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Histoire, Forme et Sens en Littérature

La Belgique francophone – Tome 3 : L’Évitement (1945–1970)

de Marc Quaghebeur (Auteur)
Monographies 616 Pages

Résumé

Ce troisième tome de la recherche de Marc Quaghebeur s’attache au quart de siècle qui fait suite à la libération de la Belgique du joug nazi, période considérée comme celle des « trente Glorieuses ». Le redémarrage économico social sous parapluie américain y va de pair culturellement avec une perspective humaniste soucieuse de dépasser ou d’occulter les contradictions historiques et de célébrer l’évidence universelle de la langue française. Fil rouge du volume, l’analyse de l’impact du second conflit mondial sur le champ littéraire francophone du pays permet d’en dégager la singularité à l’heure où les préceptes néoclassiques du Manifeste du lundi entendent l’inféoder plus que jamais à la mouvance parisienne. Les quatre premiers chapitres analysent ces particularités historiques, esthétiques et institutionnelles, en scrutant notamment les contrepoids de la « paralittérature » à la sacralisation de la Poésie, comme les impasses des métadiscours consacrés aux lettres belges. La deuxième partie examine plusieurs oeuvres dans lesquelles le second conflit mondial est explicitement nommé : celles de Victor Serge, Paul Nothomb, Henry Bauchau, René Tonnoir ou Christian Dotremont. La troisième s’attache à diverses esthétiques originales qui procèdent d’une métamorphose de l’indicible : Réalisme magique d’un Paul Willems ; Analogie chère à Suzanne Lilar ; Mythique chez Henry Bauchau ; Page-paysage pour Christian Dotremont ; Féérique de Maurice Maeterlinck dans sa pièce inédite La Nuit des enfants. La quatrième, enfin, examine la célébration comme la perception du chant du cygne de Valeurs qui avaient structuré l’avant-guerre et s’étaient perpétuées dans l’immédiat après-guerre : la domination coloniale, la Littérature façon NRF, la Révolution ou la Belgique de papa. Daniel Gillès, Maria Van Rysselberghe, Charles Paron et Jacques Brel sont particulièrement étudiés à cette aune. Un livre qui ouvre de nouvelles formes de compréhension de l’époque précédant la proclamation de la belgitude.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • REMERCIEMENTS
  • Table des matières
  • Préface
  • CHAPITRE I Un distancement choisi
  • Tellus stabilita
  • L’immigration italienne
  • Présent-absent, l’empire colonial
  • Logique et contradictions du lundisme
  • La Langue, La Poésie
  • Gommages et estompages d’une réalité
  • Jeux et inventions des marges
  • La Belgique et l’Europe au regard de l’apparente facétie
  • Sujétion et auto-distancement
  • La France éternelle
  • Un champ culturel moins marmoréen qu’il n’y paraît
  • CHAPITRE II La Poésie, valeur sacrale
  • Les paradoxes de la Régence
  • Les contradictions du champ littéraire
  • Les héritages de l’occupation allemande
  • Un dispositif institutionnel renforce le rôle de l’Académie
  • Célébration absolutiste de La Poésie
  • Humanisme / Unanimisme / Œcuménisme
  • Échapper aux contradictions trop proches
  • CHAPITRE III Des contrepoids très utiles
  • Une structuration théâtrale moins élitiste
  • Des revues-socle
  • Des passeurs entre Belgique et France
  • Un champ éditorial dont le littéraire pur n’est pas la clé
  • Le creuset de la guerre
  • Une entreprise avortée
  • CHAPITRE IV Comment se dire
  • Logiques et contradictions de l’historiographie littéraire
  • Une édition littéraire réelle mais confinée
  • Les textes proches du concret ne passent pas pour Littérature
  • Une édition soignée de diffusion restreinte
  • Une langue lisse, transcendantale
  • Le Rapport à la doxa française
  • Le naufrage du langage
  • Face à la guerre
  • CHAPITRE V La Conscience Les années sans pardon de Victor Serge
  • Une conscience qui soit aussi une âme
  • Le feu central
  • Des écartèlements du réel différents des chausse-trappes du fantastique
  • Évoquer le pire en dehors du pathos
  • Quelle esthétique pour cette résistance de la conscience ?
  • Nouvelle terre promise
  • Rien n’est perdu, tout est à faire
  • CHAPITRE VI Le Rachat La Rançon et Le Délire logique de Paul Nothomb
  • L’Espoir revu et condensé
  • Deux Belges au cœur du concret
  • Face à Réaux / Malraux, deux interlocuteurs complémentaires
  • Réaux / Malraux, la « main amie » qui libère la parole
  • La mémoire de l’humiliation
  • L’ombre du père
  • Un précédent révélateur : Le Délire logique
  • Un moment-clé dans l’histoire du Parti communiste belge
  • Rôle objectif et symbolique d’André Malraux
  • Le communisme, « coquille vide » pour le sujet
  • Deux jumeaux fictionnels, pour deux moments de la vie de l’écrivain
  • Au cœur des « guerres perdues »
  • La suppression des deux premiers chapitres du récit
  • Œdipe en marche
  • CHAPITRE VII La noria du Jugement L’œuvre fictionnelle d’Henry Bauchau
  • Le Traumatisme, le Jugement
  • Le Parti unique des Provinces romanes de Belgique
  • « Face à l’avenir »
  • Le Livre des Vivants et des Morts
  • Le tournant de l’année 1943
  • Des jugements qui ravivent la hantise du Jugement
  • Des Titans sortis des chaînes
  • La force des exclus sociaux
  • Décomposition et recomposition de la mémoire
  • L’Ange et la Bête
  • Le lit de Justice
  • CHAPITRE VIII La Conversion Le Crépuscule des ancêtres de René Tonnoir ; Ngando de Paul Lomami Tshibamba
  • Existence d’une littérature africaine spécifique
  • Une pensée dominée par l’idée d’Évolution
  • Un roman pédagogique à ancrage réaliste et historique
  • Un récit de formation quasiment métaphysique
  • Des figures de passage
