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La variation pluridimensionnelle

Une analyse de la négation en français

de Charlotte Meisner (Auteur)
©2016 Thèses XIV, 334 Pages
Open Access
Série: Sciences pour la communication, Volume 118

Résumé

Cet ouvrage présente une nouvelle approche originelle à la vielle question de la variation du ne de négation en français moderne. Soigneusement établie sur un corpus de langue parlée, l’auteur présente l’hypothèse de la variation linguistique pluridimensionnelle : le clitique négatif ne est parfois réalisé, comme dans la phrase ma mère ne vient pas, mais très souvent omis, surtout dans la communication informelle : je viens pas. Comme toute variable linguistique, le ne de négation est soumis à un ensemble d’influences potentielles. À l’aide d’une analyse multifactorielle, Charlotte Meisner montre que la variation pluridimensionnelle du ne de négation est déterminée par un facteur-clé sous-jacent : la prosodie du français moderne.

Table des matières

  • Cover
  • Titel
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • 1. Introduction
  • 1.1 La variation ±ne de la négation en français
  • 1.2 La conception, les objectifs et la structure du livre
  • 2. État des lieux
  • 2.1 La négation
  • 2.1.1 Généralités
  • 2.1.2 L’évolution de la négation en français
  • 2.1.2.1 Le cycle de Jespersen
  • 2.1.2.2 Changement rapide ou variation stable?
  • 2.1.3 La négation en français moderne
  • 2.1.3.1 Les particules négatives ne et pas
  • 2.1.3.2 Les termes négatifs et de polarité
  • 2.2 La variable ±ne dans les analyses empiriques
  • 2.2.1 ±ne dans les corpus graphiques
  • 2.2.1.1 ±ne dans les textes du 17e au 19e siècle
  • 2.2.1.2 ±ne dans la communication électronique au 20e et 21e siècle
  • 2.2.2 ±ne en français contemporain: les analyses de corpus phoniques
  • 2.2.3 Tendances générales: l’influence des facteurs (extra)linguistiques sur ±ne
  • 2.2.4 L’influence des facteurs extralinguistiques en détail
  • 2.2.4.1 La diatopie
  • 2.2.4.2 L’âge des locuteurs
  • 2.2.4.3 La diastratie: la formation et la provenance sociale des locuteurs
  • 2.2.4.4 La variation situationnelle
  • 2.2.5 L’influence des facteurs linguistiques en détail
  • 2.2.5.1 Le type de sujet grammatical: un continuum quant à la variable ±ne
  • 2.2.5.2 Discussion du type de sujet grammatical: un continuum morphosyntaxique et phonologique
  • 2.2.5.3 Les proclitiques non-sujets
  • 2.2.5.4 L’élément négatif non-clitique
  • 2.2.5.5 Les temps et modes verbaux
  • 2.2.5.6 Le type de phrase: l’opposition entre principale et subordonnée
  • 2.2.5.7 Les influences phonologiques
  • 2.2.6 Discussion critique des analyses empiriques de ±ne
  • 2.2.7 Conclusion intermédiaire : quelques implications pour notre analyse de corpus
  • 2.3 Les approches de la variation ±ne
  • 2.3.1 L’approche externe: ±ne comme variable sociolinguistique
  • 2.3.2 L’approche interne: l’hypothèse de l’incompatibilité entre ne et d’autres clitiques
  • 2.3.3 L’approche diglossique: l’hypothèse des deux grammaires du français
  • 2.3.4 L’approche pragmatique: ne comme une particule emphatique
  • 2.4 Résumé du chapitre 2
  • 3. Méthodologie : le corpus
  • 3.1 Comment accéder au corpus?
  • 3.2 Le corpus: motivation, conception et possibilités de requête
  • 3.3 Description sociodémographique de T-zéro
  • 3.4 Description des situations d’enregistrement
  • 3.4.1 La distance communicative: l’examen oral
  • 3.4.2 L’immédiat communicatif : conversations et discussions
  • 3.5 Le protocole d’enregistrement
