. Autrement dit, il s’agit de rester dans une « matérialité langagière » qui produit des configurations linguistiques et discursives rendant audibles/visibles les fonctions médiatrices des usages langagiers portés par les acteurs qui les produisent.

Je propose, pour éclairer la suite et ce qui vient d’être dit, de faire un bref rappel terminologique concernant la distinction linguistique/ langagier (Delamotte 1994). On utilise couramment, depuis les années 1980, l’adjectif langagier à côté de l’adjectif linguistique. Linguistique renvoie au principe d’immanence qui consiste à étudier la langue comme formant un ordre propre, autonome, dont il est possible de décrire les structures par leurs seules relations. Langagier renvoie au principe de réalité par lequel la structure va se confronter à des besoins communicatifs, des enjeux discursifs, des représentations sociales et des nécessités identificatoires. Parler de langagier, c’est donc tenir compte dans les processus de production verbale d’un ensemble de paramètres situationnels, contextuels et humains.

On parlera de compétences linguistiques pour désigner l’ensemble des moyens en langue que des sujets se sont appropriés (lexique, morphologie, phonologie, syntaxe, sémantique). On parlera de compétences langagières lors de l’utilisation de ces moyens linguistiques dans des situations concrètes où il faudra engager une « action langagière » (convaincre, se défendre, rassurer, expliquer, faire semblant). On voit bien, cependant, combien ces compétences s’alimentent les unes et les autres.

C’est, finalement, la problématique de la construction des « significations » en discours (le langagier), articulée à celle du « sens » en langue (le linguistique), qui a conduit à la dénomination disciplinaire « sciences du langage ». Elle s’est institutionnellement généralisée dans les années 1990 et englobe désormais l’ensemble des perspectives linguistiques, énonciatives, discursives, pragmatiques, textuelles, conversationnelles et couvre les domaines de la psycholinguistique, la sociolinguistique et l’analyse de discours. Comme toute tentative de (re)construction disciplinaire, elle a ←24 | 25→donné lieu à de nombreux débats et controverses (Blanchet et al. 2007). Cet éclatement explique que la notion de médiation en sciences du langage se trouve être au sein même de la discipline un « concept nomade » (Stengers 1987) qui signifie différemment selon la perspective choisie.

2. Mise en relation entre monde et langue

Le langage est l’expression d’un rapport de l’homme au monde, plus précisément de la connaissance qu’il a du monde. Ce rapport de l’homme au monde se réalise de deux manières différentes : un rapport direct et donc une connaissance immédiate ; un rapport construit et donc une connaissance médiatisée. La médiatisation langagière est présente dès le début de la vie. Les langues fournissent des représentations diverses du monde et façonnent notre regard. L’enfant est dès les premiers jours de sa vie un interlocuteur auquel on dit et explique le monde. Cette question de la connaissance du monde et du rôle du langage fait partie de la réflexion des linguistes concernant la notion de médiation.

2.1. Médiation et prise en charge énonciative : le médiatif

En linguistique, le terme « médiation » est d’usage récent (Guentchéva 1996), même si l’idée qu’il recouvre est ancienne. Il s’applique à un phénomène que les linguistes comparatistes ont répertorié dans certaines langues (turc, tibétain, iranien, libanais, arménien, népali, hindi, etc.) et qu’ils ont désigné par nombre de termes concurrents comme : testimonial, distensif, présomptif, inférentiel, évidentiel et enfin médiatif  3. Ce phénomène s’explique par le fait qu’une des fonctions fondamentales du langage est de nous permettre de parler du monde dans lequel nous vivons et que Hans Kronning appelle « la fonction épistémique du langage » (2001). La problématique concerne le mode d’accès (direct ou indirect) de l’énonciateur à la connaissance de ce qu’il dit du monde. Les moyens linguistiques identifiés sont généralement des marquages grammaticaux, ←25 | 26→le plus souvent morphologiques4. Leur présence permet d’opposer, dans la mise en mots, à une information propre à l’énonciateur (observation, opinion, savoir culturellement incorporé) une information provenant d’une autre source énonciative (un tiers non spécifié, un ouï-dire, un mythe). Les marqueurs dits « médiatifs » ont ainsi pour fonction de signaler le « rapport médiat » que l’énonciateur instaure avec le contenu propositionnel de son message. Dans ce cas, la notion de médiation renvoie à un acte d’énonciation marqué qui consiste à présenter des faits dont l’appréhension ne correspond pas à une constatation ou un vécu directs de l’énonciateur. Il est, bien sûr, toujours possible de donner la source du propos, mais le marquage médiatif en tant que tel ne sert qu’à rapporter ou évoquer « un état des choses » que l’énonciateur ne prend pas en charge. Le dévoilement de la source possède, lui, ses propres moyens, morphologiques, lexicaux ou discursifs. Prenons un exemple : « Le président serait en déplacement à l’étranger » (conditionnel épistémique). L’aspect verbal utilisé indique une fluctuation de la valeur de vérité du propos par le recours à la médiation implicite d’une source. En revanche, dans « Selon l’AFP, le président serait en déplacement à l’étranger », tout en gardant le conditionnel et l’incertitude sur la valeur de vérité, le propos indique clairement la source de l’information. Ajoutons que, non plus en langue, mais en discours, les moyens privilégiés pour rendre explicite l’origine des propos du locuteur sont le discours indirect et le discours rapporté.