  • Un Tintin noir ?
  • Des figures du mal
  • Un contexte et une emprise historiques marqués
  • Un roman de pédagogie coloniale
  • Au cœur des contradictions de civilisation
  • Défense de l’illusion civilisationnelle
  • CHAPITRE IX La Catastrophe La Pierre et l’Oreiller de Christian Dotremont
  • Une autofiction mêlant Histoire, Passion et Maladie
  • S’accoucher de la tache
  • Une géographie très personnelle
  • Reconfiguration de Dieu et du Christ
  • Revisitation des stations du Chemin de la croix
  • Inéluctable, l’entrée en Catastrophe
  • Ressusciter après 1945
  • Fantasmatiques d’après le désastre
  • CHAPITRE X La Féerie, la Fable Les Fiançailles, La Nuit des enfants, Le Jugement dernier de Maurice Maeterlinck
  • Les Fiançailles, pièce charnière de la trilogie féerique
  • La Nuit des enfants, volet méconnu de la trilogie
  • Des variantes mineures
  • Les ingrédients de la féerie
  • Les épisodes qui préparent la Révélation
  • L’incarnation testamentaire d’une vision du monde
  • La transfiguration du vivant
  • Une sanctification révélatrice
  • CHAPITRE XI Le Réalisme magique Tout est réel ici de Paul Willems
  • Des contacts avec l’Allemagne
  • L’art du Comme si
  • Le réel n’est pas la réalité
  • Réflexions du temps de guerre
  • La campagne de mai 1940
  • Fonctionnement du récit
  • Entrelacement des mythes
  • Faire percevoir le plus réel que le réel
  • Revisiter le mythe de la Flandre
  • L’enfance, le désir, la littérature
  • Amplifier puis désagréger
  • Deux types de réceptions : 1941 et 1980
  • CHAPITRE XII Le Mythique, le Légendaire Gengis Khan, Noël pour Satan et La Déchirure d’Henry Bauchau
  • Surgissement du Titan, naissance de l’écrivain
  • Satan dans l’ombre
  • Les ressorts de Gengis Khan
  • Au cœur de la crypte, Noël pour Satan
  • Inconscient et/ou Histoire
  • Des doubles, oui, mais pas un tiers si ce n’est comme horizon
  • L’inscription de La Déchirure dans La Chine intérieure
  • La Mère et l’Apôtre
  • Un autre aîné
  • L’accouchement d’un sujet
  • L’Histoire et les histoires, un style
  • L’écriture comme débat
  • Le créateur, c’est l’Autre
  • D’une résistance, l’autre
  • CHAPITRE XIII L’Analogie Le Journal de l’analogiste, La Confession anonyme et Le Divertissement portugais de Suzanne Lilar
  • Une autre idée de la Poésie
  • La bisexualité constitutive va de pair avec la hantise de l’analogique
  • Un roman anonyme non dépourvu de signature
  • Une stratégie ambiguë mais concertée
  • Un roman qui est plus qu’un écran
  • De la difficulté d’être un (écrivain) belge
  • De l’amour plus que de l’aimé
  • De très symboliques et subtiles intertextualités
  • Un diptyque où des masques tombent et se complètent
  • CHAPITRE XIV La Page-Paysage Vues Laponie, Fagnes, Digue et Commencements lapons de Christian Dotremont
  • La magie concrète
  • Une fable du réel : Fagnes
  • Les renversements de perspective : Digue
  • Un livre total en miniatures
  • Les contrepoints du Chœur et du rythme
  • Mâtiner la langue noble
  • La dépossession par les mots
  • Détournements/retournements des images : les contrepoints du plasticien
  • Vers la page, la femme et soi : le paysage
  • Espace, métaphore et incarnation, la Laponie
  • La fin de plusieurs mondes
  • CHAPITRE XV La Colonie Vous êtes tous poètes, La Termitière et Le Cinquième commandement de Daniel Gillès, Sans rancune de Thomas Kanza
  • Présence de l’Afrique dans les premiers textes de Gillès
  • Où l’on retrouve la poésie
  • Un microcosme de la colonie
  • Jeux de force et lignes de fracture
  • Un événement déclencheur
  • Une focalisation en forme de chant du cygne
  • La galaxie masculine
  • La galaxie féminine
  • Une étoile bien réelle
  • La hantise chrétienne de l’Amour
  • Limites de la domination
  • Un avers congolais de La Termitière
  • L’univers gillésien
  • Une Afrique en mode concave
  • CHAPITRE XVI La Littérature Il y a quarante ans et Les Cahiers de la Petite Dame de Maria Van Rysselberghe
  • Un nom longtemps laissé dans l’ombre
  • À l’aune de la stylisation chère à André Gide
  • Les questions de l’Histoire
  • Gide et Verhaeren
  • Un travail d’art pour dépasser le secret, mais maintenir la réserve
  • Un clavecin bien tempéré
  • Le « choc indélébile »
  • CHAPITRE XVII La Révolution Cette Terre !, Les Vagues peuvent mourir, La Deuxième Révolution de Mao Tsé-toung de Charles Paron ; Les Habits neufs du président Mao de Simon Leys ; Mao Zedong d’Henry Bauchau ; Le Radeau de la mémoire de Marcel Mariën ; Vie et mort pornographiques de Madame Mao de Jean-Pierre Verheggen
  • Reprofilage international
  • Paron/Leys : un Journal et une Chronique de la Révolution culturelle aux antipodes
  • La question de la Révolution
  • L’impossible synthèse
  • Un biographe empathique, Henri Bauchau
  • La Chine communiste d’avant la Révolution culturelle
  • L’irréfragable noyau d’un sujet sevré de parole et de tendresse
  • La part structurante de la glèbe
  • Un romancier engagé
  • Coller à la réalité
  • L’iconoclaste, Marcel Mariën
  • Jean-Pierre Verheggen, la carnavalisation de l’illusion
  • CHAPITRE XVIII La Belgique de papa Œuvre complète de Jacques Brel
  • L’apogée de la chanson française
  • Une âpreté singulière
  • À l’heure des mutations de la « Belgique de papa »
  • Des blessures historiques à peine dissimulées
  • Une double postulation en quête de ce qui la transcende
  • Entre profération du nom et dissolution
  • Des lointains qui réconcilient
  • Viscérale, une image abîmée
  • Le nœud de la guerre
  • Quelle belgitude ?
  • Au temps où Bruxelles chantait
  • Index
  • Titres de la collection