  • 3.6 Le protocole de transcription
  • 3.7 Le protocole pour l’analyse de la variable ±ne dans T-zéro
  • 3.8 Les tests statistiques pour l’analyse descriptive
  • 3.9 Résumé du chapitre 3
  • 4. L’analyse de corpus: ±ne dans le corpus T-zéro
  • 4.1 Analyse globale : ±ne dans le corpus T-zéro
  • 4.2 Analyse exploratrice: ±ne selon le type de locuteur
  • 4.2.1 Type A: les locuteurs qui montrent une variation ±ne
  • 4.2.2 Type B: négation monopartite uniquement
  • 4.2.3 Type C: négation bipartite uniquement
  • 4.3 Analyse descriptive de l’influence des facteurs extralinguistiques
  • 4.3.1 La diatopie
  • 4.3.2 L’âge des locuteurs
  • 4.3.3 La diastratie: la profession et la formation des locuteurs
  • 4.3.4 Locuteurs bilingues et monolingues
  • 4.3.5 La variation situationnelle
  • 4.3.6 Conclusion intermédiaire : l’influence des facteurs extralinguistiques
  • 4.4 Analyse descriptive de l’influence des facteurs linguistiques
  • 4.4.1 L’influence du type de sujet
  • 4.4.1.1 Les sujets lourds
  • 4.4.1.2 Les sujets légers
  • 4.4.1.3 Les sujets redoublés
  • 4.4.2 Les séquences proclitiques
  • 4.4.3 L’élément négatif non-clitique
  • 4.4.4 Le verbe
  • 4.4.5 Le type de phrase
  • 4.4.5.1 L’opposition entre les principales et les subordonnées
  • 4.4.5.2 Les constructions interrogatives et clivées
  • 4.4.6 Le contexte phonétique
  • 4.4.7 Conclusion intermédiaire: l’influence des facteurs linguistiques
  • 4.5 Analyse multifactorielle
  • 4.5.1 L’interaction entre ±ne et une série de variables dites ‘indépendantes’
  • 4.5.2 L’interaction entre les variables dites ‘indépendantes’ dans le corpus entier
  • 4.5.2.1 L’influence de la situation de communication sur l’emploi du type de sujet
  • 4.5.2.2 L’influence de la situation de communication sur le type de phrase
  • 4.5.3 Conclusion intermédiaire
  • 4.6 Résumé du chapitre 4
  • 5. Discussion des résultats
  • 5.1 Évaluation des approches de la variation ±ne face aux résultats de l’analyse
  • 5.1.1 L’approche externe: ±ne comme variable sociolinguistique
  • 5.1.2 L’approche interne: l’hypothèse de l’incompatibilité entre ne et d’autres clitiques
  • 5.1.3 L’approche diglossique : l’hypothèse des deux grammaires du français
  • 5.1.4 L’approche pragmatique: ne comme une particule emphatique
  • 5.1.5 L’approche du contact linguistique
  • 5.1.6 Conclusion intermédiaire
  • 5.2 Proposition d’une explication prosodique de ±ne en français
  • 5.2.1 Pourquoi une explication prosodique ?
  • 5.2.2 La prosodie du français
  • 5.2.3 Le modèle prosodique de Jun/Fougeron (2000)
  • 5.2.4 Application à ±ne
  • 5.2.4.1 L’influence prosodique des sujets légers
  • 5.2.4.2 L’influence prosodique des séquences proclitiques
  • 5.2.4.3 L’influence prosodique des sujets lourds
  • 5.2.4.4 L’influence prosodique des sujets redoublés ...
  • 5.2.4.5 L’influence prosodique du type de phrase
  • 5.2.4.6 L’applicabilité de l’approche prosodique à d’autres contextes négatifs
  • 5.2.4.7 Conclusion intermédiaire
  • 5.3 La variation situationnelle du ±ne comme épiphénomène des facteurs prosodiques
  • 5.3.1 La nature de la variation situationnelle ±ne
  • 5.3.2 Pourquoi la variation situationnelle ±ne est-elle un épiphénomène ?
  • 5.3.3 D’autres facteurs pertinents liés à la situation de communication
  • 5.3.4 Les implications théoriques pour le traitement de la variable ±ne
  • 5.4 Perspectives
  • 5.4.1 L’explication prosodique et d’autres approches de la variable ±ne
  • 5.4.3 Quel futur pour le ne de négation ?
  • 5.5 Résumé du chapitre 5
  • 6. Conclusion
  • Bibliographie
  • Annexe