Sans entrer dans des détails trop techniques, on peut souligner cependant que, si pour certaines langues le médiatif correspond à la catégorie grammaticale, toutes les langues ne grammaticalisent pas cette possibilité linguistique. Le français, l’anglais et les langues occidentales recourent généralement à des moyens lexicaux (« apparemment », « manifestement », « il semble que »). Sans entrer non plus dans des débats trop spécialisés, on peut simplement indiquer que se discute la séparation entre « médiation épistémique » et « modalité épistémique ». Cette dernière concerne le marquage du nécessaire, du possible ou du probable (« devoir », « pouvoir », aspects verbaux) et donc la certitude ou non des faits présentés par l’énonciateur. Un certain consensus se dégage pour dire que le marquage médiatif permet à l’instance médiatisante de ←26 | 27→se désengager, à des degrés divers, du contenu propositionnel de l’énoncé sur lequel s’engage, à des degrés divers, l’instance modélisante.

2.2. Médiation et figures linguistiques : le médiationnel

D’autres travaux linguistiques se revendiquant d’une problématique de la médiation étudient de manière privilégiée certaines figures en langue. Je simplifierai le propos, chaque figure posant, on s’en doute, quantité de problèmes d’identification et de fonctionnement. Chacune reste sujette à débats entre linguistes. Le point commun de ces figures est de mettre en relation des moyens linguistiques de natures différentes en vue de la production du sens. Je note, au passage, que l’adjectif « médiationnel » vient concurrencer les adjectifs « médiatif » et « médiateur », dominants par ailleurs, le premier renvoyant au plus interne du fonctionnement linguistique, le second au plus externe des statuts langagiers des locuteurs.

Les formes de la « diathèse », que l’on assimile souvent à la question des « voix » en grammaire traditionnelle (active, passive, pronominale), font partie de ces figures. Mais alors que les voix relèvent de la morphologie verbale, les diathèses concernent les relations entre rôles sémantiques et fonctions syntaxiques. Et, notamment, la fonction de sujet de la phrase en tant qu’elle détermine le choix d’une configuration verbale (Muller 2005). Concernant la question de la médiation, la diathèse nous fournit une image du monde diversement construite. Dans un cadre limité à la phrase simple, on voit, par exemple, se dessiner une gradation du modèle agentif (qui fait l’action ?). Prenons les énoncés suivants : a) « La branche casse », b) « La branche se casse », c) « La branche a été cassée », d) « La branche a été cassée par le vent », e) « La branche a été cassée par Jean ». En a), on ne connaît pas l’agent. En b), « La branche » n’assume que le rôle de sujet grammatical. En c), l’ambiguïté demeure car « le vent » est plus une circonstance ou une cause qu’un agent qui, seulement en d), est désambiguïsé. Du monde au langage, le rapport entre perception et restitution se trouve donc « médiatisé » par la forme de diathèse choisie.

3. Mise en relation entre formes linguistiques

Globalement, il s’agit ici de la notion de « référence » qui désigne la propriété du signe linguistique à renvoyer à un objet du monde ←27 | 28→extralinguistique, réel, imaginaire ou symbolique. La fonction référentielle du langage est présente dans tout acte de parole. Ce renvoi du langage au référent ne doit pas être confondu avec l’existence même du référent puisqu’il est diversement médiatisé par la représentation que les choix en langue et en discours en donnent. J’en propose deux exemples.