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Préface

Bernadette Desorbay1

Le siècle des idéologies s’est nourri de chimères conceptuelles dont les tristes effets sur le genre humain n’ont pas fini d’être explorés. L’Histoire étant affaire de narration, on aurait pu croire que les écrivain·es francophones de Belgique se seraient emparé des mythologies politiques de leur temps en liaison avec le contexte local. Fut-ce bien le cas ? L’affaire s’est, en tous les cas, compliquée dans l’après-guerre, en fonction de certaines ambiguïtés. Dans son tome 3 consacré aux années 1945 à 1970, Marc Quaghebeur les relie à un « évitement ».

Le ton est donné pour l’examen critique d’une institutionnalisation, propre à la Belgique, d’un genre poétique prisé pour sa relative extranéité vis-à-vis des contradictions historiques, ainsi que pour l’étude minutieuse de productions théâtrales et de textes romanesques encore soumis à la difficulté de faire corps avec une auctorialité en mal de reconnaissance. Un soupçon d’incongruité accompagnera cette littérature de l’intranquillité, encourageant l’inouïversalité d’un Jean-Pierre Verheggen ou le hors norme d’un Christian Dotremont, fondateur du mouvement Cobra, autant que l’apparition d’œuvres monumentales aussi contrastantes que celles d’un Henry Bauchau ou d’un Pierre Mertens.

Ce que Marc Quaghebeur retrace tout d’abord dans son tome 3 à partir de la relation des écrivain·es francophones de Belgique à l’Histoire, leur traitement de la langue française hors de France et certaines proximités de sens, ce sont les affinités électives au sein de plusieurs générations littéraires marquées par une culture de l’entre-deux. Après avoir fait partie des pays de par deçà sous Charles Quint, la Belgique d’après 1830 a gardé, ←19 | 20→au fond d’elle- même, la forme adjectivale, subordonnée, qu’elle avait fini par revêtir à la fin du xviiie siècle.

Avec l’« ébranlement » des années 1914 à 1944 relues dans le tome 2, il en alla désormais du nom comme de l’image. L’auteur n’hésitait pas à parler en termes de « vassalité franco-française » de l’orbite hexagonale sur laquelle se plaça un royaume dont la créativité avait jusqu’alors été liée à l’entretien d’un mouvement de balancier entre cultures germanique et latine. Le ver était vraisemblablement dans le fruit. Lors de « l’engendrement », objet du premier tome couvrant les années 1815 à 1914, les lettres françaises de Belgique furent porteuses de mythes qui n’interrogèrent pas celui qui poussa la République française à croire en l’usage d’une langue unique et invariable en garantie de son uneté. Il en découla la foi en une équivalence entre langue, littérature et nation, pour une culture-modèle misant, en dépit de son caractère oxymorique, sur l’idée d’une universalité française. Au lendemain de la Libération, qui concerne le présent tome, la figure de Charles de Gaulle, qui éclipsa le nom des forces alliées dans son discours triomphal du 25 août, conforte encore ce trompe-l’œil, alors que celle du roi Léopold iii, qui finira par abdiquer en 1951 après avoir été outrageusement identifié à la défaite de 1940 par le président du Conseil des ministres de France, Paul Reynaud, et ses relais britanniques, fut loin d’entretenir la flamme d’un imaginaire collectif (re)valorisant.

