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Femmes et catholicisme en Europe

1960-1970

de Bruno Dumons (Éditeur de volume)
©2020 Collections 224 Pages

Résumé

Le « moment 68 » constitue un temps de grand bouleversement social et culturel dans les sociétés occidentales. Les communautés religieuses n’ont pas échappé à ce séisme sociétal. Parmi les secousses qui ébranlent l’Église catholique durant ces premières « années conciliaires », se distingue une révolution plus invisible que silencieuse, celle que les femmes catholiques ont imposé à l’institution ecclésiale. Cette « armée de réserve », composée de pratiquantes et de militantes, avait jusque-là érigé un « catholicisme au féminin ».
Or, l’aggiornamento conciliaire ne les concerne guère. Leurs paroles sont tues, leurs présences silencieuses tout au plus tolérées. C’est ignorer la lame de fond qui bouleverse les mondes sociaux et culturels de plusieurs générations de femmes européennes des années 1960. Celles de confession catholique sont particulièrement ébranlées. Des pratiques en baisse fournissent une explication à la « rupture de la pente religieuse de 1965 » et la réception d’Humanæ Vitæ (1968) engendre autant de révoltes que d’incompréhensions. Ce « coup de grâce » libère une parole et de nouveaux comportements pour la décennie suivante.
L’impact de ce « moment 68 » n’a guère été étudié en ce qui concerne les femmes catholiques européennes, tant dans leurs manière de vivre que leurs rapports à l’institution ecclésiale. Cinq angles d’approche thématique sont ici abordés : fécondité et sexualité ; paroles et journaux intimes ; congrégations religieuses ; mouvements et organisations ; féminisme. La perspective européenne de ce livre est pour la première fois envisagée pour une telle problématique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • SOMMAIRE
  • Avant-Propos
  • Introduction
  • I. Le changement social des années 1960–1970
  • I.1 Fécondité et sexualité
  • Un équilibre difficile. Les catholiques italiennes et l’opposition à l’avortement (1971–1981) (Azzurra Tafuro)
  • Les femmes catholiques face à la révolution sexuelle des années 1960 en Angleterre. Couple, parentalité, sexualité (Olivier Rota)
  • I.2. Paroles et journaux intimes
  • Les médias comme lieux de confession ? Paroles de femmes catholiques dans les émissions de Ménie Grégoire (Claire Blandin)
  • « La vraie liberté…être soi-même » L’Écho des Françaises (1968–1979) : une autre définition de la libération des femmes (Bibia Pavard1)
  • II. Les institutions ecclésiales ébranlées
  • II.1 Féminisme et catholicisme
  • L’émergence d’un féminisme catholique en Espagne (1960–1970) (Catherine Saupin)
  • “Vie Féminine” entre résistances, adaptations et réappropriation. (Belgique francophone, 1965–1985) (Juliette Masquelier)
  • II.2 Organisations et mouvements catholiques
  • L’autre moitié de l’Église. Femmes et associations catholiques durant le « long 68 » italien (Marta Margotti)
  • Les jeunes femmes catholiques de la JOCF dans les années 1960 : militantes ouvrières ou féministes catholiques ? (Anthony Favier)
  • II.3 Congrégations religieuses
  • Les religieuses françaises entre aggiornamento et crise (Christian Sorrel)
  • Les Franciscaines Missionnaires de Marie : un institut missionnaire international (1960–1970). Entre expérimentations, émancipation et ruptures1. (Christine de Fréminville)
  • Les changements post-conciliaires dans les communautés religieuses féminines. L’exemple des Sœurs du Bon Pasteur en Allemagne (Kristen Gläsel)
  • LISTE DES AUTEURS

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Avant-Propos

Michelle Zancarini-Fournel

Lorsque Bruno Dumons m’a proposé de participer au colloque qu’il organisait sur Femmes et catholicisme en Europe (1960–1970), j’ai réfléchi pour préparer mon intervention à la place que la question du catholicisme avait occupée dans mes recherches, particulièrement celles sur le Moment 681. Aucune évidence dans ce bilan : socialisée aussi bien dans mon environnement familial (laïque et athée avec une pointe d’anticléricalisme) que par ma formation d’historienne sociale au Centre Pierre Léon, dirigé par Maurice Garden et Yves Lequin, (où les discussions avec les spécialistes d’histoire religieuse n’étaient pas courantes), je ne me suis pas saisie d’emblée de cet axe de recherche.

