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De la guerre à l’union de l’Europe

Itinéraires luxembourgeois

de Mauve Carbonell (Auteur)
©2014 Monographies 164 Pages

Résumé

Au Luxembourg, la génération adulte dans les années 1940 porte en elle la fracture de la guerre, de l’occupation-annexion et de ses lourdes conséquences. Arrivant au pouvoir après 1945, les hommes du « renouveau » sont animés d’une vision du monde transformée, ouverte sur l’international, fondée sur le droit et la justice, rejetant les extrêmes du passé.
Dans cette étude, la mise en perspective biographique prend appui sur la reconstitution des parcours de responsables communautaires des années 1950 à 1970, à la Haute Autorité de la CECA, à la Commission de la CEE ou à la Cour de justice européenne. Il s’agit de Jean Fohrmann, Albert Wehrer, Michel Rasquin, Lambert Schaus, Victor Bodson, Albert Borschette, Charles-Léon Hammes et Pierre Pescatore. L’analyse est centrée sur la Seconde Guerre mondiale – cet « événement inaugural » – sur la perception que ces hommes en ont, sur le rôle qu’elle a joué dans leurs idées, leur carrière, leur implication dans le projet européen mais également dans leur évolution personnelle, spirituelle ou encore littéraire.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Table Des Abréviations
  • Introduction
  • Chapitre 1: Une jeunesse luxembourgeoise et européenne
  • 1.1 De l’athénée aux universités européennes, une éducation commune ?
  • 1.2 Les premiers engagements
  • 1.3 Un milieu luxembourgeois : vers une vie de notable toute tracée
  • Chapitre 2: L’expérience de la guerre
  • 2.1 La rupture de 1940
  • 2.2 Exils
  • 2.3 La déportation et l’enrôlement de force
  • Chapitre 3: Exorciser la guerre
  • 3.1 Témoignages des blessures
  • 3.2 La littérature comme exutoire
  • 3.3 La guerre : l’ultime « aventure »
  • Chapitre 4: La définition du droit, le besoin de justice
  • 4.1 Le soupçon, la justification, l’épuration
  • 4.2 La justice internationale en construction
  • 4.3 Dans la réalité du droit d’après-guerre : la répression des crimes de guerre
  • Chapitre 5: Une vision du monde transformée
  • 5.1 Des idées renouvelées dans un monde en mutation
  • 5.2 Permanence des idées et des croyances
  • 5.3 Douloureuse allemagne
  • 5.4 l’engagement dans la vie politique luxembourgeoise d’après-guerre
  • Chapitre 6: L’europe nécessaire
  • 6.1 L’objectif de paix
  • 6.2 L’Adhésion au modèle ceca
  • 6.3 La diplomatie européenne
  • 6.4 L’europe par le droit
  • 6.5 À la commission, les transports
  • 6.6 Retraites et fins de carrière
  • Conclusion
  • Sources et bibliographie
  • A/ Sources
  • B/ Bibliographie
  • Index

Table des abréviations

AHCE Archives historiques des Communautés européennes
ANLux Archives nationales du Luxembourg
ASSOS Association générale des étudiants luxembourgeois, auparavant AGEL
AV Akademikerverein
BMIAV Berg- und Metall Industrie Arbeiter Verband
CCFA Commandement en chef français en Allemagne
CECA Communauté européenne du charbon et de l’acier
CEE Communauté économique européenne
CGT Confédération générale des travailleurs
CISL Confédération internationale des syndicats libres
CVCE Centre virtuel de la connaissance sur l’Europe
DG Direction générale
KPL Kommunistesch Partei Lëtzebuerg
OIT Organisation internationale du travail
ONRCG Office national pour la recherche des criminels de guerre
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord
PD Parti démocratique
PCS Parti chrétien-social
POL Parti ouvrier luxembourgeois
POSL Parti ouvrier socialiste luxembourgeois
PSD Parti social-démocrate
RFA République fédérale d’Allemagne
SDN Société des nations
SELF Société des écrivains luxembourgeois de langue française
UEBL Union économique belgo-luxembourgeoise
UEFL Union européenne des fédéralistes luxembourgeois
UEO Union de l’Europe occidentale
URSS Union des républiques socialistes soviétiques
VDB Volksdeutsche Bewegung ← 9 | 10 →