Sur la scène littéraire francophone de Belgique, la subordination était devenue réalité dans les années 1930, avec la formation d’un groupe d’écrivains, les lundistes, désireux de se fondre dans le patrimoine français. Formé d’écrivains comme Charles Plisnier, Marcel Thiry, Franz Hellens, Michel de Ghelderode et Georges Poulet, ledit groupe, qui avait publié en 1937 un Manifeste postulant la supériorité de la littérature française de France, continuera à se distinguer après la guerre de 1940 par une absence grandissante de toute référence à la Belgique. Conscients du fait que la pensée d’un individu ne parviendra jamais à percer, seule, sur la scène culturelle, les écrivains belges francophones fondent sinon des bandes qui, si elles ne se privent pas du prestige de la place parisienne – Cobra y fut co-validé en 1948 par Christian Dotrement ; les éditions de l’Arche y furent cofondées en 1949 par Henry Bauchau – font émerger une écriture et des mouvements esthétiques importants bien qu’éphémères. Ces initiatives, exemptes des velléités rattachistes francophiles du Groupe du lundi, pousseront en même temps à sortir d’une forme néo-classique dont la littérature belge était longtemps restée l’otage. En témoigne en 1969 Suzanne Lilar, qui ouvre la scène littéraire à un nouvel ←20 | 21→horizon de pensée avec Le Malentendu du deuxième sexe, tout en illustrant la présence en Belgique d’une tension entre baroque et classicisme qui ne demandait qu’à s’exprimer en rupture avec les consensus néo-classiques et les modes parisiennes. Le blâme et la soudaine dépréciation qui étaient tombés sur la romancière lorsqu’elle sortit ses Confessions de l’anonymat et qu’on découvrit que l’auteur n’était point Français, montrent toutefois qu’un préjugé géographique n’est pas sans peser sur la création belge dès qu’elle croit pouvoir faire fi des convenances et des formes établies.

Il en va de même d’une certaine logique cartésienne, dont les écrivain·es francophones de Belgique ne se départiront pas sans courir le risque de voir leur production déclassée, voire ignorée, sur le marché du livre français. Réalisme magique, fantastique réel et autres appellatifs qualifiant de façon plus ou moins avantageuse des œuvres de création à l’imagination hybride, typique d’un pays de l’entre-deux, n’en ont pas moins fini par caractériser une manière propre d’écrire en français. Il ne s’agit pas ici d’un effet de frontière, mais d’un autre rapport au réel – découlant, entre autres, de promiscuités linguistiques refoulées par l’Hexagone.

C’est le rapport au réel qui motive notamment l’écrivain flamand de culture francophone Paul Willems, dont le premier roman vit le jour en 1941, Tout est réel ici. L’auteur, un soldat ayant participé au front de 1939-1940, esquive les réalités de la guerre au profit de perceptions que l’on pourrait être tenté de regarder comme animistes en raison des contacts de la Belgique colonialiste avec l’Afrique centrale. Le roman de Paul Lomami Tshibamba, Ngando, considéré comme le premier écrivain congolais francophone2, date toutefois de 1948. Lui est aussi postérieure la parution des Dialogues africains où, comme Marc Quaghebeur l’a documenté dans l’un des ouvrages collectifs par lui co-édités, Roger Bodart interroge la Weltanschauung de Tshibamba3. La chronologie empêche aussi de considérer comme une source la révélation que furent, entre 1948 et 1951, le Rwanda et le Congo pour Marie Gevers, mère de l’écrivain, elle-même femme de lettres et première écrivaine à ←21 | 22→siéger à l’Académie royale. Willems peut en revanche avoir été influencé par le goût de sa mère pour la prosopopée, celui-là même que Marcel Thiry avait repéré dans les textes de cette écrivaine élevée dans le plurilinguisme. Elle le décrit, dans un entretien de 1969, comme l’habitude de « faire parler les objets par eux-mêmes comme si c’étaient les objets qui pensaient et vivaient »4. Ayant côtoyé dès l’enfance le français, le flamand et l’allemand, elle acquit le sentiment que les mots s’étaient « décollés du son, ce n’était plus un amalgame si étroit qu’on ait pu séparer le mot de l’objet ». Gardant à l’esprit l’unicité des lettres francophones congolaises, Marc Quaghebeur parle de l’œuvre de Willems en termes de cosmicité plutôt que d’animisme, en rapprochant le hors-lieu et le hors-temps qui la distinguent non seulement d’une tension fantastique e entre vie et féerie, mais aussi d’une volonté d’« immerger dans plus immémorial et plus foncier que l’historique ; de s’y tenir grâce au pouvoir des mots, jusqu’à ce qu’il s’effondre ».