1. Introduction

1.1  La variation ±ne de la négation en français

Toutes les langues humaines permettent la transformation d’une phrase affirmative en une phrase négative. La négation, une opération sémantique et syntaxique qui exprime le renversement de la valeur de vérité d’une proposition, est donc une propriété cognitive universelle du langage humain qui n’existe dans aucun système de communication animal. La négation est profondément enracinée dans la communication humaine et nous permet de contredire, de répliquer, de rejeter, de mentir, d’ironiser ou de corriger (cf. Horn 2010 : 1, Horn/Kato 2000 : 1). En ce qui concerne l’expression de la négation dans les langues humaines, il existe une variation considérable non seulement entre différentes langues, mais également entre les différentes étapes diachroniques d’une langue, voire simultanément à l’intérieur d’une même langue.

Le présent travail se propose d’analyser la variation linguistique observée dans l’expression de la négation du verbe fini en français phonique1 moderne : ← 1 | 2

La négation de phrase en français standard (cf. Gaatone 1971, Muller 1991, Rowlett 1998) est exprimée par la combinaison des particules ne et pas ou par ne et un autre élément négatif, comme personne, rien, plus, jamais etc., qui encadrent le verbe fléchi, comme dans l’exemple (1)a.

Cependant, de nombreuses analyses de corpus confirment que la majorité des négations de phrase en français phonique est exprimée sans ne et uniquement par pas ou par des éléments négatifs non-clitiques, comme l’exemple (1)b le montre (cf. entre autres Armstrong 2002, Armstrong/Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001, Coveney 22002, Culbertson 2010, Diller 1983, Dufter/Stark 2007, Fonseca-Greber 2007, Hansen/Malderez 2004, Lüdicke 1982, Meisner 2010, Pohl 1968, Pooley 1996, Sturm 1981, van Compernolle 2009).

Au niveau diachronique, la variation ±ne illustrée sous (1) est décrite en termes d’une disparition continue de la particule ne au cours des derniers siècles. La particule proclitique est peu à peu remplacée par des éléments négatifs toniques et souvent postverbaux, qui, à leur tour, sont susceptibles de subir le même sort que ne, ce qui provoque une évolution dite ‘cyclique’, comme le montre la citation de Jespersen (1917, 1924) :

   (2)     L’adverbe négatif [ne, C. M.] est souvent inaccentué parce qu’un autre mot de la phrase porte l’accent principal. Mais, lorsque la négation inaccentuée en arrive à n’être plus qu’une syllabe proclitique et même à se réduire à un son unique, on ressent le besoin de la renforcer par l’adjonction d’un autre mot ; ce mot est à son tour perçu au bout d’un certain moment comme la négation ← 2 | 3 elle-même et peut alors subir la même évolution que l’élément qui l’avait précédé. On obtient ainsi une perpétuelle oscillation entre l’affaiblissement et le renforcement de la négation (Jespersen 1992 [1924]: 479).

Dans une perspective synchronique, le cycle négatif observé par Jespersen (1992 [1924]: 479) donne lieu en français contemporain à la variation ±ne illustrée en (1), qui est décrite et analysée au cours du 20e siècle par des grammairiens, par la linguistique variationnelle et variationniste3 ainsi que par des syntacticiens.