3.1. L’antonomase du nom propre

Elle est considérée comme une figure de la médiation (Leroy 2000). Il s’agit de l’emploi d’un nom propre à la manière d’un nom commun (un machiavel, un tartuffe, etc.). Le nom propre, accompagné d’un déterminant, perd ainsi le caractère unique de son usage référentiel. Si l’on en reste au plan linguistique (l’énoncé en tant que tel), cette antonomase est le lieu d’une médiation en ce qu’elle instaure un lien entre les représentations de deux référents différents par un transfert de sens. Il s’agit d’une conception « relationnelle » de l’antonomase : certaines propriétés du porteur du nom propre sont attribuées à un autre référent qui possède, dans un univers autre, ces mêmes propriétés (Gary-Prieur 1994). Cette mise en relation éclaire des points communs sans annuler des différences pour aboutir à une assimilation décalée, puisque non totalement identificatoire, d’un référent à un autre. « Mégret sera-t-il le Rocard de Le Pen ? » n’assimile pas entièrement Mégret à Rocard, mais rapproche les deux hommes politiques tout au moins dans leur lien au pouvoir.

Si l’on se place sur le plan de l’interlocution, le producteur de l’énoncé propose à son récepteur un cheminement qui le conduit d’un référent connu (qualifié de « discursif ») à un référent inconnu (qualifié d’« originel ») pour l’éclairer. Dire que Judith Butler (originel) est en quelque sorte la Pierre Bourdieu (discursif) des études féministes, donne à la fois des indications sur ce qui est commun aux deux référents (l’excellence scientifique) et ce qui constitue leur différence (leur domaine de réflexion). Opération qui éclaire, pour celui qui ne la connaît pas, la personnalité de Judith Butler. Dans cet usage interlocutif, l’antonomase produite peut donner lieu à négociation, réfutation, commentaire de la part du récepteur. Elle devient un processus élaboré de l’échange en tant que réglage du sens en interaction. La notion de médiation s’avère ainsi productive pour l’analyse de l’antonomase aux deux niveaux linguistique et interlocutif.

←28 | 29→

3.2. La métaphore

L’analyse « relationnelle » de l’antonomase du nom propre a été rapprochée de l’analyse « comparative » de la « métaphore », au point que l’on trouve aussi l’appellation « nom propre métaphorique » pour l’antonomase du nom propre. L’énoncé métaphorique est, en effet, une comparaison implicite entre deux référents (Charbonel & Kleiber 1999). Sans entrer plus avant dans le débat, on peut simplement retenir que, si le nom commun peut s’analyser sémantiquement en traits distinctifs, le nom propre ne s’y prête pas. Dans « Cet homme est un renard », on peut isoler un sème « rusé » pour renard. Dans « Cet homme est un Judas », il est plus hasardeux d’isoler un sème « traître ». En effet, l’analyse des traits communs aux deux référents, mis en relation ou en comparaison, s’effectue au niveau linguistique de la signification pour la métaphore et au niveau conceptuel de la représentation pour l’antonomase. Autrement dit, l’usage métaphorique réclame une réflexion qui intègre une dimension métasémiotique absente de l’antonomase qui renvoie à une dimension culturelle.

4. Mise en relation entre discours

Nous entrons maintenant dans le vaste ensemble de moyens de mise en relation des discours entre eux. En schématisant, on peut envisager deux cas. Celui où des discours différents se côtoient dans une même énonciation. Par exemple, les discours doxiques qui émaillent nos discours quotidiens. Celui où un discours est reformulé envers de nouveaux récepteurs. Par exemple, la vulgarisation de discours scientifiques. Je développerai le premier cas, le second ayant donné lieu à de multiples travaux.

4.1. Sens commun et discours circulants

Je ne m’aventure pas ici à distinguer entre sens commun et doxa, même si ces deux notions correspondent à des lignes de pensée différentes (Sarfati 2002). La doxa, présentée dans une conception platonicienne comme susceptible de tenir le milieu entre l’ignorance et la connaissance, renvoie schématiquement pour nous à la question de l’opinion commune et à sa traduction en discours par des topoï. Elle garantit la régulation du sens en construisant un arrière-plan implicite. Dans une situation ←29 | 30→langagière donnée, elle autorise un certain degré de prévisibilité des énoncés, ces « attendus de l’énonciation » afférents à la plupart des contextes d’énonciation. Le cas du mot d’esprit est exemplaire puisque son principe est justement de déroger à l’attendu doxique. L’arrière-plan implicite montre en quoi la doxa opère comme une matrice (une médiation) d’où procède la conformité ou la singularité des discours. Cette conception de la doxa est en lien direct avec la notion de formation discursive qui suggère qu’une formation sociale n’est ni plus ni moins qu’une machine textuelle. Prenons quelques exemples. Dans « Il fait beau, sors dans le jardin », la séquence « il fait beau » n’est signifiante que dans la mesure où un lieu commun du type « le beau temps invite à sortir dehors » autorise le passage du premier au second énoncé « sors dans le jardin ». « T’es en vie, t’as tort de te désespérer » laisse à penser que l’adage « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » constitue un arrière-plan qui autorise la mise en relation des deux énoncés. Les discours professionnels sont riches en topoï : « Avec une classe hétérogène, je ne peux pas faire grand-chose » renvoie au lieu commun d’une supériorité de l’homogène sur l’hétérogène, en particulier dans la représentation des enseignants, alors que bien des recherches en didactique montrent le contraire.