Pourtant, au fil des archives, j’ai rencontré des catholiques et l’étonnement a parfois bousculé des certitudes bien ancrées. Le premier est venu au tout début de mes recherches sur les ouvrières stéphanoises, du fait d’une situation qui m’a surprise. J’avais découvert en dépouillant un dossier d’archives la trace d’une manifestation de femmes au printemps 1848 qui s’en étaient prises au couvent du Refuge à Saint-Étienne animé par les sœurs de Saint-Joseph. Ces dernières employaient au tissage des rubans de soie des orphelines et des filles soumises à la correction paternelle, ne recevant aucun salaire et placées ainsi en concurrence avec les ouvrières des autres ateliers de la ville. J’avais été très étonnée que le cortège ait escaladé la colline pour parvenir au couvent précédé par la statue d’un christ rédempteur ; les 150 manifestantes avaient arraché portes et fenêtres qui symbolisaient la clôture et brûlé les métiers à tisser. J’ai compris ensuite comment ce « Christ des barricades » se rattachait à une geste potentiellement subversive. Un demi-siècle plus tard, les ←9 | 10→stéphanoises du quartier populaire du Soleil manifestaient pour défendre les sœurs qui tenaient les écoles maternelles où étaient gardés à toute heure les enfants des ouvrières partant au travail. Les religieuses étaient menacées d’interdiction d’exercice par la loi sur les congrégations de 1901. On aurait pu taxer de réactionnaires ces manifestantes entraînées par des dames de la bonne société, nobles et grandes bourgeoises catholiques qui exprimaient ainsi leur capacité d’agir2. Et j’ai pu réfléchir à partir de ces deux exemples à la place de la religion dans la vie des ouvrières, ce qui ne m’avait pas retenu jusqu’alors.

J’ai été confrontée au même étonnement des années plus tard pour écrire l’histoire sociale des contestations des années 19683. En effet, au cours de ces deux décennies, je me suis « heurtée » à tout moment à la présence active de filles et de femmes catholiques dont je devais comprendre et expliquer l’implication dans les événements.

Ma première interrogation a concerné avant 1968 la question de la limitation des naissances discutée dans tous les mouvements catholiques, même si l’avortement, comme la contraception hors mariage, restait encore un tabou. Le magazine de l’Action Catholique Générale Féminine, L’Écho des Françaises – deux millions d’exemplaires – a ainsi ouvert en 1964, une rubrique sur la régulation des naissances. Les mouvements d’adultes et de jeunesse dans le monde rural, la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) comme ceux de l’Action Catholique Ouvrière (ACO) contribuent également à une libération de la parole en organisant des réunions sur l’éducation sexuelle. L’ouverture du premier centre de Planning Familial à Grenoble en 1961 provoque réactions et contre-offensive de l’Église catholique4. Deux médecins grenoblois, inquiets des « ravages » du Planning Familial proposent de former les foyers chrétiens au mariage. Une enquête menée auprès de 1 200 femmes qui venaient d’accoucher à l’hôpital municipal de Grenoble, de septembre 1961 à juillet 1962, avait précisé que si 69 % de ces femmes déclaraient avoir utilisé une méthode ←10 | 11→contraceptive, la plupart des catholiques pratiquaient surtout la méthode du retrait qui apparaît dans ce sondage comme la « méthode catholique » pour la régulation des naissances mais 40 % d’entre elles déclaraient dorénavant vouloir utiliser la pilule5.

À Grenoble encore, véritable laboratoire social, le PDG de l’entreprise Neyrpic, polytechnicien, est aussi un militant actif de l’Action Catholique, ce qui explique en partie la politique contractuelle qu’il a initiée : en 1961, un accord de rémunération conclu avec les syndicats associe dans un compromis fordiste les salariés aux résultats économiques de l’entreprise. Quant à l’accord général signé le 9 janvier 1962, il garantit l’abaissement de l’âge de la retraite, la réduction progressive de la durée du travail sans diminution de ressources et une extension des congés payés. En outre, les ouvriers de Neyrpic avec plus de dix ans d’ancienneté sont mensualisés. Enfin une commission de conciliation, baptisée Commission de l’Accord, est créée pour éviter les conflits. La section syndicale d’entreprise est de fait reconnue (avec 20 heures par mois de délégation). L’importance de cet accord a immédiatement été mise en évidence par la presse : Neyrpic est ainsi constitué publiquement en enjeu national des relations sociales dans les entreprises et on le doit à un patron catholique dont la gestion considérée trop à gauche est très vite mise en cause par le patronat.