Damourette/Pichon (1911-1927: 129-146), par exemple, voient avant tout dans l’omission de ne une caractéristique du ‘parler vulgaire’. Ils thématisent ses éventuelles origines phonétiques et ses conséquences sémantiques et en viennent à conclure que la possibilité de l’omission de ne prouve que ce sont désormais les éléments négatifs non-clitiques qui expriment la négation de phrase. Le Bidois/Le Bidois (1938) avancent, quant à eux, des raisons structurelles pour expliquer l’omission de ne : outre sa réduction phonétique, l’analogie avec les expressions sans ne (cf. pas toujours, découragée jamais, Le Bidois/Le Bidois 1938 : 657-658) aurait déclenché cette évolution. Les ouvrages didacticopragmatiques et descriptifs modernes ne manquent pas non plus d’attirer l’attention du lecteur sur l’omission de ne dans le langage ‘informel’, ‘parlé’, ‘familier’ ou ‘oral’ (Lang/Perez 1996 : 223) et de mentionner son lien avec l’évolution de la négation (cf. Grevisse/Goosse 152011 : §1022-1015, Wilmet 21998, 2007, Riegel/Pellat/Rioul 52008 : 415-418).

En faisant référence aux premiers travaux se focalisant sur le ‘français populaire’ de Bauche (1951), Frei (1929) et Müller/Elsass (1985), la linguistique variationnelle de tradition européenne, basée sur des auteurs comme Coseriu (1988a,b), Flydal (1951) et Söll (21980), et représentée récemment par les travaux de Koch/Oesterreicher (22011), conçoit l’absence de ne comme une caractéristique centrale du ‘français parlé’ contemporain. Comme le français y est conçu en tant que ← 3 | 4 langue historique, c’est-à-dire un ensemble complexe, formé de variétés linguistiques qui se situent sur les dimensions diatopique, diastratique, diaphasique et éventuellement sur le continuum entre l’immédiat et la distance communicative, l’omission de ne serait, dans l’optique de Koch/Oesterreicher (22011), un trait propre à la variété historiquement évoluée du ‘français parlé’ qui se situe dans le domaine de l’immédiat communicatif.

Les analyses variationnnistes et sociolinguistiques visent à décrire d’un point de vue quantitatif et empirique le cheminement du changement prévu par Jespersen (1917, 1924) à travers la société et la langue. Ces études de corpus arrivent souvent à la conclusion que la prédiction de Jespersen (1917, 1924) se confirme actuellement en français contemporain. Ashby (1981 : 686), par exemple, affirme à cet égard: « The variable incedence of ne across the several groups of speakers, together with the historical record, suggests that the particle is now being lost in spoken French». Néanmoins, il existe aussi des voix contraires à la perte définitive de ne : Hansen/Malderez (2004 : 26) signalent qu’un tel aboutissement serait encore très éloigné, car « les locuteurs se trouvent exposés à l’usage de ce ne dans une diversité de contextes qui le retiennent certainement dans leur système linguistique ».

Indépendamment du sort que l’on conçoit pour ne, quelques informations concernant la distribution de la variable linguistique ±ne à l’intérieur de la société et la langue sont à retenir. Tout d’abord, la négation bipartite semble plus stablement enracinée au sud qu’au nord de la France (cf. Diller 1983), tandis qu’elle est relativement rare en Suisse (cf. Fonseca-Greber 2007) et déjà presque inexistante en français canadien (cf. Poplack/St-Amand 2009, Sankoff/Vincent 1980). Sociologiquement parlant, ce sont surtout les jeunes qui font avancer le changement (cf. Armstrong 2002, Pooley 1996), c’est-à-dire que, même s’ils remanient leur production de ne au au cours de leur vie en direction de la norme, les adolescents d’aujourd’hui n’atteignent plus les taux de +ne de leurs parents. Jusqu’aux années 1980, des différences de ±ne entre différentes classes sociales et niveaux de formation pouvaient être observées (cf. Ashby 1976, 1981, Sturm 1981), mais depuis quelque temps, celles-ci semblent s’estomper (cf. Coveney 22002, Hansen/Malderez ← 4 | 5 → 2004). Contrairement aux facteurs démographiques, le facteur de la situation de communication, c’est-à-dire le facteur du style ou du registre, récemment (re)découvert par la recherche sociolinguistique (cf. Eckert/Rickford 2001, Coupland 2007), semble toujours valable en français contemporain, du moins pour les adultes.