 

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Introduction

Le XXe siècle européen est tragiquement marqué au fer blanc par un conflit d’une violence et d’une dimension sans précédent qui touche toutes les populations, entre 1939 et 1945. Hommes et femmes, militaires et civils, se retrouvent, le plus souvent malgré eux, dans la tourmente d’une guerre de six ans. Le Luxembourg, petit pays luttant pour défendre son existence par la neutralité, à l’étroit entre l’Allemagne, la France et la Belgique, est dans la ligne de mire de l’expansionnisme nazi et le 10 mai 1940, le pays est envahi en quelques heures. Les Pays-Bas, la Belgique, la France connaissent le même sort. Commence alors une occupation, une annexion dans le cas du Luxembourg, de plusieurs années dont les conséquences sont dramatiques pour ceux qui n’acceptent pas cette domination par la force : exil, déportation, « transfert » vers l’Est, camps de travail, camps de concentration, etc. Les passifs, les silencieux, les indifférents ne sont pas à l’abri : l’enrôlement de force dans la Wehrmacht pour les jeunes Luxembourgeois est décrété en 1942. Les sympathisants nazis, opportunistes ou collaborateurs, de leur côté, tirent leur épingle du jeu. La défaite de l’Europe nazie en 1945 renverse l’ordre des choses, les vainqueurs de 1940 s’avouant vaincus tandis que les opposants, exilés, résistants occupent soudainement le devant de la scène, laissé vacant. Les exilés rentrent au pays, les familles comptent les disparus, les victimes réclament justice, les tribunaux s’organisent, l’épuration s’institutionnalise, la justice internationale se définit et se met en marche.

L’après-guerre est synonyme de reconstruction, de renouveau, de reconquête. Et la génération adulte au moment de la guerre, les élites non corrompues ou passées entre les mailles du filet de l’épuration portent en eux la fracture de la guerre. Traumatisée dans son corps, dans son âme par les souffrances endurées ou observées, la génération qui arrive au pouvoir est animée d’une vision du monde transformée, renouvelée, ouverte sur le monde, rejetant les extrêmes du passé, les nationalismes et les totalitarismes. L’ouverture sur le monde, allant jusqu’à l’internationalisme pour certains, se manifeste dans le domaine des idées. L’Europe est sortie déchirée de cette première moitié de XXe siècle, brisée par la violence de la déflagration nazie. Dès 1945, à nouveau, le combat idéologique pointe entre les deux nouvelles superpuissances que sont les États-Unis d’un côté, l’URSS de l’autre. L’Europe, affaiblie, n’a d’autre choix que de se ranger du côté du plus fort, le libérateur : à l’Ouest, la démocratie libérale et le patronage américain, à l’Est, la démocratie populaire et la ← 11 | 12 → tutelle soviétique. Le Luxembourg est libéré par les armées alliées, le gouvernement et la Grande-Duchesse Charlotte, en exil à Londres, sont de retour en 1944/1945 et retrouvent les rênes du pouvoir. L’urgence est à la gestion des conséquences de la guerre : pertes humaines, destructions matérielles, collaboration, crimes nazis, crimes de guerre. Rapidement, dans ce monde bipolaire, il n’est plus question de neutralité. Le Luxembourg doit choisir son camp, signer des alliances, être un acteur engagé sur la scène internationale. Du Plan Marshall et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) aux premiers projets d’union régionale et européenne, il n’y a qu’un pas que le Luxembourg franchit parmi les premiers (Benelux, Communauté européenne du charbon et de l’acier – CECA). Entre rupture et continuité, les hommes au pouvoir après la guerre sont les initiateurs de ces politiques tournées vers l’international, puis vers l’Europe et l’union de l’Europe. Ils sont des hommes du passé, déjà en place dans les années 1920 et 1930 mais dont la vision du monde s’est transformée avec la guerre et ses conséquences ; ou bien ils sont issus de la génération montante, réveillée douloureusement par la guerre, qui s’implique de façon nouvelle dans « la vie de la cité » après 1945.