Le regard postcolonial que Marc Quaghebeur pose sur Paul Lomami Tshibamba pour la finesse de sa déconstruction de la rationalité à l’occidentale, enrichit l’un des chapitres du tome 3 consacré à René Tonnoir, administrateur principal au Congo belge à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L’œuvre de cet écrivain colonial va de La Pierre de feu sorti en 1935 à Le Crépuscule des ancêtres publié en 1948. L’auteur passe de la défense d’une Évolution dans le respect d’un fonds africain inaliénable à l’idée d’une conversion civilisationnelle progressive mais inéluctable du peuple congolais. Le « strabisme historique » de celui qui fut aussi un grand admirateur du général de Gaulle, contraste avec la lucidité prophétique dont le conseiller à la Cour d’appel du Katanga, Paul Salkin, avait fait preuve avec la publication, en 1926, de L’Afrique centrale dans cent ans.

Autre figure marquante des lettres congolaises francophones, Thomas Kanza, fait l’objet, avec Sans rancune, publié en 1965 (peu après l’indépendance et avant le triomphe du mobutisme), d’un bref intermède comparatif à l’intérieur d’un chapitre consacré à l’œuvre de Daniel Gillès de Pélichy, et notamment à La Termitière sorti en 1960. Ce qui permet la comparaison, c’est le constat du fossé existant entre peuples africains et ←22 | 23→européens et la « fin de plusieurs mondes » à laquelle les deux auteurs assistent d’un côté et de l’autre de la barrière géoculturelle. Même s’il a pour mérite, par rapport à Tonnoir, d’entrevoir la caducité du système, Gillès produit, en 1960, ce que Marc Quaghebeur considère comme un « archétype du roman colonial » attaché au lien entre idéal et réel. À l’exception de l’Afrique dont il traite sur le mode d’un biais narratif secondaire, Gillès fait en revanche figure d’exception au sein des lettres belges de la première quinzaine d’années de l’après-guerre dans la mesure où ses fictions se nourrissent explicitement de l’Histoire de son pays.

Marc Quaghebeur est un encyclopédiste se distinguant par son goût de l’Histoire et son habileté à disséquer en même temps qu’à synthétiser grandeurs et misères des écrivain·es francophones de Belgique. Auteur d’une œuvre poétique, narrative et critique imposante, ancien commissaire au Livre et directeur des Archives & Musée de la Littérature, il a accumulé à Bruxelles une expérience non seulement de la conservation des fonds culturels, mais aussi de l’analyse génétique des œuvres d’écrivain·es et artistes parmi lesquels il compte de très proches ami·es.

Tel est le cas, notamment, d’Henry Bauchau sur l’œuvre duquel il a considérablement travaillé. Le regard qu’il pose dans le tome 3 sur l’auteur de La Déchirure, d’Œdipe sur la route, d’Antigone, mais aussi de Gengis Khan et d’une biographie de Mao Zedong est d’une grande franchise même si leur amitié ne garantissait pas, au départ, le recul indispensable à l’observation de prises de position politiques parfois hasardeuses, d’erreurs de jugement, voire d’une approximation dont le grand écrivain fera preuve dans son œuvre et ses entretiens jusqu’à son décès en 2012, entre autres au niveau des données historiques qui auraient pu entraver son auto-réhabilitation par l’écriture.

Pris, eux aussi, dans les rets des passions idéologiques du xxe siècle, d’autres écrivains, comme Victor Serge ou Paul Nothomb, ont, pour leur part, frôlé l’erreur d’appréciation, l’un devant les aléas de l’anarchie ; l’autre, face aux embûches de l’engagement. La tentation de l’autoritarisme, qu’il fût stalinien, hitlérien ou maoïste, fait partie des dérives intellectuelles qui ont guetté, si ce n’est compromis à plusieurs reprises, la classe intellectuelle belge. Ainsi, Henry Bauchau, que fascinaient les grandes figures de l’Histoire. Marc Quaghebeur s’y attache avec finesse et générosité, alors que, né en 1947, il fut témoin de la Guerre froide après l’avoir été, enfant, des séquelles de la destruction par la Wehrmacht de sa chère ville natale, Tournai.

←23 | 24→Les traumatismes engendrés par la guerre reçoivent un traitement de choix chez Maurice Maeterlinck, dont l’inédit, La Nuit des enfants, fait l’objet d’une lecture attentive. Marc Quaghebeur continue en outre de repérer le désir qui sous-tend les écritures francophones de Belgique quand s’annonce, avec la Guerre froide, la fin de plusieurs mondes.

De longs passages de close reading commentent ainsi la passion qui lia Maria Van Rysselberghe à Émile Verhaeren, ainsi que les portraits par elle dressés d’André Gide. Ils témoignent d’un temps où la littérature en français persistait à se dire française et s’écrivait avec une majuscule surplombant l’Histoire. De Gide, qui se désintéressait de celle-ci, Malraux a donné le portrait d’un écrivain guidé par un primat de la morale l’amenant à porter un jugement sur la mise en œuvre des théories communiste et fasciste alors qu’il eût été plus pertinent d’en considérer leur portée en tant que « transfigurations passionnelles ».