Au-delà des facteurs sociodémographiques cités-ci dessus, le contexte linguistique s’est avéré extrêmement significatif pour la réalisation de la variable ±ne : les analyses de corpus (cf. Armstrong/Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001, Coveney 22002, Hansen/Malderez 2004 etc.) ont montré de manière consistante que le type de sujet est le facteur le plus important pour la réalisation de ne. En simplifiant quelque peu, nous pouvons dire que le patron de variation ±ne par rapport à ce facteur habituellement observé est le suivant:

Les trois exemples sous (3) illustrent une tendance existant dans tous les corpus de français spontané: les locuteurs tendent à réaliser la particule de négation ne lorsque celle-ci suit un sujet grammatical prosodiquement lourd, comme c’est le cas du nom propre Ulysse en (3)a. Les syntagmes lexicaux, les pronoms indéfinis, comme personne ou quelqu’un, et, à un moindre degré, les pronoms relatifs comme qui ont un effet similaire : plus ils sont prosodiquement lourds, plus ils favorisent la réalisation de ne. Par contre, si le sujet est un clitique prosodiquement léger, comme le pronom personnel je en (3)b, ou si le sujet est redoublé, c’est-à-dire formé par deux entités coréférentielles dont l’une est prosodiquement lourde et l’autre légère, comme moi je dans l’exemple (3)c, la particule ne sera très probablement omise.

En plus de l’influence du type de sujet, d’autres facteurs linguistiques ont été identifiés comme ayant une influence considérable sur ← 5 | 6 → la variable ±ne (cf. Armstrong/Smith 2002, Ashby 1976, 1981, 2001, Coveney 22002, Hansen/Malderez 2004 etc.). Il s’agit, par exemple, du temps verbal, de l’élément négatif non-clitique, de la construction syntaxique, du débit de parole et du contexte phonologique. Les analyses de corpus ont montré que ce sont avant tout les variantes fréquentes, comme le présent de l’indicatif, l’élément négatif pas, les phrases simples, le débit rapide et l’omission du schwa, qui favorisent l’omission de ne.

La théorie variationnelle et syntaxique moderne offre au moins quatre conceptions de la variation en question. Selon l’approche sociolinguistique ‘classique’, ±ne dépend de facteurs externes à la langue. Les sociolinguistes soutiennent notamment qu’il s’agit d’une variable sociolinguistique (cf. Coveney 22002 : 29-54, Gadet 1997a,b, 2007, Labov 1927a,b, 2001), ce qui signifie qu’elle est censée manifester une covariation stable avec des facteurs sociodémographiques comme l’âge ou la couche sociale des locuteurs. Par contre, selon l’approche interne (cf. Larrivée 2014, Posner 1985 : 189), ±ne dépendrait de régularités propres à la langue, comme par exemple d’une ‘contrainte clitique’ qui exclurait sa réalisation en présence d’autres proclitiques. L’approche diglossique (cf. Culbertson 2010, Massot 2010, Mensching 2008 et ZribiHertz 2011), en partie compatible avec les approches de la linguistique variationnelle, comme celle de Koch/Oesterreicher (22011), rapporte la variation ±ne au fait que la particule serait présente dans une variété du français de distance mais pas dans le français de l’immédiat et que les francophones alterneraient continuellement entre ces deux grammaires. L’absence de ne serait donc, tout comme d’autres variantes linguistiques, une caractéristique de cette variété de l’immédiat, acquise de manière inconsciente et naturelle, de génération en génération, comme première grammaire, tandis que la variété de distance serait apprise tardivement et imparfaitement à l’école et à travers les contextes de protocole (par exemple dans le contact avec les institutions officielles, à l’église etc.). En combinant les idées d’une contrainte clitique et d’une diglossie francophone, Culbertson (2010) affirme même que les proclitiques du français de l’immédiat seraient désormais des marques flexionnelles affixées qui excluraient la présence du clitique ne. Finale ← 6 | 7 → ment, les adhérents de l’approche pragmatique, basée sur les travaux de Bell (1984, 2001) et soutenue récemment par van Compernolle (2008a,b), Fonseca-Greber (2007) et Poplack/St-Amand (2009), surtout par rapport au français canadien et suisse, approuvent l’hypothèse selon laquelle ne est une particule d’emphase, employée uniquement dans certains contextes pragmatiquement définis. Les observations de Breitbarth/Haegeman (2010, à paraître) concernant l’ancienne particule négative en du flamand de l’ouest suivent cette approche.