Les idées d’union de l’Europe se développent après la guerre. Peu en vogue dans l’entre-deux-guerres et incarnée par quelques « utopistes » comme Richard Coudenhove-Kalergi, l’unité du continent européen est défendue après 1945 par un plus grand nombre, intellectuels convaincus, responsables politiques convertis, citoyens éclairés. À la fin des années 1940, seules les élites parlent d’union de l’Europe (congrès de La Haye, 1948), les peuples sont peu au fait de ces idées nouvelles qui circulent de plus en plus jusqu’à prendre forme en 1950, avec le Plan Schuman d’union européenne sectorielle, concrétisé par la première Communauté européenne en 1952.1 Comment, en si peu d’années, les hommes au pouvoir en viennent à défendre et à mettre sur pied des projets européens d’union, faisant travailler main dans la main les « ennemis héréditaires » que sont la France et l’Allemagne ?

Au Luxembourg, le consensus est large sur la construction européenne. Tous les bords politiques ou presque se positionnent en faveur du projet européen. Pour comprendre comment ces « générations de la guerre » sont passées du nationalisme dominant des années 1930 au projet quasi internationaliste des Communautés européennes, il est nécessaire de s’intéresser aux hommes au pouvoir après-guerre eux-mêmes, à leurs parcours jusqu’au sommet de l’État, dans l’administration ou dans la vie politique. L’étude porte ici sur un petit groupe d’hommes adultes ← 12 | 13 → au moment de la guerre, puis ayant représenté le Luxembourg dans les plus hautes instances européennes et communautaires que sont la Haute Autorité de la CECA, la Commission de la Communauté économique européenne (devenue Commission unique en 1967), la Cour de justice des Communautés européennes (CECA puis CEE).2 Le corpus ainsi dégagé rassemble des hommes nés entre 1895 et 1920. Il s’agit là pratiquement d’une génération au sens strict du terme, puisqu’une génération se mesure sur vingt ans. Mais au-delà des années de naissance, ce qui importe dans la définition des générations réside dans le vécu commun. Une même génération traverse des événements semblables et dans le cas de cette étude, ce qui « fait » génération, l’événement dateur ou « inaugural », « générationnel », comme l’écrit Jean-Pierre Azéma, c’est la guerre.3

Les responsables communautaires luxembourgeois en question sont au nombre de huit, nommés à Bruxelles ou à Luxembourg, entre 1952 et 1970. Il s’agit d’Albert Wehrer (1895-1967) et Jean Fohrmann (1904-1973) pour la Haute Autorité de la CECA ; Michel Rasquin (1899-1958), Lambert Schaus (1908-1976), Victor Bodson (1902-1984) et Albert Borschette (1920-1976) pour la Commission ; Charles-Léon Hammes (1898-1967) et Pierre Pescatore (1919-2010) pour la Cour de justice. L’analyse biographique est le préalable à toute analyse commune et transversale sur la Seconde Guerre mondiale, sur la perception que ces hommes en ont, sur le rôle qu’elle a joué dans leur carrière et leur conception du monde, dans leur vie, jusqu’à leur nomination dans les institutions européennes. Le cas du Luxembourg, petit pays de 300 000 habitants en 1945, facilite la mise en perspective biographique, la comparaison des parcours et des choix individuels dans ce contexte spécifique qu’est la période de la guerre et de l’après-guerre. La situation du pays permet une approche quasi « intime » de cette histoire : la plupart des personnes étudiées dans cette recherche se connaissent, les élites luxembourgeoises forment un microcosme tissé de réseaux et de relations interpersonnelles. Le contexte est le même pour chacun et la compréhension des choix personnels s’enrichit d’une compréhension collective. Cette proximité rend possible pour l’historien une approche individuelle et collective dans un cadre scientifique homogène : le Luxembourg pendant la guerre et l’après-guerre.