Ce regard moral qui fixe un moment clé de l’histoire littéraire de langue française du premier xxe siècle aura une certaine influence sur les choix de l’establishment culturel belge francophone de l’après-guerre. Mao Tsé-toung en fut notamment la cible. Les traces de son ascension, moins nombreuses qu’en France, les diverses phases de son action ont inspiré plusieurs textes importants sur la scène belge. S’il revient à Simon Leys d’avoir mis à mal le mythe occidental de la Révolution culturelle et à Charles Paron d’avoir pointé les dérives liées au culte de la personnalité et fictionnalisé la Chine d’avant la Révolution culturelle, Henry Bauchau se montre, lui, plus enclin à observer les humeurs et les passions qu’à déplorer le prix payé par les victimes de l’Histoire. Sans doute céda-t-il aux séductions du Grand Timonier, du fait de ses promesses d’un ordre nouveau qu’il n’avait pas vu se réaliser sous d’autres férules. Ses fines observations offrent un témoignage précieux sur la figure du « Titan » ainsi que sur l’époque. De son côté, Marcel Mariën déchanta très vite suite à un séjour de travail en Chine, qui lui inspira les « notations les plus ubuesques sur les caractères répressifs, hypocrites ou malhonnêtes du régime comme de son maître et dieu. » Jean- Pierre Verheggen en fit autant, tandis que, dans un essai intitulé L’Afrique de Pékin, Pierre Mertens et Paul Smets font des projections savantes sur le pragmatisme chinois en Afrique noire. Une étude d’une grande acuité bien qu’elle mise sur un reflux chinois, à ce jour démenti par les faits. Le fascicule avait retenu l’attention du ministre d’État Paul-Henri Spaak, qui lui consacre une préface mémorable – à ce lapsus près, mis en évidence par Marc ←24 | 25→Quaghebeur, qu’il relance le poncif colonial d’un manque atavique de discipline au sein des populations noires.

Si une chose importe à Marc Quaghebeur, c’est bien le jeu des passions qui entraînent les femmes et les hommes de lettres dans la ronde de l’Histoire. Il s’y rapporte sur un mode psychocritique qui n’est pas sans rappeler les procédés d’analyse d’un Charles Mauron. Le père-mère est un indicateur fréquent, à côté des ambivalences du désir. S’y ajoute un regard postcolonial qui dépasse la matière africaine pour interroger les dépendances épistémiques qui ont fait de la relation belgo-française un échiquier d’évitement de soi pour plusieurs générations d’écrivain·es belgo-francophones. On serait tenté de parler, avec Annibal Quijano, de colonialité du pouvoir pour expliquer ces vassalités plus ou moins spontanées et souvent parfaitement consenties à l’égard d’un Grand Autre divinisé, celles-là-mêmes que la génération de la belgitude chercha à dénoncer dans les années 1970. Pierre Mertens ne cessa pas fortuitement de tolérer le mot de Jacques Brel qu’il avait lui-même relancé avec Claude Javeau, au nom d’une disproportion entre belgitude et négritude dont il s’aperçut rapidement qu’elle frisait l’indécence après quatre-vingts ans de colonialisme belge en Afrique centrale.

Tout le monde ne se reconnaît pas aussi facilement dans le miroir. En fournissent l’exemple des sottes histoires qu’André Gide se plaisait à faire raconter à Maria Van Rysselberghe sur la Belgique, qu’elle lui livrait avec quelque complaisance liée à une réticence de sa part à en être. Ces histoires belges, que Jacques Brel parvint à transformer en poésie en promulguant l’image d’une Brelgique à la hauteur des malaises de son Être-là, participaient de ces mécanismes d’identification projective que Melanie Klein ne rattachait pas fortuitement au sadisme infantile : « Histoires absurdes qui correspondent à l’image de ridiculisation du Belge dont Coluche se fera encore l’écho, deux décennies plus tard », commente l’auteur du tome 3 en soulignant qu’elles « sont devenues par la suite une sorte d’image de marque plus positive, hâtivement qualifiée toutefois de “surréaliste” ».

Le xxe siècle a été marqué par la volonté de créer une humanité nouvelle. Bauchau l’avait bien saisi. L’écrivain était sensible au pulsionnel, une dimension que Marcel Moreau a lui aussi imposée dans le champ romanesque belge francophone. Conrad Detrez, lui, est un écrivain déçu par l’action révolutionnaire, qui, tout en cherchant à découvrir les racines psychiques de ses rébellions ainsi que les causes du refus que la société ←25 | 26→de son temps opposait aux pulsions homosexuelles, brise avec l’amnésie collective. C’est le cas de Les Plumes du coq (1975), roman qui inscrit l’Histoire dans un texte se dispensant de tout biais métaphorique, mais touchant au grotesque. Pierre Mertens avait changé la donne dès Les Bons Offices en tissant le nom et le réel de la Belgique dans le grand canevas des passions de l’après-guerre, dont celles que la Shoah imposa aux juifs et celles que causa son dévoilement.

Marc Quaghebeur souligne combien le pays tardera à (essayer de) le dire. S’en sont emparés Né juif : une enfance juive pendant la guerre de Marcel Liebman en 1977, La longue Randonnée d’Ernest Gorbitz en 1975 ; D’Auschwitz à Bergen-Belsen de Marian Pankowski en 2000 et les pièces de René Kalisky : Jim le téméraire en 1972, Dave au bord de mer en 1976, Aïda vaincue en 1981 et Falsch en 1983. Les camps de prisonniers, militaires ou politiques, avaient par contre moins tardé à inspirer les auteurs, même si, là non plus, il ne fut pas question d’un éveil spectaculaire de la scène littéraire aux réalités de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur du présent tome repère, dans Dachau de Arthur Haulot (1945), l’un des rares témoignages belges sur l’horreur des camps de concentration nazis.