Autre source d’étonnement de ma part, le destin commun des organisations étudiantes, communistes ou chrétiennes. La transformation des mentalités de la jeunesse dans les années 1960 explique le positionnement des organisations de jeunes catholiques qui ont maille à partir avec leur hiérarchie. Les Scouts de France en 1963, la Jeunesse Étudiante Chrétienne et le Mouvement Rural de la Jeunesse Catholique (MRJC) en 1965, sont mis au pas par les évêques6. Les sortants fondent une autre organisation, éphémère, la Jeunesse Universitaire Chrétienne (JUC), tandis que les survivants de la JEC rejoignent la Mission Étudiante créée en septembre 1966, d’où dépendent certains centres comme le centre Richelieu situé en face de la Sorbonne, qui se montra très actif dans les événements de mai-juin 19687. Une partie de ces militants chrétiens ←11 | 12→rallient alors les mouvements d’extrême gauche en constitution. Ce fut une des surprises de la recherche, ce nombre élevé de militants d’origine catholique dans les mouvements qualifiés de « gauchistes » conforté par l’étude de Marnix Dressen sur les établis8.

J’ai été étonnée de repérer dans tous les mouvements sociaux des années 1968, la présence non négligeable de militants et de militantes catholiques. Que ce soit dans les comités d’action viticole de 1967 dans l’Aude formés à la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC), qui repoussent les discours d’extrême droite sur la défense nécessaire de la pureté du vin et de la race française face au vin algérien tenus par leurs prédécesseurs ; ou dans les manifestations ouvrières et étudiantes en janvier 1968 dans la ville de Caen où le préfet du Calvados note la présence assidue sur les lieux du responsable de la CFDT, syndicat majoritaire dans toutes les entreprises décentralisées (sauf Citroën)9, tradition ancienne de contacts suivis avec le syndicat étudiant depuis les luttes communes pendant la guerre d’Algérie. À Caen, les dirigeants de l’UNEF ont en commun avec ceux de la CFDT d’être passés par l’Action Catholique ou la JEC.

Lors des grèves de mai-juin 1968, des femmes interviennent parfois directement à la porte d’une entreprise pour soutenir leurs maris ainsi que le raconte Aurélie Lopez, 40 ans en 1968, fille d’ouvriers agricoles revenus d’Algérie en 1956, soudeuse dans une entreprise métallurgique et membre de l’Action Catholique Ouvrière :

Il y a quinze ans, lorsque nous avons été sollicités pour participer à des réunions de réflexion de l’Action Catholique Ouvrière, nous n’imaginions pas le bouleversement que ce serait pour notre foyer. Oui, cette rencontre d’une Église en classe ouvrière a été pour nous d’un grand étonnement. À travers la lecture de la Bible, nous avons découvert un Jésus-Christ tout proche de nos souffrances et de tout ce que nous vivions10.

Je retrouvais ainsi les femmes de 1848 découvertes dans les premières années de mon parcours de recherche en histoire.

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Le colloque organisé par Bruno Dumons et le livre qui suit ces propos nous permettent d’aborder avec profit d’autres facettes de l’action et du positionnement des femmes catholiques au cours du moment 1968 en France et en Europe.

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1 Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68 : une histoire contestée, Paris, Seuil, 2008.

2 Bruno Dumons « Résistances des ligues féminines catholiques à l’idée laïque », Florence Rochefort (dir.), Le pouvoir du genre. Laïcités et religions (1905–2005), Toulouse, PUM, 2007, p. 83–97 ; Bruno Dumons, Les Dames de la Ligue des Femmes Françaises (1901–1914), Paris, Cerf, 2006.

3 Michelle Zancarini-Fournel, Changer la vie ! Une histoire sociale des contestations dans les années 68, mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 1999.

4 Martine Sevegrand, Les enfants du Bon Dieu. Les catholiques français et la procréation au XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1995.

5 Population, octobre-décembre 1963, n° 4, p. 657–682.

6 Étienne Fouilloux, « La crise des mouvements confessionnels », Geneviève Poujol (dir.), L’éducation populaire au tournant des années soixante. État, mouvement, sciences sociales, Marly-Le-Roy, INJEP, 1993, p. 83–95.

7 Danièle Hervieu-Léger, De la mission à la protestation. L’évolution des étudiants chrétiens en France (1965–1970), Paris, Cerf, 1973.

8 Marnix Dressen, De l’amphi à l’établi. Les étudiants maoïstes à l’usine (1967–1989), Paris, Belin, 2000.

9 Gérard Lange, « La liaison ouvriers-étudiants à Caen », René Mouriaux et al. (dir.), 1968. Exploration du Mai français, tome 1 : Terrains, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 217–236.

Résumé des informations

Pages
224
Année
2020
ISBN (PDF)
9782807613041
ISBN (ePUB)
9782807613058
ISBN (MOBI)
9782807613065
ISBN (Broché)
9782807613034
DOI
10.3726/b17159
Langue
français
Date de parution
2020 (Août)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 224 p., 8 ill. n/b

Notes biographiques

Bruno Dumons (Éditeur de volume)

Bruno Dumons est directeur de recherches CNRS (LARHRA-Lyon), spécialiste d’histoire religieuse et politique en Europe, particulièrement du catholicisme contemporain, des femmes et du genre.

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