La plupart sont des hommes d’âge mûr au moment où éclate le conflit mondial, sur un continent dominé par les nationalismes et en proie aux totalitarismes. Quelles sont leurs visions du monde à ce moment-là ? Quel est leur engagement politique ? Comment traversent-ils les années de guerre ? La guerre elle-même est tout ← 13 | 14 → aussi importante dans la réflexion que ses conséquences. Les blessures de la guerre sont nombreuses, personnelles, intellectuelles, spirituelles. Comment transcender le conflit et les souffrances qu’il a engendrées ? Chacun répond de manière différente à cette question, intime et personnelle (poésie, littérature), publique (politique, journalisme), intellectuelle. Alors que le renouveau démocratique se conjugue avec anticommunisme, quelle est la place de ces hommes dans le Luxembourg d’après 1945 ? Socialistes ou démocrates-chrétiens, une ère nouvelle s’ouvre à eux. Quel rôle joue l’épisode de la guerre dans le renouvellement de leur pensée ? Quels changements a introduit la guerre dans leur conception politique ? Dans leur vision de l’État qu’ils servent pour la plupart ? Du droit ? Quels rapports entretiennent-ils avec l’Allemagne ? L’idéal européen se substitue-t-il aux idéologies passées ? Ou bien est-ce le pragmatisme qui pousse ces hommes vers l’unification de l’Europe occidentale ? Les hommes au pouvoir après 1945 se situent-ils, d’un point de vue personnel, dans la continuité ou dans la rupture par rapport à leur vie et à leurs engagements passés ? Le « changement » et le « renouveau » proclamés sont-ils seulement des éléments de discours ?

Cette recherche s’inscrit dans le courant récent de l’historiographie contemporaine : l’étude de la construction européenne par l’analyse biographique. L’étude des élites européennes est un chantier encore jeune malgré quelques travaux précurseurs4 et des recherches plus récentes.5 Les sources sur lesquelles s’est construit ce travail, pour beaucoup inédites, sont nombreuses et variées, publiques ou privées, écrites et orales. Outre la méthode biographique, l’étude prend appui sur les écrits littéraires, poétiques, politiques, juridiques, journalistiques, administratifs, épistolaires, etc. que ces hommes ont produits. L’analyse des textes vient en complément de l’analyse des autres sources, permettant également une compréhension des relations, souvent complexes, que les hommes, et en particulier les hommes de pouvoir, entretiennent avec leur passé : leur propre passé tout autant que le passé de leur pays. Comment perçoivent-ils, les années passant, la Seconde Guerre mondiale et les événements qu’ils ont traversés ? Comment en parlent-ils dans leurs écrits ? Sous ← 14 | 15 → quelles formes ? Le discours sur le passé, fonction du présent, est un objet d’analyse en soi. Il donne bien souvent de nouvelles clés pour comprendre le passé lui-même. Qu’il s’agisse du discours des « vaincus » – discours de justification dans le cas de commissions d’épuration – ou du discours des « vainqueurs » glorifiant et valorisant les actions passées, porté par la volonté de témoigner, la parole est révélatrice de la position de celui qui parle et de la façon dont il perçoit sa propre histoire. Comprendre le passé des responsables luxembourgeois des institutions européennes contribue certes à l’histoire européenne et communautaire d’une part, mais également à l’histoire du Luxembourg et à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette étude de cas, croisant le « petit » monde luxembourgeois et la « grande » histoire européenne et mondiale, est révélatrice de l’impact profond et fondateur de la guerre pour toute une génération et même au-delà. ← 15 | 16 →

Résumé des informations

Pages
164
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035264180
ISBN (ePUB)
9783035296419
ISBN (MOBI)
9783035296402
ISBN (Broché)
9782875741394
DOI
10.3726/978-3-0352-6418-0
Langue
français
Date de parution
2014 (Juillet)
Mots clés
Seconde Guerre mondiale conséquences vision du monde occupation-annexion
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 164 p., nombr. ill. n/b

Notes biographiques

Mauve Carbonell (Auteur)

Mauve Carbonell, Docteur en histoire, est actuellement chercheur à Aix-Marseille Université. Ses recherches portent sur l’histoire économique et l’histoire de la construction européenne. Elle travaille en particulier sur les élites communautaires en leurs débuts (Des hommes à l’origine de l’Europe – Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA, 2008), cadre dans lequel s’inscrit cette étude sur les responsables luxembourgeois.

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Titre: De la guerre à l’union de l’Europe
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