Le silence dans lequel la Belgique retombe durant les premières décennies de l’après-guerre est lié à la Question royale – à savoir au maintien sur le trône de Léopold iii ou à son départ. Ce débat et sa résolution compromirent la présence d’un choix de problématiques constitutif d’un milieu culturel digne de ce nom. Ce qui se passe littérairement en France est de peu d’impact sur la vie culturelle nationale. À l’exception notamment de Dominique Rolin ou Hubert Juin que ces mutations aident à sortir du carcan narratif traditionnel. Le Nouveau Roman ne touche en effet les auteur·es belges francophones que de façon tangente. Il en va de même de l’existentialisme et du théâtre de l’absurde, pourtant très débattus en Belgique : « En quoi », pour Marc Quaghebeur, « le champ littéraire francophone belge constitue bien un espace singulier – celui-là même que ses discours d’escorte entendent dénier, tout en le mettant en œuvre ».

C’est ce que les pages qui suivent évoquent de façon magistrale.

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CHAPITRE I

Un distancement choisi

Les années qui s’étendent des capitulations allemande et japonaise de 1945 aux lendemains de Mai 68 sont celles de la reconstruction des villes détruites, du redémarrage économique et du progrès social en Europe occidentale ; elles sont considérées comme les « Trente Glorieuses ». Les mutations politiques et mentales des années 1960 tracent toutefois, pour la fin de la période, une césure générationnelle, culturelle et institutionnelle capitale. Elle fut loin d’être sans effet sur les textes littéraires.

En Belgique francophone, l’essor du « Jeune Théâtre »1 tourne ainsi une page de l’histoire théâtrale de l’après-guerre et annonce l’affirmation de la « belgitude ». Les œuvres dramatiques de Jean Louvet2 et de René Kalisky, qui ont pris corps dans les années soixante, indiquent un tout autre rapport à l’Histoire et à l’Esthétique que celles de leurs prédécesseurs. En osant revisiter le monde poétique belge, le Panorama de la poésie française de Belgique (1976) de Liliane Wouters secoue les piliers du temple comme l’ont fait, au niveau théâtral, le Théâtre du Parvis (1970-1973) de Marc Liebens et Jean Lefebvre ou le Théâtre laboratoire Vicinal (1970-1977) de Frédéric Baal. Le coup de tonnerre poétique de Le Degré zorro de l’écriture (1978) de Jean-Pierre Verheggen les carnavalise. Au niveau romanesque, Julie ou la dissolution (1971) de Marcel Moreau ←27 | 28→impose le pulsionnel dont l’écrivain s’était certes fait l’apôtre dès Quintes (1963) ; Les Bons Offices (1974) de Pierre Mertens ou Les Plumes du coq (1975) de Conrad Detrez inscrivent l’Histoire dans le texte d’une manière non métaphorique.

Par rapport aux années qui ont vu l’Europe sortir physiquement, moralement et économiquement, exsangue de la Seconde Guerre mondiale ; se scinder en deux blocs ; et entrer dans la Guerre froide, la donne a également changé. Peu envisageable en effet, quelques années auparavant, une manifestation défilant dans les rues de Bruxelles (1970) derrière le philosophe français Paul Ricœur et le slogan « Nous sommes tous des étrangers ». Tout aussi peu imaginable, la scission de l’université pluriséculaire de Louvain/Leuven suite aux manifestations flamandes et flamingantes (1968) se déployant dans les rues de la vieille ville universitaire au cri de « Walen buiten » (Les Wallons dehors). Le Royaume se trouve au seuil des premières mesures de fédéralisation de l’État – et donc, à la fin de « la Belgique de papa ».

Tellus stabilita3

Le quart de siècle qui fait suite à la victoire du 8 mai 1945 mit très vite un terme aux contradictions socio-politiques potentiellement révolutionnaires qui se sont fait jour dans les fourgons de la Libération. Conjugué à la lutte ouverte contre le communisme soviétique et ses alliés, le Plan Marshall y contribue largement et débouche très rapidement sur l’essor économico-social des Trente Glorieuses. Pour beaucoup, il s’agit de revivre- et, donc, de tourner la page. Aussi spectaculaire et symbolique qu’il ait été, le procès de Nuremberg est loin de s’être attaqué aux racines du Mal et d’avoir poursuivi nombre de séides du grand Reich. Sans être occultée, la Shoah demeure un non-dit relatif, ce que la création de l’État d’Israël paraît rendre loisible. Le génocide des juifs d’Europe ne fait-il pas partie, par excellence, du non-dicible ?