4.2. Discours circulants et usages du marqueur discursif « genre »

Je prends maintenant l’usage contemporain du mot « genre » (Yaguello 1998, Andersen 2001, Secova 2015). Contrairement au renvoi implicite au sens commun, l’usage de « genre » marque explicitement le recours à une doxa. Il renvoie à d’autres paroles circulantes non par une énonciation « rapportée », mais par une énonciation « médiatisée » qui peut conserver une forme de discours direct. Les exemples pris sont extraits d’un corpus personnel5 : « T’as vu sa manière de me répondre genre tu me fais perdre mon temps ! » ; « J’ai balancé les choses comme je les sens genre j’en ai ma claque » ; « Il m’a dit des mots affectueux genre il y a longtemps que je t’aime, la romance quoi ! ». Et celui de Marina Yaguello (1998 : 18) : « Tu sais à quelle heure elle nous remplace son cours genre pour ne pas nous déranger ? À huit heures samedi ! » ←30 | 31→Florence Foresti y fait souvent appel dans ses sketches en renvoyant à un savoir populaire : « J’ai laissé sonner quatre fois (le téléphone) genre je suis très occupée ! » L’intérêt de cette catégorie est de mettre en relation une prise de parole singulière et un étalon de discours, une norme comme pluralité d’énonciations similaires déjà rencontrées. Si le locuteur prend bien en charge son discours, il affiche qu’il n’est pas le seul à le tenir. Il fait ainsi l’hypothèse d’un savoir partagé avec son interlocuteur et joue de connivence. « Genre » introduit donc entre les interlocuteurs une formulation exemplaire d’un type codifié d’énonciations. Les dictons sont un recours possible et présentent un inventaire stabilisé : « Je l’ai joué serré avec eux genre aux grands maux les grands remèdes. » Des citations littéraires entrent aussi dans ce répertoire énonciatif : « J’ai essayé de faire joli genre la terre est bleue comme une orange » ; « Tu sais Octave il est malin et quand il veut quelque chose c’est genre s’il te plaît dessine-moi un mouton. » Mais le discours ordinaire est aussi disponible en lien avec le quotidien de la vie sociale : « La conversation était désespérément terre-à-terre genre qu’est-ce qu’on fait demain aux hommes pour manger ! » Contrairement aux dictons, proverbes, citations et aux formulations préconstruites et déjà circulantes, « genre » est une marque en soi qui peut être suivie de n’importe quelle formulation créée au moment même de l’énonciation. Cette reconnaissance implicite d’une manière de dire est supposée par l’énonciateur culturellement acquise.

Résumé des informations

Pages
654
Année
2020
ISBN (PDF)
9782807610873
ISBN (ePUB)
9782807610880
ISBN (MOBI)
9782807610897
ISBN (Broché)
9782807610866
DOI
10.3726/b16164
Langue
français
Date de parution
2019 (Novembre)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 654 p., 23 ill. n/b, 5 tabl.

Notes biographiques

Michele De Gioia (Éditeur de volume) Mario Marcon (Éditeur de volume)

Michele De Gioia est professeur de langue et traduction française à l’Université de Padoue et poursuit des recherches dans les domaines des théories grammaticales et des discours spécialisés (droit, médiation). Il a été responsable scientifique de plusieurs projets de recherche et colloques internationaux interdisciplinaires ayant pour but de rassembler des linguistes, des juristes et des médiateurs, principalement de France et d’Italie. Mario Marcon est docteur en Linguistique française (Université d’Udine), agrégé d’Italien (Académie de Besançon) et membre associé de l’ATILF (UMR 7118 CNRS/Université de Lorraine). Ses travaux portent sur la terminologie, sur la phraséologie, sur la didactique des langues vivantes.

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Titre: L’essentiel de la médiation
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