La plupart de ces approches pourraient être intégrées dans les modèles syntaxiques génératifs à travers des règles qui opèrent la négation bi- ou monopartite, par exemple dans la grammaire de certains groupes de locuteurs, dans les contextes proclitiques ou pragmatiquement définis ainsi que dans les variétés de la distance et de l’immédiat communicatif (cf. les propositions de Dubois 1967 : 137 et Jones 32007 : 348 dans un cadre génératif, et de Knüppel 2001 dans la grammaire d’unification).

Cependant, de telles solutions théoriques ‘minimales’ admettent l’existence de la variation ±ne sans l’expliqueren profondeur. En effet, l’intégration des informations sur la variation ±ne dont nous disposons grâce aux analyses de corpus reste généralement faible dans les approches théoriques. L’un des objectifs de ce travail sera donc d’essayer d’intégrer les différentes approches et d’apporter ainsi de nouveaux éléments de réponse quant à la variation ±ne.

C’est notamment à cause de la multitude des approches théoriques et méthodologiques de la variable ±ne, abordées brièvement ci-dessus, et des nombreux facteurs linguistiques et extralinguistiques qui semblent l’influencer, que nous la concevons comme une variable pluridimensionnelle. Le besoin de comprendre la complexité de la variation ±ne sera donc au cœur de la conception de notre analyse. ← 7 | 8

1.2  La conception, les objectifs et la structure du livre

Cette thèse de doctorat, composée de six chapitres, envisage quatre objectifs principaux : la description, la documentation, l’analyse et l’explication de la variation ±ne dans la négation de phrase en français phonique contemporain.

Après cette brève introduction au sujet de la variation ±ne, nous commencerons par proposer, dans le chapitre 2, une description syntaxique de la négation en français contemporain en tenant compte des données historiques et typologiques. Ceci comprend également la présentation structurée des hypothèses existantes et des résultats obtenus quant à la variable ±ne en diachronie et en synchronie.

Résumé des informations

Pages
XIV, 334
Année
2016
ISBN (ePUB)
9783034323321
ISBN (PDF)
9783035203479
ISBN (MOBI)
9783034323338
ISBN (Broché)
9783034320856
DOI
10.3726/978-3-0352-0347-9
Open Access
CC-BY-NC-ND
Langue
français
Date de parution
2017 (Avril)
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. XIV, 334 p., 15 ill. n/b, 80 ill. en couleurs, 74 ill. n/b

Notes biographiques

Charlotte Meisner (Auteur)

Charlotte Meisner est collaboratrice scientifique à l’université de Zurich. Après avoir étudié les philologies romanes et les sciences politiques aux universités d’Hanovre, de Bologne et de Berlin, elle a fait sa thèse de doctorat en linguistique française à l’université de Zurich.

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