←28 | 29→L’horreur absolue de La solution finale – « Il est arrivé là quelque chose avec quoi nous ne pouvons [pas] nous réconcilier. Aucun de nous ne le peut »4, écrit Hannah Arendt

– ne se trouve ni au cœur des récits ni de ce qui la pourrait inscrire dans la vie et les mœurs. Rien de comparable donc à la fictionnalisation douloureuse de ses années d’horreur pure opérée par Anna Langfuss, Prix Goncourt 19625. Mais sa pièce, Les Lépreux (1956), a été violemment rejetée par le public parisien qui juge insupportables les dialogues et n’entend pas voir remuer de telles plaies sous ses yeux.

En Belgique, les traces de cette mémoire sont plus tardives. Né juif : une enfance juive pendant la guerre de Marcel Liebman voit le jour en 1977. La longue Randonnée6 d’Ernest Gorbitz, dont la deuxième section s’intitule « Le Massacre des innocents », est publié en 1975 ; D’Auschwitz à Bergen-Belsen de Marian Pankowski, en l’an 2000 seulement. Les pièces de René Kalisky directement liées au génocide des juifs par les nazis sont publiées dans le contexte des années de la Belgitude : Jim le téméraire (1972), Dave au bord de mer (1976), Aïda vaincue (1981) et Falsch (1983)7.

Les camps de prisonniers, militaires ou politiques, sont moins estompés dans la mémoire collective mais font l’objet de peu de textes. Futur commissaire au tourisme du Royaume et cheville ouvrière des Biennales de poésie, Arthur Haulot publie toutefois, en 1945, un des rares témoignages belges sur l’horreur des camps de concentration nazis : Dachau (1945). En 1951, Paul Dresse de Lébioles publie sa pièce Vogelsang qui se déroule dans un château de formation nazie. Quatrième volet du cycle Le Cinquième Commandement, roman notamment dédié à « [s]‌es camarades de combat », Le Spectateur brandebourgeois (1978) de Daniel Gillès s’attache longuement à la vie, dans un stalag allemand, de Donat de Mellery et de ses hommes, avant leur entrée dans la Résistance.

←29 | 30→Les nouvelles contradictions de l’Histoire n’entament pas une sorte de représentation globalement consensuelle sur la permanence des choses. L’indépendance de l’Inde (comme du Pakistan) et de l’Indonésie ne paraissent pas miner la logique coloniale européenne en Afrique. Dans l’immédiat après-guerre, et sans que ces faits atteignent son image en Europe, la France y mate d’ailleurs dans le sang les revendications indépendantistes algériennes ou malgaches. La défaite de Diên Biên Phu (1954) émeut peu les consciences. L’Extrême-Orient est un lointain sur lequel pèse désormais la Chine communiste dont l’expansion a été freinée en Corée du Sud. Formose continue de lui résister.

À l’occupation et à la collaboration, à l’attentisme et à la résistance progressive a fait suite l’épuration dont les peines sont assez rapidement atténuées – les condamnés n’étant pas amnistiés8 pour autant. Elle atteint certaines figures marquantes de la vie culturelle, parmi lesquelles Robert Poulet, directeur du Nouveau Journal, Raymond De Becker, directeur du Soir volé, Pierre Hubermont, directeur de la Communauté culturelle wallonne9 ou Louis Carette – le futur Félicien Marceau –, chef du service des actualités à Radio-Bruxelles. L’idée belge ne sort pas indemne des années qui suivirent la défaite de l’armée mais se modifie.

La Question royale s’est achevée sur une sorte de pacte consensuel du silence, tourné vers l’avenir, auquel se conformeront les divers acteurs du conflit. Dans l’orbe littéraire et culturel dominant, cela contribue à la mise sous le boisseau des tensions et polémiques propres à tout milieu culturel. Celles qui agitent l’espace français, dont les productions alimentent le débat en Belgique, y sont connues, parfois suivies de près, mais de peu d’impact sur la vie culturelle nationale. Existentialisme ou Théâtre de ←30 | 31→l’Absurde ne produisent pas d’effets fonciers dans les œuvres alors qu’ils sont présents dans les lectures, les représentations et les débats. Mise à part Hélène Prigogine, le Nouveau roman ne fait pas école mais libère du carcan narratif réaliste des auteurs tels Dominique Rolin ou Hubert Juin et leur permet notamment d’aller au fond de leur enfance propre. En quoi le champ littéraire francophone belge constitue bien un espace singulier – celui-là même que ses discours d’escorte entendent dénier, tout en le mettant en œuvre.

Résumé des informations

Pages
616
ISBN (PDF)
9782875747280
ISBN (ePUB)
9782875747297
ISBN (Broché)
9782875747273
DOI
10.3726/b20240
Langue
français
Date de parution
2022 (Novembre)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 616 p.

Notes biographiques

Marc Quaghebeur (Auteur)

Marc Quaghebeur (1947-), écrivain et critique, est directeur honoraire des Archives & Musée de la Littérature qu’il a dirigés de 1979 à 2018. Président de l’Association européenne d’Etudes francophones, ses recherches concernent l’articulation entre Esthétique et Histoire, particulièrement dans les littératures francophones. Elles entendent contribuer à l’écriture de nouvelles formes d’histoire de la littérature. En même temps que ce livre scientifique, il publie huit nouvelles : BELGIQUES.

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Titre: Histoire, Forme et Sens en Littérature
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